
des étrangers,, les introduit dans les nouveaux ports dont le Taïkoun avait d’année
en année ajourné l’.ouverture. Le souverain, autrefois invisible pour ses propres sujets,
donne audience aux représentants d e s . puissances qui se sonl mises en relation avec
son Empire. Le pontife, qui ne pouvait sortir de sa sainte cité de Kioto, vient s’installer
pour un temps plus ou moins prolongé dans la résidence des derniers Siogouns, au
sein de la bourgeoisie de Yédo.
Évidemment, l’ancien Japon des dieux, des demi-dieux el de leurs successeurs,
n’existe plus et ne renaîtra pas.
Son antique féodalité militaire, affranchie du monopole commercial que s’arrogeait
le Taïkoun, tend à s e transformer en aristocratie marchande. Si les descendants desKamis
deviennent eux-mêmes, par le commerce, les agents de la civilisation occidentale dans
leurs propres seigneuries, que restera-t-il pour soutenir ou plutôt pour restaurer les
fictions du vieil Empire?
Quel que puisse être son état politique, le peuple japonais est dorénavant partie
intégrante et membre actif de la grande famille des peuples qui personnifient le progrès
humanitaire, et quel que soit le titre que portera son souverain, celui-ci ne pourra plus
être autre chose que ce que le Tdïkoun fût devenu, s’il avait pu prendre la position
à laquelle il paraissait être appelé depuis le grand événement des traités de 1858,
c’est-à-dire" le chef temporel et constitutionnel d’une confédération aristocratique.
Le retour du Taïkoun dans sa capitale, après le séjour qu’il fit à Kioto en 1863, avait
fourni à un artiste de Yédo le sujet d’une composition dont l’interprétation ne saurail
être douteuse. Elle conserve toute sa valeur sous le nouvel ordre de choses.
Le peintre reproduit avec complaisance l’aspect triomphal du steamer qui porte le chef
de l’État. Le beau « Lyemoon », chauffé à toute vapeur, comme on le remarque à la
fumée qui s’échappe de ses deux cheminées, fend majestueusement les vagues de la haute
mer. Les hommes.de l’équipage sont chacun à leur poste et manoeuvrent avec une parfaite
aisance. Les navires que l’on aperçoit dans le lointain n’inspirent aucune inquiétude ;
car s’ils n’appartiennent pas à l’escadre japonaise, ils font partie de la flotte alliée, des
puissances de l’Qccident avec lesquelles le Taïkoun est en relations d'amitié et de bons
offices...
« Va donc en paix! Semble d ire 'l’artiste à son souverain. Poursuis ta route et ton
oeuvre civilisatrice, rivalise avec l’Occident et fais-nous part des produits de sa science
et de son industrie ! Les Kamis, qui ont fait la gloire de l’ancien Japon, étendent eux-
mêmes une main protectrice sur ce navire autrefois étranger, oeuvre merveilleuse du
»énie moderne qui se. naturalise enfin parmi nous. Le vénérable patron de nos pays de
rizières, Inari Daïmiodzin, salue l'aurore de la nouvelle ère nationale, et il.envoie les
renards blancs, ses rusés et prudents serviteurs, balayer avec le goupillon céleste toule
maligné influence.qui s’interposerait'en ton- chemin. Tous les dieux de l’antique Nippon,
tous ses héros traditionnels te font cortège du haut du ciel pour célébrer et bénir ton
retour dans la nouvelle capitale de l’Empire. »
L’artiste nous montre, én effet, à la droite d’Inari, dans un encadrement de nuages.
le vigilant factionnaire de la porte du ciel, Kompira, laissant sortir et s’avancer au-dessus
du steamer du Taïkoun, tout un groupe de génies tutélaires, portant, pour la plupart,
cette antique coiffure nationale qui ressemble à une petite mitre ornée de ses fanons.
On remarque parmi eux Katori et Kashima, qui ont fait pénétrer la gloire et la puissance
des petits-fils du Soleil jusque dans les ténèbres du pays des Yébis, au Nord de l’ancien
empire des huit grandes îles. Us sont accompagnés du digne fils de l’héroïne Zingou,
la glorieuse impératrice qui a fait la conquête de la Corée : c’est le patron des braves,
Hatchiman, qui n ’a pu se séparer au ciel ni de son coursier, ni de son éventail de
.guerre; on lui rend les hommages divins dans les cités les plus célèbres de l’Empire, et
ses temples rivalisent avec les plus somptueux édifices du culte de Bouddha. A sa suite,
Soïkoïméi, le dompteur de diablotins, est le patron des jeunes garçons et le héros favori
des fêtes populaires. Enfin, voici un dieu qui, pour être venu de l’Inde, n’en a pas
moins une place d’honneur dans le Panthéon du Nippon ; c’est l’Arès des Grecs, le Mars
des Romains, au Japon Marisiten, le dieu des batailles : agitant autour de lui six bras
munis d’armes meurtrières, il ne s ’appuie que du bout du pied droit sur le dos d’un
sanglier lancé en pleine carrière.
Il est prêt, comme on le voit, à tomber avec impétuosité sur quiconque oserait s’attaquer
à son moderne protégé.
Que le chef actuel du Japon et son unique sôpverain accepte l’augure de ces voeux
formés par des sujets qui rattachent leurs destinées à un passé dont ils n’ont certes pas
à rougir !
Puisse-t-il régner en paix sur un Empire politiquement indépendant de l’étranger el
en pleine possession du droit de se constituer et de se gouverner à son gré ! Et puisse cet
Empire être bientôt en mesure de recueillir tous les bienfaits que l’avenir réserv^ aux
États affranchis de toute suprématie sacerdotale!
Il KTO.ÔR DU TAÏKOUN A YÉDO.