
dans leur cours études quatre fois plus de latin
qu’on n’en peut voir par la méthode vulgaire. En effet,
l’explication devenant alors le principal exercice
claffique, on pourra expédier dans chaque feance
au moins quarante lignes d’auteur, profe ou vers ;
& toujours, comme on l’a dit , en répétant de latm
en françois, puis de françois en latin, l’explication
faite par le maître ou par un écolier bien prépare :
travail également efficace pour entendre le latin, &
pour s’énoncer en cette langue. Car il eft vifible
qu’après s’être exercé chaque jour pendant huit ou
dix ans d’humanités à traduire du françois en latin ,
& cela de vive voix & par écrit , on acquerrera
mieux encore qu’à prefent la facilite de parler latin
dans les dalles fuperieures,fuppofé qu’on ne fît pas
auffi-bien d’y parler françois. Ce travail enfin, continué
depuis fix ans jufqu à quinze ou feize, donnera
moyen de voir & d’entendre prefque tous les auteurs
claniques, les plus beaux traités de Cicéron, plu-
fieurs de fes oraifons, V irgile & Horace en entier ;
de même que les Inftituts de Juftinien, le Catéchif-
tne dü concile de Trente, &c.
En effet, loin de borner l’inftruôion des huma-
niftes à quelques notions d’Hiftoire &C de Mytholo
gie , inftitution futile, qui ne donne guere de facilité
pour aller plus lo in , on ouvrira de bonne
heure le fanôuaire des Sciences & des Arts à la jeu-
neffe : & c’elf dans cette v u e , qu’on joindra aux
livres de claffe plufieurs traités dogmatiques , dont
la connoiffance eft néceflaire à de jeunes littérateurs
; mais de plus on leur fera connoitre, par
Une leâure affidue, les auteurs qui ont le mieux
écrit en notre langue , Poètes , Orateurs, Hifto-
riens, Artiftes, Philofophes ; ceux qui ont le mieux
traité la Morale , le D r o it , la Politique , &c. En
même tems , on entretiendra , comme on a d i t ,
&: cela dans toute la fuite des études , l’Arithmétique
& la G éométrie, le D effein, l’Ecriture, &c.
Il eft vrai que pour produire tant de bons effets,
i l ne faudroit pas que les enfans fuffent diftraits,
comme aujourd’hui, par des fêtes & des congés perpétuels,
qui interrompent à chaque inftant les exercices
& les études : il ne faudroit pas non plus qu’ils
fuffent détournés par des représentations de théâtre
; rien ne dérange plus les maîtres & les difciples,
&c rien par conféquent de plus contraire à l’avancement
des écoliers , lors même qu’ils n’ont d’autre
étude à fuivre que celle du latin. Ce feroit bien pis
encore dans le fyftème que je propofe.
Du refte, on pourroit accoutumer les jeunes gens
à paroître en public, mais toûjours par des exercices
plus faciles, & qui fuffent le produit des études courantes.
Il fuffiroit pour cela de faire expliquer des
auteurs latins, de faire déclamer des pièces d’éloquence
& de poëfie françoife ; & l’on paryiendroit
au même bu t, par des démonftrations publiques fur
la fphere, l’Arithmétique, la Géométrie, &c. 3 e ne dois pas oublier ici que le goût de molleffe
& de parure , qui gagne à-préfent tous les efprits,
eft une nouvelle raifon pour faciliter le fyftème des
études t & pour en ôter les embarras & les épines.
Ce goût dominant, fi contraire à l’auftérité chrétienne
, enleve un tems infini aux travaux littéraires
, & nuit par conféquent aux progrès des enfans.
Un ufage à defirer dans l’éducation, ce feroit de les
tenir fort fimplement pour les habits ; mais fur-tout
qu’on pardonne ces détails à mon expérience)
e les mettre en perruque ou en cheveux courts,
& des plus courts, jufqu’à l’âge de quinze ans. Par-
là on gagneroit un tems confidérable , & l’on éviterait
plufieurs inconvéniêns, à l’avantage des enfans
& de ceux qui les gouvernent : ceux - ci alors ,
moins détournés pour le fuperflu, donneraient tous
leurs foins à la culture néçeffaire du corps & de l’efprit;
ce qui doit être le butdesparens&des maîtres.
Quoi qu’il en fo it , les dernieres années d’humanités
, employées tant à des lettures utiles & fuivies ,
qu’à des compofitions choifies & bien travaillées,
formeraient une continuité de rhétorique dans un
goût nouveau ; rhétorique dont on écarterait avec
fom tout ce qui s’y trouve ordinairement d’inutile
& d’épineux. Pour c e la , on feroit compofer le plus
fouvent dans la langue maternelle ; & loin d’exercer
les jeunes rhéteurs iùr des fujets vagues ,* inconnus ,
ou indifférens, on n’en choifiroit jamais qui ne leur
fuffent connus & proportionnés . 3 e ne voudrais pas
même donner de verfions, fi ce n’eft tout au plus
pour les prix,fans les expliquer en pleine claffe;
& cela parce que la traduction françoile étant moins
un exercice de latinité qu’un premier effai d’éloquence
, déjà bien capable d’arrêter les plus habiles, fi
on laille des obfcurités dans le texte latin, on amortit
mal-à-propos la verve & le génie de l’écolier,
lequel a befoin de toute fa vigueur & de tout fon feu
pour traduire d’une maniéré fatisfaifante.
Je ne demanderais donc à de jeunes rhétoriciens
que des traductions plus ou moins libres, des lettres,
des extraits, des récits, des mémoires, & autres
productions femblables, qui doivent faire toute la
rhétorique d’un écolier ; productions après tout qui
font plus à la portée des jeunes gens, & plus inté-
reffantes pour le commun des hommes, que les dif-
cours boufis qu’on imagine pour faire parler Hector
& Achille, Alexandre & Porus , Annibal & Sci-
pion, Céfar &c Pompée, & les autres héros de l’Hif-
toire ou de la Fable.
Au refte, c’eft une erreur de croire que la Rhétorique
foit effentiellement &c uniquement l’art de
perfuader. Il eft vrai que la perfuafion eft un des
grands effets de l’éloquence ; mais il n’eft pas moins
vrai que la Rhétorique eft également l’art d’inftrui-
r e , d’expofer, narrer, difcuter, en un m ot, l’art de
traiter un fujet quelconque d’une maniere tout-à-la-
fois élégante & iolide. N’y a-t-il point d’éloquence
dans les récits de l’Hiftoire, dans les defcriptions des
Poètes, dans les mémoires de nos académies, &c. i
Voyeç Eloquence, Elocution.
Quoi qu’il en foit, l’éloquence n’eft point un art
ifolé , indépendant, & diftingué des autres arts ;
c’eft le complément & le dernier fruit des arts &
des connoiflances acquifes par la réflexion, par la
leCtiire, par la fréquentation des Savans, & fur-
tout par un grand exercicè de la compofition ; mais
c’eft moins le fruit des préceptes, que celui de l’imitation
& du fentiment , de l’ufage & du goût :
c’eft pourquoi les compofitions françoifes, les lectures
perpétuelles, & les autres opérations qu’on
a marquées étant plus inftruCtives, plus hujiineufes
que l'étude unique & vulgaire du latin, feront toûjours
plus agréables & plus fécondes, toûjours enfin
plus efficaces pour atteindre au vrai but de la
Rhétorique.
Quant à la Philofophie, on la regarde pour l’ordinaire
comme une fciqnce indépendante & diftinfte
de toute autre ; & l’on fe perfuade qu’elle confifte
dans une connoiffance raifonnée de telle & telle matière
: mais cette opinion pour être alfez commune,
n’en eft pas moins fauffe. La Philofophie n’eft proprement
que l’habitude de réfléchir &: de raifonner,
ou fi l’on veut, la facilité d’approfondir & de traiter
les Arts & les Sciences. Voye^ Philosophie.
Suivant cette idée fimple de la vraie Philofophie,
elle peut, elle doit même , fe commencer dès les
premières leçons de grammaire, & fe continuer dans
tout le refte des études. Ainfi le devoir & l’habileté
du maître confiftent à cultiver toûjours plus l’intelligence
que la mémoire ; à former les difciples à cet
efprit de difeuffion & d’examen qui caraûérife
l’homme philofophe ; & à leur donner, par la leCht-
rê des bons livres, & par les autres exercices, des
notions exaCtes & fuffifantes pour entrer d’eux-mêmes
enfuite dans la carrière des Sciences & des Arts.
II faut en un mot fondre de bonne heure, identifier,
s’il eft poffible, la philofophie avec les humanités.
Cependant malgré cette habitude anticipée de réflexion
& de raifonnement, il eft toûjours cenfé qu’il
faut faire un cours de philofophie ; mais il feroit à
fouhaiter pour les écoliers & pour les maîtres, que
ce cours fut imprimé. La di&ée, autrefois néceffai-
r e , eft devenue, depuis Fimpreflion, une opération
ridicule. En effet, il feroit beaucoup plus commode
d’avoir une Philofophie bien méditée & qu’on pût
étudier à fon aife dans un liv re , que de fe fatiguer
A écrire de médiocres cahiers toûjours pleins de fautes
& de lacunès.
Nous nous fervons avec fruit de la même bible,
de la vulgate qui eft commune à tous les Catholiques
; on pourrait avoir de même fur les Sciences
des traités uniformes, compofés par des hommes capables,&
qui travailleraient de concert à nous donner
un corps de doClrine auffi parfait qu’il eft pofli-
ble ; le tout avec l’agrément Sc fous la direction des
fupérieurs. Pour lors , le tems qui fe perd à difter
s’employeroit utilement à expliquer & à interroger :
& par ce moyen, une feule claffe de deux heures &
demie tous les jours hors les dimanches & fêtes ,jfuf-
firoit pour avancer raifonnablement ; ce qui donnerait
aux maîtres & aux difciples le tems de préparer
leurs leçons, & de varier leurs études.
Il y a plus à retrancher dans la Logique, qu’on n’y
fauroit ajoûter ; il me femble qu’on en peut dire à-
peu-près autant de la Métaphyfique. La Morale eft
trop négligée ; on pourroit l’étendre & l’approfondir
davantagë. A l’égard de la Phyfique, il en faudroit
auffi beaucoup élaguer ; négliger ce qui n’eft
que de contenfion & de curiofité, pour fe livrer aux
recherches utiles & tendantes à l ’économie. Elle
devrait embraffer,je ne dirai pas l’Arithmétique & les
elémens de Géométrie, qui doivent venir long-tems
auparavant, mais l’Anatomie, le Calendrier , la
Gnomonique, &c. le tout accompagné des figures
convenables pour l’intelligence des matières.
On expoferoit les queftions clairement & comme
hiftoriquement, donnant pour certain ce qui eft conf-
îamment reconnu pour tel par les meilleurs Philofophes
; le tout appuyé des preuves & des réponfes aux
difficultés. Tout ce quin’auroit pas certain caraClere
d’évidence & de certitude, feroit donné fimplement
comme douteux ou comme probable. Au refte, loin
de faire fon capital de la difpute, & de perdre le tems
à réfuter les divers fentimens des Philofophes, on
ne difputeroit jamais fur les vérités connues, parce
quo ces controverfes font toûjours déraifonnables,
& fouvent même dangereufes. A quoi bon foûtenir
thèfe fur l’exiftence de D ie u , fur fes attributs , fur
la liberté de l’homme , la fpiritualité de l’ame , la
réalité des corps, &c. N’avons-nous pas fur tout cela
des points fixes auxquels on doit s’en tenir comme
à des vérités premières? Ces queftions devraient
être expofées nettement dans un cours de philo-'
fophie , oit l ’on raffembleroit tout ce qui s’eft dit •
là - deffus de plus folide , mais oh elles feraient
traitées d’une maniéré pofitive, fans qu’il y eût d’exercice
réglé pour les attaquer ni pour les défendre
, comme il n’en eft point pour difputer fur les
propofitions de Géométrie.
Il eft encore bien des queftions futiles que l’on
ne devrait pas même agiter. Le premier homme a-
t-il eu la Philofophie inrufe ? La Logique eft elle un
art <?u ,une feience ? Y a-t-il des idees faulfes ? A-t-
on l’idee de l’impoffible ? Peut-il y avoir deux infinis
de même efpece ? Enfin l’univerfel à parte rei,
le futur contingent, le malutn quà malum, la divifi-
bilité du continu, &c. font des queftions également
inutiles , & qui ne méritent guere l’attention d’un
bon efprit.
Un cours bien purgé de ces chimères fcholaftiques
mais fourni de toutes les notiops intéreffantes furl’Hif
toire naturelle,fur la Méchanique, & fur les Arts utiles,
fur les moeurs &(ur les lois,fe trouverait à la portée
des moindres étudians ; & pour lors, avec le feul
fecours du livre & du profeffeur, ils profiteraient
de tout ce qu’il y a de bon dans la faine Philofophie ;
le tout fans fe fatiguer dans la répétition machinale
des argumens,-& fans faire la dépenfe ni l’étalage
des thèfes, qui, à le bien prendre, fervent moins à
découvrir la vérité qu’à fomenter l’efprit de parti
de contenfion, & de chicane.
Comme le but des foûtenans eft plutôt de faire
parade de leur étude & de leur facilite, que de chercher
des lumières dans une difpute éclairée ils fe
font un point d’honneur de ne jamais démordre de
leurs affertions ; & moins occupés des intérêts de la
vérité que du foin de repoufler leurs affaillâns, ils
employent tout l’art de la Scholaftique & toutes
les reffources de leur génie, pour éluder les meilleures
objedions , & pour trouver des faux-fuyans
dont ils ne manquent guere au befoin ; ce qui entretient
les efprits dans une difpofition vicieufe, incompatible
avec l’amour du v ra i, & par conféquent nui-
fible au progrès des Sciences.
Je ne voudrais donc que peu ou point de thèfes :
j’aimerois mieux des examens fréquens fur les divers
traités qu’on fait apprendre ; examens réitérés, par
exemple, tous les trois m ois, avec l’attention de répéter
dans les derniers ce qu’on aurait vû dans les
précédens : ce ferait un moyen plus efficace que les
thèfes, pour tenir les écoliers en haleine, & pour
prévenir leur négligence. En effet, les thèfes ne v enant
que de tems à autre, quelquefois au bout de
plufieurs années, il n’eft pas rare qu’on s’endorme
fur fon étude, & cela parce qu’on ne voit rien qui
preffe : on fe promet toûjours de travailler dans la
fuite; mais comme on n’eftpas preffe,ÔC que l ’on voit
encore bien du tems devant foi, la pareffe le plus fouvent
l’emporte, infenfiblement le tems coule la tâche
augmente, & à la fin on fe tire comme on peut.
Les examens fréquens dont je viens de parler fer-
viroient à réveiller les jeunes gens Ce feroit là com^
me le prélude des examens généraux & décififs que
l’on fait fubir aux candidats,& qui font toûjours plus
redoutables pour eux que l’épreuve des thelès. Au fur-
plus, il conviendrait pour le bien de la choie, & pour
ne point déconcerter les iujets mal-à-propos, de s’en
tenir aux traités a duels dont on feroit l’objet de leurs
études, de les examiner fur cela feul, & le livre à la
main, fans chercher des difficultés éloignées non
contenues dans l ’ouvrage dont il s’agit. Que ces
traités fulfent bien complets & bien travaillés
comme on le fuppofe, ils contiendraient tout ce que
l’on peut fouhaiter fur chaque matière ; & c'eft
pourquoi un éleve poffédant bien fon liv re , & répondant
deffus pertinemment, devrait toûjours être
cenfé capable, & comme tel admis fans difficulté.
Il régné fur cela un abus bien digne de réforme.
Un examinateur à tort & à-travers propofe des queftions
inutiles, des difficultés de caprice que l’étudiant
n’a jamais vû e s, & fur lefquelles on le met aifément
en défaut. C e qu’il y a de plus fâcheux encore & de
plus affligeant, c’eft que lés hommes n’eftimant d’or*
dinaire que leurs propres opinions , & traitant prefque
tout le refte d’ignorance ou d’abfurdité, l’exa*
minateur rapporte tout à fa maniéré de penfer, il
en fait en quelque forte un premier principe, & la
commune méfure de la doftrine & du mérite. Malheur
au répondant qui a fucé des opinions contrai