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de même une vive émulation entre les princes fur
le nombre & la bravoure de leurs compagnons. Dans
le combat, il étoit honteux au prince d’être inférieur
en courage à fes compagnons ; il étoit honteux aux
compagnons de ne point égaler la valeur du prince,
& de lui furvivre. Ils recevoient de lui le cheval du
combat, &c le javelot terrible. Les repas peu délicats
, mais grands, étoient une efpece de folde pour
ces braves gens. I
Il n’y avoit point chez eux de fiefs, mais il y avoit
des vaffaux. Il n’y avoit point àe fiefs, puifque leurs
princes n’avoient point de terrein fixe à leur donner;
ou fi l’on veut, leurs fiefs étoient des chevaux de bataille
, des armes, des repas. Il y avoit des vaffaux,
parce qu’il y avoit des hommes fideles, liés par leur
parole, par leur inclination, par leurs fentimens,
pour fuivre le prince à la guerre. Quand un d’eu x,
dit Céfar, déclaroit à l’affemblée qu’il avoit formé
le projet de quelque expédition, & demandoit qu’on
le f'uivît ; ceux qui approuvoient le chef & l’entrepri-
f e , fe leyoient & offroierit leur fecours. Il ne faut pas
s’étonner que les defcendans de ces peuples ayant le
même gouvernement, les mêmes moeurs, le meme
cara&ere, & marchant fur les mêmes traces, ayent
conquis l’empire romain.
Idée du gouvernement féodal établi par les peuples du
Nord en Europe. Mais pour avoir une idée du gouvernement
qu’ils établirent dans les divers royaumes de
leur domination, il eft néceffaire de confidérer plus
particulièrement la nature de leurs armées envoyées
pour chercher de nouvelles habitations, & la conduite
qu’ils tinrent. La nation entière étoit d ivifée,
comme les Ifraélites,enplufieurs tribus diftin&es &
féparées, dont chacune avoit fes juges fans aucun fu-
périeur commun, excepté en tems de guerre, tel qu’-
étoit les diûateurs parmi les Romains : ainfi les armées
ou colonies qu’on faifoit partir de leurs pay s
Surchargés d’habitans, n’étoient pas des armées de
mercenaires qui fiffentdes conquêtes poyr l’avantage
de ceux qui les payoient; c’étoierit des fociétés volontaires,
ou des co - partageans dans l’expédition
qu’on avoit entreprife. Ces fociétés étoient autant
d’armées diftin&es, tirées de chaque tribuchacune
conduite par fes propres chefs , foys un fupérieur ou
général choifi par le commun confentement, & qui
étoit àufli le chef ou capitaine de,fa tribu : c’étoit en
un mot une armée de confédérés. Ainfi la nature de
leur fociété exigeoit que la propriété du pays conquis
fut acquife à tout le corps des affociés, & que chacun
eût une portion dans le tout qu’il avoit aidé à conquérir.
Pour fixer cette portion, le pays conquis étoit di-
vifé en autant de diftrids que l’armée contenoit de
tribus ; on les appella provinces, comtés ( en anglois
shire, qui vient du mot faxonfcyre , c’eft-à-dire divi-
fer } partager). Après cette divifion générale, les terres
étoient encore partagées entre les chefs des tribus.
Comme il étoit néceffaire à leur établiffement,
dans un pays nouvellement conquis, de continuer
leur général dans fon autorité, on doit le confidérer
fous deux divers égards ; comme feigneur d’un dif-
trid particulier,divifé parmi fes propres volontaires ;
ou comme feigneur ou chef de la grande feigneurie
du royaume. A chaque diftrid ou comté préfidoit le
comte (en anglois caldorman), qui avec une affem-
blée de vaffaux tenanciers (' landholders) régloit toutes
les affaires du comté ; & lur toute la feigneurie du
royaume, préfidoit le général ou ro i, lequel avec
une affemblée générale des vaffaux de la couronne,
régloit les affaires qui regardoient tout le corps de la
république ou communauté..
Ainfi quand les Gaules furent envahies par les nations
germaines, lesVifigoths Occupèrent la Gaule
narbonnoife, & prefque tout le midi ; les Çourgui-
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gnonS fe fixèrent dans la partie qui regardé l’orient ;
les Francs conquirent à-peu-près le refte ; & ces peuples
conferverent dans leurs conquêtes les moeurs,
les inclinations, & les ufages qu’ils avoient dans leur
pa ys, parce qu’une nation ne change pas dans un in-
flant de maniérés de penfer & d’agir. Ces peuples,
dans la Germanie, cultivoient peu les terres, & s’ap-
pliquoient beaucoup à la vie paftorale. Roricon, qui
écrivoit l’hiftoire chez les Francs, étoit pafteur.
Le partage des terres fe fit différemment chez les
divers peuples qui envahirent l’empire : les uns comme
les Goths &,les Bourguignons, firent des conventions
avec les anciens habitans fur le partage des ter«
res du pays : les féconds, comme les Francs dans les
Gaules, prirent ce qu’ils voulurent, & ne firent de
réglemens qu’entre eux ; mais dans ce partage même,
les Francs & les Bourguignons agirent avec la même
modération. Ils ne dépouillèrent point les peuples
conquis de toute l’étendue de leurs terres ; ils en pri-.
rent tantôt les deux tiers, tantôt la-moitié, & feulement
dans certains quartiers. Qu’auroient-ils fait de
tant de terres ?
D ’ailleurs il faut confidérer que les partages ne furent
point exécutés dans un efprit tyrannique, mais
dans l’idée de fubvenir aux befoins mutuels de deux
peuples qui dévoient habiter le même pays. La loi
des Bourguignons veut que chaque bourguignon (oit
reçu en qualité d’hôte chez un romain : le nombre.des
romains qui donnèrent le partage, fut donc égal à
celui des bourguignons qui le reçurent. Le romain
fut léfé le moins qu’il lui fut poflible : le bourguignon
chaffeur & pafteur, ne dédaignoit pas de prendre des
friches ; le romain gardoit les terres les plus propres.à
la culture ; les troupeaux du bourguignon engraif-
foient le champ du romain.
Ces partages de terres font appellés par les écrivains
du dernier tems , fortes gothicce , & fortes roma--
noe en Italie. La portion du terrein que les Francs
prirent pour eux dans les Gaules, fut appellée terra
falica, terre falique ; le refte fut nommé allodium, en
françois aleu, de la particule négative à , & heüd qui
fignifie en langue teutonique , les perfonnes attachées
par des tenemens de fief, qui feules avoient
part à l’établiffement des lois.
Le romain ne vivoit pas plus dans l’efclavage
chez, les Francs, que chez les autres conquérans de
la Gaule ; & jamais les Francs ne firent de réglement
général, qui mît le romain dans, une efpece de fer-
vitude. Quant aux tributs , fi les Gaulois & les Romains
vaincus en payèrent aux Francs, ce qui n’eft
pas vraifferiiblable dans la monarchie de ces peuples
fimples,.ces, tributs n’eurent pas lieu long-tems, &
furent changés en un fervice militaire : quant aux
cens, il ne le levoit que fur les ferfs, & jamais fur
les hpmmes libres.
Comme les Germains avoient des volontaires qui
fuivoient les princes dans leurs entreprifes, lé même
ufage fe conferva après la conquête. Tacite les dé-
ligne par le nom de compagnons comités ; la loi falique
par celui d’hommesqui font fous la foi du roi,
qui funt in trujle regis j fit. xljv. art. 4 ; eés formules
de Marculfe ( l. I.form. /<?,), par celui tfantruf
lions du roi du mot trew 3 qui fignifie fidel chez les
Allemands, & chez les Anglois true , vrai ; nos premiers
hiftoriens par celui de leudes, de fideles ;
& les fuivans par celui de vaffaux, & feigneurs ,
vaffali , fçniores.
Les biens réfervés pour les leudes , furent appellés
dans les divers auteurs, & dans les divers tems,
des biens fifçaux , des bénéfices ; termes que l’on a
enfuite appropriés aux promotions eccléfiaftiques;
des honneurs,, des fiefs, e’eft-à-dire , dons ou poffef
^«.r.j.dumotteiitonique, feld ou fo e ld , qui a .cette
lignification ; dans la langue angloifeon.les appella
fees,
F I D On ne peut pas douter crue les fiefs ne fuffent
d’abord amovibles. Les hiftoriens , les formules,
les codes des différens peuples barbares , tous
les monumens qui nous relient , font unanimes
fur ce fait. Enfin , ceux qui ont écrit Je livre des
fiefs, nous apprennent que d’abord les feigneurs purent
les ôter à leur volonté , qu’enfuite ils les affû-
rerent pour un a n , & enfuite les donnèrent pour la
vie.D
eux fortes de gens étoient tenus au fervice militaire
; les leudes vaffaux qui y étoient obligés en
conféquence de leur fief; & les hommes libres francs,
romains & gaulois , qui fervoient fous le comte,
& étoient menés par lui & fes officiers.
On appelloit hommes libres, ceux qui d’un cote
n’avoient point de bénéfices ou fiefs, & qui de l’autre
n’étoient point fournis à la fervitude de la gle-
be ; ces terres qu’ils poffédoient, étoient ce qu’on
appelloit des terres allodiales.
Il y avoit un principe fondamental, que ceux qui
étoient fous la puiffance militaire de quelqu’un ,
étoient auffi fous fa jurifdidion civile. Une des rai-
l’ons qui attachoit ce droit de juftice , au droit de
mener à la guerre , faifoit en même tems payer les
droits du fifc, qui confiftoient uniquement en quelques
fervices de voiture dûs par les hommes libres,
& en général en de certains profits judiciaires très-
limités. Les feigneurs eurent le droit de rendre la
juftice dans leurs fiefs, par le même principe qui fit
que les comtes eurent le droit de la rendre dans leur
comté.
Les fiefs comprenoient de grands territoires; comme
les rois ne levoient rien fur les terres qui etoient
du partage des francs , encore moins pouvoient-ils
fe réferver des droits fur les fiefs ; ceux qui les obtinrent
eurent à cet égard la joiiiffance la plus étendue
: la juftice fut donc un droit inhérent au fie f
même. On ne peut pas, il. eft v r a i, prouver par des
contrats originaires, que les juftices dans les com-
mencemens ayent été attachées aux fie f s , puifqu’ils
furent établis par le partage qu’en firent les vainqueurs
; mais comme dans les formules des confirmations
de ces fiefs ,on trouve que la juftice y etoit
établie , il réfulte que ce droit de juftice etoit de la
nature du f ie f, & une de fes prérogatives.
On fait bien que dans la fuite , la juftice a été fé-
parée d’avec 1 efief, d’où s’eft formée la réglé des ju-
rifconfultes françois, autre cliofe efl le fief, autre chofe
eft la juftice : mais voici une des grandes caufes de
cette feparation ; c’eft que y ayant une infinité
d’hommes defiefs, qui n’avoient point d’hommes fous
eux , ils ne furent pas en état de tenir leurs cours :
toutes les affaires furent donc portées à la cour de
leur feigneur fuzerain, & les hommes de fiefs perdirent
le droit de juftice , parce qu’ils n’eufent ni le
pouvoir ni la volonté de le reclamer.
Préfentement nous pouvons nous former une idée
de la nature des gouvernemens établis en Europe,
par les nations du nord. Nous voyons de-là l’origine
des principautés, duchés , comtes 9 dans lesquels
les royaumes de l’Europe ont été partagés ;
de-là nous pouvons remarquer, que la propriété, le
domaine ( direclum dominium ) du pays, refidoit dans
le corps politique ; que les tenanciers en fie f étoient
feulement revêtus du domaine utile, dominium utile;
& que par conféquent les grands tenoient leurs fei-
gneuries du public, du royaume & non du roi. C eft
ainfi que les princes d’Allemagne tiennent leurs principautés
de l’Empire & non de l’empereur ; & c eft
auffi pourquoi Jes feigneurs anglois font nommes
pairs du royaume, quoiqu’on croye communément
qu’ils tiennent leur titre du roi. C’eft encore par la
même raifon qu’en Angleterre. . . . . Mais laiffons
a u x particuliers des diverfes nations, les remarques
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intéreffantes qui les concernent, & hâtons-nous de
parler des principaux changemens , qui par fuccef-
fion de tems, font arrivés dans le gouvernement
féodal & politique de notre royaume.
Changemens arrivés dans le gouvernement féodal &
politique de France. Quoique par la loi, les fiefs fuffent
amovibles, ils ne fe donnoient pourtant, ni ne
s’ôtoient d’une maniéré arbitraire , & c’étoit ordinairement
une des principales chofes qui fe traitoit
.dans les affemblées de la nation ; on peut bien penfer
que la cprruption fe gliffa parmi nous fur ce
point, l’on continua la poffeffion des fiefs pour de l’argent
, comme on fit pour la poffeffion des comtés.
Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très-grands
avantages. La compofition pour les torts qu’on leur
faifoit, étoit plus forte que celle des hommes libres.
On ne pouvoit obliger un vaffal du roi de jurer par
lui-même, mais fèulement par la bouche de fes propres
vaffaux. Il ne pouvoit être contraint de jurer en
juftice contre un autre vaffal. Ces avantages firent
que l’on vint à changer fon aleu en fie f, c’eft-à-dire
qu’on donnoit fa terre au ro i, qui la donnoit aux donateurs
en ufufruit ou bénéfice, & celui-ci défignoit
au roi fes hériters.
Comme il arriva fous Charles Martel, que les fiefs
furent »changés en biens d’églife, & les biens d’églife
enfiefs, lesfiefs &les biens d’églife prirent réciproquement
quelque chofe de la nature de l’un & de l’autre.
Ainfi les biens d’églife eurent les privilèges des
fiefs, & les fiefs eurent le privilège des biens d’églife.
Voilà l’origine des droits honorifiques dans les
égiifes.
Les hommes libres ne pouvoient point dans les
commencemens fe recommander pour un fief; mais
ils le purent dans la fuite , & ce changement fe fit
dans le tems qui s’écoula depuis*e régné de Gon-
trand jufqu’ à celui de Charlemagne, Ce prince dans
le partage fait à fes enfans , déclara que tout homme
libre pourroit après la mort de fin feigneur, fe
recommander pour un f ie f dans les frets royaumes ,
à qui il voudroit, de même que celui qfi n’avoit jamais
eu de feigneur. Enfuite tout homne libre put
choifir pour fon feigneur qui il voulut, du *oi ou des
autres feigneurs. Ainfi ceux qui étoient autrefois
nuement tous la puiffance du r o i , en qualited’hom-
mes libres fous la puiffance du comte, devinrent in-
fenfiblement vaffaux des uns des autres à carth de
cette liberté.
Voici d’autres changemens qui arrivèrent en Frai,
ce dans les fiefs depuis Charles le Chauve. Il ordonna
dans fes capitulaires , que les comtés feroient donnés
aux enfans du comte, & il voulut que ce réglement
eût encore lieu pour 1 es fiefs. Ainfi les fiefs paf-
ferent aux enfans par droit de fucceffion & par droit
d’éleélion.
L’Empire étoit forti de la maifon de Charlemagne
dans le tems que l’hérédité des fiefs ne s’établiffoit
que par condefcendance ; au - contraire , quand la.
couronne de France fortit de la maifon de Charlemagne
, les fiefs étoient réellement héréditaires dans
ce royaume ; la couronne, comme un grand f ie f, le
fut auffi.
Après que les fiefs , d’annuels qu’ils étoient, furent
devenus héréditaires, il s’éleva plufieurs con-
teftations entre les feigneurs & leurs vaffaux, & entre
les vaffaux eux-mêmes ; dans ces conteftations
il fallut faire des réglemens concernant les droits &c
les. fondions réciproques de chacun. Ces réglemens
ramaffés peu-à-peu des décifions particulières, furent
appellés la loi des fiefs, & on s’en fervit en Europe
pendant plufieurs fiecles. ^ _
Cette loi eft diftinguée par le do&eur Nicholfon ;
un des plus favans prélats d’Angleterre en matière
d’antiquités, dans les périodes fuivantes : iS .fa naife