
Madame la dauphine s’arrêta auprès de cette co'*
^onne, tant pour la confidérer que pour lire les quatre
irifcriptiôns compofées en-quatre différentes! langues.
Elle alla enfuite fur le port, & fut placée dans un
fautetuM'ous une efpëee de pavillon tapiffé, couvert
d’un v oile, dont les bords éfoient garnis d’ une guirlande
de laurier.
Le vaiffeatt ayant été béni , madame la dauphine
lui donna fon nom, &c fur le champ il fut lancé à
Feau.-
Madame la dauphine , après avoir admiré quelÎ
[uë tems ce point de v u e , fut conduite dans une
aile où les officiers de la bouche avoient préparé
là collation.
Là princeffe fe retira enfuite aux flambeaux , &
fe rendit à l’hôtel des fermes du roi.
Cet hôtel eOmpofe Une dés façades latérales de la
place royale, eonftmife fur le bord de la Garonne ;
il Avoit été fait pour en illuminer les façades extérieures
& intérieures ; de grands préparatifs ne purent
réuffir cé jour-la, quant à la façade extérieure,
parce qu’un vent de nord violent' qui y donrîôit di-
reélement, éteignoit une partie des lampions & des
pots-à-feu à mefure qu’on les allumoit. La même rai-
fon empêcha que l’illumination des vaifl’eaux que les
• jurats Avoient ordonnée, & que madame là dauphine
devoit voir de cet hôtel, ne pût être exécutée.
Quant à là façade intérieure, comme elle fetrOu-
voit k l’abri du vent,■ l’illumination y eut un ftiecès
.Êtxtiéti
Les préparatifs n’a voient pas été moindres pour
le dedans de la maifon ; on à Voi t garni lés piliers des
voûtés, léséfcaliers, les plafonds, & les corridors
d’tiné infinité dé placards à double rang, portant
Chacun deux bougies*
Les appartenons du premier étage deftinés pour
recevoir madame la dauphine & toute fa cour,étoient
richement meublés & éclairés par quantité de luf-
tres qui fé rëpétôient dans les glacés*
Dans une chambre à côté de celle de la-prineeffe,
étoiérif les plus habilés müficie'ns de la v ille , qui exécutèrent
un concert dônt madame la dauphine parut
fatisfaîtè.
O n avoit férvi une collation avec des rafraichif-
femens, dans tmê autre chambre de l’appartement.
La prinèefle qui étoit arrivée vers les fix heures à
l’hôtel des fermés, y relia jufqu’à huit heures.
Lè fort: madame ta dauphine alla au b à l, habillée
en dortifito bleu ; elle fé plaça dans la mêrfië loge &
éh mèmé Compagnié que le jdùr précédent, 8c honora
l’affemblée de fa préfence pendant plus de deux
heures.-
Lè même jour la princeffe honora pour la fécondé
foisdé fa préfèrtcë l’opéra ; elle étoit placée comme
la première fois , & les mêmes perfonnes eurent
FHortnéürd’-êtré âdmifes à l’amphithéatre : on joiia
l’ôpérà tTIfft farts prblogue , & à cetté repréfenta-
tion parut une décoration qui venoit d’être achevée
ror les défleitis & par lés foins du cher Servaridoni.
Le 3^ fàrtvièr elle y allà pour la troifièmefôis, &
l’on repftéfènta Vopèra d’Hipàtyte & Aride.
Le foir il fut déclaré. qu’elle partiroit sftfëment le
lendëriiàiri à 6 heures & demie précifes du matin.
Le lendemain, au moihent, que madame la'dauphine
fortoil de lion Appartement, les jurats revêtus
de leurs rôbës dè cëfémônie, eurent l'honneur de lui
reftdre leurs refpeéls, & de là fuppliér d’accepter la
frtaifoù navale , cjtté la Vrllé avoit fait préparer pour
fort voyage, & que cetteprinceffeeüt f<rboftté<faccepter.
Cette maifon navale étoit en forme de-char de
triomphe; le corps de la barque, du port, de quarante
tonneaux, étoit enrichi de bas-reliefs1 en dorure
fur fout fort pourtour ; la proue l’étpk d’un magnifique
éperon, repréfentarit une renommée d’une attitude
élégante ; les porte-vergues étoient ornées de
flèurs-de-lis & de tours j le haut de l’étrave terminé
par un dauphin-; la poupe décorée fur toute la hauteur
& la largeur,des armes de France & d’Efpagne,
avec une grande couronne en relie f; les bouteilles
éfoiertf e» forme de grands édifions aux armes de
France, dont les trois fleurs-de-lis étoient d’or fur
un fond d’azur, le tout de relief; les préçeintes for-
moient comme de gros cordons de feuilles de laurier,
auffi en bas-relief en dorure; le reliant de la
barque jufqu’à la flotaifon, étoit doré en plein &
chargé de fleurs-de-lis & de tours en relief.
La chambre de 10 piés de longueur fur i o piés de
largeur, étoit percée de huit croifées garnies de leurs
chaffis à verre, à deux rangs de montans ;• il y avoit
trois portes aulîi avec leurs chaffis, pareils à ceux
des croifées; tout l’intérieur, ainfi que le deffous de
l’impériale , étoit garni de velours cramoifi enrichi
de galons & de crépines d’o r , avec un dais placé
fiir Farriere, fur une ellrade de 8 piés de profondeur
& de la largeur de la chambre, du furplus de laquelle
elle étoit féparée par une balullrade dorée en plein ,
ouverte dans fon milieu pour le paffage.
Le ciel & le doffier du dais étoient enrichis dans
leur milieu de broderie; il y avoit fous ce dais un
fauteuil & un carreau auffi de velours cramoifi,
avec des glands &c galons d’or.
Le deffus de l’impéfiàle étoit d’un fond rouge par-
femé de fleurs-de-lis & de tours de relief, toutes dorées
; ce qui formoit une mofaïque d’une beauté fin-
guliere.
Les deux épis étoient ornés d’amortiffernens en
fculptrtre, & les quatre arêtiers l’étoient de quatre
dauphins, dont les têtes paroiffoient fiir Fà-plomb
de,s quatre angles de l’entablement, & leurs queues
fe f éimiffôient aux deux épis : le tout de relier & do-
rtire.
Les trumeaux d’entre les croifées & portes étoient
ornés extérieurement de chûtes de fêlions ; le deffus
des linteaux, tant des croifées que des portes, ornés
auffi d’autres fêlions, ;lè font dé relief & dorés en
plein ; une galerie de i piés 6 pouces de largeur ,
bordée d’une balullrade , dont les baluftfades, le
focle, & l’appui étoient également dorés en plein ,
entoiirqit la chambre qui etoit ifolée ; ce qui ajoutait
une nouvelle grâce à x e bâtiment naval, dont la
décoration avoit été ménagée avec prudence & fans
confufion.
Il étoit remorqué par quatre chaloupes peintes ; le
fond bleu, les préceintes, ôc les carreaux dorés.
Dans chaque chaloupe étoient vingt matelots, un
maître dè chaloupe, & un pilote, habillés d’un uniforme
bleu , garni d’uni galon d’argent, ainfi que les
bonnets qui etoient de même couleur.
Les rames étoient peintes, le fond bleu, avec des
fleurs-de-iis en or &c des croiffans en argent, qui font
partie des armes de la ville.
Il y avoit auffi une chaloupe pour la fymphonie
qui étoit armée comme celles de remorque.
Enfin dans la maifon navale il y avoit deux premiers
pilotes, quatre autres pour faire paffer la voix,
& fix matelots pour la manoeuvre.
Ayant fept heures madame la dauphine fe rendit
fur le port dans fa chaife ; elle fut portée jufque fur
fin pont préparé pour faciliter l’embarquement. Les
Jurats y étoient en robes dé cérémonie , avec un
ëorps de troupes bourgeoifes.
Cette prirlcéffe étant ferrie de fa chaife, le comte
de Riïbempré, alors malade, prit fa main gauche, &
elle donna fa main droite à M. de Ségür lôus-maire
de Bordeaux. Elle entra ainfi fuivie de toute fa cour
dans la maifon navale, dans laquelle étoient i’intendànt
de là proviriëë & fa fuite, le cofpS-de-viîlé, ^ordonnateur
de la marine, &c.
Au départ de la princeffe, l’âir retentit des voeux
que faifoit pour elle une multitude prodigieufe de
peuple , répandu fur le rivage , dans les vaiffeaux
& dans les bateaux du port*
Une batterie de canon, que les jurats avoient fait
placer environ cent pas au-deffous du lieu de l’embarquement
, fit une falve qui fervit de fignal pour celle
du premier vaiffeau ; celle-ci pour celle du fécond ,
& lueeeffivement jufqu’au dernier : ces vàiffeàux,
tant François qu’étrangers , tous pavoifés ; pavillons
& flammes dehors, étoient rangés fur deux
lignes : ces falves différentes furent réitérées, auffi-
bien que celles des trois châteaux, qui furent faites
chacune en fon tems.
Une chaloupe remplie de fymphoniftes, tournoit
fans ceffe autour de la maifon navale ; mais ce n’é-
toit pas le feul bateau qui voltigeoit ; il y en avoiE
autour d’elle quantité d’autres de toute efpeee , &
différemment ornés, qui faifoient de tems en tems
des falves de petits canons.
Dans la diftance qu’il y a du bout des chartreux à
la traverfe de Lormbnt, le tems étoit fi calmé &
la marée fi belle , qu’on fe détermina à continuer la
route de la même maniéré jufqù’à Blaye.
La rtavigation continua ainfi par le plus beau tems
du monde : on arriva infenfiblement au lieu appellé
le Bec-d’Àmbés , où les deux rivières, de Garonne
& D ordogne, fe réunifient, & où commence la Gi-
fonde ; l’eau étoit très-calme , madame la dauphine
alla fur la galerie, & y demeura près d’un quart
d’heure à confidérer les différens tableaux dont là
nature a embelli cet admirable point-de-vûe.
Lorfque madame la dàuphifie fut rentrée, les dé1-
putés du corps-de-ville de Bordeaux lui demandèrent
la pérmiffion de lui préfenter un dîner que la
ville avoit fait préparer , & d’avoir l’honneur de l’y
fervir ; ce que madame la dauphine ayant eu la bonté
d’agréer, fùivant ce qui s’étoit pratiqué lors du
paffage de fa Majeflé catholique, pere de cette princeffe
, la euifinede la ville aborda la maifon navale,
& celle de la bouche qui avoit fuivi depuis Bordeaux;
fe retira.
Au fignal qui fut donné , les chaloupes de remorque
levèrent les rames; foûtenant feulement de
la chaloupe dé devant, pour tenir les autres en ligne
, H I
M. Cazalet eut l’honneur d’entrer dans 1 inteneur
de la chambré de madame la dauphine , féparée du
relie par une balullrade, de mettre le couvert, &C
de préfenter le pain ; les deux autres députés fe joignirent
à lu i , & ils eurent l’honneur de fervir en-
femble madame la dauphine, & deluiverfer à boire.
On fe trouva au port à la fin du dîner, après l’abordage
la princeffe fortit fur un pont que lés jurats
de Bordeaux avoient fait conffruire ; le comte de
Rubempré tenant fa main gauche, M. Cazalet ayant
l’honneur de tenir la droite , elle fe mit dans fa enaife
pour fe rendre à l’hôtel qui lui étoit préparé.
On voit par ces détails ce que le génie & le zelë
peuvent unis enfemble. On lie vit à Bordeaux, pendant
le féjour de madame la dauphine, que des ré-‘
joiiiffances & des acclamations de joie ; ce n’étoit
q\\e fêtes continuelles dans la plûpart des maifons.
Le premier préfidênt du parlement & l’intendant
donnèrent Fexemple ; ils tinrent foif & matin dés
tables auffi délicatement que magnifiquement ferries.
Le corps-de-ville de Bordeaux: tint auffi matin &
fôir des tables très-délicates, & tout s’y paffa avec
Cette élégance aimable , dont le goût fait embellir1
les efforts de la richeffe. (A)
Fêtes des Princes de Fr a n c e . Nos princes ,
dans les circonffances du bonheur dè la Hâtion , fi*
gnalent fouvent par leur magnificence leur amour
pour la maifon augufte dont ils ont la gloire dé def*
cendre , & fe plaifent à faire éclater leur zele aux
yeux du peuplé heureux qu’elle gouverne»
C ’efl cet eljprit dont tous les Bourbons font Animés
, qui produifit lors du facre du Roi en 1725 4
ces fêtes éclatantes à Villers - Coterets , & à Chantilly
, dont l’idée, l’exécution & le fuccès furent lè
chef-d’oeuvre du zele & du génie. On croit devoir ent
rapporter quelques détails qu’on a raffemblés d’après
les mémoires du tems.
Le Roi après fon facre partit de Soiffons lé 1 de
Novembre 1722 à dix heures du matin, & il arriva
à Villers-Coterets furies trois heures &: demie,par
la grande avenue de Soiffons. On l’a voit ornée dâns
tôiis les intervalles dés arbres, de torcherësrde feuil-
lée portant des pots à fëii* L’avenue de Palis, qui
fe joint à celle-ei dans le même alignement , faifAnt
enfemble une étendue de près d’une lieue, étoit déy
Corée de la même maniéré.
Première journée. Après que Sa Majeflé fé fût re-*
pofée un peu de tems, elle parut fur le balcon qui
donne fur l’avant-cour du château.
Cette avant-cour eft très-va lie , tous lesi âpparte-
mens bas étoient autant dè ctiifines , officëS & falles
à manger ; ainfi pour la défober à la vue ; & à trois
toifes dp diftance, on avoit élevé deux amphitéatreï
longs defeize toiles fur vingt piés de hatiteur y dif-
tribués par arcades, fur un plan à pan coupé & ifo-
lé. Les gradins couverts de tapis , étoient placés
dans l’intervalle des avant-corps ; les parois désam*
phithéatres étoierit revêtus de feuilléës ; qui eori-
tournoient toutes lés architeâures des arcades, or-»
nées de feftons & de guirlandes , & éclairées de luf*
très , chargés de longs flambeaux dé eiré blanches
Des lumières arrangées ingénieufëment fous diffé-;
'rentes formes ,terminoient ces amphithéâtres.
Au milieu de l’avant-êoiir on avoit élève éntrelès
deux amphithéâtres une ëfpéeede tërraffe fort valley
qui devoit fervir à plufieurs exèrcices , & on avoit
ménagé tout autour des efpaces-très-largës pour le*
paffage des çarroffes, qui poiivoient y tènrnër par^
tout a vec une grande facilité. A fix toifes dés quatre
eneognurés , on avoit établi quatre tourniquets
à courir la bague , peints & décorés d’une ritaniere
uniforme.
Pour former une liaifôn agréable entre toiite's eetf
parties , on avoit pôle dés guéridons de feuillées
chargées de lumières ; qui eônduifoient la vnë d’urt
objet à l’jautre par des lignes droites & circulaires.*
Ces guéridons lumineux étoient placés dans irti tel
ordre , qu’ils lailfoient tout.e la liberté du paflâge» c
Quand le Roi fui fur fort balcon ; ayant auprès
de fa perfônne une partie de fa cour , le relié alla
Occuper les fenêtres du corps du château, qui , auffi-
bien que les aîles , étoit illuminé.‘avec urie grande
quantité de lampions & de flambeaux de cire blanJ
ché : ces lumières rangées avec art fur le's-dH$rëïW
tes parties de l’architeélure , prodiiifoient divérfes
formes agréables & une variété infinie. ■’
L’arrivëè de Sa Majefië fur fon balcon ; fù4rcélé**
brée par l’harmonie brnyanté dé toute iâ fyrrtphô.*
nie, placée fur les amphithéâtres , & compôïeé des
inftrumens les plus champêtres & le^ plûs éclàtàns :
car dans cét orqueftre , qirt réuniffoit un tres-grànd
nombre de violons, dé haut-bois & de trôm^éttës^
marines , on comptoit plus ;dé quarante ,corS - de^
chaffe. Lès tourniquetsà coiirir la bague , oéctipeS
par des dames fuppofées des.canipagnes & dés .châ-»
teaux voifins, & par descâValiers du rnêmêôMtëj
divertirent d’abord le Ror.-Lés Aanfeiirs dë"côrdè
commencèrent enfuite Jeùtsexçr^cp5^ 11 fon dës viQ>
lons& déshaut-bois; dans les'Vuides de ce fpeâadé j