
d’analyfe que les Mathématiques lèur font utiles. Cependant
avec ce fecours même, la recherche de la
réfiftance des fluides eft encore fi difficile,que les efforts
des plus grands hommes fe font terminés juf-
tju’ici à nous en donner une legere ébauche.
Après-avoir réfléchi long-tems fur une matière fi
importante, aVec toute l’attention dont je fuis capable
, il m’a paru que le peu de progrès qu’on a fait
jufqu’à préfent dans cette queftion, vient de ce cju’on
n’a pas encore faili les vrais principes d’après lesquels
il faut la réfbudre : j’ai crû devoir m’appliquer
à chercher ces principes, 6c la maniéré d’y appliquer
le calcul, s’il eftpoflible ; car il ne faut point confondre
ces deux objets, & le s géomètres modernes fem-
blent n’avoir pas été affez attentifs fur ce point. C ’eft
Souvent le defir de pouvoir faire ufage du calcul qui
les détermine dans le choix des principes ; au lieu
qu’ils devraient examiner d’abord les principes en
eux-mêmes, fanspenfer d’avance à les plier de force
au calcul. La Géométrie, qui ne doit qu’obéir à la
Phyfique quand elle fe réunit avec e lle , lui commande
quelquefois : s’il arrive que la queftion qu’on
veut examiner foit trop compliquée pour que tous
les élémens puiflent entrer dans la comparaifon analytique
qu’on veut en faire, on fépare les plus incommodes,
on leur en fubftitue d’autres moins gênans,
mais aufli moins réels ; 6c on eft étonné d’arriver,
après un travail pénible, à un réfultat contredit par
la nature ; comme liaprès l’avoir déguifée, tronquée
ou altérée, une combinaifon purement méchanique
pouvoit nous la rendre.
Je me fuis propofé d’éviter cet inconvénient dans
l ’ouvrage que j’ai publié en 1751 fur la réfiftance des
fluides. J’ai cherché les principes de cette réfiftance,
comme fi l’analyfe ne devoit y entrer pour rien ; 6c
ces principes une fois trouvés, j’ai effayé d’y appliquer
l’analyfe. Mais avant que de rendre compte de
mon travail 6c du degré auquel je l’ai pouffé, il ne
fera pas inutile d’expofer en peu de mots ce qui a été
fait jufqu’à préfent fur cette matière.
Newton , à quila Phyfique &c la Géométrie font fi
redevables, eft le premier que je fâche, qui ait entrepris
de déterminer par les principes de la Méchanique
, la réfiftance qu’éprouve un corps mû dans un
fluide, 6c de confirmer fa théorie par des expériences.
C e grand philofophe, pour arriver plus facilement
à la îolution d’une queftion fi épineufe, 6c peut-être
pour la préfenter d’une maniéré plus générale, en-
vifage un fluide fous deux points de vûe différens. Il
le regarde d’abord comme un amas de corpufcules
elaftiques, qui tendent à s’écarter les uns des autres
par une force répulfive, 6c qui font difpofés librement
àdes diftances égales. Ilfuppofe outre cela que
cet amas de corpufcules, qui compofe le milieu ré-
fiftant, ait fort peu de denfité par rapport à celle du
corps, enforte que les parties du fluide pouflées par
le corps, puiflent fe mouvoir librement, fans communiquer
aux parties voifines le mouvement qu’elles
ont reçû ; d’après cette hypothèfe, M. Newton
trouve 6c démontre les lois de la réfiftance d’un tel
fluide ; lois affez connues pour que nous nous difpen-
fions de les rapporter ici.
Le célébré Jean Bernoulli, dans fon ouvrage qui
a pour titre, difcours fur Us lois de la communication
du mouvement, a déterminé dans la même fuppofition
la réfiftance des fluides ; il repréfente cette réfiftance
par une formule affez fimple, qui a été démontrée &
généralifée depuis ; mais il faut avoiier que cette
formule eft iniuffifante. Dans tous les fluides que
nous connoiffons, les particules font immédiatement
contiguës par quelques-uns de leurs points, ou du
moins agiffent les unes fur les autres à - peu - près
comme fi elles l'étoient ; ainfi tout corps mû dans un
fluide, pouffe néceûairement à-la -fois 6c au même
inftant un grand nombre de particules fituées dans
la meme ligne, 6c dont chacune reçoit une vîteffé
& une direction différente , eu égard à fa fituationî
il eft donc extrêmement difficile de déterminer le
mouvement communiqué à toutes ces particules,
& par conféquent le mouvement que le corps perd
à chaque inftant.
Ces réflexions n’avoient pas échappé à M. Newton;
il reconnoît que fa théorie de la réfiftance d’un
fluide compofé de globules élaftiques clair-femés, s’il
eft permis de s’exprimer de la forte, ne peut s’appliquer
ni aux fluides denfes & continus dont les particules
fe touchent immédiatement, tels que l’eau ,
l’huile, 6c le mercure ; ni aux fluides dont l’élafticité
vient d’une autre caufe que de la force répulfive de
leurs parties, par exemple de la compreffion & de
l’expanfion de ces parties, tel que paroît être l ’air
que nous refpirons. Une confédération fi néceffaire,
à laquelle M. Newton en ajoûte d’autres non moins
importantes, doit nous faire conclure que cette première
partie de fa théorie, & celle de M.Jean Bernoulli
qui n’en eft proprement que le commentaire,
font plûtôt une recherche dépuré curiofité, qu’elles
ne font applicables à la nature.
Aufli l’illuftre philofophe anglois n’a pas crû devoir
s’en tenir-là. Il confédéré les fluides dans l’état
de continuité & de compreflion où ils font réellement,
compofés de particules contiguës les unes
aux autres ; 6c c’eft le fécond point de vûe fous lequel
il les envifage. La méthode qu’il employé dans
cette nouvelle hypothèfe, pour refoudre le problème
propofé eft une efpece d’approximation 6c de
tâtonnement dont il feroit difficile de donner ici
l’idée. Nous en dirons autant de la maniéré ingé-
nieiéfe 6c fine dont M. Newton déduit de fa théorie
la réfiftance d’un cylindre & d’un globe, ou en général
d’un fphéroïde dans un fluide indéfini ; & nous
nous bornerons à dire, qu’après affez de combinai-
fons & de calculs il parvient à cette conclufion, que
dans itn fluide denfe & continu, la valeur abfolue de
la réfiftance 6c le rapport de la réfiftance de deux
corps, font tout autres que dans 1 e fluide à globules
élaftiques de la première hypothèfe.
Mais cette fécondé théorie de M. Newton, quoique
plus conforme à la nature des fluides, eft fujetter
encore à beaucoup de difficultés. Nous ne les expo-
ferons point ici en détail, elles fuppoferoient pour
être entendues, qu’on eût une idée fort préfente de
cette théorie, idée que nous n’avons pû donner ici ;
mais l’on trouvera affez au long dans notre ouvrage
6c l’expofition de la théorie newtonienne, & les ob-
je&ions qu’on y peut oppofer : c’eft l’objet particulier
d’une introduôion qui doit fe trouver à la tête, &
dont ces réflexions ne font qu’un extrait. Il nous fuf-
fira d’obferver ici que la théorie dont nous parlons ,
manque fans doute de l’évidence & de la précifion
néceffaire pour convaincre l’efprit, puifqu’elle a été
attaquée plufieurs fois 6c avec fuccès par les plus
habiles geometres. Il n’en faut pas moins admirer les
efforts 6c la fagacité de ce grand philofophe , qui
après avoir trouvé fi heureufement la vérité dans un
grand nombre d’autres queftions, a ofé entreprendre
le premier la folution d’un problème , que per-
fonne avant lui n’avoit tenté. Aufli cette folution ,
quoique peu exatte, brille par-tout de ce génie inventeur
, de cet efprit fécond en reffources que per-
fonne n’a poffédé dans un plus haut degré que lui.
Aidés par les fecours que la Géométrie & la Méchanique
nous fourniffent aujourd’hui en plus grande
abondance, eft-il furprenant que nous faflions
quelque pas de plus dans une carrière vafte 6c difficile
qu’il nous a ouverte? Les erreurs même des
grands hommes font inftrudives, non-feulement par
les yûes qu’elles fourniffent pour l’ordinaire, mais
par les pas inutiles qu’elles nous épargnent. Les méthodes
qui les ont égarés, affez féduifantes pour les
éblouir, nous auraient trompés comme eux. II étoit
néceffaire qu’ils les tentaffent, pour que nous en
connuffions les écueils. La difficulté eft d’imaginer
une autre méthode ; mais fouvent cette difficulté
confifte plus à bien choifir celle qu’on fui vra, qu’à la
fuivre quand-elle eft bien choifie. Entre les différentes
routes qui mènent à une vérité, les unes préfen-
tent une entree facile , ce font celles où l’on fe jette
d’abord ; & fi on ne rencontre des obftacles qu’après
avoir parcouru un certain chemin, alors comme on
ne confent qu’avec peine à avoir fait un travail inu-
tile , on veut du moins paroître avoir furmonté ces
obftacles, & on ne fait quelquefois que les éluder.
D autres routes au contraire ne préfentent d’obfta-
cles qu a leur entree, l’abord en peut être pénible j
mais ces obftacles une fois franchis, le refte du chemin
eft facile à parcourir.
Il faut convenir au refte que les géomètres qui
ont attaqué M. Newton fur la réfiftance des fluides,
n ont guere été plus heureux que lui. Les uns après
avoir fondé fur le calcul une théorie affez vague, 6c
avoir meme crû que l’expérience leur étoit favorab
le , femblent enfuite avoir reconnu 6c l’infuffifance
de leurs expériences mêmes, 6c le peu de folidité de
leur théorie, pour lui en fubftituer une nouvelle
aufli peu fatisfaifante. Les autres reconnoiffant de
bonne-foi que leur théorie manquoit par les fonde-
mens, nous ont donné, au lieu de vrais principes ,
beaucoup de calculs.
Ces confiderations m’ont engagé à traiter cette
matière par une méthode entièrement nouvelle, 6c
fans rien emprunter de ceux qui m’ont précédé dans
le même travail.
La théorie que j’expofe dans mon ouvrage, ou
plûtôt dont je donne M a i , a ce me femble l’avantage
de n’etre appuyée fur aucune fuppofition arbitraire.
Je fuppofe,feulement, ce que perfonne ne peut
me contefter, qu’un fluide eft un corps compofé de
particules très-petites, détachées, 6c capables defe
mouvoir librement.
La réfiftance qu’un corps éprouve lorfqu’il en choque
un autre, n eft à proprement parler que la quantité
de mouvement qu’il perd.Lorfque le mouvement
dun corps eft altéré, on peut regarder ce mouve-
ment comme compofé de celui que le corps aura
dans 1 inftant fiuvant, 6c d’un autre qui eft détruit. Il
n eft pas difficile de conclure de - l à , que toutes leS
lois de la communication du mouvement entre les
corps, fe reduifent aux lois de l ’équilibre. C ’eft aufli
à ce principe que j’ai réduit la folution de tous les
problèmes de Dynamique dans le premier ouvrage
que j ai publie en 1743. J’ai eu fréquemment l’occa-
fion d en montrer la fécondité & la fimplicité dans les
differens traites que j’ai mis au jour depuis ; peut-
etre meme ne feroit -il pas^nutile pour nous éclairer
|ufqu à un certain point fur IamétaphyfiqUedelaper-
cufîion des corps,& fur les lois auxquelles elle eft af
iujettie. /^.Equilibre. Quoi qu’il en foit, ce principe
s’applique naturellement à la réfiftance d’un
corps dans un fluide; c’eft aufli aux lois de l’équilibre
entre 1 efluide 6c le corps, que je réduis la recherche
de cette réfiftance. Mais il ne faut pas s’imaginer
que cette recherche, quoique très-facilitée par ce
moyen, foit aufli fimple que celle de la communication
du mouvement entre deux corps folides. Sup-
pofons en effet que nous enflions l’avantage dont
nous fommes privés , de connoître la figure & la
difpofitiou mutuelle des particules qui compofent
les fluides; les lois de leur réfiftance 6c de leur action
fe reduiroient fans doute aux lois connues du
mouvement : car la recherche du mouvement communique
par un corps à un nombre quelconque de
corpufcules qui 1 environnent, n’eft qu’un problème
de Dynamique, pour la réfolution duquel on a tous
les principes néceffaires. Cependant plus le nombre
de corpufcules feroit grand, plus le problème deviendrait
compliqué , 6c cette méthode par conf£
quentne feroit guere praticable dans la recherche de
la réfiftance des fluidesMais nous fommes même bien
éloignés d’avoir toutes les données néceffaires, pour
etre à portée de faire ufage d’une pareille méthode
comme il a déjà été dit. Non-feulement nous ignorons
la figure & l’arrangement des parties àesflui-
des, nous ignorons encore comment ces parties font
preffees parle corps, 6c comment elles fe meuvent
entr’elles. Il y a d’ailleurs une fi grande différence
entre le fluide & un amas de corpufcules folides, que
les l°ts de la preffion & de l’équilibre des folides font
tres-differentes des lois de la preffion & de I’équili-
bre des fluides; l’expérience feule a pû nous inftrui-
re de ces. dermeres lo is, que la théorie la plus fub-
tile n eût jamais pû nous faire foupçonner : & aujour-
d hui meme que 1 obfervation nous les a fait connoître
, on n’a pû trouver encore d’hypothèfe fatisfaifante
pour les expliquer, 6c pour les réduire aux
principes connus de la ftatique des folides.
■ 1 1 1 ignorance n’a cependant pas empêché que
1 on n ait fait de grands progrès dans J’Hydroftati-
que ; car les Philofophes ne pouvant déduire immédiatement
6c directement de la nature des fluides les
lois de leur équilibre, ils les ont au moins réduites à
un feul principe d’expérience, Végalité de preffion en
toutf ns; principe qu’ils ontregardé (faute de mieux)
pomme la propriété fondamentale des fluides, 6c celle
dont il falloit déduire toutes les autres. En effet condamnés
comme nous le fommes, à ignorer les premières
propriétés & la contexture intérieure des
corps, la feule reffource qui refte à notre fagacité,
c eft de tacher au moins défaifir dans chaque matière
l’analogie des phénomènes, & de les rappeller tous à un petit nombre de faits primitifs & fondamentaux.
La nature eft une machine immenfe, dont les refforts
principaux nous font cachés : nous ne voyons même
cette machine qu’à-travers un voile qui nous dérobe
le jeu des parties les plus délicates. Entre les parties
les plus frappantes que ce voile nous laiffe apperce-
v o ir , il en eft quelques-unes qu’un même reffort
met en mouvement, & ce méchanifme eft ce que
nous devons principalement chercher à démêler.
Ne pouvant donc nous flater de déduire de la nature
même des fluides, la théorie de leur réfiftance
& de leur a&ion, bornons-nous à la tirer, s’il eft
poffible , des lois hydroftatiques , qui font depuis
long-tems bien conûatées. La découverte purement
experimentale de ces lois fupplée en quelque forte
à celle de la figure 6c de la difpofition des parties des
fluides, 6c peut-être rend lé problème plus fimple
que fi pour le refoudre nous étions bornés à cette
derniere connoiffance ; il ne s’agit plus que de développer
par quel moyen les lois de la réfiftance des
fluides , peuvent fe déduire des lois de l’Hydroftati-
que. Mais ce détail demande une affez longue fuite
de^ propofitions, dont je ne pourrais prétenter ici
qu’une efquiffe fort imparfaite. Foy. R é s i s t a n c e .
Je me contenterai de dire, que voulant démontrer
tout en rigueur, j’ai trouvé dans les propofitions
même les plus fimples, plus de difficultés qu’on n’au-
roit dû en foupçonner, & que ce n’a pas été fans
peine que je fuis parvenu à démontrer fur cette matière
les vérités les plus généralement connues, & les
moins rigoureufement prouvées jufqu’ici. Mais après
avoir pour ainfi dire facrifié à la fûreté des principes
la facilite du calcul, je devois naturellement m’at-
tendre que l’application du calcula ces piêmes prin-
■cipes;feroit fort pénible; & c’eft aufli ce qui m’eft
arriyé : je ne voudrais pas même aflùrer que du moins