
confédération elles en feront moins effrayées
moins difpofées à fuir. D ’ailleurs il eft alors plus
ai.fé de les contenir, que fi l’ennemi paroiffoit prêt à
tomber fur elles.
De cette maniéré en général, pour accoûtumer
infenfiblement de nouvelles troupes à envifager
l ’ennemi avec moins de crainte lorfqu’elles y feront
une fois parvenues, il fera fort aife de leur faire
comprendre qu’en marchant réfolument à l’ennemi
pour le charger la bayonnette au bout du fiifil, le
danger durera bien moins de tems qu’en reliant ex-
pofe à fon feu , & en tiraillant les uns contre les autres.
Car lorfqu’on marche avec fermeté pour tomber
fur une troupe , il arrive rarement qu’elle attende
pour fe retirer , qu’elle foit chargée la bayonnette
au bout du fufil. On prétend au moins qu’il y
a peu d’exemple du contraire. II y a même des officiers
qui ont beaucoup de pratique de la guerre, &
qui doutent qu’il y en ait aucun ; M. le maréchal de
Puyfégur affûroit cependant l’avoir vu une fois. On
peut conclure de-là que le choc de pié ferme de
deux troupes d’infanterie dans un combat eft un
événement fi peu commun à la guerre , qu’on peut
prefque alïïirer qu’il n’arrive jamais. C ’eft auffi ce
que dit fur cefujet l’auteur des Sentimens d'un homme
de guerrefur la colonne de M. de Folard: « lorfqu’un
» bataillon voit qu’un autre s’avance pour l’atta-
» quer,le foidat étonné de l’intrépidité avec laquelle
» Ion ennemi lui vient au-devant, le tiraille , ajufte
» mal fon coup, & tire, pour la plupart, en i’air.
» Le feu auquel il avoit mis fa principale confiance
» n’arrête pas fon ennemi, & qui pis eft s il n’eft
» plus tems de recharger. La bayonnette qui lui relie
» ne fauroit le raflïirer ; le trouble augmente , il
» fait volte-face , & quitte ainfi la partie. S 'il en ar-
». rive autrement , c'ejl chofe rare , & peut-être même
» hors d'exemple.
Lorfqu’un bataillon marche pour en attaquer un
autre, doit-il effuyer le feu du bataillon ennemi, &
le joindre, ou , pour mieux dire, chercher à le joindre
fans tirer ? Cette queftion n’eft pas un problème
à refoudre dans la milice françoife.
L’ufage confiant des troupes de France eft d’ef-
fuyer le feu de l’ennemi, & de tomber enfuite delîiis
fans tirer. Les évenemens heureux qui fuivent prefque
toujours cette pratique, comme on vient de le
voir précédemment, femblent en démontrer la bonté'.
Cependant les autres peuples de l’Europe ne l’ont
point encore adoptée j c’eft apparemment que leurs
troupes ne vont point à l’abordage avec la même
impétuofité & la même ardeur que le François ; car
fi tout étoit égal de part & d’autre, il eft certain
qu’il y auroit un defavantage confidérable à effuyer
les décharges de l’ennemi en s’approchant pour le
combattre, fans faire ufage de fon feu.
En effet, fuppofons deux troupes d’infanterie, ou
deux bataillons, compofés chacun de foldats également
braves & difciplinés, & que l’un arrive fièrement
fur l’autre fans tirer, tandis que celui-ci lui fait
fiiccèffivement effuyer, dès qu’il eft à portée, le feu
de fes differens rangs ,. & cela avec fermeté, fans
fe troubler & en ajuftant bien ; peut-on douter que
le bataillon.affaillant qui a fouffert plufieurs décharges,
ne foit dans un plus grand deTordre, & un plus
grand état de foibleffe que l’autre ? Comme on fup-
pofe que les foldats de ce dernier bataillon ne s’étonnent
point, qu’ils favent les pertes que leur feu a dû
faire fouffrir à l’ennemi, & la fupériorité qu’il a dû
par conféquent leur donner ; il paroît évident que
dans ces circonftances le bataillon qui a tiré , doit
l’emporter fur celui qui a été plus ménagé de fon
feu : s’il en arrive autrement, c’eft que les foldats
lie font point affez exercés, qu’on ne leur fait pas
fentir, comme on le devroit, le dommage que des
décharges faites avec attention & jufteffe doivent
caufer à l’ennemi. Dans cet état il n’eft pas étonnant
que la frayeur s’empare de leur efprit, & qu’elle
les porte à faire volte - face, comme on vient
de le dire ci-devant. C’eft pourquoi les fuccès de
la méthode d’aborder l’ennemi fans tirer, ne prouvent
point que cette méthode foit la meilleure; mais feulement
que les troupes contre lefquelles.elle a réuf-
fi avoient peu de fermeté, qu’elles mettoient uniquement
leur confiance dans leur feu , & qu’elles
n’étoient point fuffifamment exercées.
Il fuit de-là que fi Fon attaquoit des troupes également
fermes & aguerries, il feroit très-important
de fe fervir de fon feu en allant à l’abordage. C ’eft
le fentiment de M. le marquis de Santa-Crux.
Si dès que vous êtes à portée de tirer fur les ennemis
, vous ne le faites pas, dit ce favant auteur,
« vous vous privez de l’avantage d’en tuer plufieurs
» & d’en intimider plufieurs autres par le fifllement
» des balles & par le fpeftacle de leurs camarades
» morts ou bleffés : vous ne profitez pas de l’effet,
» continue-t-il, que cette frayeur & ce fpeûacle àu-
» roient fait fur les ennemis, & principalement fur
» leurs hommes de recrue & leurs nouveaux foldats
» qui font plus troublés par le danger, & ayant leurs
» mains & leurs armes auffi tremblantes que leur
» pouls eft agité, tireront auffi - tôt vers le ciel que
» vers la terre ; au lieu que n’étant point encore ef-
» frayés par aucune perte, ils coucheront en joue
» avec moins de trouble, & vous aborderont enfuite
» avec l’arme blanche, lorfque par leur feu votre ar-
» mée fera déjà beaucoup diminuée & intimidée ».
M. de Santa-Crux confirme ce raifonnement par
un exemple qu’il rapporte.de l’attaque des lignes de
Turin, au dernier fiége de cette v ille en 1706.
Lorfque les Impériaux voulurent forcer ces lignes,
ils furent d’abord repouffés par les décharges qu’on
leur fit effuyer : « mais lorfque peu aprèsVi&or Ame-
» dée roi de Sardaigne, le prince Eugene de Savoie,
» & le prince d’Anhalt, eurent par leurs paroles &
» par leurs exemples rallié ces mêmes troupes, on
» donna ordre aux troupes françoifes (qui défen-
» doient les lignes) de referver leur feu, & de ne ti-
» rer qu’à brûle-pourpoint. Dans cette fécondé atta-
» que, les Allemands n’ayant eu que ce feul feu à ef-
» fuyer, abordèrent avec toutes leurs forces,& fans
» avoir le tems de réfléchir fur le danger, ils fran-
» chirent en un inftant le retranchement ».
Cet exemple, quoique d’une efpece un peu diffé- -
rente de celle de deux troupes d’infanterie qui fe
chargent en plaine ou en terrein uni, prouve au
moins l’impreffion que fait fur les troupes le feu qui
précédé le moment où elles peuvent fe joindre ou
s’aborder ; car à l’égard de celles qui font derrière
des lignes ou des retranchemens, perfonne n’ignore
qu’elles doivent faire le plus grand feu qu’il eft poffi- .
ble, lorfque l’ennemi eft une fois parvenu à la portée
du fufil ; c’eft même pour l’y expoferplus long-
tems qu’on fait des avant-foffés, des puits, &c. Voy.
L i g n e s .
En fuppofant les troupes d’infanterie à quatre de
hauteur , comme elles l’étoient dans la guerre de
170 1 , & dans les deux dernieres guerres, M. de
Santa-Crux propofe de les faire tirer par rang, mais
en faifant une efpece de feu roulant par demi-rang
de compagnie. Le premier demi-rang de la première
compagnie à droite ou à gauche, doit d’abord commencer
à faire feu ; les premiers demi-rangs de chaque
compagnie en font fucceffivement de même, en
fuivant tout le front de la ligne ; le fecpnd rang fait
enfuite la.même manoeuvre, puis le troifieme 6c le
quatrième. ■
Cet auteur penfe auffi , comme beaucoup d’autres
habiles militaires, qu’il faut dans un combat
placer
placer les meilleurs tireurs au premier rang, & leur
ordonner de tirer fur les officiers ; parce que lorfqu’-
une troupe eft une fois privée de fes commandans,
il eft ordinairement fort aifé de la rompre.
Lorfqu’il s’agit de faire fe u , les officiers doivent
» s’incorporer dans le premier rang, & mettre un
» genou à terre lorfque ce rang le met ; autrement
» dans peu de minutes, il n’y aura plus d’officiers,
» foit par leurs propres foldats qui involontairement
» tireront fur eux, foit par les ennemis qui ajufteront
» leurs coups contre ceux qu’ils diftingueroient ainfi
» pour officiers ». Réjlex. militaires de M. de Santa-
Crux.
C ’eft pour éviter cet inconvénient, que les rangs
pour tirer doivent s’emboîter, pour ainfi dire, les
uns dans les autres. Voye^ Embo ît em en t.
Le favant militaire que nous venons de citer, propofe
pour rendre le feu des ennemis moins dangereux
, de faire mettre genou à terre à toute la troupe
qui eft à portée de l’effuyer, & cela lorfqu’on voit
qu’ils mettent en joue. Cet expédient peut rendre
inutile un grand nombre de leurs coups, parce qu’il
n’y a plus guere que la moitié du corps qui y foit ex-
pofée, & que d’ailleurs le défaut des foldats eft de
tirer prefque toujours trop haut. Il eft clair que pour
fe placer ainfi, il faut que les ennemis foient affez
éloignés, pour qu’on ait le tems de fe relever avant
de pouvoir en être joint. Cet auteur rapporte à ce
fujet, que le chevalier d’Alsfeld ayant attaqué auprès
de Saint - Etienne de Liter « un détachement
» d’infanterie angloife, qui mit genou à terre au mo-
» ment qu’elle vit les François en pofture de faire
» leur décharge,elle fe releva auffi-tôt fans en avoir
» reçu aucun mal ».
Ce même expédient a été pratiqué dans plufieurs
autres occafions, avec le même fuccès.
Au lieu de faire mettre genou en terre aux troupes,
on pourroit les garantir encore davantage du
feu de l’ennemi, en leur faifant mettre ventre à terre
: mais il ne feroit pas sûr de l’ordonner à celles
dont la bravoure ne feroit pas parfaitement reconnue
; parce qu’il pourroit arriver qu’on eût enfuite
quelque difficulté à les faire relever.
Lorfqu’un bataillon fait ufage de fon feu fur un
bataillon ennemi ; & qiie les deux troupes ne font au
plus qu’à la demi-portée du fufil, les foldats doivent
s’appliquer à tirer au ventre de ceux qui leur font
oppofés ; & fi on les fait tirer fur une troupe de cavalerie
, au poitral des chevaux.
M. de Santa-Crux prétend que les Hollandois ,
pour tirer, appuient la croffe du fufil au milieu de
l’eftomac, afin d’être forcés par cette pofture à tirer
bas ; & il obferve que cette maniéré de tirer, qui ne
doit point être imitée parce qu’elle eft très-incommc»
de, & qu’elle ne permet guere d’ajûfter le coup, fait
Voir au moins que cette nation a parfaitement compris
que le défaut ordinaire des foldats efi de tirer trop haut,
& qu’elle a cherché le moyen d’y remédier. Si elle
ne Fa point fait avec fuccès, les autres nations peuvent
le faire plus heureufement. Cette découverte
paroît mériter l’attention des militaires les plus appliqués
à leur métier.
Jufqu’ici nous n’avons parlé que du feu de l’infanterie
: il s’agit de dire à-préfent un mot de celui de
la cavalerie.
Suivant M. de Folard, le feu de la cavalerie eft moins
que rien , l'avantage du cavalier ne confîflant que dans
fon épée de bonne longueur.
Cette décifion de l’habile commentateur de Poly-
be eft fans doute trop rigoureufe : car il y a beaucoup
d’occafions où le feu de la cavalerie eft très-
utile. 11 eft vrai que les coups tirés à cheval ne s’ajuf-
tent pas avec la même facilité que ceux que l’on tire
à pié ; mais dans des marches où la cavalerie fe trou-
Tome V I%
Vé quelquefois fans infanterie,elle peut fe fervir très*
avantageufement de fon feu , foit pour franchir un
paffage défendu par des payfans, ou pour éloigner
des troupes legeres qui veulent I’harceler dans fa
marche. Elle peut encore fe fefvir de fort feu tres-
avantageufement dans les fourrages & dans beaucoup
d’autres occafions. Mais la cavalerie doit-elle
fe fervir de fon feu dans une bataille rangée ? M. de
Santa-Cfux prétend que non, fur-tout f i , comme la
cavalerie efpagnole, elle eft montée fur des chevaux
d’Efpagne , qui par leur vivacité & leur ardeur, met-
tent le defordre dans les efeadrons au bruit des coups de
fufils dé ceux qui les montent.
M. le maréchal de Puyfégur penfe fur ce füjet autrement
que le favant auteur efpagnol ! « Mon opi-
» nion, dit-il (dans fon livre de l'art de la guerre) , eft
» que les efeadrons qui marchent l’un à l’autre pour
» charger l’épée à la main, peuvent avant de fe fer-
» vir de l’épee, tirer de fort près, & ce au moindre fi-
» gnal ou parole du commandant de l’efeadron, 8c
» charger auffi-tôt l’épée à la main ». .
A l’égard de la maniéré de charger, v o ic i, dit cet
illuftf e auteur, ce que j ’ai vu & ce que j’ai reconnu
être très-facile à pratiquer.
« La ligne des efeadrons de l’ennemi voyoit no-
» tre ligne de cavalerie marcher au p a s, pour la
» charger l’épée à la main, fans fe fervir d’aucune
» arme à feu , foit officiers ou cavaliers. Quand no-
» tre ligne fut environ à huit toifes de diftance (cet-
» te cavalerie avoit fon épée pendue au poignet,
» officiers & cavaliers avoient leurs moufquetons
» pendans à la bandoulière), les officiers & cava-
» fiers prirent le moufqueton de la main droite, &
» de cette feule main couchèrent en joue, chacun
» choififfant celui qu’il vouloit tirer : dès que le coup
» fut parti, ils laifferent tomber le moufqueton qui
» étoit attaché à la bandoulière ; ôc empoignant leur
» épée, ils reçurent notre cavalerie l’épée à la main ,
» & combattirent très-bièn. Par ce feu tiré de près ,
» il tomba bien de nos gens ; néanmoins malgré ce-
» la , comme notre corps de cavalerie étoit tout ce
» que nous avions de meilleur, celle de l’ennemi,
» quoiqu’elle fût encore plus nombreufe que la nô-
» t re , fut battue. Mais ce ne fut pas les armes a feu
» dont ils fe fervirent , qui en furent caufe ; car s’ils
» n’avoient pas tiré & tué des hommes de notre pre-
» mier rang, ils en auroient été plûtôt renverfés. J’ai
» reconnu même, continue M. de Puyfégur, que lî
» notre cavalerie qui renverfa cette ligne des enne-
» mis, avoit tiré, celle-ci n’auroit pas tiré avec la
» même aflïirance qu’elle a pu faire ; & comme nos
» troupes étoient un corps diftingué, il auroit com-
» mencé par mettre bien des hommes hors de com-
» bat. Ainfi quand on dit que des' efeadrons pour
» avoir tiré ont été battus, je répons que quand ils
» n’auroient pas tiré , ils ne l’euffent pas été moins.
» De pareilles raifons font fouvent un prétexte pour ne
» pas avouer qu'on a mal combattu. Cela peut encore
» venir de ce que les officiers 8c les cavaliers ne font
» ni inftruits ni exercés. Or Von doit avoir pour prin-
» cipe de ne jamais rien demander a des troupes dans
» l'action , à quoi elles n'auront pas été exercées d'a~
» vance ». C ’eft pourquoi lorfqu’on eft sûr des troupes
de cavalerie qu’on fait combattre, i l n'y a pas
à balancer de les faire tirer , & même Us autres , dit-
il , quand on les aura inftruits. Art de la guerre de M .
le maréchal de Puyfégur, tom. l .p ag- 2J3.
Quant à l’inconvénient qfl’on prétend qui réfulte
du bruit des armes à feu , par rapport au mouvement
qu’il caufe parmi les chevaux de l’efeadron, M. de
Puyfégur y répond, en faifant obferver « qu’il n’eft
» point prouvé que fi votre ennemi tire fur vous ,
» & que vous ne tiriez pas, vos chevaux ayent
» moins de peur que les liens, puifque le feu va
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