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qu’une matière fluide, & que laTerre eft à-péu-près
tiens le même état, que fi fa furface étoit par-tout
fluide & homogène ; qu’ainfi la dire&ion de la pefan-
teur eft fenfiblement perpendiculaire à cette furface,
& dans le plan de Taxe de la Terre, & que par
conféquent tous les méridiens font femblables finon
à la rigueur, au moins fenfiblement ? Les inégalités
de la lùrface de la Terre, les montagnes qui la couvrent
, font moins confidérables par rapport au diamètre
du globe , que ne le feroient de petites emi-
nencesd’un dixième de ligne de hauteur, répandues
çà & là fur la furface d’un globe de deux piés de diamètre.
D’ailleurs le peu d’attraûion que les montagnes
exercent par rapport à leur malle ( Voye{ A t t
r a c t i o n & M o n t a g n e s ) , femble prouver que
cette maffe eft très-petitepar rapport à leur volume.
L’attraûion des montagnes du Pérou élevées de plus
d’une lieue, n’écarte le pendule de fa direction que
de fept fécondés : or une montagne hémifphérique
d’une lieue de hauteur, devroit faire écarter le pendule
d’environ la 3000e partie du finus total, c eft-
à-dire d’une minute 18 fécondés : les montagnes pa-
roiffenE donc avoir très-peu de matière propre par
rapport au refte du globe terreftre ; & cette conjecture
eft appuyée par d’autres obfervations, qui nous
ont découvert d’immenfes cavités dans plufieurs de
ces montagnes. Ces inégalités qui nous parodient fi
confidérables, & qui le font fi peu , ont été produites
par les boulverfemens que la Terre a foufferts,
& dont yraiffemblablement l’effet ne s’eft pas étendu
fort au-delà de la furface & des premières couches.
Ainfi de toutes les raifons qu’on apporte pour fou-
tenir que les méridiens font diffembîables, la feule de
quelque poids, eft la différence du degré mefuré en
Italie, & du degré mefuré en France, à une latitude
pareille 8c fous un autre méridien. Mais cette différence
qui n’eft que de 70 toifes, c’eft- à - dire d’environ
3 5 pour chacun des deux degrés, eft-elle affez
confidérable pour n’être pas attribuée aux obfervations
, quelque exaâes qu’on les fuppofe ? Deux fécondés
d’erreur dans la feule mefure de l’arc célefte,
donnent 31 toifes d’erreur fur le degré; & quel ob-
fervateur peut repondre de deux fécondés ? Ceux
qui font tout-à-la-fois les plus exafts & les plus fin-
ceres, oferoient-ils même répondre de 60 toifes fur
la mefure du degré, puifque 60 toifes ne fuppofent
pas une erreur de quatre fécondés dans la mefure de
l’arc célefte, & aucune dans les opérations géographiques
}
Rien ne nous oblige donc encore à croire les
méridiens diffembîables ; il faudroit pour autorifer
pleinement cette opinion, avoir mefuré deux ou' plufieurs
degrés à la même latitude, dans des lieux de
la Terre très-éloignés, & y avoir trouvé trop de
différence pour l’imputer aux obfervateurs : je dis
dans des lieux très - éloignés , car quand le méridien
d’Italie par exemple, & celui de France, feroient
réellement différens, comme ces méridiens ne font
pas fort diftans l’un de l’autre, on pourroit toûjours
rejetter fur les erreurs de l’obfervation, la différence
qu’on trouveroit entre les degrés correfpondans
de France & d’Italie à la même latitude.
Il y auroit un autre moyen d’examiner la vérité
de l’opinion dont il s’agit ; ce feroit de faire l’obfer-
vation du pendule à même latitude, & à des distances
très-éloignées : car fi en ayantjégard aux erreurs
inévitables de l’obfervation, la longueur du
pendule fe trou voit différente dans ces deux endroits,
on en pourroit conclure ( au moins vraiffemblable-
ment) que les méridiens ne feroient pas femblables.
Voilà donc deux opérations importantes qui font
encore à faire pour décider la queftion, la mefure
du degré, & celle du pendule, fous la même latitude
, à des longitudes extrêmement différentes. Il
eft à fôuhaitcr que quelque obfervateur exa£! & intelligent
veuille bien fe charger de cette entreprife,
digne d’être encouragée par les fouverains, & fur-
tout par le minifterede France , qui a déjà fait plus
qu’aucun autre pour la détermination de la figure de
la Terré.
Au refte, en attendant que l’obfervation direâe
du pendule, Ou la mefure immédiate des degres nous
donne à cet égard les connoiffances qui nous manquent
; l’analogie, quelquefois fi utile en Phyfique,
pourroit nous éclairer jufqu’à un certain point fur
l’objet dont il s’agit, en y employant les obfervations
de la figure de Jupiter. L ’ a p p l a t i f f e n i e n t de cette planète
obfervé dès l’an 1666 par M. Picard, avoit déjà
fait foupçonner celui de laTerre long-tems avant
qu’on s’en fut invinciblement affûré par la compa-
raifon des degrés du Nord & de France. Des obfervations
réitérées de cette même planete nous ap-
prendroient aifément fi fon équateur eft circulaire.
Pour cela il fuffiroit d’obferver l’applatiffement de
Jupiter dans différens tems. Comme fon axe eft à-
peu-près perpendiculaire à fon orbite, 8c par confe-
quent à l’écliptique qui ne forme qu’un angle d’un
degré avec l’orbite de Jupiter, il eft évident que fi
l’équateur de Jupiter eft un cercle, le méridien de
cette planete, perpendiculaire au rayon vifuel tiré
de la Terre, doit toûjours être le même, & qu’ainfi
Jupiter doit paroître toujours également -applati,
dans quelque tems qu’on l’obferve. Ce feroit le contraire
, fi les méridiens de Jupiter étoient diffembla-
bles. Je fai que cette obfervation ne fera pas de-
monftrative par rapport à la fimilitude ou à la d i s i m
i l i t u d e des méridiens de la Terre. Mais enfin fi les
méridiens de Jupiter fe trou voient femblables, comme
j’ai lieu de le foupçonner par l e s queftions que
j’ai faites là-deffus à un très-habile aftronome, on feroit',
ce me femble, a l l e z b i e n fondé à croire, au défaut
de preuves plus rigourèufes, que la Terre auroit
auffi fes méridiens femblables. Car les obfervations
nous prouvent que la furface de Jupiter eft
fujette à des altérations fans comparaifon plus confidérables
& plus fréquentes que celle de la Terre,
voyei B a n d e s , &c. or fi ces altérations n’influoient
en rien fur la figure de l’équateur de Jupiter, pourquoi
la figure de l’équateur de la Terre feroit-elle altérée
par des mouvemens beaucoup moindres ?
Mais quand on s’affûreroit même par les moyens
que nous venons d’indiquer, que les méridiens font
! fenfiblement femblables, il refteroit encore à examiner
fi ces méridiens ont la figure d’une ellipfe. Ju£
qu’ici la théorie n’a point donné formellement l’ex-
clufion aux autres figures; elle s’eft bornée à montrer
que la figure elliptique de la Terre s’accordoit avec
les lois de l’Hydroftatique : j’ai fait voir de plus, je
le répété, dans la troifieme partie de mes recherches
fu r le fyfième du monde, qu’il y a une infinité d’autres
figures qui s’accordent avec ces lois, fur-tout fi
on ne fuppofe pas laTerre homogène. Ainfi en imaginant
que le méridien de la Terre ne foit pas elliptique
, j’ai donné dans cette même troifieme partie de
mes recherches, une méthode auffi fimple qu’on peut
le defirer, pour déterminer géographiquement 8c af-
tronomiquement fans aucune hypothèfe, la figure de
la Terre, par la mefure de tant de degrés qu’on voudra
de latitude & de longitude. Cette méthode eft
d’autant plus néceffaire à pratiquer, que non-feulement
la théorie, mais encore les mefures aétuelles,
ne nous forcent pas à donner à la Terre la figutc d’un
fphéroïde elliptique ; car les cinq degrés du nord,
du Pérou, de France, d’Italie, 8c du Cap, ne s’accordent
point avec cette figure : d’un autre côté les
expériences du pendule s’accordent affez bien à donner
à la Terre la figure elliptique, mais elles la donnent
plus applatie que de : enfin ce dernier appla-*
tiffefnent s’accorde allez bien avec les cinq degrés
fuivans, celui du Nord, celui du Pérou, celui du
Cap, le degré de France fuppofé de 57183 toifes,
& le degré de longitude mefuré à 43d z z ' de latitude
; mais le degré de France fuppofe de 57074 toifes,
comme on le veut aujourd’hui, 8c le degré d’Italie,
dérangent tout.
M. le Monnier cherchant à lever une partie de '
ces doutes , a entrepris de vérifier de nouveau la
bafe de M. Picard, pour proferire ou pour rétablir
irrévocablement le degré de France, fixé parles académiciens
du Noçd à 57183 toifes.
Si ce degré eft rétabli, alors ce feroit aux Aftro-
nomes à décider jufqu’à quel point l’hypothèle elliptique
feroit ébranlée par le degré d’Italie, le feul
qui s’éloigneroit alors de cette hypothefe, 8c même
de l’applatiffement fuppofé de (Ne pourroit-on
pas croire que dans un pays auffi plein de hautes
montagnes que l’Italie, l’attraâion de ces montagnes
doit influer fur la direûion du fil-à-plomb, 8c
que par conféquent la mefure du degré doit y être
moins exaéle & moins sûre ? c’eft une conjeâure
legere que je ne fais que hafarder ici). Il faudroit
examiner de plus jufqu’à quel point les obfervations
du pendule s’écarteroient de ce même applatiffe-
ment de -370 j dédu&ion faite des erreurs qu’on peut
commettre dans les obfervations.
Mais fi le degré de 57183 toifes eft proferit, il
faudra en ce cas difeuter foigneufement les erreurs
qu’on peut commettre dans les obfervations, tant du
pendule que des degrés ;• & fi ces erreurs dévoient
être fuppofées trop grandes pour accommoder l’hy-
pothèfe elliptique aux obfervations, on feroit forcé
d’abandonner cette hypothèfe, & de faire ufage des
nouvelles méthodes que j’ai propofées, poiir déterminer
par la théorie 8c par les obfervations, la figure,
de la Terre.
L’obfervation de l’applatiffement de Jupiter pourroit
encore nous être utile ici jufqu’à un cértain
point. Il eft aifé de trouver par la théorie quel doit
etre le rapport des axes de cette planete, en la regardant
comme homogène. Si ce rapport étoit fenfiblement
égal au rapport obfervé, on pourroit en
conclure avec affez de vraiffemblance que la Terre
feroit auffi dans le même cas, &que Ion applatif-
fement feroit , le même que dans le cas de.l’ho-
mogénéité ; mais fi le rapport obfervé des axes de
Jupiter eft différent de celui que la théorie donne,
alors on en pourra conclure par la même raifon que
laTerre n’eft pas homogène, 8c peut-être même
qu’elle n’a pas la figure elliptique. Cette «derniere
conclufion pourroit encore être confirmée ou infirmée
par l’obfervation de la figure de Jupiter ; car il
feroit aifé de déterminer fi le méridien de cette planete
eft-une ellipfe, ou non. Pour cela il fuffiroit
de mefurer le parallèle à l’équateur de Jupiter, qui
en feroit éloigné de 60-degrés; fi ce parallèle (é
trouvoit fenfiblement égal ou inégal à la moitié de
l’équateur, le méridien de Jupiter feroit elliptique,
ou ne le feroit pas.
Je ne parle point de la méthode de déterminer la
figure de la Terre par les parallaxes de la Lune : cette
méthode imaginée d’abord par M. Manfredi, dans
les mémoires de l'académie des Sciences de >7 3 4 * eft
fujette à trop d’erreurs pour pouvoir rien donner de
certain. Il eft indubitable que les parallaxes doivent
être différentes fur une fphere & fur un fphéroïde ;
mais la différence eft fi petite, que quelques fécondés
d’erreur dans l’obfervation emportent toute la
précifion qu’on peut defirer ici. Il eft bien plus sûr de
déterminer la différence des parallaxes par la figure d,e
la Terre fuppofée connue, que la figure de la Terre par
la différence des parallaxes ; 8c je me fuis attaché par
çettç raifon au premier de ces deux objets ^ dans la
t ro ifiem e p a r t ie d e mes recherchesfur le fyfième du monde
d é jà c ité e s . Foye^ P a r a l l a x e .
Il ne nous refté plus qu’un mot à dire fur l’utilité
de cette queftion de la figure de la Terre. On doit
avouer de bonne-foi, qu’éu égard à l’état préfent de
la navigation, & à l’imperferiion des méthodes par
lefquelles on peut mefurer en mer le chemin du vai,f~
feau , 8c connoître en conféquence le point de la
Terre oii il fe trouve, il nous eft affez indifférent de
fa voir fi la Terre eft exaftement fphérique ou non.
Les erreurs des eftimations nautiques font beaucoup
plus grandes, que celles qui peuvent réfulter de la
norv-lphéricité de la Terre. Mais les méthodes de la
navigation fe perfectionneront peut-être un jour affez
pour qu’il foit alors important au pilote de lavoir lur
quel fphéroïde il fait fa route. D’ailleurs n’eft-cepas
une recherche bien digne de notre curiofité, que
celle de la figure du globe que nous habitons ? & cette
recherche, outre cela, n’eft-elle pas fort importante
pour la perfection des obfervations aftronomiques } Voye{ P a r a l l a x e , &c.
Quoi qu’il en foit, voilà l’hiftoire exaCte des progrès
qu’on a faits jufqu’ici fur la figure de la Terre. On
voit combien la folution complété de cette grande
queftion, demande encore de difeuffion, d’obferva-
tions, 8c de recherches. Aidé du travail de mes pré-
déceffeurs, j’ai tâché dans mon dernier ouvrage , de
préparer les matériaux de ce qui refte à faire, 8c d’en
faciliter les moyens. Quel parti prendre jufqu’à ce
que le tems nous procure de nouvelles lumières ?
lavoir attendre & douter.
Il eft tems de finir cet article, dont je crains qu’on
ne me reproche la longueur, quoique je Paye abrégé
le plus qu’il m’a été poffible : je crains encore plus
qu’on ne faffe aux Savans une efpece de reproche,
quoique très-mal fondé, de l’incertitude où ils font
encore fur la figure de la Terre, après plus de 80 an£
de travaux entrepris pour la déterminer. Ce qui doit
néanmoins me raffûrer, c’eft que j’ai principalement
deftiné l’article qu’on vient de lire, à ceux qui s’inté-
reffent vraiment au progrès des Sciences ; qui fa vent
que le vrai moyen de le hâter eft de bien démêler tout
ce qui peut le fufpendre ; qui connoiffent enfin les
bornes de notre efprit & de nos efforts, 8c les obfta-
cles que la nature oppofe à nos recherches : efpece
de leûeurs à laquelle feule les Savans doivent faire
attention, & non à cette partie du public indifférente
& curieufe, qui plus avide du nouveau que du vrai,
ufe tout en fe contentant de tout effleurer.
Ceux qui voudront s’inftruire plus à fond, ou
plus en détail, fur l’objet de cet article, doivent
lire : la mefure du degré du méridien entre Paris &
Amiens , par M. Picard, corrigée par MM. les académiciens
du Nord, Paris, 1740: le traité de la grandeur
& de la figure de la Terre, par M. Caffini, Paris, 1718:
le difeours de M. de Maupertuis fu r la figure des afires ,
Paris ,173 a: la mefure du degré au cercle polaire , par
! les académiciens du Nord , 1738 : la théorie de la figure
de la Terre , par M. Clairaut, 1742 : la méridienne de
Paris vérifiée dans toute l'étendue de France, par M.
Caffini de Thury, 1744 : la figure delà Terre x par M.
Bouguer, 1749 : la mefure des trois premiers degrés du
méridien, par M. de la Condamine, 1751 : l'ouvrage
des PP. Maire & Bofcovich, qui a pour titre, de Hue-
rariâ expeditione per pontificiam ditionem, & c. Rornce,
175 5 : mes réflexions fu r la caufe des vents , 174 6 : la
fécondé & la troifieme partie de mes recherches fu r lefyf-
tèmedu monde, 1754 & & 175 6 ; & plufieurs fa vans
mémoires de MM. Euler, Clairaut , Bouguer, de
Maupertuis, &c. répandus dans les recueils des académies
des Sciences de Paris, de Petersbourg de Berlin ,
&c. (O)
F i g u r e , en Aftrologie, eft une defeription ou re-
préfentation de l’état 6c de la difpofxtiou du ciel à une