
Enfin, pourquoi l’ancienne maxime, provijîo ho-
minis tollit provijiontm legis , ne pourroit - elle pas
être reçue dans cette occafion, ainfi qu’on l’autorife
dans les douaires, dans le partage des biens, & en
plufieurs autres chofes, oit la loi ne régné que quand
les parties n’ont pas cru devoir ftipuler différemment
de ce que la foi preferit? Article de M. le Chevalier
D E J A U COU R T ,
F e m m e , (Morale.) ce nom ffeul touche l’ame,
mais il ne l’éleve pas toujours ; il ne fait naître que
des idées agréables, qui deviennent un moment
après des fenfations inquiétés, ou des fentimens tendres
; & le philofophe qui croit contempler, n’eft
bien-tôt qu’un homme qui defire, ou qu’un amant
qui rêve.
Une femme fe faifoit peindre ; ce qui lui manquoit
pour être belle, étoit précifément ce qui la rendoit
jolie. Elle vouloit qu’on ajoûtât à fa beauté, fans rien
-ôter à fes grâces ; elle vouloit tout-à-la-fois, ôc que
le peintre fût infidèle, ôc que le portrait fut reffem-
blant : voilà ce qu’elles feront toutes pour l’écrivain
qui doit parler d’elles.
Cette moitié du genre humain, comparée phyfi-
quement à l’autre, lui eft fupérieure en agrémens,
inférieure en force. La rondeur des formes, la fineffe
des traits, l’éclat du teint, voilà fes attributs diftinc-
tifs.
"Les femmes ne different pas moins des hommes par
le coeur Ôc par l’efprit, que par la taille ôc par la figure
; mais l’éducation a modifié leurs difpofitions naturelles
en tant de maniérés, la diflimulation qui fem-
ble être pour elles un devoir d’état, a rendu leur ame
fi fecrete, les exceptions font en fi grand nombre, fi
confondues avec les généralités , que plus on fait
d’obfervations, moins on trouve de réfultats.
Il en eft de l’ame des femmes comme de leur beauté
; il femble qu’elles ne faffent appercevoir que pour
laiffer imaginer. Il en eft des caraâeres en général,
comme des couleurs ; il y en a de primitives, il y en
a de changeantes ; il y a des nuances à l’infini, pour
paffer de l’une à l’autre. Les femmes n’ont guère que
des cara&eres mixtes, intermédiaires ou variables ;
foit que l’éducation altéré plus leur naturel que le nôtre
; foit que la délicateffe de leur organifation faffe
de leur ame une glace qui reçoit tous les objets, les
rend vivement, & n’en conferve aucun.
Qui peut définir lesfemmes? Tout à la vérité parle
en elles, mais un langage équivoque. Celle qui pa-
roît la plus indifférente, eft quelquefois la plus fenfi-
ble ; la plus indiferete paffe fouvent pour la plus
fauffe : toûjours prévenus, l’amour ou le dépit diâe
les jugemens que nous en portons ; ôc l’efprit le plus
libre, celui qui les a le mieux étudiées, en croyant
refoudre des problèmes, ne fait qu’en propofer de
nouveaux. Il y a trois chofes, difoit un bel efprit,
que j’ai toûjours beaucoup aimées fans jamais y rien
comprendre, la peinture, la mufique, & les femmes.
S’il eft vrai que de la foibleffe naît la timidité, de
la timidité la fineffe, ôc de la fineffe la fauffeté, il
faut conclure que la vérité eft une vertu bien efti-
mable dans les femmes.
Si cette même délicateffe d’organes qui rend l’imagination
des femmes plus v ive, rend leur efprit moins
capable d’attention, on peut dire qu’elles apperçoi-
vent plus v ite , peuvent voir aufli bien, regardent
moins long-tems.
Que j’admire les femmes vertueufes,fi elles font
aufli fermes dans la vertu, que les femmes vicieufes
me paroiffent intrépides dans le vice !
La jeuneffe des femmes eft plus courte ôc plus brillante
que celle des hommes ; leur vieilleffe eft plus
facheufe ôc plus longue.
Les femmes font vindicatives. La vengeance qui
eft l’afte d’une puifiance momentanée, eft une preuve
de foibleffe. Les plus foibles & les plus timides
doivent être cruelles : c’eft la loi générale de la nature
, qui dans tous les êtres fenfibles proportionne
le reffentiment au danger.
Comment feroient-elles diferetes ? elles font cu-
rieufes ; ôc comment ne feroient elles pas curieufes ?
on leur fait myftere de tout : elles ne font appellées
ni au confeil, ni à l’exécution.
Il y a moins d’union entre les femmes qu’entre les
hommes, parce qu’elles n’ont qu’un objet.
Diftingués par des inégalités, les deux fexes ont
des avantages prefque égaux. La nature a mis d’un
côté la force ôc la majefte, le courage & la raifon ; de
l’autre, les grâces ôc la beauté, la fineffe ôc le fenti-
ment. Ces avantages ne font pas toûjours incompatibles
; ce font quelquefois des attributs différens qui
fe fervent de contre-poids ; ce font quelquefois les
mêmes qualités, mais dans un degré différent. Ce
qui eft agrément ou vertu dans un ie xe, eft défaut
ou difformité dans l’autre. Les différences de la nature
dévoient en mettre dans l’éducation ; c’eft la
main du ftatuaire qui pouvoit donner tant de prix à
un morceau d’argile.
Pour les hommes qui partagent entre eux les emplois
de la v ie civile, l’état auquel ils font deftinés décide
l’éducation & la différencie.Pour les femmes, l’éducation
eft d’autant plus mauvaife qu’elle eft plus
générale, ôc d’autant plus négligée qu’elle eft plus
utile. On doit être furpris que des âmes fi incultes
puiffent produire tant de vertus, & qu’il n’y germe
pas plus de vices.
Des femmes qui ont renoncé au monde avant que
de le connoître, font chargées de donner des principes
à celles qui doivent y vivre. C ’eft de-là que fou-
vent une fille eft menée devant un autel, pour s’im-
pofer par ferment des devoirs qu’elle ne connoît
point, ôc s’unir pour toûjours à un homme qu’elle
n’a jamais vû. Plus fouvent elle eft rappellée dans fa
famille, pour y recevoir une fécondé éducation qui
renverfe toutes les idées de la première, & qui portant
plus fur les maniérés que fur les moeurs, échange
continuellement des diamans mal-taillés ou mal-affor-
t is , contre des pierres de compofition.
C ’eft a lors, c’eft après avoir paffé les trois quarts
du jour devant un miroir & devant un clavecin, que
Chloé entre avec fa mere dans le labyrinthe du monde
: là fon efprit errant s’égare dans mille détours,
dont on ne peut fortir qu’avec le fil de l’expérience :
là toûjours droite ôc filentieufe, fans aucune connoif-
fance de ce qui eft digne d’eftime ou de mépris, elle
ne fait que penfer, elle craint de fentir, elle n’ofe ni
voir ni entendre ; ou plûtôt obfervant tout avec au-,
tant de curiofité que d’ignorance, voit fouvent plus
qu’il n’y en a , entend plus qu’on ne dit, rougit indécemment
, foûrit à contre-fens, & sûre d’être égale»
ment reprife de ce qu’elle a paru fa voir & de ce qu’elle
ignore, attend avec impatience dans la contrainte
& dans l’ennui, qu’un changement de nom la mene à
l’indépendance & au plaifir.
On ne l’entretient que de fa beauté, qui eft un
moyen fimple & naturel de plaire, quand on n’en
eft point occupé ; ôc de la parure, qui eft un fyftème
de moyens artificiels pour augmenter l’effet du premier
, ou pour en tenir lieu, ôc qui le plus fouvent
ne fait ni l’un ni l’autre. L’éloge du cara&ere ou de
l’efprit d’une femme eft prefque toûjours une preuve
de laideur ; il femble que le fentiment & la raifon ne
foient que le fupplément de la beauté. Après avoir
formé Chloé pour l’amour, on a foin de lui en défendre
l’ufage.
La nature femble avoir conféré aux hommes le
droit de gouverner. Les femmes ont eu recours à l’art
pour s’affranchir. Les deux fexes ont abufé réciproquement
de leurs avantages * de la force ÔC de la
beauté, ces deux moyens de faire des malheureux.
Les hommes ont augmenté leur puiffance naturelle
par les lois qu’ils ont diâées ; les femmes ont augmenté
le prix de leur poffeffion par la difficulté de
l’obtenir. Il ne feroit pas difficile de dire de quel côté
eft aujourd’hui la fervitude. Quoi qu’il en foit, l’autorité
eft le but où tendent les femmes : l’amour qu’elles
donnent les y conduit ; celui qu’elles prennent les
en éloigne ; tâcher d’en infpirer, s’efforcer de n’en
point fentir, ou de cacher du moins celui qu’elles
l'entent : voilà toute leur politique ôc toute leur morale.
Cet art de plaire, ce defir de plaire à tous, cette
envie de plaire plus qu’une autre, ce filence du coeur,
ce dérèglement de l’efprit, ce menfonge continuel
appellé coquetterie, femble être dans les femmes un
caraûere primitif, qui né de leur condition naturellement
fubordonnée, injustement fervile, étendu,
ôc fortifié par l’éducation, ne peut être affoibli que
par un effort de raifon, ôc détruit que par une grande
chaleur de fentiment : on a même comparé ce caractère
au feu facré qui ne s’éteint jamais.
Voyez entrer Chloé fur la feene du monde ; celui
qui vient de lui donner le.droit d’aller feule, trop
aimable pour aimer fa femme , ou trop difgracié de la
nature, trop défigné par le,devoir pour en être aimé,
femble lui donner encore le droit d’en aimer un autre.
Vaine ôc legere, moins empreffée de voir que de
fe montrer, Chloé vole à tous les fpeétacles, à toutes
les fêtes : à peine y paroît-elle, qu’elle eft entourée
de ces hommes, qui confians ÔC dédaigneux,
fans vertus & fans talens , féduifent les- femmes par
des travers, mettent leur gloire à les deshonorer, fe
font un plaifir de leur defef poir, Ôc qui par les indif-
crétions, les infidélités ôc les ruptures, femblent augmenter
chaque jour le nombre de leurs bonnes fortunes
; efpece d’oifeleurs qui font crier les oifeaux
qu’ils ont pris pour en appeller d’autres.
Suivez Chloé au milieu de çétte foule empreffée;
c’eft la coquette venue de l’île de Crete au temple
de Gnide ; elle foûrit à l’un, parle à l’oreille à l’autre
, foûtient fon bras fur un troifieme, fait ligne à
deux autres de la fuivre : l’un d’eux lui parle-t-il de
fon amour ? c’eft Armide, elle le quitte en ce moment
, elle le rejoint un moment après, ôc puis le
quitte encore : font-ils jaloux les uns des autres? c’eft
la Célimene du Mifantrope, elle les raffûre tour-à-
tour par le mal qu’elle dit à chacun d’eux de fes rivaux
; ainfi mêlant artificieufement les dédains & les
préférences, elle reprime la témérité par un regard
ié ve re, elle ranime l’efpérance avec un foûris tendre
: c’eft la femme trçmpeufe d’Archiloque, qui tient
l ’eau d’une main ôc le feu de l’autre.
Mais plus les femmes ont perfectionné l’art de faire
defirer, efpérer, pourfuivre ce qu’elles ont réfolu de
ne point accorder ; plus les hommes ont multiplié les
moyens d’en obtenir la poffeffion : l’art d’infpirer des
defirs qu’on ne veut point fatisfaire, a tout-au-plus
produit l’art de feindre des fentimens qu’on n’a pas.
Chloé ne veut fe cacher qu’après avoir été vûe ; Da-
mis fait l’arrêter en feignant de ne la point voir: l’un
fii l’autre, après avoir parcouru tous les détours de
Fart, fe retrou vent enfin où la nature les avoit placés.
Il y a dans tous les coeurs un principe fecret d’union.
Il y t un feu qui, caché plus ou moins long-
tems, s’allume à notre infii, s’étend d’autant plus
qu’on fait plus d’efforts pour l’éteindre, & qui en-
iuite s’éteint malgré nous. Il y a un germe où font
renfermés la crainte & l’efpérance, la peine & le
plaifir, le myftere ôc l ’indiferétion ; qui contient les
querelles ôc les raccommodemens, les plaintes ôc
les ris, les larmes douces & ameres : répandu partout
, il eft plus ou moins prompt à fe développer,
félon les fecours qù’on lui prête, ôc les obftacles
qu’on lui oppofe.
Comme un foible enfant qu’elle protégé, Chloé
prend l’Amour fur fes genoux, badine avec fon arc,
fe joue avec fes traits, coupe l’extrémité de fes ailes,
lui lie les mains avec des fleurs ; ôc déjà prife elle-
meme dans des liens qu’elle ne voit p a s, fe croit
encore en liberté. Tandis qu’elle l’approche de fon
fein, qu’elle l’écoute, qu’elle lui foûrit, qu’elle s’a-
mufe egalement & de ceux qui s’en plaignent Ôc de
celles qui en ont peur, un charme involontaire la
fait tout - à - coup le preffer dans fes bras, ôc déjà
l’amour eft dans fon coeur : elle n’ofe encore s’avouer
qu’elle aime, elle commence à penfer qu’il eft doux
d’aimer. Tous ces amans qu’elle traîne en triomphe
à fa fuite, elle fent plus d’envie de les écarter qu’elle
n’eut de plaifir à les attirer. Il en eft un fur qui fes
yeux fe portent fans ceffe , dont ils fe détournent
toujours. On diroit quelquefois qu’elle s’apperçoit à
peine de fa préfence, mais il n’a rien fait qu’elle n’ait
yû. S’il parle , elle ne paroît point l’écouter ; mais
il n’a rien dit qu’elle n’ait entendu : lui parle-t-elle
au contraire ? fa voix devient plus timide, fes ex-
preffions font plus animées. Va-t-elle au fpe&acle,
eft-il moins en vûe ? il eft pourtant le premier qu’elle
y v o it , fon nom eft toujours le dernier qu’elle prononce.
Si le fentiment de fon coeur eft encore ignoré,
ce n’eft plus que d’elle feule ; il a été dévoilé par tout
ce qu’elle a fait pour le cacher ; il s’eft irrité par tout
ce qu’elle a fait pour l’éteindre : elle eft trifte , mais
fa trifteffe eft un des charmes de l’amour. Elle ceffe
enfin d’être coquette à mefure qu’elle devient fenfi-
b le , ôc lèmble n’avoir tendu perpétuellement des
pièges que pour y tomber elle-même.
J’ai lû que de toutes les paffions , l’amour eft celle
qui lied le mieux aux femmes ; il eft du moins vrai
qu’elles portent ce fentiment, qui eft le plus tendre
cara&ere de l’humanité , à un degré de délicateffe
ôc de vivacité où il y a bien peu d’hommes qui puiffent
atteindre. Leur ame femble n’avoir été faite que
pour fentir, elles femblent n’avoir été formées que
pour le doux emploi d’aimer. A cette paffion qui leur
eft fi naturelle, on donne pour antagonifte une privation
qu’on appelle 1yhonneur ; mais on a dit , & il
n’eft que trop v r a i, que l’honneur femble n’avoir
été imaginé que pour être facrifié.
A peine Chloé a-t-elle prononcé le mot fatal à fa
liberté, qu’ elle fait de fon amant l’objet de toutes fes
yû es, le but de toutes fes aétions, l’arbitre de fa v ie.
Elle ne connoiffoit que famufemeot & l ’ennui, elle
ignoroit la peine ôc le plaifir. Tous fes jours font
pleins, toutes fes heures font vivantes, plus d’intervalles
languiffans ; le tems , toujours trop lent ou
trop rapide pour elle , coule cependant à fon infû ;
tous cçs noms fi vains, fi chers, ce doux commerce
de regards ôc de fpûrires ce filence plus éloquent
que la parole, mille fouvenirs, mille projets, mille
idées, mille fentimens , viennent à tous les inftans
renouveller fon ame ôc étendre fon exiftence ; mais
la derniere preuve de fa fenfibilité eft la première
époque de l’inconftance de fon amant. Les noeuds
de l’amour ne peuvent-ils donc jamais fe refferrer
d’un cô té, qu’ils ne fe relâchent de l’autre ?
S’il eft parmi les hommes quelques âmes privilégiées
en qui l’amour, loin d’être affoibli par les plai»
firs, femble emprunter d’eux de nouvelles forces,
pour la plûpart c’eft une fauffe joiiiffance qui, précédée
d’un defir incertain, eft immédiatement fuivie
d’un dégoût marqué , qu’accompagne encore trop
fouvent la haine ou le mépris. On dit qu’il croît fur
le rivage d’une mer, des fruits d’une beauté rare,
qui, dès qu’on y touche, tombent en pouffiere : c’eft
l’image de cet amour éphémère, vaine faillie de l’imagination
, fragile ouvrage des fens, foible tribut
qu’on paye à la beauté. Quand la fource des plaifirs
eft dans le coeur, elle ne tarit point ; l’amour fondé