
Au refte, i’arrangement qu’on ai vu. ci-d evant,
eft relatif .aux f ê t e s chomraées à Paris ; mais s’il fe
fait là-deffus un réglement pour tout le royaume, il
fera ailé d’arranger le tout' pour le mieux & d’une
maniéré uniforme... En général, il eft certain que
moins il y aura de f ê t e s , plus on aura de refpeéf pour
les dimanches & pour les f ê t e s reftantes, &c fur-tout
moins il y aura de miférables. Une grande comrao-
dité qui s’enfuivroit pour le public, c’eft que les jeûnes
qui précedentles f ê t e s , tomberaient: toujours le
vendredi ou le famedi, & conlëquemment s’obfer-
yeroient avec moins de répugnance que loffqu’ils
viennent à la traverfe au milieu des jours gras : outre
.que ce nouvel ordre fixant la fuite du gras & du
maigre, ce feroit, en considérant les,choies civilement,
un avantage fenfible pour le ménage & pour
le commerce, qui feraient en cela moins dérangés.
J’obferverai à cette occafion, qu’au lieu d’entremêler,
comme on fait, les jours gras & les jours maigres,
il conviendrait, pour l’économie générale &
particulière, de reftraindre aux vendredis & famedis
tous les jours de jeune & d’abftinence, non compris
le carême.
On pourroit donc, dans cette vue de commodité
publique , fupprimer l’abftinence des Rogations ,
auffi-bien que celle de S. Marc. Quant aux procef-
lions que l’on fait ces jours-là, on devrait, pour le
bien des travailleurs, les rejetter fur autant de dimanches,'
dont le loifir, après tout, ne fauroit être
mieux rempli que par ces exercices de piété.
A l’égard du maigre qu’on nous épargnerait, je
trouve, fi l’on v eu t, une compenfation facile ; ce
feroit de rétablir dans tout le royaume l’abftinence
des cinq pu fix famedis qu’il y a de Noël à la Purification.
Quant aux jeûnes, il me femble, vû le relâchement
des Chrétiens , qu’ il y en a trop aujourd’hui,
& qu’il en faudrait fupprimer quelques r uns ; par
exemple, ceux de S . Laurent, S. Matthieu, S. Simon
& S. André, aulïï-bien que les trais mercredis des
quatre- tems de la Trinité, de la S. Michel & de Noël :
pour lors il n’y auroit plus, outre le carême, que
douze jours de jeûne par année ; favoir fix jours pour
les quatre-tems, & fix autres jours pour les vigiles
de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre , de
l ’Aflomption, de la Touffaint, & de Noël.
Ainfi, hors le carême qui demeure en fon entier,
on ne verroit que les vendredis & famedis fujets au
jeûne & au maigre ; arrangement beaucoup plus fup-
portable , & qui nous expoferoit moins à la tranf-
grefiion du précepte , ce qui eft fort à confidérer
pour le bien de la religion & la tranquillité des conf-
ciences.
J’ajoûte enfin que pour procurer quelque douceur
aux pauvres peuples, & pour les fouiager, autant
qu’il eft poffible, en ce qui eft d’inftitution arbitraire
, nos magiftrats & nos évêques, loin d’appefantir
le joug de Jefus- Chrift , devraient concourir une
bonne fois pour affûrer l’ufage des oeufs en tout tems :
j ’y voudrais même joindre l’ufage de la graiffe, lequel
pourroit être permis en France, comme il l’eft,
à ce qu’on dit, en Efpagne & ailleurs. Et, pour parler
en chrétien rigide, il vaudrait mieux défendre
dans le jeûne toutes les liqueurs vineufes, de même
que le ca fé, le thé, le chocolat ; interdire alors les
cabarets aux peuples, hors les cas de néceflîté, que
de leur envier de la graiffe & des oeufs. Ils ont com- ,
munément ces denrees pour un prix affez modique,
au lieu qu’ils ne peuvent guere atteindre au beurre,
encore moins au poiffon, & que les moindres légumes
font fouvent rares & fort chers ; ce qui feroit
peut-être une raifon pour fixer la f ê t e de Pâque au
premier dimanche de Mai, dans la vue de rapprocher
le carême des herbes & légumes du primeras.
A l’égard des grands & des fiches de tontes, conditions
& de touües-robes * ces for tes idé lois! ne font
pas proprement faites pour eux; & fi quelques-uns
fe privent de certains mets , ils favent bien dlail-
leurss’en procurer d’excellens : alligant onera gravia.
Matth. xxiij. 4;
N’en difons pas, davantage ; & concluons que
.pour diminuer le fcandale des tranfgreffions , pour
tranquiilifèr les âmes timorées, & fur-tout pour
1 aifance & la douceur d’une vie d’ailleurs remplie
damertume, le libre ufiage.de la graiffe & des
oeufs doit etre établi par-tout, & pour tous les tems
de l’année.
Je dois encore remarquer ici que la tranfipofi-
tion des fêtes ferait un objet d’économie pour la
fabrique des églifes, puifqu’il y auroit moins de dé-
penfe à faire en cire , ornemens, fervice., &c. Il
s enfuivroit encore un autre avantage confidérable,
en ce que ce ferait un moyen de rendre fimple & uniforme
l’office divin. En effet, comme il n’y a pas d’apparence
que pour une fête ainfi tranfpofée on changeât
fenfiblement l’office ordinaire du dimanche, il
eft à croire qu’on y laifferoit les mêmes pfeaumes &
autres prières qu’on y fait entrer, & qu’il n’y auroit
de changement que pour les oraifons & les hymnes
appropriées aux fêtes.
Ce feroit pareillement une occafion favorable
pour réformer le bréviaire, le chant, & les cérémonies
, tant des paroiffes que des communautés & collégiales.
Tout cela auroit befoin de revifion, & pourroit
devenir plus fimple & plus uniforme ; d’autant mieux
que les arrangemens propofés fie faifant de l’autorité
du roi& des évêques, feraient en conféquence moins
confus & moins variables. Il n’eft pas douteux que
ces changemens n’infpiraffent plus de refpeâ, &
ne donnaffent plus de goût pour le Service divin j
au lieu q*pe les variétés bifarres qu’on y voit aujourd’hui
, formant une efpece de Science peu connue des
fideles , je dis même des gens inftruits, plufieurs fe
dégoûtent de l’office paroiffial, & perdent les précieux
fruits qu’ils en pourraient tirer. A quoi contribue
bien encore le peu de commodité qu’il y a dans
nos églifes ; il y manque prefque toûjours ce qui devrait
s’y trouver gratis pour tout le monde, je veux
dire le moyen d’y être à l’aife , & proprement affia
ou à genoux. .
En effet n’e ft-on pas un peu fcandalifé de voit
l’attention de nos pafteurs à fe procurer leurs ailes
& leurs commodités dans les églifes, & de voir en
même tems leur quiétude & leur indifférence fur la
pofition incommode & peu décente où s’y trouvent
la plupart des fideles, ordinairement preflës & coudoyés
dans la foule, étourdis par le bruit des cloches
& des orgues, importunés par des mendians
interpellés pour des chaifes, enfin mis à contribution
par des quêteufes jeunes & brillantes? Qui pourrait
compter avec cela fur quelques momens d’attention
?
J’ajoûterai à ces réflexions, que les meffes en phi.
fieurs églifes ne font point affez bien distribuées ; il
arrive fouvent qu’on en commence deux ou trois* à-
la-fois, & qu’enfuite il fepaffe un tems confidérable
fans qu’on en dife : de forte qu’un voyageur, une
femme occupée de fon ménage, & autres gensYcm-
blables, ne trouvent que trop de difficulté pour fa-
tisfaire au précepte.
On dirait à voir certains célébrans, qu’ils regardent
la meffe comme une tâche rebutante & pénible
dont il faut fe libérer au plus v ite , & fans egard
pour la commodité des fideles.
Quelqu’un s’étant plaint de ce peu d’attention
dans une communauté près de Paris , on lui répondit
honnêtement, que la communauté n'étoit pas faite
pour h public. Il ne s’attendoit pas à èèWe’ïépbhfe, &
il en fut fort fcandalifé : mais<c,elft tout b^qû’-ll-ë'n
a r riva, & leschofes allèrent lëùrteaih ià l’ordihàire.
Une conduite fi peu religieuse & f i ;peii ’chrétieflfiè
nuit infiniment à là piété»
Une dernieffe'ObfePVàtion qùeije fâis-fûr Içis afL
rangemens expôfés; ci - deffus /e’elfqu ’ils ôteroient
tout prétexte, ce me femble, à la plupart des railleries
& des reproches que font les Déiftes & les Pt*o-
teftans fur la religion. Onîait que s’ils attaquent cettè
religion fainte, c’eft-moins dans fës fôndemens inébranlables,
que dans fa forme & da’fis fés üffiges in-
différenS : or toutes les propofitions de ce mémoire
tendent à leur ôter les occafions -de plainte & de
murmure. Auffi bien convaincu qùé tes pratiques-arbitraires,
ufitées dans l ’églife romaine ; Iwibnt plus
attiré d’ennemis que tous tes articles de la créancè
catholique, je penfe, à l’égard des ProteftànS', qirè
fi l’on fe rapprochoit un peu d’eux fùrdà difoipline';
ils pourraient bien fe rapprocher de nous fur le dogme.
P r em iè r e o b je c tio n . Le grand avantage que vous
envisagez dans'la lilppreflion â 'e s f ê t e s ± c’eft l’épar^
gne des dépenfes fuperflues qui-fe font ces jours-là ,
& que l’on éviterait , dites-vous, en rejettant leS
f ê t e s au dimanche : mais cette épargne prétendue eft
indifférente à la fociété , d’autant que l’argent dé*-
bourfé par les uns, va néceffairemènt au profit des
autres, je veux dire à tous ceux qui travaillent pour
la bonne chere & la parure, pour les amufemens1,
les jeux , & les plaifirs. L’un gagne ce que l’autre
eft cènfé perdre, & par-là tout1 rentre dans la maffe.
Ainfi le dommage que vous imaginez dans certaines
dépenfes, & le gaiti que vous croyez appercevoir
dans certaines épargnes, font absolument chimériques.
R é p o n s e . La grande utilité>què j’envifage
dans l’exécution de mon projet, n’eft point l’épargne
qu’on gagne par la fuppreffion des f ê t e s , puilqué je
ne la porte qu’au tiers du gain total que je démontre.
En effet j’eftime à dix fous par jour de f ê t e la perte que
fait chaque travailleur par la ceffation des travaux,
& je ne mets qu’à cinq fous l’augmentation de dé-
penfe : ainfi l’épargne dont il s’agit n’eft que la moindre
partie des avantages qu’on trouverait dans la diminution
des f ê t e s . La principale utilité d’un tel retranchement
, cOnfifte dans l’augmentation des trav
au x, & conféquemment des fruits qu’un travail
continu ne peut manquer de produire. Mais indépendamment
de ce défaut dans l’objeâion, je foûtiens
quant au fond, que le raifonnement qii’on oppofe là-
deffus eft frivole & mal fondé : car enfin la queftion
dont il s’agit ne route point fur l’argent qui fe dépen-
fe durant les f ê t e s , & que je veuille épargner en faveur
dupublic. Il eft bien certain que l’argent circule
& qu’il paffe d’une main à l’autre dans le commerce
des amufemens & des plaifirs ; mais tout cela ne produit
rien de phyfique, & n’empêche point la perte
générale Ôc particulière qu’entraîne toûjours le di-
vertiffement & l’oifiveté. Si chacun pouvoit fe réjouir
& dépenfer à fon gré, fans que laNnaffe des
biens diminuât, ce feroit une pratique des plus commodes
: malheureufement cela n’eft pas poffible ; on
voit au contraire que des dépenfes inutiles & malplacées
, loin de foûtenir le commerce & l’opulencè
générale, ne produifent au vrai que des anéantif-
îemens & de la ruine : le tout indépendamment de
l’efpece, qui ne fert en tout cela que de véhicule.
Et qu’on ne dife point, comme c ’eft l’ordinaire,
que les amufemens, les jeu x, les feftins, &c. occupent
& font vivre bien du monde, & qu’ils produi-,
lent par conféquent une heureufe circulation : car
c’eft une raifon pitoyable. Avec ce raifonnement, on
va montrer que la plupart des pertes & des calamités
'puMiqtVês & particulières, font de vrais biens poli*
tiqirës: | H H
lj ‘La gÜefifë tpifoh- fègard'é comme un' -fléau , n’ eft
plus ’un ’malheur -pour l’état , r pirifqii’enfin elle oc*
éupe & fait;vivre bien du-monde. Une maladie com
tAgieufequi dtefole une ville ou une province, n’eft
pbinï encôfé un grand niai, vû qu’elle occupe avec
fruitroitstes fîippôts de la Medecine, (S*c. & fuivant
le même raifonnement, celui qui fe ruine par les procès
ou par là débauche, fe rend par-là fort utile ail
public, d’autant qu’il fait le profit de ceù'x qui fer*-
vènt-fes excès Ou fes foliés ; <^ue dis-je, un incendiaire
en brûlant nos maifons mérite des -rccompenfes , àr-
tendu qu’il nous met dans fhetireufe nécèffite dem-
ployer bien du monde pour les rétablir? & un ma*-
chinifte , an éontraife , en prOduifant des facilités
nouvelles pour: diminuer le travail & la peine dans
les gras Ouvrages, ne peut mériter que du blâme
pour uné malheureufe découverte qui doit faire con-
gédier plufieurs ouvriers.
• Pour moi jé penfe qtie l’enrichiffemént d’-Unè nation
eft de même nature que/celui d’une famille.
Gomment devient-on riche pour l ’ordinaire? Parlé
travail & par l’économie ; tra vailpui enfante He nouveaux
biens; économie qui fait Ie5 cônferver ■ & teS
employer à-propos. Ce n’ eft pàs.affez pour enrichir
un peuple, de lui procurer de l’-occupation. La guerre,
les procès , tes maladies, les jeux, & les feftins
occupent auffi réellement cjue lë f travaux de. 1’-agriculture,
des fabriques, ou -du-êômmerce: mais de
ces occupations les unes font fruûueufes & pradui-
fent de nouveaux biens, les1 autres font ftériles &
deftru&ives.
Je-dis plus, quand même le gôût du luxe & des
fuperfluités feroit entrer dé l’argent dans le royaume
.cela ne prouverait point du tout raccroiffeménk
de nos richeffes, Sc n’empêcherait pas les dommages
qui fuivent toûjours la diflipation & la prodigalité»,
Voilà fur cela mon raifonnement.
' - L’Europe entière poffede au moins trois fois plu*
d'efpèces qu’elle n’en avoir il ÿ a trois cents ans 5
elle a même pour en faciliter la circulation bien de*
moyens qu’on n’avoit pas encore trouvés. L'Europe
eft-elle à proportion plus riche qu’elle n’étoit dan*
ces tems-là ? Il s’en faut certainement beaucoup. Les
divers états, royaumes , ou républiques , ne cûn±
noiffoient point alors les dettes nationales ; pre/que
tous aujourd’huifont obérés à né pouvoir s’en relever
de long-tems. On ne connoiffoit point auffi pouB
lors ce grand nombre d ’impofitions dont les peuplés
d’Europe font chargés de nos jours.
Les arts, les métiers, les négoces etoient pour tout
le monde d’un abord libre & gratuit ; au lieu qu’odi
n’y entre à-préfent qu’en débourfant des fommeS
confidérables. Les offices & les charges de judicatw-
r e , les emplois civils & militaires etoient le fruit dé
la faveur ou du mérite ; maintenant il faut les acheter,
fi l’on y veut parvenir : par conféquent il étoit
plus facile de fe donner un état, & de vivre à fort
aife en travaillant ; & dès-là il étoit plus facile de fe
marier & d’élever une famille. On lent qü’il ne fal-
loit qu’être laborieux & rangé. Qu’il s’en fautaujoui**
d’hui que cela fuffife !
Je conclus de ces triftes différences,que nous fom-
mes réellement plus agités, plus pauvres, plus ex-
pofés aux chagrins & aux miferes, en un mot moins
heureux & moins opulens, malgré les riches buffets
& les tas d’or & d’argent fi communs de nos jours.
L’acquifition des métaux précieux, ni la circula*
tion des efpeces ne font donc pas la jufte mefure de
la richefl'e nationale; & comme je l’ai dit, ce n’eik
point fur cela que doit rouler la queftion préfente.
Il s’agit Amplement de favoir fi le furcroît dé dé-
penfe qui fe ftut toujours pendant les fêtes, n’occa^