
«90 F L U en certains cas la folution du problème dont il eft
queftion, ne fe refusât entièrement à l’analyfe. C ’eft
aux Savans à prononcer fur ce point ; je croirois
avoir travaillé fort utilement, fi j?étois parvenu dans
«ne matière fi difficile, foit à fixer m oi-même, foit
à faire trouver à d’autres jufqu’oh.peut aller la théorie
, Si les limites oh elle eft forcée de s’arrêter.
Quand je parle ici des bornes que -la théorie doit
fe prefcrire, je ne l’envifage qu’-avec les fecours actuels
qu’elle peut fe procurer, non avec ceux dont
elle pourra s’aider dans la fuite, & qui font encore
-à trouver: car en quelque matière que ce foit, on
ne doit pas trop fe hâter d’élever entre la nature Si
l ’efprit humain un mur de féparation. Pour avoir appris
à nous méfier de notre induftrie, il ne faut pas
nous en méfier avec excès. Dans l’impuiflance fréquente
que nous éprouvons de furmonter tant d’ob-
ftacles qui fe préfentent à nous, nous ferions fans
doute trop heureux, fi nous pouvions au moins ju-
.ger du premier coup-d’oeil jufqu’oh nos efforts peuvent
atteindre. Mais telle eft tout-à-la-fois la force
& la foibleffe de notre efprit, qu’il eft fouvent aufli
dangereux de prononcer fur ce qu’il ne peut pas que
fur ce qu’il peut. Combien de découvertes modernes
dont les anciens n’avoient pas même l’idée? Combien
de découvertes perdues, que nous contefterions
peut-être trop legerement ? Si combien d’autres que
nous jugerions impoflibles, font refervées pour notre
poftérité ?
Voilà les vues qui m’ont guidé, & l’objet que je
me fuis propofé dans mon ouvrage qui a pour titre :
Ejfai d'une nouvelle théorie de la réflflance des fluides.
Pour rendre mes principes encore plus dignes de l’attention
des Phyficiens Si des Géomètres, j’ai crû devoir
indiquer en peu de mots, comment ils peuvent
s’appliquer à différentes queftions, qui ont un rapport
plus ou moins immédiat à la matière que je traite
; telles que le mouvement d’un fluide qui coule foit
dans un v a fe, foit dans un canal quelconque; les
ofcillations d’un corps qui ilote fur un jluide , Si
d’autres problèmes de cette efpece.
J’aurois déliré pouvoir comparer ma théorie de la
réfiftance des jluides, aux expériences que plufieurs
phyficiens célébrés ont faites pour la déterminer :
mais après avoir examiné ces expériences, je les ai
trouvées fi peu d’accord entr’elles, qu’il n’y a ce me
femble encore aucun fait fuffifamment conftaté fur
ce point. Il n’en faut pas davantage pour montrer
combien ces expériences font délicates ; aufli quelques
perfonnes très-verfées dans cet a rt, ayant entrepris
depuis peu de les recommencer, ont prefque
abandonné ce projet par les difficultés de l’exécution.
La multitude des forces, foit aétives, foit paf-
iiv e s , eft ici compliquée à un tel degré, qu’il paroît
prefque impoflîble de déterminer féparément l’effet
de chacune ; de diftinguer, par exemple, celui qui
vient de la force d’inertie d’avec celui qui réfulte de
la ténacité, Si ceux - ci d’avec l’effet que peut produire
la pefanteur Si le frotement des particules:
d’ailleurs quand on auroit démêlé dans un feul cas
les effets de chacune de ces forces, & la loi qu’elles
fuivent., feroit-on bien fondé à conclure, que dans
un cas oh les particules agiroient tout autrement,
tant par leur, nombre que par leur direction, leur
difpofition & leur vîtefle, la loi des effets ne feroit
pas toute différente? Cette matière pourroit bien
être du nombre de celles oh les expériences faites
en petit n’ont prefque aucune analogie avec les
expériences faites en grand, & le s contredifentmême
quelquefois., oh chaque cas particulier demande
prefqu’une expérience ifolée, & oh par conféquent
les réfultats généraux font toujours très-fautifs Si
|rès-imparfaits.
Enfin la .difficulté fréquente d’appliquer le calcul
F L U à la théorie, pourra rendre fouvent prefque impraticable
la comparaifon de la théorie & de l’expérience
: je me fuis donc borné à faire voir l’accord de mes
principes avec les faits les plus connus, Si les plus
généralement avoiiés. Sur tout le refte, je laiffe encore
beaucoup à faire à ceux qui pourront travailler
d’après mes vues Si mes calculs. On trouvera peut-
être ma fincérité fort éloignée de cet appareil, auquel
on ne renonce pas toûjours en rendant compte
de fes travaux ; mais c’eft à mon ouvrage feul à fè
donner la place qu’il peut avoir. Je ne me flate pas
d’avoir pouffé à fa perfedion une théorie que tant de
grands hommes ont à peine commencée. Le titre
d?ejfai que je donne à cet ouvrage, répond exade-
ment à l’idée que j’en ai : je crois être au moins dans
la véritable route ; Si fans ofer apprétier le chemin
que je puis y avoir fait, j’applaudirai volontiers aux
efforts de ceux qui pourront aller plus loin que moi ;
parce que dans la recherche de la vérité, le premier
devoir eft d’être jufte. Je crois encore pouvoir donner
aux Géomètres, qui dans la fuite s’appliqueront
à cette matière, un avis que je prendrai le premier
pour moi-même ; c’eft de ne pas ériger trop legerement
des formules d’algebre en vérités ou propofi-
tions phyfiques, L’efprit de calcul qui a chaffé l’e f prit
de fyftème, régné peut - être un peu trop à fon
tour : car il y a dans chaque fiecle un goût de philofo-
phie dominant; ce goût entraîne prefque toûjours
quelques préjugés, Si la meilleure philofophie eft
celle qui en a le moins à fa fuite. 11 feroit mieux fans
doute qu’elle ne fût jamais affujettie à aucun ton
particulier ; les différentes connoiffances acquifes par
les Savans en auroient plus de facilité pour fe rejoindre
& former un tout. Mais c’eft un avantage que
l ’on ne peut guere efpérer. La Philofophie prend,
pour ainfi dire, la teinture des efprits oh elle le trouve.
Chez un métaphyficien, elle eft ordinairement
toute fyftématique ; chez un géomètre ; elle eft fouvent
toute de calcul. La méthode du dernier, à parler
en général, eft fans doute la plus sûre ; mais il ne faut
pas en abufer, St croire que tout s’y réduife : autrement
nous ne ferions de progrès dans la Géométrie
tranfeendante que pour être à proportion plus bornés
fur les vérités de la Phyfique. Plus on peut tirer
d’utilité de l’application de celle - là à ce lle - c i, plus
on doit être circonfpeâ dans cette application. Voy,
A p p l i c a t i o n . Voye{ aujji l 'article R é s i s t a n c e ,
Si la préface de mon Ejfai d’une nouvelle théorie de la
réffiance des jluides , d’oh ces réflexions font tirées.
On y trouvera un plus grand détail fur cet objet ; car
il eft tems de mettre fin à cet article. (O)
FLUIDITÉ, f. f , en Phyjîque, e ft c e t te p ro p r ié t é , ,
c e t te a ffe ft io n d e s c o r p s , q u i le s fa i t a p p e lle r o u q u i
le s r en d jluides. Voyeç F l u i d e ,
Fluidité e ft d ir e c tem e n t o p p o fé e à folidité. Foycç
S o l i d i t é .
Fluidité eft diftinguée d’humidité, en ce que l’idée
de la première propriété eft abfolue, au lieu que
l’idée de la derniere eft relative, & renferme l’idée
d’adhérence à notre corps, c’eft-à-dire de quelque
chofe qui excite ou peut exciter en nous la fen-
fation de moiteur, qui n’exifte que dans nos fens.
Ainfi les métaux fondus, l’air, la matière éthérée ,
font des corps fluides, mais non humides ; car leurs
parties font feches, St n’impriment aucun fentiment
de moiteur. Il eft bon de remarquer que liquide Si
humide ne font pas abfolument la même chofe ; le
mercure, par exemple, eft liquide fans être humide.
Voye{L i q u i d e & H u m i d e .
Enfin liquide Si jluide ne font pas non plus abfolu-.
ment fynonymes ; l’air eft un fluide fans être un liquide
f Sic. Voye£ la fin de cet article.
Les Gaffendiftes & les anciens philofophes cor-
pufçulaires ne fuppofçnt I que trois■ "CQudiÜQUS effen>
F L U tielles à la fluidité; favoir la ténuité, Si le poli des,
particules qui compofent les corps ; des efpaces vui-
des entre ces particules, & la rondeur de leur figure.
Ainfi parle Lucrèce, philofophe épicurien :
Ilia autem debent ex Icevibus atque roiundis
Ejfe magis, jluido quoe corporè liquida confiant.
« Tous les liquides formés d’un corps fluide, ne peu-
» vent être compofés que de parties lices Si fphéri-
» ques ».
Les Cartéfiens, Si après eux le dofteur Hook,
Boyle , &c. fuppofent, outre les conditions dont
nous avons parlé, le mouvement inteftin, irrégulier
Si continuel des particules, comme étant ce qui con-
ftitue principalement la fluidité.
La fluidité donc, félon ces philofophes, confifte
en ce que les parties qui compofent les corps fluides
étant très-déliées Si très-petites, elles font tellement
difpofées au mouvement par leur ténuité Si par
leur figure, qu’elles peuvent gliffer aifément les unes
fur les autres dans toutes fortes de dire&ions ; qu’elles
font dans une continuelle & irrégulière agitation,
& qu’elles ne fe touchent qu’en quelques points de
leurs furfaces.
Boyle, dans fon traité de la fluidité, fait aufli mention
de trois conditions principalement requifespour
la fluidité, favoir,
i °. La ténuité des parties : nous trouvons en effet
que le feu rend les métaux fluides, en les divifant.en
parties très-ténues ; que les menftrues acides les ren->
dent fluides en les diffolvant, &c. Peut-être même
que la figure des particules a aufli beaucoup de part
à la fluidité.'
z°. Quantité d ’efpaces vuides entre les corpufcu-
le s , pour laiffer aux différentes particules la liberté
de fe mouvoir entr’elles.
■ 3°. Le mouvement ou l’âgitation des corpiïfculés,
qui vient, foit d’un principe de mouvement inhérent
à chaque particule, foit de quelque agent extérieur
qui pénétré Si s’infinue dans les pores, Si qui venant
à s’y mouvoir de différentes maniérés, communique
une partie de fon mouvement aux particules de cette
matière. Il prétend prouver par plufieurs obferva-
tions & par différentes expériences, que cette derniere
condition eft la plus effentielle à la fluidité. Si
on met fur le feu , dit-il, dans un vaiffeau convenable
, un peu de poudre d’albâtre trè s-feche, ou de
plâtre bien tamifé, bientôt après ils paroiffent aux
yeux produire les mêmes mouvemens Si les mêmes
phénomènes qu’une liqueur bouillante, il ne faut
pourtant pas tôut-à-fait conclure de-là qu’un monceau
de fable foit entièrement analogue à un corps
fluide ; fur quoi voye^ l'article,Fluide.
Les Cartéfiens apportent différentes raifons pour
prouver que les parties des fluides font dans un mouvement
continuel, comme, i ° . la tranfmutation
des corps folides en corps fluides ; de la glace en
eau , par exemple , Si au contraire. La principale
différence qui fe trouve entre ces deux états d u flu id
e , confifte principalement, félon eu x , en ce que
dans l’un les parties étant fixées & en repos , ne forment
plus qu’un corps qui réfifte au toucher ; au
lieu que les parties de l’autre étant dans un mouvement
a ô u e l, elles cedent à la moindre force.
z°:. Les effets des fluides qui proviennent dumou-
vement : telles font l’inîrodu&ion des parties des
fluides entre les-pores des corps , l’amolliffement
la diffolution des corps durs , l’aâiondes menftrues
corrofifs, &c. Ajoûtons à cela qu’aucun corps fôli-
de ne peut être mis dans un état d e flu id ité , fans
l’intervention de quelque corps en mouvement , ou
difpofé à fe mouvoir, comme le feu , l’air ou l’eau.
jLes Cartéfiens foûtiennent de plus que la matière fub*
tile ou l’éther eft caufe d éjà flu id ité . V o y t{ E t h e r
fy M a t i è r e s u b t i l e ,
F L U 891 M. Boerhaàve prétend que le feu eft là fource du
premier mouvement, & la caufe de la fluidité des
autres corps, de l’air, de l’eau, par exemple, &c.
Il prétend que toute l’atmofphere feroit réduite en
un corps folide par la privation du feu. Voy e{ Feu.
M. .Muffchenbroeck oppofe au mouvement inteftin
des fluides le raifonnement fuivant. Que l’on
confidere, d i t - il, les parties d’un fluide bien pur,
raffemblé dans un endroit-oh tout foit en repos. Ex-
pofez au microfcope pendant la nuit, lorfque tout
eft en repos Si dans un endroit fort tranquille, une
petite goutte _ de lait ou de fang paffé, qui eft un liquide;
examinez fi fes parties font en mouvement
ou repos, faifant enforte .de ne rien remuer avec la
main ou avec le corps : on voit alors les parties grof-
fieres en repos. Comment donc, demande M. Muff-
ch enbroek, comment peut - oh établir que la nature
des liquides demande qu’ils foiént riécefiairement en
repos ? Mais quoique l’opinion de M. Muffchen-
broek .foit vraiflemblable , voye^ l'article F l u i d e ,
lois de Véquilibre ,n ° . I I I . cette preuve ne paroît pas
fort concluante, puifqùe le mouvement interne des
corpufcules, s’il eft réel, ëft d’une nature à ne pouvoir
être faifi par aucune obfervation. Une preuve
plus convaincante eft celle des petits cprpufculès
fufpendus dans l’eau , qui y reftent à la place oh ils
font, lorfqu’aucune caufe n’agite le vafe. Ces petits
corpufcules ne feroient-ils pas en.mouvement, files
particules du fluide y étoient î Le même aiiteuf oppofe
au mouvement inteftin des fluides, l’attrattion
de leurs parties, qui fe faifant en fens contraire, doit
tenir les particules en repos ; fur quoi voyer C oh és
io n & D u r e t é .
Newton rejette la théorie cârtéfienne de la caufe
de la fluidité; il lui en fubftitue une autre : c’eft le
fameux principe de l’attraftion Si de la répulfion.
Voye{ au mot A t t r a c t i o n , ce qu’on doit penfer
de ce fyftème. Il en réfulte que la caufe de la fluidité
eft encore inconnue que jufqu’ici les. Philofô-
phes n’ont donné fur cela que des conje&ures aflez
foi blés.
L a compofition de l ’eau eft furprenante, car c e
corps fluide', fi r a r e , fi poreux , où qui a^beaucoup
plus d’efpace.s vuid es :intermédiaires qu’il*n’a de fo-
l id it é , n’eft nullement compreffible par la plus grande
fo rce ; S i il fe change cependant aifément en un
co rp s fo lid e , tranfparent & f i a b l e , que nous appelions
glace; il ne faut qu e l ’^xpofer à un degré de
froid déterminé. Voye^ F r o ,Id , 6' G l a c e ,
On remarque dans tous Je,s: fluides , que la pref-
fion qu’ils exercent confte,!e$ parois deS.vaifléaux ',
fe fait toujours dans la dirqâipn des perpendiculaires
aux côtés de ces Yàifîèàhxv. Quelques auteurs onf
c rû , fan$ trop d’examen,, que cette propriété réfulte
«éceffairèmenî de la fignïe iphériqiie des particules
qui .compofent le fluide ; fut quoi voy. Fart. F l u i d e ,
Il eft vraiflemblable qu e fos. parties des fluides ont
la figuré’.fphérique ; On l ’in fe r e , i ° , de ce que. les
corps qui ont une femblable figu re , roulent Si glifr
fenf les uns fur les autres a v e c une grande fa cilité ,
comme nous le remarquons dans les parties des liquides
: i ° . de ce qu e to u te s les parties des fluides
groffiers, que l ’on p eut v o ir à l ’aide du microfcope ,
ont une figure fphérique , comme o n peut le remarquer
dans, le la i t , dans le fa n g , dans la fé ro f ité ,.dans
les huiles & le mercure.
M. Derham ayant examiné dans une chambre
obfcure fous quelle fi^me.iparoiffent les vapeurs,
trouva, à l’aide du microfcope v que ee: n’étQit autre
chofe que-de petits gfobulesrfpfeé^iques qui auroient
pû former de petites gouttes,'Si'donc ou trquvf ;que
tous les liquides greffiers foht formés de. gîofiplef,
ne pëut-on pas conclure par analogie , que la même
figure doit, avoir lieu dans les parties des liquides