
Sa grande ame fut frappée de ces quatre vers du
Eritannicus de Racine :
JPour toute ambition , pour vertu fingùtiert,
i l excelle'à conduire un char dans la carrière ,
j i difputer des prix indignes défis mains ,
j l f i donner lui-même en JpeHacle aux Romains,
On ne s’attachera point à rapporter les fe tes fi connues
de ce régné éclatant ; on fait dans les^royaumes
voifins,comme en France, qu’elles furent 1 epoque de
la grandeur de cet état, de la gloire des Arts, & de la
fplendeur de l’Europe : elles font d’ailleurs imprimées
dans tant de recueils différens ; nos peres nous
les ont tant de fois retracées, & avec dés tranfports
d’amour & d’admiration fi expreffifs, que le fou venir
en eft relié gravé pour jamais dans les coeurs de
tous les François. On fe contente donc de préfenter
aux lefteurs une réflexion qu’ils ont peut - être déjà
faite; mais au moins n’eft-elle, fi l’on ne fe trompe,
écrite encore nulle part.
Louis X IV. qui porta jufqu’au plus haut degré le
rare & noble talent de la repréfentation,eutla bonté
confiante dans toutes les fêtes fuperbes, qui charmèrent
fa cour 8c qui étonnèrent l’Europe, de faire
inviter les femmes de la ville les plus diftinguées, &
4 e les y faire placer fans les féparer des femmes de
la cour. Il honoroit ainfi, dans la plus belle moitié
d’eux-mêmes, ces hommes fages, qui gouvernoient
fous fes yeux une nation heureufe. Que ces magnifiques
fpeôacles doivent charmer un bon citoyen,
quand ils lui offrent ainfi entre-melés dans le même
tableau, ces noms illuftres qui lui rappellent à la fois
& nos jours de vittoire, 8c les fources heureufes du
doux calme dont nous jôuiffons ! Voye\ lés mémoires
du tems, 8c les diverfis relations des fêtes de Louis X IV .
fur-tout de celle de 1668.
La minorité de Louis X V . fournit peu d’ôccafions
de fêtes : mais la cérémonie augufie de fon facre à
Rheims , fit renaître la magnificence qu’on avoit
vue dans tout fon éclat, fous le régné floriffant de
LouisXIV. Voy. Fê t e s d e s Pr in c e s d e l a C o u r
d e Fr a n c e , & c .
Elle s’eft ainfi foûtenue dans toutes les circonf-
tances pareilles ; mais celles où elle offrit ce que la
connoiffance 8c l’amour des Arts peuvent faire imaginer
de plus utile & de plus agréable, femblent avoir
été réfervées au fucceffeur du nom & des qualités
brillantes du cardinal de Richelieu. En lui mille
traits annonçoient à la cour l’homme aimable du
fiecle, aux Arts un p roteôeur, à la France un général.
En attendant ces tems de trouble, où l’ordre
& la paix le fuivirent dans Genes, & ces jours de
vengeance, où une fortereffe qu’on croyoit imprenable
devoit céder à fes efforts, ton génie s’embèllif-
foit fans s’amollir, par les jeux rians des Mufes 8c
des Grâces.
Il éleva dans le grand manège la plus belle, la plus
élégante, la plus commode falle de fpeôacle, dont
la France eût encore joiii. Le théâtre étôit vafie ; le
cadre qui le bordoit, de la plus élégante richeffe, 8c
la découpure de la falle, d’une adreffe affez fingu-
liere, pour que le Roi 8c toute la cour puffent voir
d ’un coup-d’oeil le nombre incroyable de fpeâateurs
qui s’emprefferent d’accourir aux divers f'pe&acles
qu’on y donna pendant tout l’hy ver.
C*eft-là qu’on pouvoit faire voir fucceflivement
& avec dignité les chefs-d’oeuvre immortels qui ont
illuftré la F rance, autant que l’étendue de fon pouvo
ir , 8c plus, peut-être, que fes victoires. C ’étoit
fans doute le projet honorable de M. le maréchal de
Richelieu. Une falle de théâtre une fois élevée le
fuppofe. La fête du moment n’étoit qu’un prétexte
refpe&able, pour procurer à jamais aux Beaux-Arts
un afyle digne d’euxa dans une cour qui les connoît
gui les aunet
Une impulfion de goût & de génie détermina d'abord
l’illuftre ordonnateur de cette fête, à raffem-
b le r , par un enchaînement théâtral, tous les genres
dramatiques*
Il eft beau d’avoir imaginé un enfemble compolê
de différentes parties, q ui, féparées les unes des autres,
forment pour l’ordinaire toutes les éfpeces connues.
L’idée vafie d’un pareil fpeâtacle, ne pouvoit
naître que dans l’efprit d’un homme capable des plus
grandes chofes : & f i , à quelques égards, l’exécution
ne fut pas aufliadmirable qu’on pouvoit l’attendre,
fi les efforts redoublés des deux plus beaux génies de
notre fiecle, qui furent employés à cèt Ouvrage, ont
épuifé leurs reffources faris pouvoir porter ce grand
projet jufqu’à la derniere pérfeétion, cet événement
a du moins cet avantage pour les A r ts , qu’il leur
annonce l’impoflibilité d’une pareille entreprife pour
l’avenir. . * 1
La nouvelle falle de fpediacle, conftruite avec la
rapidité la plus furprenante, par un effor inattendu
de méchanique, fe métamorphofoit à la volonté en
une falle étendue 8c magnifique de bal. Peu de mo-
mens après y avoir vu la rèpréfentation pompeufe
8c touchante d’Armide, on y trouvoit un bal le plus
nombreux & le mieux ordofihé. Les amufemens variés
& choifisfe fuccédoient ainfi tous les jours; 8c
la lumière éclatante des illuminations , imaginées
avec goût, embellies par mille nouveaux deffeins ,
relatifs à la circonftance, 8c dont la riche & prompte
exécution paroiffoit être un enchantement, prê-
toit aux nuits les plus fombres tous les charmes des
plus beaux jours. Veye^ S a l l e d e S p e c t a c l e , I l l
u m i n a t i o n , F e u d ’A r t i f i c e , &c.
Le ton de magnificence étôit p ris , 8c tes fuccef-
feurs de M. le maréchal de Richelieu avoient dans
leur coeur le même defir de plaire, dans leur efprit
Un fonds de connoiffances capables de le bien foûte-
nir, 8c cette portion rare de goût, qui dans ces oc-
cafions devient toûjours comme une efpéce de mine
abondante de moyens & de reffources.
M. le duc d’Aumont, premier gentilhomrnme de
la chambre, qui fuccéda à M. le iôaréchàl de Richelieu,
tenta une grande partie de Ce que celui-ci
avoit courageufement imaginé ; mais il eut i’adreffe
de recourir au feul moyen qui pouvoit lui procurer
le fuccès, 8c il fut éviter l’obftacle qui devoit le faire
échoüer. Dans un grand théâtre , avec d’excel-
lens artiftes, dès aéteurs pleins de zélé 8C de talens ,
que ne peut-on pas efpérér du fecours du merveilleux
, pourvû qu’on fâche s’abftenir de le gâter par
le mélange burlefque du comique ? Sur ce principe ,
M. le duc d’Aumont fit travailler à un ouvrage, dont
il n’y avoit point de modèle. Un combat continuel
de l ’art 8c de la nature en étoit le fond, l’amour en
étoit l’ame, 8c le triomphe de la nature én fut le dénouement.
On n’à point vu à la fois fur les théâtres de l’Eu-
rppe un pareil affemblage de mouvemens 8c de machines
, fi capables de répandre une aimable illu*
fion, ni des décorations d’un deffein plus brillant ,
plus agréable & plus fufceptible d’expreflion. Les
meilleurs chanteurs de l’opéra ; les aéteurs de notre
théâtre les plus fûrs de plaire ; tous ceux
qui brillôient dans la danfe françoife , la feule que
le génie ait inventée, 8c que le gôût puiffe adopter,
furent entre - mêlés avec choix dans le cours de ce
fuperbe fpeRâcle. Aufli vit-on Zulifca àmufer le ro i,
plaire à la cour, mériter les fuffrages de tous les
amateurs dés Arts, 8c captiver ceux de noS meilleurs
artiftes.
Le zele de M. le duc de Géfvrés fut éclairé, ardent,
& foûtenu, comme l’avoit été celui de fés pré-
déceffeurs ; il fembloit que le Roi ne fe fervît que de
la rnême main pour faire éclater aux yeux de l ’Eut
rope fon amour pour les A rts, & fa magnificence. ^
Le zd mariage deM. le Dauphin en 1747 ouvrit
une carrière nouvelle à M. le duc de Gefvres, & il
la remplit de la maniéré la plus glorieufe. Les bals
parés & mafqüés donnés avec l’ordre le plus defira-
b le , de brillantes illuminations, voye1 Illuminat
io n ; les feux d’artifice embellis par des deffeins
nouveaux, v o y e i Feu d’a r t if ic e ; tout cela préparé.
fans embarras, fans confufion, confervant
dans l’exécution cet air enchanteur d’aifance, qui
fait toûjours le charme de ces pompeux amufemens,
ne furent pas les feuls plaifirs qui animèrent le cours
de ces fêtes. Le théâtre du manege fournit encore à
M. le duc de Gefvres des reffources dignes de fon
goût & de celui d’une cour éclairée.
Outre les chefs-d’oeuvre du théâtre françois, qu’on
vit fe fuccéder fur un autre théâtre moins vafie
d’une maniéré capable de rendre leurs beautés encore
plus féduifantes, les opéra de la plus grande
réputation firent revivre fur le théâtre du manège l’ancienne
gloire de Quinault, créateur de ce beau genre
, 8c de L u lli, qui lui prêta tous ces embelliffe-
mens nobles & Amples qui annoncent le génie & la
Supériorité qu’il avoit acquife fur tous les muficiens
de fon tems.
M. le duc de Gefvres fit plus; il voulut montrer
combien il defiroit d’encourager les beaux Arts modernes
, 8c il fit repréfenter deux grands ballets nouveaux,
relatifs à la fête augufie qu’on célebroit, avec
toute la dépenfe, l’habileté, 8c le goût dont ces deux
ouvrages étoient fufceptibles. Vannée galante fit
l’ouverture des fêtes & du théâtre ; les fêtes de l’hymen
8c de l’amour furent choifies pour en faire la
clôture.
Ainfi ce théâtre, fuperbe édifice du goût de M. le
maréchal de Richelieu, étoit devenu l’objet des efforts
8c du zele de nos divers talens ; on y jouit tour-
à-tour des charmes variés du beau chant françois,
de la pompe de fon opéra, de toutes les grâces de
la danfe, du feu , de l’harmonieux accord de fes
fymphonies, des prodiges des machines, de l’imitation
habile de la nature dans toutes les décorations.
On ne s’en tint point aux ouvrages choifis pour
annoncer par de nobles allégories les fêtes qit’on vou-
loit célébrer ; on prit tous ceux qu’on crut capables
de varier les plaifirs. M. le maréchal de Richelieu
avoit fait fuccéder à la Princejfe de Navarre , le Temple
de la Gloire y 8c Jupiter vainqueur des Titans ,
fpeftacle magnifique, digne en tout de l’auteur ingénieux
8c modefte ( M. de Bonne val , pour lors
intendant des menus-plaifirs du R oi), qui avoit eu la
plus grande part à l’exécution des belles idées de
M. le maréchal de Richelieu. Il eft honorable pour
les gens du monde, qu’il fe trouve quelquefois parmi
eux y des hommes aufli éclairés fur les Arts.
On v it avec la fatisfa&ion la plus vive Zelindor9
petit opéra dont les paroles 8c la mufique ont été
infpirées par les grâces, 8c dont toutes les parties
forment une foule de jolis tableaux de la plus douce
volupté.
C ’eft-là que parut pour la première fois Platée,
ce compofé extraordinaire de la plus noble & de la
plus puiffante mufique , affemblage nouveau en
France de grandes images 8c de tableaux ridicules,
ouvrage produit par la gaieté, enfant de la faillie, 8c
notre chef-d’oeuvre de génie mufical qui n eut pas
alors tout le fuccès qu’il méritoit.
Le ballet de la Félicité y allégorie ingénieufe de
celle dont joiiiffoitla France, parut enfuite fous l’ad-
m i n i f t r a t i o n de M. le duc d’Aumont, 8c Zulifca, dont
nous avons parlé, couronna la beauté des fpetta-
clesde l’hyver 1746. On a détaillé l’année 1747.
Les machines nouvelles qui, pendant le long cours
de ces fêtes magnifiques, parurent les plus dignes de
Tome VI,
louange, furent, i° . celle qui d’un coup-d’oeilchan-
geoit une belle falle de fpeétacle en une nîagnifique
falle de bal : i ° . celle qui fervit aux travaux 8c à la
chute des Tirans, dans l’opéra de M. de Bonneval,
mis en mufique par M. de Blamont fur-intendant de
celle du R o i, auteur célébré des fêtes greques 8c romaines
: 30. les catara&es du Nil 8c le débordement
de ce fleuve. Le v ol rapide 8c furprenant du dieu qui
partoit du haut des catara&es, & fe précipitoit au
milieu des flots irrités en maître fuprèmede tous ces
torrens réunis pour fervir fa colere, excita la fur-
prife, 8c mérita le fuffrage de l’affemblée la plus
nombreufe 8c la plus augufie de l’univers. Cette machine
formoit le noeud du fécond a£te des fêtes de
l’Hymen 8c de l’Amour, opéra de MM. de Cahufac
& Rameau, qui fit la clôture des fêtes de cette année.
Elles frirent fufpendues dans l’attente d’un bonheur
qui intéreffoit tous les François. La groffeffe
enfin de madame la dauphine ranima leur joie ; 8c
M. le duc d’Aumont, pour lors premier gentilhomme
de la chambre de fervice, eut ordre de faire les
préparatifs des plaifirs éclatans, où la cour efpéroit
de pouvoir fe livrer.
Je vais tracer ici une forte d’efquiffede tous ces
préparatifs, parce qu’ils peuvent donner une idée
jufte des reffources du génie françois, 8c du bon ca-
rafrere d’efprit de nos grands feigneurs dans les oc-
cafions éclatantes.
On a vu une partie de ce qu’exécuta le goût ingénieux
de M. le duc d’Aumont dans fon année précédente.
Voyons en peu de mots ce qu’il avoit déterminé
d’offrir au ro i, dans l’efpérance où l’on étoit
de la naiffance d’un duc de Bourgogne. L’hiftoire,
les relations, les mémoires, nous apprennent ce que
les hommes célébrés ont fait. La Philofophie va plus
loin ; elle les examine, les p eint, 8c les juge fur ce
qu’ils ont voulu faire.
M. le duc d’Aumont avoit choifi pour fervir de
théâtre aux différens fpe&acles qu’il avoit projettés,
le terrein le plus vafie du parc de Ver/àilles, 8c le
plus propre à la fois à fournir les agréables points
de vûe qu’il vouloir y ménager pour là cour , &
pour la curiofité des François que l’amour national 8c
la curiofité naturelle font courir à ces beaux fpec-
tacles.
La piece immenfe des Suiffes étoit le premier local
où les yeux dévoient être amufés pendant plu-
fieltrs heures par mille objets différens.
Sur les bords de la piece des Suiffes, en face de
, l’orangerie, on avoit placé une ville édifiée avec
art, 8c fortifiée fnivant les réglés antiques.
Pluiîeurs fermes joignant les bords au baflin, élevées
de diftance en dmance fur les deux côtés, for-
moient des amphithéâtres furmontés par des terraf-
fes ; elles portoient 8c foûtenoient les décorations
qu’on avoit imaginées en beaux payfages coupés de
palais, de maifons , de cabanes même. Les parties
ifolées de ces décorations étoient des percées im-
menfes que la difpofition des clairs, des obfcurs, &
dés pofitions ingenieufes des lumières dévoient faire
paroître à perte de vûe.
Tous ceS beaux préparatifs avoient pour objet
l’amufement du Ro i, de la famille royale, & de la
cour, qui dévoient être placés dans l’orangerie, 8c
de la multitude qui aurôit occupé les terraffes fupé-
rieures, tous les bas côtés de la piece des Suiffes ,
&c.
Voici fingénieux, l’élégant, & magnifique arranr
gèment qui avoit été fait dans l’orangerie.
En perfpefrive de la piece des Suiffes 8c de toute
l'étendue de l’orangerie , on avoit élevé une
grande galerie terminée par deux beaux fàllons de
chaque côté, &fuivie dans fes derrières de toutes
les pièces néceffaires pour le fervice. Un grand fa^
E E e e ij