
permis àjPluvinei de jouir plus long-tems dé la confiance
de fon prince. Il y a lieu de croire encore que
les reproches qu’il fait aux éçiiyers de fon tems font
légitimes. L’intérêt & le. de voir fe concilient.rarement
, & il n’eft qu’un fond mépuifable d’amour
pour la patrie qui puiffe porter a fe confacrer d,e
l'ens froid à un état dans lequel on efl néceffairement
contraint d’immoler l’un-à l’autre. Tel fut le fort de
Salomon de-la Broiie. Cette illuftre & malheureufe
viftime de ^honneur &c du zele fe trouva fans ref-
fource, faits appui, n’ayant aucune retraite, & ne
poffédant, pour me fervir de fes propres termes,
qu'un mauvais caveçon ufèprêt a mettre au croc. Accablé
de vieilieffe, d’infirmités ,&c de miferé, Il eut
néanmoins le courage.de mettre au jour un, ouvrage
utile & précieux. Les grands hommes ont feùls
le droit de fe vanger ainfi ; mais lès témoignages
qu’ils laiffent à la poftérité de leurs travaux & dé
leurs mérites, font en même tems des mônurnens
honteux de l’ingratitude & des injuftices qu’ils
éprouvent.
Quelque confidérable que put être alors la fomme
de 30000 liv. par année, fomme quipropoxtionné-
ment au tems où nous vivons, formeroit aujourd’hui
, eu égard à une fémblable fondation, un objet
très-modique , je ne doute point que la nobleffe gratifiée
par le prince, & les bénéficiers, n’euffent lup-
porté avec une forte d’emprelfement cette impofi-
tion & cette charge. Premièrement elle étoit repartie
fur un trop grand nombre de perfoones, pour que
chacune d’elles en particulier pût en être bleffée , &
fouffrir de cette diminution : en fécond lieu les gentilshommes
auroient inconteftablement faifi cette
circbriftance, pour prouver par leur foûmiffion &
par leur zele à contribuer à l’éducation de leurs pareils
, combien ils étoient dignes de la faveur du fou-
verain & des récompenfes dont ils joiiiffoient. Enfin
les bénéficiers eux-mêmes pouffés par cet efprit dé
religion qui doit tous les animer, n’auroient peut-
être recherché que les voies de concourir, .. avec
efficacité à élever un édifice dont le vice dev.oit
être banni, & dans lequel la vertu devoir être cultivée
, infpirée & chérie.
Rien n’eft plus énergique que le difeours que Lucien
met dans la bouche de Solon; ce Syrien qui
nous a laiffé des traits marqués d’une philofophie
épurée, pour rappeller l’idée de l’ancienne vertu
des Athéniens, fait parler ainfi le légiflateur dans
un de fes dialogues. « Nous croyons qu’une ville
» ne confifte pas dans l’endos de fes murailles , mais
>> dans le corps de fes habitans ; c’eft pourquoi nous
'» avons plus de foin de leur éducation que des bâti-
» mens & des fortifications. En leur apprenant à fe
» gouverner dans la paix & dans la guerre, nous les
>> rendons invincibles & la cité imprenable. Après
» que les enfans font fortis de deflous l’aile de leurs
» meres, & dès qu’ils commencent à avoir le corps
» propre au travail & l’efprit capable de raifon &
» de difcipline, nous les prenons fous notre con-
» duite, & nous exerçons l’un & l’autre. Nous croyons
» quela^nature ne nous a pas fait tels que nous de-
>» vons être , & que nous avons befoin d’inftrufrion
w & d’exercice pour corriger nos défauts, & pour
» accroître nos avantages. Semblables à ces jeunes
» plantes que le jardinier foûtient avec des bâtons,
»> & couvre contre les injures de l’air jufqu’à ce
» qu’elles foient affez fortes pour fupporter le chaud
» & le froid, & réfifter aux vents & aux orages.
» Alors on les taille , on les redreffe, on coupe les
» branches fuperflues pour leur faire porter plus de
» finit, on-ôte les bâtons & les couvertures pour les
» endurcir & pour les fortifier ».
Avec de tels principes, & une attention auffi feru-
puieufe à former & à inftruire la jeuneffe, il n’eft
pas étonnant que les Grecs ayent été par les Iois^
par les fçiences, & par les armes, un des plus fameux
peuples de l’antiquité. Les Romains les imitèrent
en ce point. Dès l ’âge de dix-fept ans ils exer-
çoiene leurs enfans à la guerre ; & pendant tout le
tems qu’ils étoient adonnés aux exercices militaires ,
ils etoient nourris aux dépens de la république ou
de l’état. Ils s’appliquoient de plus à en regler le
coeur, à en éclairer l’efprit ; c’eft ainfi qu’ils devinrent
. ns k fofte les maîtres du monde, & qu’ils
etendirent par leurs moeurs autant que parleurs victoires
un empire dont la grandeur fut la récompenfe
de leur fagefîe.
Je ne fai fi l ’examen de la plupart des jeunes gens
qui fortent de nos academies, ne nous rappelleroit
pas l’exemple que nous propofe Xenophon dans un
enfant qui croyoit avoir tout appris, & pofféder
toutes les parties de la fcience de la guerre, tandis
qu’il n’avoit puifé dans l’école que la plus legere
teinture de laTa&ique, &c qu’il n’en avoit remporté
qu’une eftime outrée de lui-même accompagnée d’une
parfaite ignorance. Je ne rechercherai point fi Fou
peut & fi l’on doit comparer les progrès qu’ils y ont
faits avec ceux de leurs premières années (voye^ les
tnots C o llege 0 Etu de) ;. & fi ces mêmes progrès
fe bornent pour les uns & pour les autres à
imiter leurs maîtres dans leurs yêteméns & dans
leurs maniérés, à être très-mal placés à cheval par
la raifon qu’ils y font à leur aife , à tenir leurs coudes
en l’air, à agir fans celle des bras , fans penfer
aux façades que produifent des mouvemens ainfi
defordonnés, & fous le prétexte d’éviter un air af-
fe ô é , à fe vanter par-tout de fautes & d’exploits
qu’ils n’ont jamais faits, à loiier leur adreffé.fur les»
ïauteurs qu’ils n’ont pas même montés, à parler dé
la force de leurs jarrêts , à méconnoîtré jufqu’aux
premiers principes qui indiquent, le plat de la gourmette
, à retenir des mots impropres qu’ils regardent
comme des mots réçus, comme celui de dégeler.
des chevaux, que quelques-uns par une élégante
métaphore fubftituent au mot dénouer ; à faire ufage
enfin de quelques termes généraux qu’ils appliquent
toûjours. mal, & fur le fou venir defquels'ils'fe fon-*
dent pour perfuader, ainfi que l’enfant dont parle
Xenophon, qu’ils ont acquis par la profondeur de
leur favoir l’autorité de juger du mérite des maîtres,’
& de couronner les uns aux dépens des autres; tous
ces détails nous entràîneroient trop loin, & m’écar-
teroient infailliblement de mon but. Les plus grands
légiflateurs ont envifagé comme un point important
du gouvernement, l ’éducation de la jeuneffe; ce
feul point m’arrête & m’occupe. Voiié par goût à
fon inftruûion, & non par néceffité, je crois pouvoir
efpérer que toutes les idées que me fuggéreront
le bien & l’avantage public, ne feront point fufpec-
tes un objet auffi intéreffant doit mettre en effet la
franchife à l’abri des reproches de l’indiferétion dont
elle eft fouvent accompagnée : & pour me prémunir
d’ailleurs contre les efforts d’une baffe jaloufie
dont on n’eft que trop fouvent contraint dé repouffer
vivement les traits , je protefte d’avance contre
toute imputation abfurde, & contre toute maligne
application.
Tout vrai citoyen eft en droit d’attendre des foins
généreux de fa patrie ; mais les jeunes gens, & fur-
tout la nobleffe , demandent une attention fpéciale,
«La fougue des pallions naiffantes , dit Socrate,
» donne à cet âge tendre les fecouffes les plus vio-
» lentes : il eft néceffaire d’adoucir l’âpreté de leur
» éducation par une certaine mefure de plaifir ; &
» il n’eft que les exercices où fe trouve cet heureux
» mélange de travail & d’agrément, dont la prati-
»que confiante puiffe leur agréer & leur plaire ».
Ces exercices font purement du reffort des académies.
Or dès que dans ces écoles nous fommes certains par
ce mélange heureux, de pouvoir parer ail dégoût qu’in-
fpiferoit naturellement une carrière toûjours hérif-
fee d’épines, aü milieu .defquelles on n’appercevroit
pas la moindre fleur, il ne,nous refte qu’a chercher
les frïpyèns d’y mettre un ordre, & de donner à ces
établiflèmens une forme qui en affûre à jamais' Fu-;
tilité.
' Académie. Architecture. Je ne prétends point que
nous devrions néceffairemerit imiter dans la conf-
truôioft de nos académies la fplendeur de céslieux,
autrefois appel!iigyTfihajes, ou les magnifiques éphé-
bées qiié l’on remarquoit au milieu des portiques des
thermes, & qui étoient deftinés aux difféf ens exercices,
qui faifoient parmi lès anciens l’occupation &
l ’amufement de la jeuneffe. Si les maifons qui en tiennent
lieu parmi nous,: étoient des édifices fiables &
perpétuellement confacrés à ce feul objet, fans-doute
qu’elles annonceroient au-dehors & à l’intérieur: la
grandeur du fouverain dont le nom en décore l’entrée.
Quand on confidere cependant l’immenfité
dont devroient être ces collèges militaires, eu égard
ali terfein que demandent de? maneges couverts &
découverts (yoye{ Manege) , des écuries pour les
chevaux fains & pour les chevaux mafadés Ecurie ) , des fenils & des greniers pour les ap-
provifîonnemens de toute efpece, des cours differentes
pour y conftruire des forges (voye[ Forges),
des travails (voyeç Travail) , & pour y dépofér les
fumiers; des àppartemens pour les écuyers, pour
les.officiers & pour les domeftiques de l’nôtel, pour
les cuifines, les offices & les falles à manger, des
fa lies d’exercices, des chapelles, des logemêns multi- :
pliés & appropriés aux divers âges des penfionnai-
res, à leur état, à leur faculté, à leur fuite plus ou
moins nombreufe, Oc. on eft étonné que l’on ait imaginé
pouvoir raffembler & réunir toutes ces vues
dans, des. lieux fouvent fi refferrés, qu’à peine certains
particuliers pourroient-ils y établir & y fixer
leur domicile. Il feiroit par confequent à fouhaiter
que les villes, qui ont l’avantage de renfermer dans
leur fein dé femblables écoles, biffent tenues de con-
ftruire Si d’entretenir dès. bâtimens convenables, &
toûjoiirs affeéiés à ces collégès; non-feulement les
élevés y feroientplus décemment, mais l’état en général
fe reffentiroit des fommes qu’une foule d’étrangers
, également attirés par .l’attention avec laquelle
ces fortes d’établiffemens feroient alors foûtenus &
envifagés,& par la réputation de ceux qui en feroient
les chefs, répandroient dans le royaume ; & chacune
de ces villes en particulier feroit par leur abord & par
l ’affluence*des académiftes nationnaux, amplement
dédommagée des dépenfes dans lefquelles elles auroient
été primordialement engagées. Je conviens
que ces premiers frais feroient au-deffus des forces
des villes de la plûpart des provinces ; mais de pareils
projets ne peuvent avoir leur exécution que dans de
grandes villes, foit parce qu’il eft plus facile d’y fixer
d’excellens maîtres en tout genre, foit parce qu’elles
trouvent plus aifément en elles-mêmes, & dans leur
propre opulence, les reffources néceffaires. Le vafte
édifice élevé depuis peu par la ville de Strasbourg,
& le plan de celui dont la ville d’Angers fe propofe de
jetter inceffamment les fondemens, nous en offrent
line preuve. D ’ailleurs fi telle étoit leur impuiffance
que cette loi leur fut réellement à charge, & qu’elles
en fouffriffent véritablement, onpourroit exiger une
forte de contribution des villes & des provinces que
leur proximité mettroit en quelque façon dans le di-
ftrift de ces académies ; car dès que ces mêmes provinces
profiteroient de ces écoles, il eft jufte qu’elles
y concourent proportionnément à leurs facultés.
Chefs d'académie. L’opinion de ceux qui limitent les
devoirs des chefs d’académie dans l’enceinte étroite de
Tome VI\
leur manege, feroit-olle un préjugé dont ils nepour-
roient revenir ? Pluvinel & la Broue ne penfoientpas
ainfi ; ils étendoient ces devoirs à tout,& fe recribient
avec raifon l’un & l’autre fur la difficulté de rencon-
tter des hommes d’un mérité affez éminent pour les
remplir.
Exercices du corps. Ne fournir à de. jeunes gôns
dans le manege que des inftruaions qui n’ont pour
tout fondement qu’une'aveugle'routïnê & ne les
faire agir que conféquemment à ce que’nous pra-
tiquons nous-mêmes fimplement par habitude c’efl:
léur propôfer notre ignorance pour modèle, c’eft
leur faire énvifager l’art par des difficultés qu’il leur
fera impèffible de furmonter, & que des nmtreS qui
enfeigrient ainfi, n’ont jamais eux-mêmes vaincues.
L’exécution eft d’une nécéffité indifpenfable , j’en
conviens ; nos écoles doivent être pourvûes de chevaux
de toute efpece, fufceptibles de tous les mouvemens
poffibles, dreffés à toutes fortes d’àirs ; il eft
de plus important que rtOus leur fuggériohs plus ou
moins, de fineffe ,.que nous les approprioris à'id'for-
cè & à i ’avàncement de nos élèves, que fiéùsïes divi-
fiuiis eh différentes claffes , pour ainfi dite , afin de
faire infenfiblement parcourir-à nos difciples cette
forte d’echélle, s’il m’eft permis d’ufer'de cette ex-»'
preffion, qui marque lès différentes gradations des
lumières & des cônnoiffances : or croirà-t-on que
toutes ces attentions puiffent avoir lieu par le fècours
de la pratique feule, & imaginera-t-on férieufement
qu’il foit permis déformer une ïiaifon, un enchaînement
utile de principes, dès qu’on n’en eft pas éclairé
foi-même ? Que réfulteroit-il d’une école dont lo chef
ne rapporteroit d’autre .titre de. fon favoir, qu’une
expérience toûjours ftérile, dès qu’elle eft informe,
ou dont tout le mérite confifteroit dans le frivole
avantage, ou plûtôt dans la honte réelle d’avoir inutilement
vieilli; d’un côté ce même maître deviendront
avec raifon le jufte objet du mépris des perfon-
nes inftruites ; & de l’autre les académiftes doiiés de
la faculté de fe mouvoir, & non de réfléchir & d’ob-
ferver, feroient à-peu-près à cet égard femblables à
ces machines & à ces automates qui n’agiffent que
fans choix & par reffort. Saint Èvremont d it, que les
docteurs de morale s’en tiennent ordinairement à la théorie
, & defeendent rarement à la pratique. Ne pourroit-
on pas appliquer le féns contraire de cette vérité à la
plupart des écuyers? Il eft cependant certain que fans
la théorie, fans des préceptes dont le cheval attefte
fur le champ, dès qu’ils font mis en ufage, la certitude
& l’évîdénce par fon obéiffânee & par fa foûmiffion ;
| il eft abfolument impoffible de montrer, d’applanir ,
j & d’abréger les routes de la fcience, d’affûrer les pas
des éleves, & de créer des fujets. Des leçons particulières
fur les principes de Fart, données chaque
jour de travail, à une heure fixe, aux commençais
par les maîtres changés de les initier, aux difcipïel
plus avancés, par le chef même de l’école, feroient
donc effentielles & faciliteroient l’intelligence des
maximes, qu’on ne peut entièrement développer
dans le cours de l’exercice. Mais bien loin de fatisfaire
la curiofité des académiftes , on blâme communément,
dans la plus grande partie d’entre eux; le'defir
louable de s’inftruire ; quels que foient les vains dehors
dont on fe pare, ori a toûjours un fentiment intime
& fecret de fon infuffifance : on redoute donc
les epreuves , on élude jufqu’aux moindres quef-
tions ;. parce qu’elles font la pierre de touche ae la
capacité, & qu’elles ne peuvent que provoquer la
chûte du mafque dont on fe couvre.
Les courfes de tête & de bague font fans doute
utiles. Ces fortes de jeux militaires, qui de tous ceux
que Fon pratiquoit autrefois font les feuls en ufa<*e
parmi nous, donnent à de jeunes gens de Fadreffe
de la vigueur, & excitent en eux upe nohle émula.-»
t ; ■*