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foible reffource pour l’agriculture ; mais c’eft la
feule pour les propriétaires dépourvûs de fermiers.
Les fermiers eux - mêmes ne peuvent profiter que
par la fupériorité de leur culture, & par la bonne
qualiié des terres qu’ils cultivent ; car ils ne peuvent
gagner qu’autant que leurs récoltes furpaffent
leurs dépenfes. S i, la femence & les frais prélevés,
un fermier a un feptier de plus par arpent, c’eft ce
qui fait fon avantage ; car quarante arpens enfe-
mencés en b lé , lui forment alors un bénéfice de
quarante feptiers, qui.valent environ 600 livres ; 6c
s’il cultive li bien qu’il puiffe avoir pour lui deux
feptiers par arpent, fon profit eft doublé. Il faut pour
cela que chaque arpent de terre produife fept à huit
feptiers ; mais il ne peufobtenir ce produit que d’une
bonne terre. Quand les terres qu’il cultive font les
unes bonnes 6c les autres mauvaifes, le profit ne
peut être que fort médiocre.
Le payfan qui entreprendroit de cultiver du blé
avec fes bras, ne pourroit pas fe dédommager de
fon travail ; car il en cultiveroit li peu, que quand
même il auroit quelques feptiers de profit au-delà
de fa nourriture 6c de fes fra is, cet avantage ne
pourroit fuffire à fes befoins : ce n’eft que fur de
grandes récoltes qu’on peut retirer quelque profit.
C ’eft pourquoi un fermier qui employé plulieurs
charrues, 6c qui cultive de bonnes terres , profite
beaucoup plus que celui qui eft borné à une feule
charrue , 6c qui cultiveroit des terres également
bonnes : 6c même dans ce dernier cas les frais font,
à bien des égards, plus confidérables à proportion.
Mais li celui qui eft borné à une feule charrue manque
de richeffes pour étendre fon emploi, il fait
bien de fe reftreindre , parce qu’il ne pourroit pas
fubvenir aux frais qu’exigeroit une plus grande en-
treprife.
L’Agriculture n’a pas, comme le Commerce, une
reffource dans le crédit. Un marchand peut emprunter
pour acheter de la marchandife, ou il peut l’acheter
a crédit, parce qu’en peu de teins le profit 6c le
fonds de l’achat lui rentrent ; il peut faire le rem-
bourfement des fommes qu’il emprunte : mais le laboureur
ne peut retirer que le profit des avances
qu’il a faites pour l’agriculture ; le fonds refte pour
foûtenir là même entreprife de culture ; ainli il ne
peut l’emprunter pour le rendre à des termes pré-
fixs ; 6c fes effets étant en mobilier, ceux qui pour-
roient lui prêter n’y trouveroient pas affez de fureté
pour placer leur argent à demeure. Il faut donc que
les fermiers foient riches par eux-mêmes ; 6c le gouvernement
doit avoir beaucoup d’égards à ces cir-
conftances, pour relever un état £ effentiel dans le
royaume.
Mais on ne doit pas efpérer d’y réuffir, tant qu’on
imaginera que l’agriculture n’exige que des hommes
& du travail ; & qu’on n’aura pas d’égard à la fureté
& au revenu des fonds que le laboureur doit avancer.
Ceux qui font en état de faire ces dépenfes ,
examinent, 6c n’expofent pas leurs biens à une perte
certaine. On entretient le blé à un prix très-bas,
dans un fiede où toutes les autres denrées 6c la
main-d’oeuvre font devenues fort cheres. Les dépenfes
du laboureur fe trouvent donc augmentées
de plus d’un tiers, dans le tems que fes profits font
diminués d’un tiers ; ainfi il fouffre une double perte
qui diminue fes facultés, 6c le met hors d’état
de foûtenir les frais d’une bonne culture : auffi
l’état de fermier ne fubfifte-t-il prefque plus ; l’agriculture
eft abandonnée aux métayers, au grand préjudice
de l’état.
Ce ne font pas Amplement les bonnes ou mauvaifes
récoltes qui règlent le prix du blé ; c’eft principalement
la liberté ou la contrainte dans le commerce
de cette denrée, qui décide de fa valeur. Si
on veut en reftraindre ou en gêner le commerce dans
les tems des bonnes récoltes, pn dérange les produits
de l’agriculture, on affoiblit l’état, on diminue le
revenu des propriétaires des terres, on fomente la
pareffe & l’arrogance du domeftique 6c du manou-
vrier qui doivent aider à l’agriculture ; on ruine les
laboureurs, on dépeuple les campagnes. Ce ne fe-
roit pas connoître les avantages de la France , que
d’empêcher l’exportation du blé par la crainte d’en
manquer, dans un royaume qui peut en produire
beaucoup plus que l’on n’en pourroit vendre à l’étranger.
La conduite de l’Angleterre à cet égard, prouve
au contraire qu’il n’y a point de moyen plus fur pour
foûtenir l’agriculture, entretenir l’abondance 6c obvier
aux famines, que la vente d’une partie des récoltes
à l’étranger. Cette nation n’a point effuyé de
cherté extraordinaire ni de non-valeur du blé , depuis
qu’elle en a favorifé 6c excité l’exportation.
Cependant je crois qu’outre la retenue des blés
dans le royaume, il y a quelqu’autre caufe qui a contribué
à en diminuer le prix ; car il a diminué ai.*!
en Angleterre affez confidérablement depuis un tems,
ce qu’on attribue à l’accroiffement de l’agriculture
dans ce royaume. Mais on peut préfumer auffi que
le bon état de l’agriculture dans les colonies, fur-
tout dans la Penfyïvanie, où elle a tant fait de progrès
depuis environ cinquante ans, 6c qui fournit
tant de blé 6c de farine aux Antilles & en Europe ,
en eft la principale caufe, 6c cette caufe pourra s’accroître
encore dans la fuite : c’eft pourquoi je borne
le prix commun du blé en France à 18 livres,
en fuppofant l’exportation 6c le rétabliffement de la
grande culture ; mais on feroit bien dédommagé par
l’accroiffement du produit des terres, 6c par un débit
affuré & invariable, qui foûtiendroient conftam-
ment l’agriculture.
La liberté de la vente de nos grains à l’étranger,
eft donc un moyen effentiel & même indifpenfable
pour ranimer l’agriculture dans le royaume ; cependant
ce feul moyen ne fuffit pas. On appercevroit à
la vérité que la culture des terres procureroit déplus
grands profits ; mais il faut encore que le cultivateur
ne foit pas inquiété par des impositions arbitraires
6c indéterminées : car fi cet état n’eft pas protégé,
on n’expofera pas des richeffes dans un emploi fi dangereux.
La fécimté dont on jouit dans les grandes
ville s , fera toujours préférable à l’apparence d’un
profit qui peut occafionner la perte des fonds nécef-
faires pour former un établiffement fi peu folide.
Les enfans des fermiers redoutent trop la milice *
cependant la défenfe de l’état eft un des premiers devoirs
de la nation : perfonne à la rigueur n’en eft
exempt, qu’autant que le gouvernement qui réglé
l’emploi des hommes, en difpenfe pour le bien de
l’état. Dans ces vûes, il ne réduit pas à la fimple
condition de foldat ceux qui par leurs richeffes ou
par leurs profeffions peuvent être plus utiles à la
ibciété. Par cette raifon l’état du fermier pourroit
être diftingué de celui du métayer, fi ces deux états
étoient bien connus.
Ceux qui font affez riches pour embraffer l’état
de fermier, ont par leurs facultés la facilité de choifir
d’autres profeflions ; ainfi le gouvernement ne peut
les déterminer que par une protection décidée, à fe
livret à l’agriculture *.
* La petite quantité d’enfans defermiers que là milice en-
leve, eft un fort petit objet ; mais ceux quelle détermine à
abandonner la profeflionde leurs peres, méritent une plus
grande attention par rapport à l’Agriculture qui fait la
vraie force de l’état. U y a aéfcuellement, félon M. Dupré de
Saint-Maur, environ les f du royaume cultivés avec des
boeufs: ainli il n’y a qu’un huitième des terres cultivées par
des fermiers , dont le nombre ne va pas à 30000, ce qui ne
peut pas fournir 1000 miliciens fils de fermiers. Cette petite
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lettons lès yeux fur un objet qui n’eft pas moins
important que la culture des grains, je veux dire fur
le profit des beftiaux dans l’état a&uel de l’agriculture
en France.
Les 30 millions d’arpens traités par la petite culture
, peuvent former 375 mille domaines de chacun 80
arpens en culture. En fuppofant 12 boeufs par domain
e , il y a 4 millions 500000 boeufs employés à la culture
de ces domaines : la petite culture occupe donc
pour le labour des terres 4 ou 5 millions de boeufs.
On met un boeuf au travail à.trois ou quatre ans ; il y
en a qui ne les y laiffent que trois, quatre, cinq ou fix
ans : mais la plupart les y retiennent pendant fept,
huit ou neuf ans. Dans ce cas on ne les vend à ceux
qui les mettent à l’engrais pour la boucherie, que
quand ils ont douze ou treize ans ; alors ils font moins
bons, 6c on les vend moins cher qu’ils ne valoient
avant que de les mettre au labour. Ces boeufs occupent
pendant long-tems des pâturages dont on ne tire
aucun profit; au lieu que fi on ne faifoit ufage de ces
pâturages que pour élever Amplement des boeufs juf-
qu’au tems oîi ils feroient en état d’être mis à l’engrais
pour la boucherie, ces boeufs feroient renouvellés
tous les cinq ou fix ans.
Par la grande culture les chevaux laiffent les pâturages
libres ; ils fe procurent eux-mêmes leur nourriture
fans préjudicier au profit du laboureur, qui
tire encore un plus grand produit de leur travail que
de celui des boeufs ; ainfi par cette culture on met-
troit à profit les pâturages qui fervent en pure perte
à nourrir 4 ou 5 millions de boeufs que la petite culture
retient au labour, & qui occupent, pris tous en-
femble, au moins pendant fix ans, les pâturages qui
pourroient fervir à élever pour la boucherie 4 ou 5
autres millions de boeufs.
Les boeufs, avant que d’être mis à l’engrais pour
la boucherie, fe vendent différens prix, félon leur
groffeur: le prix moyen peut être réduit à 100 liv.
ainfi 4 millions 500 mille boeufs qu’il y auroit de fur-
croît en fix ans, produiroient 450 millions de plus
tous les fix ans. Ajoutez un tiers de plus que produi-
roit l’engrais ; le total feroit de 600 millions, qui,
divifés par fix années, fourniroient un profit annuel
de 100 millions. Nous ne confidérons ce produit que
relativement à la perte des pâturages ou des friches
abandonnés aux boeufs qu’on retient au labour ; mais
ces pâturages pourroient pour la plupart être remis
en culture , du moins en une culture qui fournirait
plus de nourriture aux beftiaux : alors le produit en
feroit beaucoup plus grand.
Les troupeaux de moutons préfentent encore un
avantage qui feroit plus confidérable, par l’accroiffement
du produit des laines 6c de la vente annuelle
quantité eft zéro dans nos armées : mais 4060 qui font effrayés
& qui abandonnent les campagnes chaque fois qu’on
tire la milice, font un grand objet pour la culture des terres.
Nous ne parlerons ici que des laboureurs qui cultivent
avec des chevaux ; car ( félon l’auteur de cet article) les
autres n’en méritent pas le nom. Or il y a environ fix ou
fept millions d’arpens de terre cultivée par des chevaux,
ce qui peut être l’emploi de 30000 charmes, à n o arpens
par chacune. Une grande partie des fe rm ie r s ont deux charrues
: beaucoup en ont trois.. Ainfi le nombre des fermiers
qui cultivent par des chevaux, ne va guere qu’à 30000 : fur-
tout fi on ne les confond pas avec les propriétaires nobles
& privilégiés qui exercent la même culture. La moitié de
ces fermiers n’ont pas des enfans en âge de tirer à la milic
e ; car ce ne peut être qu’après dix-huit ou vingt ans de
leur mariage qu’ils peuvent avoir un enfant à cet âg e , & il
y a autant de femelles que de mâles. Ainfi il ne peuf pas y
avoir 10000 fils d e fe rm ie r s en état de tirer à la milice : une
partie s’enfuit dans les villes : ceux qui relient expofés au
fort, tirent avec les autres payfans ; il n’y en a donc pas
mille, peut-être pas cinq cents, qui échoient à la milice.
Quand le nombre des fermiers augmenteroit autant qu’il eft
olfible, l’état devrait encore les protéger pour le foûtien de
Agriculture, & en faveur des contributions confidérables
qu’il en retirerait. N o te des E d iteu r s .
de ces beftiaux. Dans les 375 mille domaines cultivés
par des boeufs, il n’y a pas le tiers des troupeaux
qui pourroient y être nourris , fi ces terres étoient
mieux cultivées, 6c produifoient une plus grande
quantité de fourrages. Chacun de ces domaines avec
les friches nourriroit un troupeau de 2 5.0 moutons ;
ainfi une augmentation des deux tiers feroit environ
de 250 mille troupeau^, ou de 60 millions de moutons,
qui partagés en brebis, agneaux, & moutons
proprement dits, il y auroit 30 millions de brebis qui
produiroient 30 millions d’agneaux, dont moitié feroient
mâles ; on garderoit ces mâles, qui forment
des moutons que l ’on vend pour la boucherie quand
•ils ont deux ou trois ans. On vend les agneaux femelles
, à la referve d’une partie que l’on garde pour
renouveller les brebis. Il y auroit 15 millions d’agneaux
femelles ; on en vendroit 10 millions, qui,
à 3 liv. piece, produiroient 30 millions.
Il y auroit 15 millions de moutons qui fe fuccé-
deroient tous les ans ; ainfi ce feroit tous les ans 15
millions de moutons à vendre pour la boucherie, qui
étant fuppofés pour le prix commun à huit livres la
pie ce , produiroient 120 millions. On vendroit par
an cinq millions de vieilles brebis, q u i, à 3 livres
piece, produiroient 15 millions de livres. Il y auroit
chaque année 60 millions de toifons (non compris
celles des agneaux) , qui réduites les unes avec les
autres à un prix commun de 40 fous la toifon, produiraient
12Q millions ; l’accroiffement du produit
annuel des troupeaux monterait donc à plus de 285
millions ; ainfi le furcroît total en blé, en boeufs ôc
en moutons, feroit un objet de 685 millions.
Peut-être objeélera-t-on que l’on n’obtiendroit pas
ces produits fans de grandes dépenfes. Il eft vrai que
fi on examinoit Amplement le profit du laboureur ,
il faudrait en fouftraire les frais ; mais en envifageant
ces objets relativement à l’é ta t , on apperçoit que
l’argent employé pour ces frais refte dans le royaume
, 6c tout le produit fe trouve de plus.
Les obfervations qu’on vient de faire fur l’aceroifi
fement du produit des boeufs & des troupeaux, doivent
s’étendre fur les chevaux, fur les vaches, fur
les veaux, fur les porcs, fur les volailles, für les
vers à foie, &c. car par le rétabliffement de la grande
culture on auroit de riches moiffons, qui procureraient
beaucoup de grains, de légumes & de fourrages.
Mais en faifant valoir les terres médiocres par
la culture des menus grains, des racines, des herbages
, des prés artificiels, des mûriers, &c. on multiplierait
beaucoup plus encore la nourriture des beftiaux
, des volailles, & des vers à foie, dont il réful-
teroit un furcroît de revenu qui feroit auffi confidérable
que celui qu’on tireroit des beftiaux que nous
avons évalués ; ainfi il y auroit par le rétabliffement
total de la grande culture, une augmentation continuelle
de richeffes de plus d’un milliard.
Ces richeffes fe répandraient fur tous les habitans ,
elles leur procureraient de meilleurs alimens, elles
fatisferoient à leurs befoins, elles les rendraient heureux
, elles augmènteroient la population, elles accroîtraient
les revenus des propriétaires & ceux de
l’état.
Les frais de la culture n’en feroient guere plus confidérables
, il faudroit feulement de plus grands fonds
pour en former l’établiflement ; mais ces fonds manquent
dans les campagnes, parce qu’on lés a attirés
dans les grandes villes. Le gouvernement qui fait
mouvoir les refforts de la fociété, qui difpofe de
l’ordre général, peut trouvér les expédiera convenables
6c intéreffans pour les faire retourner d’eux-
mêmes à l’agriculture, où ils feroient beaucoup plus
profitables aux particuliers, & beaucoup plus avantageux
à l’état. Le lin, le chanvre, les laines , la
foie, &c. feroient les matières premières de nos ma