
approcher de ceux de la culture qui fe fait avec les
chevaux. Mais cet ufage ne peut avoir lieu avec les
métayers ; il faut que le propriétaire qui fait la dépen-
fe des troupeaux, fe charge lui-même du gouvernement
de cette forte de culture; de-là vient qu’elle
n’eft prefque pas ufitée. Elle n’eft pas même préférée
par les propriétaires qui font valoir leurs terres dans
les pays oit l’on ne cultive qu’avec des boeufs ; parce
qu’on fuit aveuglément l’ulage général. Il n’y a que
les hommes intelligens & inftruits qui peuvent fe pré-
ferver des erreurs communes, préjudiciables à leurs
intérêts : mais encore faut-il pour réulîir qu’ils foient
en état d’avancer les fonds néceffaires pour l ’achat
des troupeaux & des autres beftiaux, & pour fub-
venir aux autres dépenfes, car l’établiffement d’une
bonne culture eft toujours fort cher.
Outre la confommation de l’avoine, il faut encore
, pour la nourriture des chevaux , du foin & du
fourrage. Le fourrage eft fourni par la culture du
blé ; car la paille du froment eft le fourrage qui convient
aux chevaux ; les pois, les veffes, les féverol-
les, les lentilles, &c. en fourniftent qui fuppléent au
foin: ainfi par le moyen de ces fourrages, les chevaux
ne confomment point de foin, ou n’en confondaient
que fort peu ; mais la confommation des
pailles & fourrages eft avantageufe pour procurer
des fumiers : ainfi l’on ne doit pas la regarder comme
une dépeni’e préjudiciable au cultivateur.
Les chevaux par leur travail fe procurent donc
eux-mêmes leur nourriture, fans diminuer le profit
que la culture doit fournir au laboureur.
11 n’en eft pas de même de la culrure ordinaire qui
fe fait avec les boeufs, car les récoltes ne fourniftent
pas la nourriture de ces animaux, il leur faut des pâturages
pendant l’été & du foin pendant l’hy ver. S’il
y a des laboureurs qui donnent du foin aux chevaux,
c.e n’eft qu’en petite quantité, parce qu’on peut y
fuppléer par d’autres fourrages que les grains de Mars
fourniftent : d’ailleurs la quantité de foin que douze
boeufs confomment pendant l’hy ver & lorique le pâturage
manque, furpafte la petite quantité que qua
tre chevaux en confomment pendant l’année ; ainfi il
y a encore à cet égard de l’épargne fur la nourriture
des chevaux : mais il y a de plus pour les boeufs que
pour les chevaux , la dépenfe des pâturages.
Cette dépenfe paroît de peu de conféquence, cependant
elle mérite attention ; car des pâturages propres
à nourrir les boeufs occupés à labourer les terres,
pourroient de même fervir à élever ou à nourrir d’autres
beftiaux, dont onpourroit tirer annuellement un
profit réel. Cette perte eft plus confidérable encore,
îorfque les pâturages peuvent être mis en culture : on
ne fait que trop combien , fous le prétexte de con-
ferver des pâturages pour les boeufs de labour, il
refte de terres en friche qui pourroient être cultivées.
Malheureufement il eft même de l’intérêt des métayers
de cultiver le moins de terres qu’ils peuvent,
afin d’avoir plus de tems pour faire des charois à leur
profit. D ’ailleurs il faut enclore de haies, faites de
branchages, les terres enfemencées pour les garantir
des boeufs qui font en liberté dans les pâturages ;
les cultivateurs employent beaucoup de tems à foire
ces clôtures dans une laifon oit ils devroient être occupés
à labourer les terres. Toutes ces caufes contribuent
à rendre la dépenfe du pâturage des boeufs
de labour fort onéreufe ; dépenfe qu’on évite entièrement
dans les pays oit l’on cultive avec des chevaux
: ainfi ceux qui croyent que la nourriture des
boeufs de labour coûte moins que celle des chevaux,
fe trompent beaucoup.
Un propriétaire d’une terre de huit domaines a
environ c&Mboeufs de labour, qui lui coûtent pour
leur nourriture au moins 4000 liv. chaque année, la
dépenfe de chaque boeuf étant eftimée à 40 liy, pour
la confommation des pacages & du foin ; -dépenfe
qu’il éviteroit entièrement par l’ufage des chevaux.
Mais fi i’on confidere dans le vrai la différence des
produits de la culture qui fe fait avec les boeufs, &
de celle qui fe fait avec les chevaux, on appercevra
qu’il y a moitié à perdre fur le produit des terres qu’on
cultive avec des boeufs. Il faut encore ajoûter la
perte du revenu des terres qui pourroient être cultivées
, & qu’on laiffe en friche pour le pâturage des
boeufs. De plus, il faut obferver que dans les .tems
fecs où les pâturages font arides, les boeufs trouvent
peu de nourriture, & ne peuvent prefque pas travailler:
ainfi le défaut de fourrage & de fumier, le
peu de travail, les charrois des métayers, bornent
tellement la culture, que les terres, même les terres
fort étendues, ne produifent que très-peu de revenu,
& ruinent fouvent les métayers & les propriétaires.
On prétend que les fept huitièmes des terres du
royaume font cultivées avec des boeufs : cette efti-
mation peut au moins être admife, en comprenant
fous le même point de vue les terres mal cultivées
avec des chevaux, par des pauvres fermiers, qui ne
peuvent pas fubvenir aux dépenfes néceffaires pour
une bonne culture. Ainfi une partie de toutes ces terres
font en friche, & l ’autre partie prefqu’en friche ;
ce qui découvre une dégradation énorme de l’agriculture
en F rance, par le défaut de fermiers.
Ce defaftre peut être attribué à trois caufes, i ° à
la delertion des enfans des laboureurs qui font forcés
à fe réfugier dans les grandes villes, où ils portent les
richeffes que leurs peres employent à la culture des
terres : i° aux impofitions arbitraires, qui ne laiffent
aucune sûreté dans l’emploi des fonds néceflàiies
pour les dépenfes de l’agriculture : 3°à la gêne, à laquelle
on s’ eft trouvé aflùjetti dans le commerce des
grains.
On a cru que la politique regardoit l’indigence des
habitans de la campagne, comme un aiguillon n é c e f *
faire pour les exciter au travail : mais il n’y a point
d’homme oui ne fache que les richeffes font le grand
reffort de Tagricult'ure, &. qu’il en faut beaucoup
pour bien cultiver. V o y e { l 'a r t i c le p r é c é d e n t F er-'
Mier , { E c o n , rufl.'). Ceux qui en ont ne veulent pas
être ruinés : ceux qui n’en ont pas tra vailieroient inutilement
, & les hommes ne font point excités au travail,
quand ils n’ont rien à efpérer pour leur fortune ;
leur a&ivité eft toûjours proportionnée à leurs fuc-
cès. On ne peut donc pas attribuer à la politique des
vûes fi contraires au bien de l’état, fi préjudiciables^
au fouverain, & fi defavantageufes aux propriétaires'
des biens du royaume.
Le territoire du royaume contient environ cent
millions d’arpens. On fuppofe qu’il y en a la moitié
en montagnes, bois, près, vignes, chemins, terres
ingrates, emplacemens d’habitations, jardins, herbages
, ou prés artificiels, étangs, & rivières ; & que
le refte peut être employé à la culture des grains.
On eftime donc qu’il y a cinquante millions d’arpens
de terres labourables dans le royaume ; fi on
y comprend la Lorraine, on peut croire que cette
eftimation n’eft pas forcée. Mais, de ces cinquante
millions d’arpens, il eft à prél'umer qu’il y en a plus
d’un quart qui font négliges ou en friche.
Il n’y en a donc qu’environ trente-fix millions qui
font cultivés, dont fix ou fept millions font traités
par la grande culture, & environ trente millions cultivés
avec des boeufs.
Les fept millions cultivés avec des chevaux,font
affolés par tiers : il y en a un tiers chaque année qui
produit du b lé, & qui année commune peut donner
par arpent environ fix feptiers, femence prélevée,
La foie donnera quatorze millions de feptiers.
Les trente millions traités par la petite culture
font affoles par moitié. La moitié qui produit la récolte
Coite h’eft pas toute énfemencée en blé , il y en a
Ordinairement le quart en menus grains ; ainfi il n’y
auroit chaque année qu’environ onz!e millions d’arpens
enfemêncés en blé. Chaque arpent, année commune
^ peut produire par cette culture environ trois
feptiers de b lé, dônt il faut retrancher la femence ;
ainfi là foie donnera 18 millions de feptiers.
Le produit total des deux parties eft 42 millions. '
On eftime, félon M. Dupré de Saint-Maur, qu’il
y a environ feize millions a’habitans dans le royaume.
Si chaque habitant confommoit trois feptiers
de blé, là conforiimation totale feroit de quarante-
huit millions de feptiers: mais de feize millions d’ha-
bitans, il en meurt moitié avant l’âge de quinze ans.
Ainfi de feize millions il n’y en a que huit millions
qui paffent l’âge de 15; ans, & leur confommation
annuelle en blé ne paffe pas vingt-quatre millions
de feptiers. Suppofoz-en la moitié encore pour les
enfans aü-deffous de l’âge de 15 ans, la confommation
totale fera trente-fix millions de feptiers. M. Dupré
de Saint-Maur eftime nos récoltes en b lé , année
commune, à trente-fept millions de feptiers ; d’où il
paroît qu’il n’y auroit pas d’excédent dans nos récoltes
en blé. Mais il y a d’autres grains & des fruits dont
les payfans font ufage pour leur nourriture : d’ailleurs
je crois qu’en eftimantle produit de nos récoltes
par les deux fortes de cultures dont nous venons ;
de parler, elles peuvent produire, année commune,
quarante-deux millions de feptiers.
Si les 50 millions d’arpens de terres labourables (a)
qu’il y a pour le moins dans le royaume, étoient tous
traites par la grande culture, chaque arpent de terre,
tant bonne que médiocre, donneroit, année commune
, au moins cinq feptiers, femence prélevée : le
produit du tiers chaque année, feroit 85 millions de
feptiers de blé ; màis il y auroit au moins unhuitieme
de ces terres employé à la culturé des légumes, du
lin , du chanvre, &c. qui exigent de bonnes terres ôc
une bonne culture ; il n’y auroit donc par an qu’environ
quatorze millions d’arpens qui porteroient du
b lé , & dont le produit feroit 70 millions de feptiers.
Ainfi l’augmentation dé récolte feroit chaque année
, de vingt-fix millions de feptiers.
Ces vingt-fix millions de feptiers feroient furabon-
'dans dans le royaume, puifque les récoltes a&uelles
font plus que fuffifontes pour nourrir les habitans :
car onpréîùme avecràifon qu’elles excédent, année
commune, d’environ neuf millions de feptiers.
Ainfi quand on füppbfèroit à l’avenir un furcroît
d ’habitans fort confidérable, il y auroit encore plus
de 26 millions de feptiers à vendre à l’étranger.
Mais il n’èft pas vraiffemblable qu’on pût en vendre
à bon prix ühe fi- grande quantité. Les Anglois
n’en exportent pas plus d’un million chaque année ;
la Barbariè n’èn exporte pas un million de feptiers.
Leurs colonies, fur-tout la Penfylvâniequi eft extrêmement
fertile, en exportent à-peu-près autant. Il
en fort aufli de la Pologne-environ huit cents mille
tonneaux, ou fept millions de feptiers ; ce qui fournit
lei nations qui en achètent. Elles ne le payent pas
même fort chèrement, à en juger par le prix que les
Anglois lé vendent ; mais on pfeut toûjours conclure
de-là que nous ne pourrions pas leur véndre vingt-
fix millions de feptiers de blé , du moins à un prix
qui pût dédommager le laboureur de fes frais.
Il faut donc envifager par d’âütrés côtés les produits
de l’agriculture, portée au degré le plus avantageux.
Les profits fiir les bèftiâux ên forment la partie la
plus confidérable. Là culture du blé exige beaucoup
de dépenfes. La vente dé ce grain eft fort inégale ; fi
(a) Selon la carte de M. de Caflini, il y a en tout environ:
cent vingt-cinq millions d’arpens ; la moitié pourrait être cul-
, tivée en blé.
T<uat
ïë laboureur eft forcé de le vendre à bas prix, ou de
le garder, il ne peut fe foûtenir que par les profits
qu’il fait fur les beftiaux» Mais la culture des grains
n’en eft pas moins le fondement & l’effenee de fon
état : ce n’eft que -par elle qu’il peut nourrir beaucoup
de beftiaux; car il ne füffit pas pour les beftiaux d’avoir
des pâturages pendant l’été, il leur fout des fourrages
pendant l’hyver, & il fout aufli des grains à la
plûpart pour leur nourriture. Ce font les riches moirions
qui les procurent ; c’eft donc fous ces deux points
de vûe qu’on doit envifager la régie de l’agriculture»
Dans un royaume comme laFrancë dont le territoire
eft fi étendu, & qui produiroit beaucoup plus
de blé que l’on n’en pourroit vendre, on ne doit s’attacher
qu’à la culture des bonnes terres pour la production
du blé ; les terres fort médiocres qu’on euh
rive pour le b lé , ne dédommagent pas fuflïfamment
des frais de cette culture. Nous ne parlons pas ici des
améliorations de ces terres ; il s’en faut beaucoup
qu’on puiffe en faire les frais en France , où l’on ne»
peut pas même, à beaucoup près, fubvenir aux dépens
de la fimple agriculture. Mais ces mêmes terres
peuvent être plus profitables , fi Ort lë$ fait valoir,
par la culture de menus gràinS, dé racines, d’herba-
gesyôii de prés artificiels,pour la nourriture des beftiaux
; plus On peut par le moyen de cette culture
nourrir les beftiaux dans leurs étables, plus ils four*
riiffent de fumier poür l’engrais des terres, plus les
récoltes font abondâmes en grains & en fourrages ,
& plus on peut multiplier les beftiaux. Les bois, les
vignes qui font des objets impOrtârtS, peuvent aufli
occuper beaucoup de terres fans préjudicier à la culture
des grains. On à prétendu qu’il falloit reftrein-
dre la culture des vignes, pour étendre davantage la
culture du blé : mais ce feroit encore priver le royaume
d’un produit confidérable fans nécëflité, ôt fans
remédier aux empêchemens qui s’oppOfent à la culture
des terres. Le vigneron trouve apparemment
plus d’avantage à cultiver des vignes ; ou bien il lui
fout moins de richefles pour foûtenir cette culture ,
qtie pour préparer des terres à produire du blé. Chacun
confulte fes facultés ; fi on reftreim par des lois
dès ufoges établis par des ràifons invincibles , ces
lois ne font que de nouveaux obftaclès qu’on oppofe
à l’agriculture : cette légillàtion eft d’autânt plus déplacée
à l’égard des vignes, que ce ne font pas les
terres qui manquent pôiir là culture dii blé ; ce font
les moÿëris de lés mettre en valeur;
En Angleterre , on réferve beaucoup de terres
pbur procurer de la nourriture àiix beftiaux. Il y a
une quantité prôdigieufe de beftiaux dans cette île ;
& le profit eh eft fi confidérable, que le fetil produit
dès laines eft évalué à plus de cent foixahte millions.
Il n’y a aucune branche de commerce qui puiffe
être comparée à cette feule partie dii produit des
beftiàui ; la traite des nègres, qui eft l’objet capital
du commerce extérieur dè cette nation, ne monte
qu’environ à foixante millions : ainfi la partie du
cultivateur excede infiniment celle du négociant.
La vente des grains forme le quart du commerce intérieur
de l’Angleterre ; & le produit des beftiaux eft
bien fupérieur à celui des grâihs. Cette abondance
eft due àux richeffes du cultivateür. En Angleterre,
l ’état de fermier eft un état fort riche & fort efti-
më, un étàt fingulierement protège par le gouvernement.
Lè cultivateur y fait valoir fes richeffes à
découvert, fans craindre que forigain attire fo ruiné
par des impofitions arbitraires & indéterminées.
Plus les laboureurs font fiches, plùs ils augmentent
par leurs facultés le produit dès tefres, & la
puiflance de la nation. Un fermier paüvfe ne peut
Cultiver qu’au defâvantàge de l’état, pàfce qu’il ne
peut obtenir par fon travail les produ&ions que la
1 terre n ’accprde qu’à une culture opulente. 9
1 * Y y y