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feclce & principales, alla adjuvantes & proxlmoe. Il pré-
tendoit qu’il n’y a que l’altion des caufes parfaites &
principales, dittinguées de la volonté, qui puiffe entraîner
la ruine de la liberté ; & il.foûtenoit que l’action
de la volonté, qu’il appelloit ajfenjio, n’a pas de
caufes parfaites 6c principales diftinguées de la volonté
elle-même.ll ajoûtoitque les impreffionsdes objets
extérieurs, fans lefquelies cet ajjentiment ne peut
pas fe faire (necejfe ejl enim ajfenjionem vifo commove-
ri) j que ces impreffions, dis-je, ne font que des caufes
voilines 6c auxiliaires, d’après lefquelies la volonté
fe meut par fes propres forces, mais toûjours confé-
quemment à l’impreflion reçue, extrinfcciis pulfafuâp-
te yi ac naturâ movebitur ; ce qu’il expliquoit par la
comparaifon d’un cylindre, qui recevant une impul-
lion d’une caufe étrangère, ne tient que de fa nature
le mouvement déterminé de rotation , de volubilité ,
qui fuit cette impullion.
Cette réponfe n’eft pas fans difficulté ; elle eft établie
fur de faulTes notions des fenfations & des opérations
de l’ame ; la comparaifon du cylindre n’eft
pas exaôe. Cependant elle a quelque chofe de v rai,
c ’eft que l’altion des caufes quf amènent le confen-
tement de la volonté, ne s’exerçant pas immédiatement
fur ce çonfentement, mais fur la volonté, l’activité
de l’ame 6c fon influence libre fur le çonfentement
qu’ elle forme, ne fontléfées en aucune maniéré.
C ’eft du moins la réponfe de S. Auguftin, de civit.
D e l, lib. V , cap. jx . qui, après avoir rapporté cette
même difficulté de Carneades contre Chrylippe, la
réfout à-peu-près de la même maniéré : ordinem çau-
farum , dit-il, non negamus, non ejl autem confequens
ut j i certus ejl ordo caufarum , idcb nihil jît in nojlra vo-
luntatis arbitrio , ipfee quippe voluntates in caujarum or-
dine funt. Voilà le principe de Chrylippe : la volonté
elle-même entre dans l’ordre des caufes, félon faint
Auguftin; & comme elle produit immédiatement fon
altion, quoiqu’elle y foit portée par des caufes étrangères
, elle n’en eft pas moins libre, parce que ces
caufes étrangères l’inclinent fans la néceffiter.
Mais reprenons nous-mêmes la difficulté ; elle fe
réduit à ceci : fi la volonté eft mue à donner fon con-
fentement par quelque caufe que ce foit, étrangère
à elle & liée avec fa détermination , elle n’eft pas
libre : fi elle n’eft pas libre , toutes les caufes qui
amènent l’évenement fatal font donc néceflaires, &
l’évenement fatal eft néceffaire. Je répons,
En premier lieu , lorfqu’on regarde cette liaifon
des caufes avec la détermination de la volonté comme
deftruâive de la liberté , on doit prétendre que
toute liaifon d’une caufe avec fon effet eft néceffair
r e , puifqu’on foûtient que la caufe qui influe fur le
çonfentement de la volonté, par cela feul qu’elle influe
fur ce çonfentement, le rend néceffaire : or cela
eft infoûtenable , 6c les réflexions fuivantes vont
nous en convaincre.
Dieu peut faire un fyftème de caufes libres. Qu’eft-
ce qu’un fyftème quelconque ? la fuite & l’enchaînement
des allions qui doivent s’exercer dans ce fyftème.
Dieu ne peut-il pas enchaîner les actions des
caufes libres entr’elles , de forte que la première
amene la fécondé, 6c que la fécondé fuppofe la première
; que la première & la fécondé amènent la troi-
iieme, 6c que la troifieme fuppofe la première & la
Fécondé, 6c ainfi de fuite? Ces caufes, dès-là qu’elles
feront coordonnées entr’elles de forte que. les modifications
6c les allions de l’une amènent les modjfir
çations 6c les allions de l’autre, feront-elles néçeflî-
tées? non fans doute. Un pere tendrement aimé menace,
exhorte, prie un fils bien-né : fes menaces, fes
exhortations, les prières faites; dans des circonftan- i
ces favorables, produiront infailliblement leur effet, j
& feront caufes des déterminations de la volonté de
ce fils ; voilà l’influence d’une çaufe libre fur une ca,u- '
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fe libre ; voilà des caufes dont les allions font liées
enfemble, 6c qui n’en font pas moins libres.
Mais dira-t-on : que les caufes intelligentes foient
coordonnées 6c liées entr’elles, peut-être que cet
enchaînement ne fera pas incompatible a vec leur liberté
: mais fi des caufes phyfiques agiffent fur des
caufes intelligentes, cette altion n’emportera-t-elle
pas une néceffité dans les caufes intelligentes ? Or il
paroît que félon notre opinion ces deux efpeces de
caufes font liées les unes aux autres, de forte que
les a étions des caufes phyfiques entraînent les allions
des êtres intelligens, 6c réciproquement.
Je répons i° . que la néceffité, s’il en réfultoit quelqu’une
de l’impulfion d’une çaufe phyfique fur une
caufe intelligente , s’enfuivroit de même de l’impulfion
d’une caufe intelligente & libre fur une caufe
intelligente, parce que l’altion de la caufe phyfique
n’emporteroit la néceffité qu’à raifon de la maniéré
d’agir, ou à raifon de ce qu’elle feroit étrangère à la
volonté ; or la caufe intelligente & libre qui influer
roit fur l’altion d’une caufe intelligente, feroit également
étrangère à celle-ci 6c agiroit d’une maniéré
auffi contraire à la liberté.
z°. Ceci n’a befoin que d’une petite explication.
Si l’aâion de la caufe phyfique que nous difons amener
l’altion d’une caufe libre, telle que la volonté,
s’exerçoit immédiatement fur la détermination, fur
le çonfentement de la volonté ( à-peu-près comme
les Théologiens favent que les Thomiftes font agir
leur prémotion), nous convenons que la liberté feroit
en danger; mai«; il n’en eft pas ainfi. L’altion des
caufes phyfiques amene dans l’être intelligent ( fo it
par le moyen de l’influence phyfique , foit dans lç
fyftème des caufes occafionnelles ) amene, dis -je ,
d’abord des modifications, des fenfations, des mouvemens
indélibérés ; 6c à la fuite de tels 6c tels mou*
vemens, de telles 6c telles modifications reçues dans
l’ame naiffent infailliblement, mais non néceffaire-
ment, telles allions dont ces mouvemens & ces modifications
font la caufe ou; la raifon fuffifante ; c’eft
cette çaufe ou raifon fuffifante qui unit le monde
phyfique avec le monde intelleltuel : or que les actions
qui s’exercent dans l’ordre phyfique entraînent
des modifications , des fenfations, des mouvemens
dans les caufes intelligentes , 6c que ces modifications
, ces fenfations , &c. amènent des allions de
ces caufes intelligentes, il n’y a rien là de contraire
à l’altivité & à la liberté de ces êtres intelligens.
Il fuit d e - là , que Dieu a‘ pû coordonner 6c lier
entr’elles les allions qui s’exercent dans un monde
phyfique & celles des êtres intelligens & libres, fans
nuire à la liberté de ces mêmes êtres ; que dans cette
hypothèfe,l’enchaînement des caufes établi par Dieu
amenant les.allions des êtres intelligens, ne rend pas
ces allions néceflaires ; que parmi les caufes enchaînées
de l’évenement fatal, il y en a de libres, & par
conséquent que l’évenement fatal n’eft pas lui-même
néceffaire.
En fécond lieu, pour foûtenir que cette liaifon des
caufes avec la détermination de la volonté eft incompatible
avec la liberté, il faut partir de ce principe,
que toute liaifon infaillible d’une caufe avec fon effet
eft néceffaire, 6c que tout enchaînement de caur
fes eft incompatible avec la liberté : j i omnia naturali
colligatione fiunt, omnia necejjitas efficit. Or cette prétention
eft abfolumentfauffe, & voici les raifons quf
la combattent : i° . rien ne fe fait fans raifon fuffifante
, 6c un effet qui a une raifon fuffifante , n’eft pas
pour cela néceflaire ; or un effet qui a une raifon fuf-
nfante eft par cela même infaillible ; car fi un effet
qui a une raifon fuffifante n’étoit pas infaillible, on
pourroit fuppofer qu’étant donnée la raifon fuffifante
d’ijn tel effet, il en eft arrivé un autre. Or cette fùp-
pofitfon eft abfurde j car dans ce cas lq raifon qui faif
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qu’un effet eft tel, pourroit faire qu’il eft tout autre,
ce qui eft une contradiltion dans les termes, le nou-,
vel effet n’auroit point de raifon fuffifante , ou l’ancien
n’en auroit pas eu s’il eût exifté ; car comment
-pourroit-on dire que cette raifon étoit pour l’effet
•qui n’a pas eu lieu une raifon fuffifante d’être t e l ,.
lorfque cette même raifon étant pofée l’effet a été
tout autre ? La raifon fuffifante d’un effet quelconque
, quoique liée infailliblement avec cet effet, ne
rend donc pas cet effet néceffaire ; d’où il fuit que
toute liaifon infaillible n’ eft pas pour cela néceffaire.
2°. Je demande au philofophe qui admet la providence
& la prefcience de D ieu, & qui me fait cette
objeltion , fi un evenement dépendant d’une caufe
libre, que Dieu a prévu, qui eft un moyen dans l’ordre
de fa providence, 6c qui tient par conféquent à
tout le fyftème, fi un tel événement, dis-je, peut
ne point arriver : il eft obligé de me répondre qu’un
tel événement eft abfolument infaillible 6c ne peut
pas ne point arriver ; or cette forte de néceffité que
l ’évenement arrive , 6c qu’il eft obligé de m’avoüer
félon lui-même, n’empêche pas l’évenement d’être
libre. Cette efpece de néceffitén’eftdonc autre chofe
que ce que nous appelions infaillibilité, & on ne
peut pas la confondre avec la néceffité métaphyfique
6c deftruâive de la liberté.
3°. Si les bornes de cet article le permettoient,
nous pourrions rapprocher de ces principes les doctrines
les mieux établies par les Théologiens fur les
matières de la grâce 6c de la prédeftination, & faire
voir combien ce que nous avançons ici y eft conforme.
On y voit par-tout la certitude de la prédeftination
, l’effiCacité de la grâce, &c. liées infailliblement
avec le falut, avec la bonne a ltion, & ne blef-
fant point les droits du libre arbitre. Ce. font préci-
fément les mêmes principes que nous généralifons ,
en leur faifant embraffer tous les états de l’homme
& de l ’univers ; mais nous laiffons aux leâeurs inf-
truits en ces matières, le foin de s’en convaincre par
quelques réflexions 6c d’après la leâure des articles
Q i à c e , Pr é d e s t in a t io n .
T r o i s i è m e Q u e s t i o n »
V evenement fatal ejl-il infaillible ?
Nous y répondons en difant que l’enchaînement
des caufes détermine infailliblement l’exiftence de
l’évenement fatal.
Et d’abord la même force qui établit dans la nature
la fuite & l’enchaînement des Caufes qui amènent
l’évenement, détermine auffi l’exiftence de l’évene-
ment dans tel ou tel point de l’efoace, 6c dans tel ou
tel point de la durée ; or la force qui unit dans la nature
une caufe à une autre caufe n’eft jamais vaincue.
En fécond lieu, fuppofer que ce que la fatalité entraîne
n’arrive pas , c’eft fuppofer que l’être à qui
l’évenement fatal étoit préparé n’eft plus le même
être, que ce monde n’eft plus le même monde dont
Dieu avoit déterminé l’exiftence & prévu les mouvemens.
Car en fuppofant qu’il arrive un evenement
différent de l’évenement fatal, la multitude infinie
des effets qui tenoient à l’évenement fatal demeure
fupprimée ; l’évenement différent entraîne d’autres
fuites que l’évenement fatal, ces fuites en entraînent
d’autres , & ce changement unique propagant fon
altion dans tous les fens s’étend bien-tôt à tous les
êtres, boulverfe l’ordre, rompt la chaîne des caufes,
6c change la face de l’Univers. Suppofition dont
on fent l’abfurdité.
Par-là on peut juger de ce que veulent dire toutes
ces propofitions : ah , f ij’euffe été là , fi j’aVois prévu
, &c. j’aurois échappé au danger dont le deftin me
menaçoit !
On peut dire : celui que le deftin menace ne va
point là , 6c ne prévoit point, 6c nous parlons de celui
là même que le deftin menaçoit,
F A T 4*1 Mais ce qui trompe en ce c i, c’eft que les circonf*
tances du tems 6c du lieu étant celles dont on fait
abftraHion avec le plus de facilité , on fe diffimule
qu’elles entrent elles-mêmes dans l’ordre des caufes
coordonnées, 6c on croit pouvoir attaquer la certitude
de la futurition d’un evenementfatal avec plus
de fuccès en le confidérant relativement à ces cir-
conftaijces. - On dit d un homme affommé dans une
rue par la chûte d’une tuile , qu’il pouvoit bien ne
pas paffer par-là ou y paffer dans un autre tems 6c
on ne fe permet pas de penfer que la tuile pouvoit
ne pas tomber dans ce tems-là avec un tel degré de
force & avec une telle direltion.
On ne prend pas garde qu’il étoit auffi coordonné
(6c je prens ce mot à la rigueur) que cet homme
pafsât quand la tuile tomboit, qu’il étoit coordonné
que la tuile tombât quand cet homme paffoit.
En effet, pourquoi imagine-t-on que cet homme pouvoit
bien ne pas paffer ? c’eft parce qu’on remarque
que plufieurs déterminations libres de fa part ont
concouru à lui faire prendre fon chemin par-là. Mais
je vois auffi plufieurs caufes libres parmi celles qui
ont déterminé la tuile à tomber, 6c à tomber dans
im tel tems avec un tel degré de force, &c. comme
la volonté des ouvriers qui l’ont faite & placée d’une
certaine maniéré, la négligence du maître de la mai-
fon, &c. On pourroit donc imaginer avec autant de
fondement que la tuile pouvoit ne pas tomber, qu’on
imagine que l’homme affommé pouvoit ne pas paffer.
Mais la vérité eft que l’un & l’autre événement
étoit coordonné, infaillible, puifque l ’un & l’autre
étoient amenés par l’enchaînement des caufes, puifque
l’un 6c l’autre tenoient au fyftème de l’Univers,
êntroient dans les vues de la Providence, &c.
Au refte, 6c nous l’avons déjà remarqué, cette in-,
faillibilité des évenemens, même alors qu’ils dépendent
de l’altion des caufes intelligentes , n’entraîne
point la ruine de leur liberté. On trouvera les preuves
de cette vérité, qui eft un principe en Théologie,
aux articles G r â c e , Pr é d e s t in a t io n , & Pr e s
c ie n c e ; nous y renvoyons nos l e â e u r s .
QUATRIEME ET DERNIERE QUESTION.'
La doctrine delàfatalitépeut-elle entrer pour quelque chofe
dans les motifs des déterminations des êtres libres ?
Pour répondre à cette queftion, il fuffira de réfuter
le fophifme que les Philofophes appellent de la
raifon parejfeufe.
On dit donc : fi tout eft réglé dès-à-prefent ; fi
l’enchaînement des caufes emporte l’infaillibilité de
tous les évenemens, les prières & les voeux adref-
fés à l’Être fuprème, les confeils & les exhortations
des hommes les uns envers les autres, les lois humaines
, &c. tout cela ne peut fervir de rien. On
ajoûte que les hommes doivent demeurer dans une
inaltion parfaite , dans tous les cas où ils auront
quelque occafion d’agir : car, ou les chofes pour lef-
quelles on adrefferoit des prières à D ie u , doivent
être amenées par l’enchaînement des caufes ; & en
ce cas, il eft inutile de les demander, elles arriveront
certainement : ou elles ne font pas du nombre
des évenemens qui doiyent fuivre l’ençhaînement
des caufes ; & en ce ca s, elles ne peuvent pas arriver
, 6c il eft encore inutile de les demander.
On peut dire la même chofe des confeils, des
exhortations, & des lois : car files allions auxquelles
nous portent tous ces motifs moraux, font de celles
qui entrent dans la fuite des évenemens préétablie
par Dieu , on les fera certainement ; 6c fi elles n’y
entrent pas , tous ces motifs réunis ne les feront pas
faire.
Enfin , que j’agiffe ou que je n’agiffe point, pour
. procurer la réuffite d’une entreprife , pour parvenir
à unhut ; fi j ’y arrive, cet événement aura été