
mufaChifes; le b lé , les vins, l’eaù-de-vié, les cuirs,
les viandes falées, le beurre, le fromage, les graif-
fe s , le fuif, les toiles, les cordages, les draps, les
étoffes, formeroient le principal objet de notre commerce
avec l’étranger. Ces marchandifes feroient
indépendantes du luxe, les befoins des hommes leur
•affûrent une valeur réelle; elles naîtroient de notre
propre fonds, & feroient en pur profit pour l’état :
•ce feroit des richeffes toûjours renaiffantes, & toujours
fupérieures à celles des autres nations.
Ces avantages , li effentiels au bonheur & à la
profpétité des fujets, en procureroient un autre qui
'ne contribue pas moins à la force & aux richeffes de
l’état ; ils favoriferoient la propagation & la confer-
vation des hommes, fur-tout l’augmentation des ha-
bitans de la campagne. J-.es fermiers riches occupent
les payfans, que l’attrait de l’argent détermine au
travail : ils deviennent laborieux, leur gain leur pro-
cure une aifance qui les fixe dans les provinces, &
tjui les met en état d’alimenter leurs enfans, de les
retenir auprès d’eux, & de les établir dans leur .province.
Les habitans des campagnes fe multiplient
donc à proportion que les richeffes y foûtiennent
l’agriculture, & que l ’agriculture augmente les richeffes.
Dans les provinces où la culture fe fait avec des
boeufs, l’agriculteur eft p auvre, il ne peut occuper
le payfan: .celui-ci n’étant point excité au travail
par l’appât du gain, devient pareffeux, & languit
dans la mifere ; fa feule reffource eft de cultiver un
peu de terre pour fe procurer de quoi vivre. Mais
quelle eft la nourriture qu’il obtient par cette culture
? T rop pauvre pour préparer la terre à produire
du blé & pour en attendre la récolte, il fë borne,
nous l’avons déjà dit, à une culture moins pénible,
moins longue, qui peut en quelques mois procurer
la moiffon : l’orge, l’avoine, le blé noir, les pommes
de terre, le blé de Turquie ou d’autres productions
de v il prix, font les fruits de fes travaux ; voilà
la nourriture qu’il fe procure, & avec laquelle il
-éleve fes enfans. Ces alimens, qui à peine foûtiennent
la vie en ruinant le corps, font périr une partie
des hommes dès l’enfance ; ceux qui réfiftent à une
telle nourriture, qui confervent de la fanté & des
forces, Ô£ qui ont de l’intelligence, fe délivrent de
cet état malheureux en fe réfugiant dans les villes :
les plus débiles & les plus ineptes reftent dans les
campagnes, où ils font aufli inutiles à l’état qu’à
chargé à eux-mêmes.
Les habitans des villes croyent ingénument que
c e font les bras des payfans qui cultivent la terre,
& que l’agriculture ne dépérit que parce que les
hommes manquent dans les campagnes. Il faut, dit-
on , en chaffer les maîtres d’école, qui par les inf-
truftions qu’ils donnent aux payfans, facilitent leur
défertion : on imagine ainfi des petits m oyens, aufli
ridicules que defavantageux ; on regarde les payfans
comme les efclaves de l’état ; la vie ruftique paroît
1 a plus dure, la plus pénible, & la plus méprifable,
parce qu’on deftine les habitans des campagnes aux
travaux qui font réfervés aux animaux. Quaiid le
payfan laboure lui-même la terre, c’eft une preuve
de fa mifere & de fon inutilité. Quatre chevaux cultivent
plus de cent arpens de terre ; quatre hommes
n’en cultiveroient pas 8. A la referve du vigneron,
du jardinier, qui fe livrent à cette efpece de travail,
les payfans font employés par les riches fermiers à
d’autres ouvrages plus avantageux pour eux, &c plus
utiles à l’agriculture. Dans les provinces riches où la
culture eft bien entretenue, les payfans ont beaucoup
de reffources ; ils enfemencent quelques arpens
de terre en blé & autres grains : ce font les fermiers
pour lefquels ils travaillent qui en font les labours,
& c’eft la femme & les enfans qui en recueillent les
produits : côs petites moiffons qui leur donnent une
partie de leur nourriture, leur produifent des fourrages
& des fumiers. Ils cultivent du lin , du ch an-'
vre , des herbes potagères, des légumes de toute
efpece ; ils ont des beftiaux & des volailles qui leur
fourniffent de bons alimens, & fur lefquels ils retirent
des profits ; ils fe procurent par le travail de la
moiffon du laboureur, d’autres grains pour le
refte de l’année ; ils font toûjours employés aux
travaux de la campagne ; ils vivent fans contrainte
& fans inquiétude ; ils méprifentla fervitude des do-
meftiques, valets, efclaves des autres hommes ; ils
n’envient pas le fort du bas peuple qui habite les villes,
qui loge au fommet des maifons, qui eft borné
à un gain à peine fuffifant au. befoin préfent, qui
étant obligé de vivre fans aucune prévoyance & fans
aucune provifion pour les befoins à venir, eft conti-,
nuellement expofe à languir dans l’indigence.
Les payfans ne tombent dans la mifere & n’aban-'
donnent la province, que quand ils font trop inquiétés
par les vexations auxquelles ils font expofés, ou
quand il n’y a pas de fermiers qui leur procurent du
travail, & que la campagne eft cultivée par de pauvres
métayers bornés à une petite culture , qu’ils
exécutent eux-mêmes fort imparfaitement. La portion
que ces métayers retirent de leur petite récolte ,
qui eft partagée avec le propriétaire, ne peut fuffire
que pour leurs propres befoins ; ils ne peuvent réparer
ni améliorer les biens.
Ces pauvres cultivateurs , fi peu utiles à l’état ;
ne représentent point le vrai laboureur, le riche
fermier qui cultive en grand, qui gouverne, qui commande
, qui multiplie les dépenfes pour augmenter
les profits; qui ne négligeant aucun moyen, aucun
avantage particulier, fait le bien général ; qui employé,
utilement les habitans de la campagne, qui
peut choifir & attendre les tems favorables pour le
débit de fes grains, pour l’achat & pour la vente de
fes beftiaux.
Ce font les richeffes des fermiers qui fertilifent les
terres, qui multiplient les beftiaux, qui attirent, qui
fixent les habitans des campagnes , & qui font la
force & la profpérité de la nation.
Les manufactures & le commerce entretenus par
les defordres du luxe, accumulent les hommes &
les richeffes dans les grandes ville s , s’oppofent à
l’amélioration des biens, dévaftent les campagnes,
infpirent du mépris pour l’agriculture, augmentent
exceflivement les dépenfes des particuliers, nuifent
au foûtien des familles, s’oppofent à la propagation
des hommes, & affoibliffent l’état.
La décadence des empires a fou vent fuivi de près
un commerce floriffant. Quand une nation dépenfe
par.le luxe ee qu’elle gagne par le commerce, il n’en
fé fuite qu’un mouvement d’argent fans augmentation
réelle de richeffes. C’eft la vente du fuperflu qui
enrichit les fujets & le fouverain. Les productions de
nos terres doivent être la matière première des manufactures
& l’objet du commerce : tout autre commerce
qui n’eft pas établi fur ces fondemens, eft .peu
affûré ; plus il eft brillant dans un royaume, plus il
excite l’émulation des nations voifines , & plus il
fe partage. Un royaume riche en terres fertiles, ne
peut être imité dans l’agriculture par un autre qui
n’a pas le même avantage. Mais pour en profiter, il
faut éloigner les caufes qui font abandonner les campagnes,
qui raffemblent & retiennent les richeffes
dans fes grandes villes. Tous les feigneurs, tous les
gens riches, tous ceux qui ont des rentes ou des pensons
fuffifantes pour vivre commodément, fixent
leur féjour à Paris ou dans quelqu’autre grande ville ,
où ils dépenfent prefque tous les revenus des fonds
du royaume. Ces dépenfes attirent une multitude de
marchands, d’arfitens, de domeftiques, & de manotlyriers
: cette, tnauvaife diftribution des hommes
gc des richeffes eft inévitable, mais elle s etend beaucoup
trop foin; peut-être y au ra -1-on d abord '
beaucoup contribué , en protégeant plus les citoyens
mie les habitans des campagnes- Les hommes lontat- j
tirés, par l’intérêt & par la tranquillité. Qu on p.rp- ]
cure ces avantageai la campagne , elle ne fera pas ;
moins peuplée à proportion que les villes. Toiisl® j
habitans des villes ne font pp;s riches, ni dans l’ai- j
fance.La campagne 3 fes richeffes & fesagrémeps ; ,
on ne’l’ahandonne que pour éviter les.yexationsau.iÿ j
quelles o n y eft expo®.; mais le gouvernement peuf ■
remédier à ces inc.onvémens<Le commerce paroît floriffant
dans les v illes, parce qu’elles font remplies dp
riches marchands. Mais qu’en réfohe-t-i!, finon que
prefque tout l’argent du royaume eft employé à uu
commerce qui n’aHgmente point les richefles de la
nation? Locke le compare au jeu , oh après le ga?u j
& la perte des joueurs, la fpmms d’argent refte. la
mime qu’elle éroit auparavant. Le. commerce intérieur
eftuéceffaire pour procurer les befoins, pour
entretenir le l u x e & pour faciliter la. eonfomma-
tion ; mais il contribue peu à. la force 8c .à la proXpe-
rité de l’état. Si umtpartie; des richeffes îmmeufes
qu’il retient,& dont l’emploi.produit flpeu au royaume,
étoit diftribuée à l’agriculture, elle procureroît
des revenus ffiien plus réels & plus eonfidérahjes. ,
L ’agriculture eft le patrimoine, du fouverain : toutes
fes productions font vifibles.; on peut les afliijettir
convenablement aux impofitions; les riçhefles. pécuniaires
échappent à la répartition des fubfides, le
gouvernement n’y peut prendre que par des moyens
onéreux à l’état. ' . y 'î
Cependant la répartition des împpiitions lur 1®
laboureurs ; préfente aufli de grandes difficultés, Les
taxes arbitraires fout trop effrayantes 8c trop injuf-
tes pour ne pas s’op.pofer toûjours puiffamment ail
rétabliffement de l’agriculture. La répartition proportionnelle
n’eft-guere poffibie; il ne paroît pas
qu’on puiffe la régler par l’évaluation 8c par la taxe
des terres : car lés deux fortes d’agriculture, dont
nous avons parlé, emportent beaucoup dediffisren-
ce dans les Produits dès terres d’une même valeur;
ainfi tant que ces deux fortes de culture fubfifteront
& varieront, les. terres ne pourront pas fervir de
mefure proportionnelle pour rimpofition de « taille, .
Si l’on taxoit les terres félon l’état actuel, le tableau j
deviendtoit défeaueux à mefure que la grande culture
s’accroîtroit : d’ailleurs il y a des provinces ou
le profit fur les beftiaux eft bien, plus çonfldérable
que le produit des récoltes, 8c d’autres oii le produit
des récoltes furpaffe le profit que l’on retire des beftiaux
; de plus cette diverfité de circ.onftances eft fort
fufceptible de changemens. Il n’eft donc guère pofr
fible d’imaginer aucun plan général, pour, établir
une répartition proportionnelle des impofitions.
Mais il s'agit moins pour la sûreté des fonds du
cultivateur d’une répartition exafle , que d’établir
un frein à l’eftimation arbitraire de la fortune du laboureur.
Il fuffiroit d’aflujettir les impofitions à des
réglés invariables 8c judicieufes, qui affûreroient le
pavement de l’impofition, 8i qui garantiroient celui
' qui la fupporte, des mauvaifes intentions ou des
fauffes conjeaures de ceux qui l'impotent. Il ne tau-
droit fe régler que fur les effets vifibles ; les eftima-
tionsde lafortune fecrete des particuliers font troin-
peufes, & c’eft toûjours le prétexte qui autorife les
abus qu’on veut éviter.
Les effets vifibles font pour tous les laboureurs des
moyens communs pour procurer les memes profits ;
s’il y a des hommes plus laborieux, plus intelligens,
plus économes, qui en tirent un plus grand avantar
g e , ils méritent de joiiir en paix des fruits-de leurs
épargnes & de leurs talens. Il fuffiroit donc d’pbliger
le laboureur de donner tou? les ans aux collecteurs
une déclaration ficlplle de la quantité & de la
nature des , biens dont il eft proprietaire ou fermier ,
& un dénombrement de fes récoltes, de (es bpffiaux,
&c. fous les peines d’être imppfé arliitrairçijnept: s’il
eft convaincu de fraude. Tous les habitans d’un v i t
lage connoiffent exactement les richeffes vifiblçs dç
.chacun d’éux ; les d,éclaratiqns frauduleufes feroient
facilement, apperçûes, On a.ffujettiroit de même rir
goureufement les colie&epFS 4 régler la répartition
des impositions, relativement ôç proportionnellement
à ces déclarations. Quant'aux Simples pianqu-
vriers ôf artifans, leur état fçryiroit de réglés pou?
les uns & pour les.autres, ayant égard à leurs enfans
en bas âge, & à ceux qui font eu état de travailler.
Quoiqu’il y eut de la difpropoEtion entre çès habitans
, la modicité de la taxe impbfee à ceffqrtes
,d’ouvriers dans les villages, rendrait les incqnvé.-
niens peu confidérables.
Les impofitions à répartir fur les commerçaris éta-
bli£ dans les villages, font les plus difficiles 4 réglçr ;
mais leur déclaration fur l’étendue & le$ objets de
leur commerce, pourroit être admife ou çonteftéq
par les collefteurs ; & dans le dernier cas efle fer oit
approuvée ou réformée dans unë affembléç des habitans
de la parôiffe. La décifion formée par la notoriété
, reprimeroit la fraude du taillable, & les abus
de rimpofition arbitraire des cqjle.fteurs. Le$ com-
merçans font en petit nombre dans les villages : ainfi
ces précautions pourroient fuffire à leur égard.
Nous n’enyifageons ici qiie [es campagnes, & fur-
tout relativement à lu sûreté 4U laboureur. Quant
aux villes des provinces, qui payçnt la tailiç, çp fer
roit à eîles-mêniçs à formelles arrangemens qui leu?
conviendroient pour éviter l’irppofition arbitraire..
Si ces réglés n’obvient p%s à tops les inconyéniens,
ceux qui refteroient, & ceux même qu’elles pourroient
occafionner, ne feroient point comparables
à celui d’être expofé tous les ans à la diferetipn des
collefteurs; chacun fe dévouer,oit fans peine à une
impofftion réglée par la loi. %Çet avantage fi eflientiel
Si fi defiré, diflîperoit les inquiétudes exçeflîyes quç
caiifent «jans les campagnes îa 'répartition arbitraire
de la faille.
On objeélera peiit-être que les déclarations exactes
que l’on exigeroit, & qui rég\eroient la taxe de
chaque laboureur, pourroient le déterminer à ref-
treindre fa culture & fes beftiaux pour moins payer
de taille ; ce qui feroit encore un obftacle à l’accroif-
fement de l’agriculture. Mais foyez affûré qüè le laboureur
ne s’y tromperoit pas ; car fes récoltes, fes
beftiaux, & fes autres effets, ne pourroient plus fervir
de prétexte pour le furcharger d’impofitions ; il
fe décideroit alors pour le profit.
On pourroit dire aufli que cette répartition proportionnelle
feroit fort compofée, & par conféquent
difficile à exécuter par dés collecteurs qui ne font pas
verfés dans le calcul: ce feroit l’ouvrage de l’écrivain
, que les collecteurs chargent de la confe&ion
du rôle. La communauté formerqit d’abord un tarif
fondamental, conformément à l’eftimation du produit
des objets dans le pays : elle pourroit être aidée
dans çette première opération par 1e curé, ou par le
feigneur, ou par fon régiffeur, pu par d’autres per-
fonnes capables & bienfaifantes.Ce tarif étant décidé
ôc admis par les habitans, il deviendrpit bientôt familier
à tous les particuliers ; parce que chacun aurqit
intérêt de connoître la cofe qp’il 4oit p^yer : ainfi en
peu de tems cette imposition proportionnelle leur
deviendroit très-facile. . I
Si les habitans des campagnes etoient délivrés dp
l’imppfition arbitraire de te taille, ils vivroient dans
la même fécurité que les habitans des grandes villes :
bçauçpup de propriétaires irpient faire valoir pu*-