
la vérité par amour pour elle, & de détromper les
hommes des préjugés funeftes qui les détruifent. Reprenons.
Il eft affreux de v-oir comment cette opinion d’ap-
paiferle ciel parle maffacre., une fois introduite,
s ’eft univerfellement répandue dans prefque toutes
les religions ; 6c combien on a multiplié les raifons
de ce facrifice , afin que perfonne ne pût échapper
au couteau. Tantôt ce font des ennemis qu’il fout
immoler A Mars exterminateur : les Scythes égorgent
à les autels le centième de leurs prifonniers ; 6c
par cet ufage de la victoire, on peut juger de la justice
de la guerre : aufli chez d’autres peuples ne la
faifoit-on que pour avoir de quoi fournir aux fatrri-
fices ; deforte qu’ayant d’abord été inftitués , ce
femble , pour en expier les horreurs, ils fervirent
enfin à les juftifier.
. Tantôt ce font des hommes juftes qu’un dieu barbare
demande pour vifrimes : les Getes fe difputent
l ’honneur d’aller porter à Zamolxis les voeux de la
patrie. Celui qu’un heureux fort deftine au facrifïce,
eft lancé à force de bras fur des javelots dreffés : s’il
reçoit un coup mortel en tombant fur les piques,
e ’eft debon augure pour le fuccès de la négociation
& pour le mérite du député ; mais s’il furvit à fa blef-
fure , c’ eft un méchant dont le dieu n’a point affaire.
Tantôt ce font des enfans à qui les dieux redemandent
une vie qu’ils viennent de leur donner •;
jujliceaffamée du fang de L'innocence , dit Montagne.
Tantôt c’eft le fang le plus cher : les Carthaginois
immolent leurs propres fils à Saturne , comme fi le
lents -ne les dévoroit pas affez tôt. Tantôt c’eft le
fang le plus beau : cette même Ameftris qui avoit
fait enfouir douze hommes vivans dans la terre,
pour obtenir de Pluton, par cette offrande, une plus
longue vie ; cette Ameftris facrifie encore à cette in-
fatiable divinité quatorze jeunes enfans des premières
maifons de la Perfe, parce que les facrificateurs
ont toûjours fait entendre aux hommes qu’ils dévoient
offrir à l’autel ce qu’ils avoient de plus précieux.
C ’eft fur ce principe que chez quelques nations
on immoloit les premiers nés, 6c que chez d’autres
on les rachetoit par des offrandes plus utiles aux mi-
uiftres du facrifice. C ’eft ce qui autorifa fans doute
en Europe la pratique de quelques fiecles, de voiier
les enfans au célibat dès l’âge de cinq ans ; 6c d’em-
prifonner dans le cloître les fireres du prince héritier,
comme on les égorge en Afie.
Tantôt c’eft le fang le plus pur: n’y a - t - il pas
ides Indiens qui exercent l’hofpitalité envers tous
les hommes, 6c qui fe font un mérite de tuer tout
étranger vertueux & favant qui paffera chez eu x,
afin que fes vertus 6c fes talens leur demeurent?
Tantôt c ’eft le fang le plus facré: chez la plupart
des idolâtres, ce font les prêtres qui font la
-fbn&ion des bourreaux à l’autel ; 6c chez les Sibériens
on tue les prêtres, pour les envoyer prier
dans l’autre monde à l’intention du peuple. Enfin
loutes les idoles de l’Inde 6c de l’Amérique fe font
abreuvées de fang humain. Quel fpeâacle pour
Cortez entrant dans le Mexique, de voir immoler
cinquante hommes à fon heureufe arrivée ! maisquel
étonnement, quand un des peuples qu’il avoit vaincus
, députa vers lui avçc ces paroles : « Seigneur,
» voilà cinq efclaves ; fi tues un dieu fier qui te paif-
» fes de chair 6c de fang, mange-les, & nous t’en
» amènerons davantage ; fi tu es un dieu débonnaire,
» voilà de l’encens & des plumes ; fi tu es homme,
» prends les oifeaux & les fruits que voici ». C’é-
ioient pourtant des fauvages qui donnèrent cette leçon
d’humanité à des chrétiens, ou plûtôt à des barbares
que les vrais .chrétiens reprouvent.
Mais fi l’ignorance ou la corruption abufent des
meilleures inftitutions, quel fera l’abus des chofes
monftrueufes ? Aufli quand on fe fut apprivoifé avec
ces facrifices inhumains, les hommes devéniis les rivaux
des dieux, affefrerent de ne les imiter que'dans
leurs injuftices : de-là l’ufage d’appaifer les mânes ,
comme on appaifoit les dieux, par le fang ; en quoi
l’avarice des prêtres dü Paganifme nefervoit que
trop bien la haine des rois. Ge ne font plus dès-hécatombes
oii le facrificàteur trouve des dépouilles 6c
le peuple des alimens, mais les,plus cheres vj&iriies,
qu’une barbare fuperftition ifnmole à la politique.
Ce même Achille qui avoit arraché Iphigénie au
couteau de Calchas, demande le fang de Polixene.
Achille eft dieu par l’homicide ^ comme il étoit devenu
héros à force de maffacres. C ’eft ainfi que le fanatifme
a confacré la guerre -, 6c que le: fléau-le plus
déteftable eft regardé comme un aûe de religion :
aufli les Japonois n’ont-ils parmi leurs faints que des
guerriers, & pour reliques que des fabrès 6c desci-
meteres teints de fang. C’eft-affez d’une injuftice-dû-
vinifée, pour encourager l’émulation à faire des progrès
abominables. Un conquérant fignalerafon entrée
à Corinthe par le facrifice de fix cents jeûnes
Grecs qu’il immole à l’ame de fon pere, afin que ce
fang efface fes fouillures ,-comme fi le crime pouv-oit
expier le crime.
Mais tous ces afres d’inhumanité feroient moins de
honte à l’imbécillité de l’éfprit humain, qu’à la mémoire
de quelques coeurs lâches 6c barbares, fi Ton
n’avoit vu les fefres 6c les peuples entiers fe dévouer
à la mort par des facrifices volontaires.
Que les Gymnofophiftes indiens fe brûlent eux-
mêmes , afin que leur ame arrive toute pure auciel ;
comme ils attendenc.qüe-la vieilleffe on quelque maladie
violente1 leur ait ôté toute efpérance de v iv re ,
c’eft choifir le genre^de fa mort, •& non en prévenir
le terme : mais qu’une jeune époufe fe jette dans le
bûcher de fon époux ; que les efclaves fuivent leur
maître , & les courtifans leur r o i , jufqu’au milieu
des flammes ; que lesTartares circafliens témoignent
leur deuil à la mort d’un grand, par des meurtriffures
& des incitions dans tout le corps , jufqu’à rouvrir
leurs plaies pour prolonger le deuil : voilà ce dont
on ne peut attribuer la caufe qu’à l’extravagance de
l’imagination pouffée hors des barrières naturelles
de la raifon & d e la v ie , par une maladie inconcevable.
Quand on eft entêté de fes dieux, & frappé d’une
vaine terreur jufqu’à mourir pour leur plaire , mé-
nagera-t on beaucoup leurs ennemis ? De-là ces fiecles
de perfécution qui achevèrent de rendre le nom
romain odieux à toute la terre., & qui feront à jamais
l’horreur du Paganifme, 6c de toutes les fefres
qui voudroient l’imiter. Le zele d’une religion naif-
fante irrite les feâateurs de l’ancienne ; tous les éve-
nemens finiftres retombent fur les nouveaux impies
(car c’eft fous ce nom que les miniftres de la fuperftition
ont toûjours diffamé tous leurs contradifreurs),
& les ennemis du culte dominant y fervent de vifti-
mes. On prend prétexte de la zizanie qui fe mêle entre
les enfans du même pere, pour éteindre toute la
race des prétendus fafrieux ; mais admirez une légion
de fix mille hommes qui, plûtôt que de verfer
le fang des innocens, fe laine décimer & hacher toute
en pièces : bel exemple pour les tyrans de toutes les
feftes ! L’acharnement de la réfiftance, 6c l’impuif-
fance même de la tyrannie, augmentent les torrens
de fang humain : on nevoitqu’échafauds dreffés dans
les principales villes d’un grand empire ; & , fi l’on
en croit les annales de l ’Eglife , les bûchers manquent
aux yiôimes qui courent s’immoler. La fureur
de mourir ayant fai fi tous les efprits, on fe précipite
du haut des toîts ; envain la religion défend de braver
les empereurs, le fanatifme cherche la palme par
la defobéiuance, 6c les hommes fe pouffent les uns
les autres dans les fupplices.
La défe&ion enveloppe une ville entîefe dans la
profeription, & tous fes habitans périflént dans les
flammes. L ’obftination & la rigueur s’engendrent mutuellement
, 6c fe reproduifent tour-à-tour. Mais quel
dut être l’étonnement des Payens, continuent les
hiftoriens eccléfiaftiques, quand ils virent les Chré-s
tiens devenus plus nombreux par la perfécution, fe
déclarer une guerre plus implacable que celle des
Nérons & des Domitiens, 6c continuer entr’eux les
hoftilités de ces monftres ? Au défaut d’autres armes,
ils s’attaquent d’abord par la calomnie, fans fonger
qu’on ne fe fait point des amis, de tous ceux qu’on
fufeite contre fes ennemis. On accufe les uns d’adorer
Caïn & Judas, pour s’encourager à la méchanceté
; les autres de pétrir les azymes avec le fang des
enfans immolés : on reproche à ceux-là des impudi-
cités infâmes, à ceux-ci des commerces diaboliques.
Nicolaïtes, Carpocratiens, Montaniftes, Adamites,
Donatiftes, Ariens, tout cela confondu fous le nom
de chrétiens, donne aux idolâtres la plus mauvaife
idée de la religion des faints. Ceux-ci, coupables à
force de piété, renverfent un temple de la fortune ;
6c les Payens, aufli fanatiques pour leurs dieux que
quelques-uns de leurs ennemis contre les idoles,
commettent des atrocités inoiiies, jufqu’à ouvrir le
ventre à des vierges vivantes, pour faire manger du
b lé , parmi leurs entrailles, à des pourceaux. Jéru-
falem, cette boucherie des Juifs, devient aufli celle
des Chrétiens, qui y font vendus par milliers à leurs
freres de l ’ancien Teftamcnt. C eux-ci ont la cruauté
de les acheter, pour en faire mourir de fang-froid
quatre-vingt-dix mille : 6c comme fi les Chrétiens
avoient été la caufe du maffacre des onze cents mille
âmes qui périrent pour l’accompliffement des prédictions
; au lieu d’attribuer ces châtimens , avec Jofe-
phe leur hiftorien, à l’impiété des zélés qui avoient
répandu le fang des ennemis dans le temple, ils rejettent
fur le chriftianifme toute la haine dont l’univers
les accable ; 6c, ce que le fanatifme a pû feul
infpirer, ils feient les prifonniers, mangent Igur chair,
s’habillent de leur p eau, 6c fe font des ceintures de
leurs entrailles. Cet excès de vengeance caufe des
repréfailles qui font confumer dix-huit cents mille
âmes par le fer & par le feu.
Mais voici le fanatifme q ui, l’alcoran d’une main
6c le glaive de l’autre, marche à la conquête de l’A-
fie 6c de l’Afrique. C ’eft ici qu’on peut demander fi
Mahomet étoit un fanatique, ou bien un impofteur.
Il fut d’abord un fanatique, 6c puis un impofteur ;
comme on voit parmi les gens deftinés par état au
culte des autels, les jeunes plus fouvent enthou-
fiaftes, 6c les vieillards hypocrites ; parce que le fa natifme
eft un égarement de l’imagination qui domine
jufqu’à un certain âge , 6c l’hypocrifie une réflexion
de l’intérêt, qui agit de fang-froid & avec de
longues combinaifons. C ’eft ainfi que Jurieu ( s’il
faut en croire les hiftoriens d’un parti contraire au
fieri) difoit des prétendus prophètes du Viv a rès,
qu’ils pouvoient bien être devenus fripons , mais
qu’ils avoient été prophètes. La jeuneffe emportée
par la précipitation du fang , faifit de la meilleure
foi toutes les idées de religion ou de morale outrées,
& fe laiffe toûjours aller trop avant ; mais détrompé
de jour en jouir par l’expérience, on tâche d’achever
fa route en biaifant, parce qu’on ne peut tout-à-fait
reculer fans fe perdre. On rabat alors de fes maximes
tout ce que l’enthoufiafme y avoit ajoûté de
faux ou de pernicieux ; on modifie un peu l’auftérité
de fes principes ; enfin on tire de fes Ululions tout le
parti qui fe préfente, 6c cela s’exécute fourdement
par l’amour-propre dans les âmes les plus pures : car
remarquez que le fanatifme ne régné guere que parmi
ceux qui ont le coeur droit 6c l’efprit faux, trompés
dans les principes, 6c juftes dans les c.onféquençes ;
& que femblables aux chevaux ombrageux, On les
gueriroit en les familiarifant avec les objets de leur
vaine frayeur. Mahomet une fois defabufé, il lui en
coûta moins de foûtenir fon iliufïon par des men-
fonges, que d’avoiier qu’il s’étoit égaré : fon génie
ardent lui avoit fait voir ce qui n’étoitpas, un archange
Gabriel, un prophète dans lui-même; 6c
quand il fe fut affez rempli de fon vertige pour le
communiquer, il ne lui fut pas difficile d’entretenir
dans les efprits un mouvement qui avoit ceffé dans
le fien. D ’ailleurs, comment n’eût-il pas Confervé
une forte de confiance obfeure en ce qui le fervoit
fi bien ? Mais ce n’eft pas affez de répondre à cette
queftion, fi l’on ne demande grâce aux leûeurs pour,
l’avoir faite : car il eft peut-être contre le droit des
gens, 6c contre les égards que les nations fe doivent
entr’elles, de jetter de pareilles imputations fur les
légiflateurs mêmes qui les ont féduites ; parce que
le préjugé qui leur déguife la force des preuves d’une
religion contraire, femble les autorifer à la récrimination.
Ainfi , loin d’approuver celui qui mettroit
fur la fceâe un prophète étranger pour le joiier ou
le combattre ; tandis que le fpefrateur bat des mains
6c applaudit à fon heureufe audace, le fage peut dire
au grand poëte : J i votre but avoit été d'infulter un
homme célébré , ce feroit une injure à fa nation ; mais f i
vous ne vouliez que décrier l'abus de La religion, efi-ct
un bien pour La vôtre ? A Dieu ne plaife qu’on prétende
juftifier un culte aufli contraire à la dignité de
l’homme ; mais comme on parle ici pour toutes les
nations 6c pour tous les fiecles, on deviendroit fuf-
pefr au grand nombre des lefreurs qui veulent s’éclairer
en s’accommodant au langage d’une legere
portion de la terre. Ceux qui font perfuadés, n’ont
pas befoin de preuves ; 6c ceux qui ne le font pas *
fans doute ne veulent pas l’être : ainfi ne balancez
pas à détefter le fanatifme par-tout oit vous le verrez
, fût-il au milieu de vous.
Parcourez tous les ravages de ce fléaii, fous les
étendarts du croiffant, 6c voyez dès les commence-
mens, un Calife aflurer l’empire1 de l’ignorance & de
la fuperftition en brûlant tous les livres, comme inutiles,
s’ils font conformes au livre de Dieu ; ou comme
pernicieux, s’ils lui font contraires : raifonne-
ment trop politique pour être divin. Bientôt un autre
Calife contraindra les Chrétiens à la circoncifion,
tandis qu’ un empereur chrétien force les Juifs à recevoir
le baptême ; zele d’autant plus blâmable dans
celui-ci, qu’il profeffoit une religion de grâce 6c de
miféricorde. Chez le peuple conquérant, la vifroire
eft appellée le jugement de Dieu; 6c deux religions
oppofées mettent au rang des notes de leur divinité ,
la profpérité temporelle , comme fi le royaume de
J. C. étoit de ce monde. Des chrétiens trop fervens
ofent maudire Mahomet à la face des Sarrafins ; 6c
ceux-ci, par un zele aufli barbare que celui des autres
pouvoit être indiferet, coupent la tête aux blaf-
phémateurs, 6c rafent les églifes.
. Mais voici d’autres fureurs 6c d’autres fpefracles
(Pardon, ô religion fainte, fi je rouvre ici tes plaies,
6c la fource de tes larmes éternelles). Toute l’Europe
paffe en Afie par un chemin inondé du fang des
Juifs qui s’égorgent de leurs propres mains, pour ne
pas tomber fous le fer de leurs ennemis. Cette épidémie
dépeuple la moitié du monde habité ; rois,
pontifes, femmes, enfans & vieillards, tout cedeau
vertige facré qui fait égorger pendant deux fiecles
des nations innombrables fur le tombeau d’un Dieu
de paix. C ’eft alors qu’on vit des oracles menteurs,
des hermites guerriers; les monarques dans les chaires
, 6c les prélats dans les camps ; tous les états fe
perdre dans une populace infenfée ; les monts 6c les
mers franchies ; de légitimes poffeffions abandonnées
, pour voler à des conquêtes qui n’étoient plvis