
cite, nous preffe de prendre des alimens, & qui cefle.
quand on a fatisfait au befoin aduel qui l’excite.
Quelle fenfation finguliere î quel merveilleux fens
que la faim ! Ce n’eft point précifément de la doubleur
, c’eft un fentiment qui ne caufe d’abord qu’un
petit chatouillement, un ébranlement loger; mais
qui fê rend infenfiblement plus importun, & non
moins difficile à fupporter que la douleur même: enfin
il devient quelquefois fi terrible & fi cruel, qu’on
a vu armer les meres contre les propres entrailles de
leurs enfans, pour s’en faire malgré elles d’affreux
feftins. Nos hiftoires parlent de ces horreurs, com-
mifes au fiége des villes de Sancerre & de Paris,
dans le trifte tems de nos guerres civiles. Lifez-en la
peinture dans la Henriade de M. de Voltaire, & ne
croyez point que ce foit une fiûion poétique. Vous
trouverez dans l’Ecriture-fainte de pareils exemples
de Cette barbarie : manus mulierutn mifericordium coxe-
Timt filios fuos , facli funt cibus earum , dit Ezéchiel,
ch. v. f . 10. Et Jofephe,aa liv. V. ch. x x j. de la guerre
des Juifs, raconte un trait fameux de cette inhumanité,
qu’une mere exerça contre fon fils pendant
le dernier fiége de Jérufalem par les Romains.
On recherche avec empreffement quelles font les
caufes de la faim, fans qu’il foit poffible de rien trouver
qui fatisfaffe pleinement la curiofité des Phyfio-
logiftes. Il eft cependant vraiffemblable qu’on ne
peut guere foupçonner d’autres caufes de l’inquiétude
qui nous porte à defirer & à rechercher les alimens,
que la ftru&ure de l’organe de cette fenfation,
l’aftion du fang qui circule dans les vaiffeaux de l’eftomac
, celle des liqueurs qui s’y filtrent, celle de la
fa liv e , du fuc gaftrique, pancréatique, & finalement
l’aétion des nerfs lymphatiques.
Mais il ne faut point perdre ici de vûe que la-fenfation
de la faim, celle de la foif, & celle du goût,
ont enfemble la liaifon la plus étroite, & ne font,
à proprement parler, qu’un organe continu. C ’eft
ce que nous prouverons au mot G o û t (PJiyfolog.).
Continuons a prefent à établir les diverfes caufes de
la faim que nous venons d’indiquer.
Le ventricule vuide eft froiffé par un mouvement
continuel ; ce qui occafionne un frotement
dans les rides & les houpes nerveufes de cette partie.
Il paroît fi vrai que le frotement des houpes &
des rides nerveufes de l’eftomac eft une des caufes
de h faim, que les poiffons & les ferpens qui manquent
de ces organes, ont peu de faim, & joiîiffent,
de la faculté de pouvoir jeûner Iong-tems. Mais d’où
naît ce froiffement ? Il vient principalement de ce que
le fang ne pouvant circuler auffi librement dans un
eftomac flafque, que lorfque les membranes de. ce !
fac font tendues, il s’y ramaffe & fait gonfler les
vaiffeaux : ainfi les vaiffeaux gonflés ont plus d ’action,
parce, que leurs battemens font plus.forts ; or
ce furcroït d’a&ion doit chatouille? tout le tiffu nerveux
du yifcere, & l’irriter enfuite en rapprochant
les rides les unes des autres. Joignez à cela l’aélion
des mufcles propres & étrangers à Peftomac, & vous
concevrez encore mieux la néceflité de ces frote-
mens, à l ’occafion defquels lafaim.eû excitée.-
Il ne faut pas douter que la falive & le fuc ftoma-
çal ne produifent une fenfation & une forte, d’irritation
dans les houpes nerveufes du ventricule ; on
l-’éprpuve à chaque moment, en avalant fa falive ,
puifque l’on fent alors un picotement agréable fi
l’on Je porte bien: d’ailleurs l’expérience nous, apprend
que dès que la falive eft viciée ou manque de
couler , l’appétit cefle. Les foldats émouffent leur
fum en fumant du tabac, qui; les fait beaucoup cracher.
Quand V erheyen, pour démontrer que la falive
ne contribpoit point à la faim, nous dit qu’il fe
coucha fans fouper, cracha toute fa falive lelende-
main m^tin, & n’eut pas moins d’appétit,à dîner, il
ne fait que prouver une chofe qu’ôh ri’aura point
de peine à croire, je veux dire qu’un homme dîne
bien quand il n’a pas foupé la veille. La falive & le
fuc gaftrique font donc de grands agens de la faim ,
& d’autant plus grands, qu’ils contribuent beaucoup
à la trituration des alimens dans l’eftomac, & à leur
chylification.
Cependant pour que la falive excite l’appétit, il
ne faut pas qu’elle foit trop abondante jufqu’à inonder
l’eftomac ; il ne faut pas auffi qu’elle le foit trop
peu ; car dans le premier ca s , le frotement ne fe fait
point fentir, il ne porte que fur l’humeur falivaire ;
• oc dans le fécond , les papilles nerveufes ne font
point allez picotées par les fels de la falive : d’où il
réfulte que ces deux caufes pouffées trop loin, ôtent
la faim. Mais puifqu’à force de cracher, on n’a point
d’appétit, faut-il faire diette jufqu’à ce qu’il revienne
? Tout au contraire, il faut prendre des alimens,
; pour remédier à l’épuifement où on fe trouveroit, &
réparer les fucs falivaires par la boiflon. D ’ailleurs
la maftication attire toûjours une nouvelle falive,
qui delcend avec les alimens, & qui fervant à leur
digeftion, redonne l ’appétit.
II eft encore certain que le fuc du pancréas & la
bile contribuent à exciter la faim ,• on trouve beaucoup
de bile dans le ventricule des animaux qui font
morts de faim ; le pylore relâché , laiffe facilement
remonter la bile dij duodénum, lorfque cet inteftin
en regorge : fi cependant elle étoit trop abondante
ou putride, l’appétit ferait détruit, il faudroit vui-
i der i’eftomac pour le renouveiler, & prendre des
bouffons acidulés pour émouffer l’acrimonie bilieufe.
. Enfin l’imagination étend ici fes droits avec empire.
Comme on fait par l’expérience que les alimens
font le remede de cette inquiétude que nous
‘ appelions la faim , on les defire & on les recherche.
F imagination qui eft maîtrifée par cette impreffion,
. fe porte fur tous les objets qui ont diminué ce fen«
timent, ou qui l’ont rendu plus agréable : mais fi elle
eft maîtrifée quelquefois par ce fentiment, elle le
maitrife.jà fon tour, elle le forme, elle produit le dé-
g?l,t goût, fuivant fes caprices, ou fuivant les
impreffions que font les nerfs lympathiques dans le
Cerveau. Par exemple, dès que l’utérus eft dérangé,
Appétit s’émoufle, des-goûts bifarres lui fuccedent :
au contraire dès que cette: partie rentre dans fes fon-
âionSjJ’appétit fait reffentir fon impreffion ordinaire..
Cet appétit bifarre s’appelle malacie. Voyez Malag
i E. '
j Voilà , ce me Jeffible., les caufes les plus vraif-
femblables de la faim. Celles de l’amour , c’eft-à-dire
de l’inftinû qui porte les deux fexes l’un vers l’autre
, feraient-elles les mêmes ? Comme de la ftruéhi-
re de 1 eftomac, du gonflement des .vaiffeaux, du
mouvement du fang & des; nerfs dans ce v ifcere, de
la filtration du fu.c, gaftrique, de l’empire de l’imagination
fur le goût , il s’enfuit un fentiment dont les
alimens font le remede ; dq même de la ftruâure des
parties naturelles, dq jç.urplénitude > de la filtration
abondante d’unecertainejiqueur, n’enréfulte-il pas
un mouvement dans ce^ .organes ; mouvement qui.
agit enfuite par les-nerfs lympathiques fur l’imagination,
caüfe une v ive inquiétude dans l’efprit, un dc-
fir violent de finir,cefte impreffion , enfin un penchant
prefque invincible, qui y entraîne. Tout cela
pourrait être. Majs jfne sj^git point ici d’entrer dans
ces recherches délicates ; c ’eft allez, fi les caufes de
la faim ç^xe nous nyofis établies , . répondent généralement
aux phénomènes'de cette fenfation. M.
Senac le prétend dans fa phyfiologie : le letteur en
jugera p^r notre analyfe. ' ^
Quand on a été. un p,eu plus long - tems que
de côûtùme fans mangea ,1 ’appetit s’évanoiiit fcela
fe conçoit, parce que le yçntriçule fe reflerre par
l’abftmènce, donne moins de prife au chatouillement
du fuc gaftrique ; & parce que le cours du fang dans
ce vifcere fe fait moins ailément quand il eft flafque,
que quand il eft taifonnablement diftendu.
i° . On ne fent pas de faim lorfque les parois de
l ’eftomac font couvertes d’une pituite épaiffe : cela
vient de deux raifons. La première, de ce que le
Ventricule étant relâché par cette abondance de pituite,
fon fentiment doit être émoufle. La fécondé
confifte en ce que les filtres font remplis, & cette
plénitude produit une feompreffion qui émoufle encore
davantage la fenfibilité de l’eftomac.
3°. La faim feroit prefque continuelle dans là
bonne fanté, fi l’eftomac, le duodénum, & les in-
teftins fe Vuidoient promptement. Or c’eft ce qui
arrive dans certaines perfonnes, lorfqu’il y a chez
elles une grande abondance de bile qui coulé du
foie dans les irtteftins ; car comme elle diflout parfaitement
les alimens , elle fait que le chyle entre
promptement dans les veines laftées, & par con-
féquent elle eft Caufe que les inteftins & l’eftomac
fe vuident : enfin c’eft un purgatif qui par fon impreffion
précipite les alimens & les excrémens hors
du corps. Il y a quelquefois d’autres caufes particulières
d’une faim vorace, même fans maladie ;
c ’eft cette faim qu’on appelle orexie. Voye£ O rè-
x ie .
4°. On peut donner de l’appétit par I’ufage de
certaines drogues : telles font les amers qui tiennent
lieu de bile, raniment l’aftion de l’eftomac, & empêchent
qu’il ne fe relâche ; tel eft auffi l’efprit de
f e l , parce qu’il picote le tiffu nerveux du ventricule
» Enfin il y a une infinité de chofes qui excitent
l ’appétit, parce qu’elles flatent le goût, piquent le
palais, & mettent en jeu toutes les parties qui ont
line liaifon intime avec le ventriculei
5°. Dans les maladies aiguës , on n’â pàs d’appétit
; foit parce que les humeurs font viciées ; foit par
l’inflammation des vifceres, dont les nerfs communiquant
à ceux de l’eftomac, en refferrent le tiffu,
ou excitent un fentiment douloureux dans cet organe.
6°. Les jeunes gens reffenteilt la faim plus vi ve-
■ ment que lés autres ; cela doit êtré, parce que chez
les jeunes gens il fe fait une plus grande diffipation
d’humeurs, le fang circule chez eux avec plus de
promptitude, lès papilles nerveufes de leur eftomac
font plus fenfibles.
7°. Si les tuniques du ventricule étoient fort relâchées,
les nerfs le feraient auffi, le fentiment ferait
moindre, & par conféquent l’appétit diminuerait:
de-là vient, comme je l’ai dit ci-déffus, que
lorfqu’il fe filtre trop de pituite ôu de fuc ftoma-
« c a l, on ne fent plus de faim.
8°. Dès que l’eftomac eft plein, la fenfation de
l’appétit cefle jufqu’à ce qu’il foit vuide : c’eft parce
■ que dans la plénitude, les membranes du ventricule
font toutes fort tendues, & cette tenfion émoufle la
' fenfation ; d’ailleurs le fuc falivaire &C le fiic gaftrique
étant alors mêlés avec lès alimens, ils ne-font
plus d’impreffion fur l’eftbmac. Si même ce vifcere
e ft trop plein, cette diftenfion produit une douleur
ou une inquiétude fatigante.
9°. Quand le ventricule ne.fe vuidé pas fuffifam-
ment, le dégoût fuccede. En voici les raifons. i°.
Dans ce cas, l’air qui fe fépare des alimens & qui
gonfle le fac qui les renferme, produit urte fenfation
fatigante : or dès qu’il y a dans ce vifcére une fenfation
fatigante, elle fait difparoître la fenfatiôn
agréable, celle qui caufe l’appétit; c?eft-là une de
ces lois qu’a établi la nature par la néceflité de la
conftruûion. z°. Le mauvais goût aigre, rancïde,
alkalin , que contraâent les alimens par leur féjôür
dans le ventricule, donne de la répugnance pour
To m F l ,
toutes fortès d’alimens femblables à céux qui fé
font altérés dans cet organe de la digeftion. 30. Il
faut remarquer que dès qu’il y a quelque aliment
qui fait une impreffion défagréable fur la Iartguô
Ou fur le palais, auffi - tôt lé dégoût nous faifit, &C
l’imagination fe révolte.
io ° . Elle fuffit feule pouf jétter dans le dégoût,
& peut même faire defirer des matières perhicieu*
fes, ou des chofès qui n’ont rien qui foit aliment
taire. C ’eft en partie l’imagination qui donne un
goût fi capricieux aux filles attaquées de pâles couleurs
: ces filles mangent de la terre, du plâtre, de la
craie, de la fariné, des charbons, & c , & il n’y à qu’une
imagihation bleffée qui puifle s’attacher à de tels
objets. On doit Regarder cette forte de goût ridicule
comme le délire des mélancoliques, lelquels fixent
leur efprit fur un objet extravagant : mais il eft certain
que l’impreflion qüe font ces matières eft agréable
, car elles ne rebutent point les filles qui ont dé
telles fantaifies. Foyc\ P a l e s C o u l e u r s .
D e plus, qui ne fait que les femmes enceintes dei
firent, mangent quelquefois avec plaifir du poiffori'
crud, des fruits verds, de vieux harengs, & autres
mauvaifes drogues, & que même elles les digèrent
fans peine? Voilà néanmoins des mâtierés défagrëa-
bles & nuifibles, qui flatent lé goût des femmes grof-
fés fans altérer leur fanté, ou fans produire d’effets
mauvais qui foient bien marqués. Il eft donc certain
que dans ces cas les nerfs ne font plus affeétés com -
me ils l’étoient dans la fanté, & que des chofes def-
agréables à ceux qui fe portent bien, font des im-
prèfîîons flateufes lorfque l’économie animale eft dérangée
: c’eft pour cela que les chates & d’autres fe*
melles font quelquefois expofées aux mêmes caprices
que les filles par rapport au goût. Souvent les
médecins induftrieux ont élôigné ces idées extrava*
gantes, en attachant l’efprit malade à d’autres ob*
jets : il eft donc évident qu’en plufieurs cas, l’imagi*
nation conferve fes droits fur l’eftomac ; elle péut
même lui donner une force qu’il n’a pas naturelle*
ment. Ajoûtons qué dans certains dégoûts lés malades
dont l’imagination eft pour ainfi dire ingénieufe
à rechercher ce qui pourrait faire quelque impreffion
agréable, s’attachent comme par une efpece de délire
à des alimens bifarres, & quelquefois par un in-
ftindt de la nature, à des alimens falutaires.
On pourrait fans doute propofer plufieurs autres
phénomènes de la faim, à l’explication defquels nos
principes ne faüroient fuffire, & nous fommes bien
éloignés de le nier : mais la phyfiologie la plus fa-
vanté ne l’eft point affez pour porter la lumière
dans les détours obfcurs du labyrinthe des fenfa-
tions ; il s’y trouvé une infinité de faits inexplicables
, plufieurs autres encore qui dépendent du tempérament
particulier, de l’habitude, & des jeux in*
connus de la ftru&ure de notre machine.
Après ces réflexions, il ne nous refte qu’à dire en
deux mots comment la faimie diffipe,même fâns manger
, moyen que tout le monde fait, & qüe l’inftinft
fait fentir aux bêtes : elle fe diffipe outre cela, i° en détrempant
trop les fücs diffolvans, & en relâchant les
fibres à force de boire des liqueurs àqueufes chaudes,
telles que le thé : z04 en bûvànt trop de liquides huileux
, qui verniffent & émouffent les nerfs, ou même
en refpirant continuellement des exhalaifons de matières
grafles, comme font par exemple les faifeurs
de chandelle : 3Q. lorfque l’ame eft occupée de quelque
paflîon qui fixe fon attention, comme la mélancolie
,1e chagrin, &c. la faim s’évanouit, tant l’imagination
agit fur l’eftômac: 40. les matières putri-
• des ôtent la faim im le champ, comme un feul grain
rd’oeuf pourri , dont Bellini etit des rapports nidoreux
pendant trois jours, &c. 50. l’horreur ou la répugnance
naturelle qu’on a pour certains alimens,pour
B b b ij