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ditées, trop précifes , trop claires ; qu’ils doivent
porter la plus grande attention dans le choix des
hommes à qui ils donnent leur confiance, accueillir
la vérité quoiqu’elle fe préfente fous des formes
auûères & même rebutantes; & enfin, que les
lettres interprétatives peuvent nuire à la réputation
d'un miniftre & au bien du fervice. « 11 y eut des
plaintes, dit M. de Saint-Germain , des réclamations
, des queftions & des doutes fur lés ordonnances
de conftùution & de réglement, qui ont
donné lieu à des éclaircifTements , à des interprétations
contre lefquelles il m’a paru qu’on s’étoit
beaucoup élevé. C ’eft dans cette circonftance que
j éprouve combien on pouvoit tromper un minière
& abufer de fa confiance. Ces doutes , ces
queftions m’ayant toujours été préfentées ifolées &
ians que la loi fur laquelle elles portoient fût mife en
oppofition, & dans les moments où j’avois la tête
remplie de mille autres objets plus importants , on
eft parvenu à nie faire donner des décifions contraires
à l’efprit de la lo i, & toutes contradictoires
êntr’elles ; je fus averti de cette trahifon criminelle
par un mémoire qu’un officier général eut le courage
de m’adreffer, qui mettoit en oppofition les
loix avec les interprétations ; mais çe mémoire étoit
écrit avec tant d’humeur & de fiel, que je le brillai
éprès l’avoir lu. J’en fuis fêçhé aujourd’hui. Si je
pouvois le mettre fous les yeux du public éclairé ,
on verroit par la Critique-même , la force & la
folidité de la conftùution militaire aâuelle , en le
dégageant des changements que ces interprétations
y ont occafionnés , & en ramenant tout au fens littéral
des ordonnances ».
Je ne fais ce que pouvoit contenir le mémoire
que M. de Saint-Germain brûla, mais je doute qu’on
pu iffe y trouver rien déplus fort que les phrafes
fuivames ; elles font extraites de la correfpondance
de M. de Saint Germain avec un officier général au
fervice de France , & relatives à l’objet qui nous
occupe. Après avoir parié'des queftions çaptieufes
& ridicules , l’officier général dit au miniftre ; « Il
me paroît que vous en êtes accablé; j’en juge par
les lettres interprétatives que npus recevons journellement.
Vous n’avez donc pas voulu, M. le
comte, vous mettre en garde contre .ces dangereux
pièges. Je vois avec douleur qu’on vous y a entraîné,
& j’en ai bien plus encore quand f enviîage les con-
féquences dacgéreufes qui en réfultent. Je vous
conjure donc de nouveau, à genoux, n’écrivez plus
de lettres interprétatives ; attendez le retour des
chefs de divifion , raffemblez-les enfuite ; écoutez
leurs observations; pefez-les, difcutez-les avec eux,
reâifiez les loix , fi vous jugez qu’elles peuvent en
avoir befoin : mais ne les dégradez pas , & n’avili
fiez pas votre autorité par cette foule d’interprétations
& de contradictions ». Il ajoute quelques
tems après : « Détruire fans celle des loix fagement
promulguées par des letties, c’eft les dégrader &
âffoiblir le reipeét qu’on leur doit. Il ne faut pas
répéter à tout moment la pafquinade des aides-
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majors de cavalerie & de dragons, qu’on a d’abord
dépouillés des droitsqueleurdonnoitl’ordonnance,
& rétablis enfuite, parce que cette dernière déciiîon
intéreffoit le fort du irèred un commis des bureaux.
Cette obfervation n’a échappé à perfonne,& j’en
ai été affligé pour vous ».
Les mémoires de M. de Saint-Germain nous ont
montré que les lettres interprétatives peuvent être
funefles à la perfonne des miniflres. Un ouvrage
plus moderne va nous les faire voir funefles au bien
du fervice : c efl 1 auteur de l’examen critique du
militaire françois, qui va parler. « Il faut révéler,
dit-il, touts les maux fecrets qui nous tourmentent,
ou , pour mieux dire, touts les abus qui régnent
dans les bureaux de la guerre , 8c celui que je vais
dévoiler n’eil pas des moins importants.
Si la rétractation efl fachenfe pour tout le monde,
e le l’eft bien d’avantage pour les miniflres dont
elle décèle trop publiquement, ou le manque de
favoir, ou le manque de prévoyance, aux yetfx
d’un public déjaft porté à les en acculer. C ’efl pour
leur éviter ce défagrément, que les commis de la
guerre ont imaginé des lettres contradiétoires, qui
lùfpendent, abrogent, anéantiffent les ordonnances.
Ces lettres n’étant connues que des officiers auxquels
elles font particulièrement adreffées , elles
échappent à la publicité , 8c l’on ignore les rétractations;
voilà le moyen commode 8c continuellement
employé pour couvrir les inconféquences 8c
les incertitudes miniflérielles ; il a le fâcheux inconvénient
de fubflituer par-tout le défordre de
l’arbitraire à la fiabilité du code ; quand il ne faut
qu’une lettre pour détruire une ordonnance, la pins
petite objeétion la diète, il en part de touts les bureaux
, 8c au bout de trois ans, cette colleélion ma-
nuferite anéantit entièrement la colleélion d’ordonnances
, qui alors devient dangereufe au militaire ;
car elle égareroit infailliblement celui qui s’en fer-
viroit pour étudier nos loix; c’efl la copie de foi-,
xante-dix ou quatre-vingt lettres _ qu’il faut que
chacun fe procure aujourd'hui, c’efl-à-dire, qu’il
faut être initié dans les-bureaux des quartiers-
maîtres pour pouvoir difeerner les ordonnances qui
ont confervé quelque valeur d’avec celles qui font
annullées »,
On fera fûrement tenté de croire , enlifant ce
partage, que fon auteur a exagéré les abus pour les
rendre plus fenfibles. La peinture qu’il fait efl cependant,
il faut en convenir, de la vérité la plus
exaéle ; j’ai fous les yeux un manuferit compofé de
plus de cent cinquante grandes pages , entièrement
remplies de lettres interprétatives ; 8c encore ce recueil
n’efl il pas complet; il ne contient que les
[ lettres adreffées à. un feul régiment ; s’il renfermoit
celles qui ont été envoyées aux autres corps de
l’armée , & celles qu’ont reçues les majors 8c les
commandants des différentes places du royaume, il
feroit infiniment plus confidérable.
Il efl bien difficile, je ne l’ignore point, de créer
des loix qui, prévoyant touts les cas, levant touts
les
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les doutes, réfolvant toutes les difficultés, & répondant
d’avance à toutes les queftions çaptieufes
ou ridicules que la mauvaife foi ou l’ignorance
peuvent faire, rendent inutiles les explications ,
les commentaires & les lettres interprétatives : mais
il feroit poffible, il feroit avantageux , on devroit
même, ce me femble, toutes les fois qu ilfe préfente
quelque cas qui n’a pas été exa&ement prévu par la
lo i , toutes les fois que les volontés du légiflateur
t f ont point été énoncées a fiez clairement pour être
comprifes généralement 8t de la même manière ,
toutes lesfoison unmot,qu’unelettre interprétative
eft néceffaire, on devroit, dis-je , la méditer aum
long-temps, la faire rédiger avec le mêmefoin que
la loi elle-même, lui donner la même fanclion , &
en l’adreffant imprimée à touts les corps, lui donner
la même publicité. Ainfi toius les militaires connoi-
troient les loix dans toute leur étendue ^ ainfi les
lettres interprétatives feraient toujours la véritable
expreffion des volontés du légiflateur ; elles ne fe-
roient plus en contradi&ion avec les ordonnances
quelles ne doivent qu’expliquer, & ne contien-
droienr plus,des phrafes ou baffes, ou triviales, ou
capables de faire des bleffures profondes a 1 efprit
militaire & à l ’honneur des miniûres. ( C ).
LEVÉE. AClion de raffembler des hommes defli-
nés au fervice militaire.
Les levées fuppofent un ordre , une forme,un
fouverain & des loix. Dans les petites peuplades
fauvagès, il n’y a point de levées, mais des affocia-
tions volontaires pour faire la guerre.
Touts les membres de la fociéte étant égaux &
libres , il’faut qu’un de ceux qui lont reconnus capables
d’être chefs à la guerre, & qui veut lever la.
jiache , perfuade à fes compagnons de prendre part
à l’entreprife qu’il a projetée.
Dans les fociétés qui ont une forme de gouvernement
, le fouverain ayant feul le droit de faire la-
guerre , a feul auffi le droit de faire des levees.
Les anciennes républiques ayant retenu en grande
partie l’égalité naturelle, touts les citoyens y étoient
tenus au fervice militaire: mais, comme ils etoient
affujettis à une autorité fouveraine exerces par un
certain nombre de citoyens, la forme des levees
néceffaires pourune guerre réfolue etoit de terminée
par la lo i, & un ordre émané de l’autorité fouveraine
en fixoit le nombre. L’ enrôlement y etoit
forcé, parce que les membres de la fociété étant
peu nombreux, le fouverain n’auroit pu entreprendre
des guerres confidérables par un enrole-
lement volontaire. C ’eft par la meme raifon que ,
dans les pays partagés originairement entre des
chefs conquérants, le fervice militaire a été force :
leurs feigneuries étant peu étendues , & l’affedion
de leurs fujets légère ou nulle, ils auroient eu peu
d’hommes dans les guerres qu’ils fe faifoient.
Les levées par enrôlement volontaire & par enrôlement
forcé, ont été adoptées dans les grands
jêtats ; celles-là comme confiantes pour les befoins
Art militaire. Tome ///,
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permanents ; les antres pour les befoins fubits,
comme promptes & fures. • ,
Les loix concernant les levées déterminent la
forme de l'enrôlement, l'âge, la taille, le temps du
fervice. Dans les grands empires, où le fervice militaire
n’emploie qu’une petite partie des citoyens ,
l’apprenriffage commence avec l’enrôlement. Dans
les anciennes républiques , ou 1 état, foible par Immême,
avoit bèfoin de.défenfeurs, tout citoyen etott
effentiellemem foldat ; 8c le but principal de 1 éducation
publique étoit de former des gens de guerre.
Nous allons voir quelles étoient a cet egard leurs
inftitutions.
A t h é n i e n s . ’
"Forme des levées.
Avant Coecrops, les Grecs encore fauvagès ;
n’avoient point de loix militaires. ( av.J. C. , 1857).
Théfée ( 12.31 ) , en réunifiant dans une feule ville
8c fous une feule adminiflration , les douze bourgades
de Coecrops , s’étoit fans doute réfervé, avec
le commandement militaire, l’autorité de régler
l’ordre de la milice : mais nous ignorons fes mflitu-
lions. Au temps d’Agamemnon , les rois faifoient
tirer au fort dans chaque famille, ceux qui dévoient
les fuivre à la guerre. Si les jeunes gens que le fort
défignoit, n’obéiffoient point, ils étoient ajjfujet-
tis à une amende. Les loix militaires furent en
ufaee fous les neuf Archontes , dont l’un , nomme
Polémarque,' adminiltroi: tout ce qui concerne la
guerre, 8c celles qu’établit Dracon, nous font inconnues.
( Thucid. , }'■ IIO , B . lhad, , l. X X IV . v.
400. /. X I I I , v. 269 ).
La ville d’Athène s’étant confidérablementaug-
mentée, le befoin d’établir un ordre dans le fervice
militaire, s’y fit fentir : celui de Solon efl: le plus
ancien que l’hifioire nous faffe connoitie. C.
i 590),
Théfée avoit divifé le peuple en trois tributs ;
fçavoir , les praticiens , les laboureurs 8c les arti-
fans. Il avoit attribué à la première, l’adminiffration
delà religion 8c des loix, 8c établi l’égalité entre
les citoyens à tour autre égard. Solon , laiffant aux
plus riches les premiers emplois, 8c voulant admettre
au gouvernement lerefledu peuple, divifa
les citoyens habitants d'Athènes & du territoire de
l’Attique , en quatre claffes, fuivant leurs divers
degrés de fortune. ( Plutarch. TheJ. , p. 1 1 , C. ).
Dans la première, furent compris les opulents ,
oui poffédoienr au moins cinq cents medimnes de
revenu, ou 1350 feptiers en grains .fruits ou pro-
duits tant fecs que liquides ; ce qui feroit, fuivant
le prix afluel du bled, à 10 liv. le feptier 27,0001.
de notre monnoie'. ( Plutarch. , p. 87 , F. Mérn. de
l’Acad., tom. F lI I , p. 372.
Dans la fécondé, les riches ou chevaliers qui
poffédoient au moins 300 médimnes (810 feptiers,