<4 z R Ê V
primer aînfi , paraîtrait plutôt un (èlrtettre pour
les rebelles qu’un triomphe pour vos armes.
Jean Cafimir, roi de Pologne, rendit fouvent
la tranquillité au pays des Cofaques, en leur pardonnant
après les avoir défaits ; mais a peine pendant
cette paix fimulée , avoient-tls rétabli leurs
troupes , qu’ils commençoient de nouveau la
guerre contre les Polonais, parce que Jean Caii-
Sdr avoir toujours eu la trop grande cofflplaifance
d'accorder par un des articles de paix, la permil-
fion aux Cofaques d’avoir dans leur pays un gros
de troupes nationales.
Vous exprimerez dans votre ammftie, que vous
n’v comprenez pas les femmes , les petits enfants ,
ni les vieillards , dont les maris, les fils , les peres
ou les frères qui font parmi les rebelles, ne viendront
pas fe rendre , parce qit autrement votre
pardon ferait d’i.n grand fdulagement pour les révoltés
, qui, en confervant feulement les hommes
propres à porter les armes , fe déchargeraient de
toutes les autres perfonnes inutiles auxquelles on
ne doit pas permettre de revenir dans leurs mai-
fons, quand une fois elles s’en font abfentees ,
excepté que leurs proches parent ne quittent les
armes. Vous verrez , par l’exemple fu.vam , comment
les habitants de Pife trompèrent leurs enneEmnis
. 1 504 , les Florentins croyant ru.i ner .le paru
des Pifans qu’ils appelloient les rebelles , firent
publier une amniftie par laquelle ils pardonnoient
ito o ts lès habitants du territoire de Pifequi, se-
tant réfugiés dans cette capitale, viendraient dans
un certain nombre de jours prefem, habiter leurs
hameaux , leurs villages ou leurs terres. Les Pifans
interprétant cette déclaration d’une maniéré avantageufe
pour eux , fe défirent, fous ce prétexte ,
de toutes les perfonnes q u i, dans la ville , ne leur
fervoient qu’à manger, & conferverent feulement
celles qui pouvoient leur être utiles pour le défendre
contre les Florentins.
Défendez-vous , autant que vous le pourrez , de
comprendre dans le pardon le chef des rebelles ,
afin que chacun voyant qu’il a toujours a craindre
le fupplice qu’il a mérité, § ne s en trouve pas
quelque autre qui, imitant fon pernicieux exemple,
fade une nouvelle révolte, parce que fouvent 1 ef-
pérance du pardon fait naître le défit du crime.
Celui qui a goûté une fois les honneurs de 1 ab-
folu commandement, ne fe foumet qu avec peine
à l’obéiffance de fujet, & fe réduit avec plus de
difficulté encore aux foumiflions d’un coupable qui
S’eft rendu ; fa fitnaiion étant violente , fa fidélité
ne dure que le temps dont il a befom pour trouver
les nouveaux moyens d’exciter un autre loulèvement.
. „ .
Le coeur des rebelles ne s’abattra point tandis
qu’ils fe verront encouragés par un chef qui les a
conduits à la révolte 1 car une des chofes monf-
trueufes de cet horrible corps , eft de ne pouvoir
fe mouvoir par fes pieds, mais feulement par une
R Ê V
tête étrangère. «Toute multitude, dît Tîte-Live;
eft comme la mer immobile par elle-même ».
Après que Blefus eut défait le rebelle Tacfarinas
en différents combats, Tibère lui donna ordre de
promettre le pardon à touts ceux qui quitteroient
les armes ; mais de tâcher, à quelque prix que ce
fû t , de fe faifir du chef des révoltés.
Quoique le Cofaque Bogdane Chmelnielski;
qui fit la guerre à Uladiflas & à Jean Cafimir, fe$
rois, eut en 1649 » Paix en Sbaravie » Ü ne
laiffa pas de foulever de nouveau le pays, & d attirer
les Turcs & les Tartares contre la Pologne;
en quoi il n’auroit pu réuflir, fi Jean Cafimir ne
l’avoit pas laiffé parmi des peuples q u i, fous leur
premier chef, étoient prêts à tout entreprendre;
aufli en coûta-t-il plufieurs batailles à la Pologne
pour pouvoir le réduire.
S i, pour appaifer les rebelles , il faut indifpen*
fablement comprendre leur chef dans le pardon,
vous chercherez enfuite quelque pretexte honnête
pour le tirer du pays , quand même il faudroit
lui accorder de plus grands avantages dans un autre.
Quoique le nommé Cavalier , chef des fanatiques
rebelles en France, eut capitulé qu il refte-
roit au fervice de Louis X IV , fa majefté très chrétienne
coiîfidérant combien un tel homme feroit
dangereux da»s fes états, l’en fit fortir par des
voies qui n’offenièrent ni la generofite , ni la bonne
foi de ce prince , puifqu’il lui affigna dans un autre
pays une penfion confidérable.
Des armes & des privilèges des révoltés qui fe font
rendus.
J’ai déjà parié de la manière de défarmer des
habitants , lors même qu’il eft néceffairé d’ufer de
rufe. J’ai dit comment on peut , avec une petite
garnifon , fe rendre maître d’une place confiée*
rable par le^rand nombre des citoyens. Je traite
ailleurs des lo ix , des privilèges & des coutumes
d’un pays conquis , & de celui qui, depuis long-
; temps, eft fous votre domination ; ainfi , pour ne
| pas tomber dans une répétition ennuyeufe , il me
! reftera peu de chofe à dire ici fur ces matières.
; En faifant prêter un nouveau ferment de fidélité
aux peuples qui s’étoient révoltés, ayez foin de
’ les défarmer; mais comme cette réfolution les irri-
■ tera extrêmement, fi nous n’avez pas les forces
j néceffàires pour agir avec fureté , ne faites pas
femblant d’y penfer , jufqu’à ce qu’il fe préfente
une meilleure conjoncture.
Le roi d'Efpagne, mon maître, par une fage du*
fimulation , laiffa aux peuples de Valence & d Ar-
ragon1 leurs armes au commencement de leur r<*
volts- , pour ne pas fe les rendre plus ennemis, en
faifant voir un deffein de les châtier, lorfqu il fl*
voit pas les forces pour l’exécuter ; mais apres
avoir gagné la bataille d’Almanfa , qui fit changé
les affaires'de face, le ro>i défarma les royaumes
de Valence & d’Arragon , à la réferve feulent
R É V
de quelques lieux & de quelques particuliers qui
lui avoient confiervé la fidélité.
Après avoir défarmè les peuples , voiis leur
ôterez les privilèges que vous croirez préjudicia»
blés à la jtmfdiétion , à l’intérêt ou à l ’autorité du
prince. Si vous les leur ôtez touts entièrement ,
ayez en cela pour motif fecret de pouvoir enfuite
gagner leur affeétion envers le fouverain, en ayant
quelque chofe à leur donner, afin de faire voir
que c’étoit par un jufte châtiment qu’on les avoir
dépouillés de touts leurs privilèges , & que c ’eft
par un effet de la bonté du prince qu’on leur en
rend quelques-uns.
Lorfqu’Anne de Montmorency, connétable de
France fous Henri II , fournit Bordeaux , il ôta à
cette ville touts les privilèges qui lui parurent préjudiciables
à la couronne.
Le roi d’Efpagne , mon maître , dépouilla les Ar-
ragonois de touts les privilèges dont ils jouif-
foient; mais quand fa majefté crut" qu’on ne pourront
plus attribuer à une crainte les effets de fa
bonté, il les rétablit dans leurs anciennes prérogatives
, à l’exception de celles qui fe trouvèrent
trop oppofées à l’ intérêt du roi.
Les mêmes précautions à prendre contre les habitants
d’une place nouvellement conquife , peuvent
fervir contre les habitants des villes qui , autrefois,
avoient été fous la domination de votre
I prince, & que vous réduifez de nouveau fous l’o-
I béiflance de votre fouverain.
I Les'perfonnes qui fe font confervées fidelles
! parmi des peuples rebelles , font dignes de récom-
I penfe ; elles ont non - feulement le mérite d’avoir
I gardé la fidélité au milieu des follicitations d’un
I pernicieux exemple , mais encore celui d avoir
I foaffert par la perfêcution de leurs concitoyens ,
I & d’avoir jenduré beaucoup de misères & de fa-
I figues.
I Si pour fe délivrer de cette perfêcution, ou pour
I fuivre les troupes de leur fouverain , elles ont
I abandonné leur pays , il y auroit du danger à ne
[pas récompenfer ces fujets fidelles, à caufe des
| mauvaifés fuites que cela pourroit avoir dans une
I autre occafion ;c a r , irrités de fe voir traiter comme
| les rebelles , & expofés par - là même à leurs rail-
| leries, ils pourroient peut - être une autre fois ne
[ pas être aüfli confiants dans leur devoir. Je fais
| bien qu’il n’èft pas aifé d’indemnifer un particulier
| dans touts les privilèges qu’on ôte atout un peuple;
l'niais je ne vois pas qu’il y ait de la difficulté à lui
| accorder quelqu’autre grâce équivalente, & à lui
| permettre Tufage des armes.
Oa contrevient fouvent à ce que je viens de
dire, quoique les princes ne manquent ni de
I îionte ni de juftice, mais feulen\ent par la parelfe
! « le peu d’équité des commandans , qui n’informe
? as la cour de la conduite, des qualités & des talents
de chaque particulier ; afin que fur cette con-
jioiflance le fouverain proportionne les emplois &.
i *es récompenfes.
R É V 14\
Le roi d’Efpagne, mon maître, a comblé de
bienfaits les mai fon s de Marimon , de Taberné,
de Grimace , de Copons, de Bellet , & autres qui
dans le foulèvement de la Catalogne , leur patrie,
conferverent leur fidélité;& tandis que Viélor-Amé-
dée de Savoie, roi de Sardaigne ,en punition de la
révolte de Modavi, ne permet pas à ce peuple
d’avoir des armes , il occupe dans les premiers
poftes le marquis d’Orméa , le comte de Soutana ,
le préfident Belletutti, & plufieurs autres citoyens
de la ville'de Mondovie , qui, au milieu des troubles
, s’étoient diftingués par leur fidélité & par les
fervices fignalés qu’ils avoient rendus chacun ref-
peâjvement dans leurs emplois.
Outré cette raifon de politique, la confcience
exige de diftinguer l’innocent du coupable. « Non,
vous ne ferez point cela , difoit Abraham à Dieu ,
lorfque dans la punition de Sodome il efpéroir que
le jufte Lot fortiroit de la ville avec fa famille ;
vous ne tuerez point ; le juftg ne fera pas traité
comme l’impie, c’eft ce que vous ne fauriez vouloir;
vous qui jugez toute la terre , vous ne rendrez
pas un pareil jugement ».
Bien loin de punir les 11ns pour les crimes des
autres ; les livres facrés nous apprennent que le
mérite d’un petir nombre doit faire pardonner à
plufieurs. «Si je trouve dans Sodome cinquante
juftes, je pardonnerai à toute la ville à caufe d’eux,
répondoit Dieu à Abraham , lorfque pour éviter la
deftruélion de Sodome , il repréfentoit à fa divine
majefté qu’il y a voit parmi ce peuple des hommes
j liftés : je ne la détruirai point fi j’en trouve quarante
- cinq ; je ne la frapperai pas fi j’en trouve
trente ; je ne la ferai pas périr fi j’en trouve vingt;
je ne la détruirai pas fi j’en trouve dix ».
Il ejl nécejfaire de rendre aguerri un pays qui s'étoit
révolté,
Je penfe qu’on jie fauroit trop prendre cîe précautions
contre des peuples qui ont été une fois
rebelles , parce que cette maladie tfft fujette à de
fréquentes rechutes , & rarement, difent les livres
faints, « les pères pervers font des enfants fidelles
». Saint Thomas s’explique encore plus clairement
; il prétend que l’inclination à la vertu ou
au mal nous vient en quelque forte des parents qui
veulent toujours faire leur femblable , & que c’eft
par accident quand le contraire arrive.
Sur cette fuppofition prenez toutes les précautions
que vous jugerez convenables parmi celles que
je vous ai propofees , par rapport aux peuples dont
la fidélité eft fufpeéle ; outre cela, je crois qu’il eft
important de rendre moins aguerrie la province nouvellement
cônquife. Pour y parvenir , défarmez les
peuples , parce que le défaut d’armes , qui en fait
oublier l’exercice, & q u i. diminue l’inclination
qu’on avoit à les maniei*, rend les hommes moins
propres à entreprendre une révolte .qu’il faut fou*
tenir par une guerre.