
armes fous le moindre foupçon qu’ils ont qü on
veut y toucher. D ’un autre côté, un prince accoutumé
peut-être à donner la loi à fes ennemis , ne
peut fouffrir que.des fujets ofent lui réfifter, en
lui oppôfant des privilèges accordés par ion pre-
déceffeur. De là commencent à naître la mefintel-
ligence entre le prince & Iss fujets , dont une
guerre eft pour l’ordinaire la fuite. Lorfque ce
pays aura été fournis, le prince doit non-feulement
lui ôter touts les privilèges qu’il avoit au-
deflus des autres provinces, mais lui laifler même
moins de liberté ; d'où je conclus que les princes
ne devroient pas être prodigues de pareilles dif-
tinélions , ni les peuples fi ardents pour les obrenir.
Quels ravages & combien de guerres civile?
n'a pas caufé aux Anglois ce qu’ils appellent leur
grande carte 1 Naples 8c la Catalogne, pour fou tenir
leurs privilèges, ont éprouve les mêmes malheurs
; tandis que les autres provinces , qui n’en
avoient pas de fi exceffifs , fe font confervées dans
la fidélité quelles dévoient à leurs rois. J
Celui qui fe trouve dans un état médiocre &
dans un certain milieu , n’afpire pas a monter plus
haut, lorfqu’il court rifque de tomber plus bas ;
mais celui qlû fe voit dans la fortune la plus baffe ,
a befoin de je ne fai quelle vertu , pour ne pas
afpirer à un fort moins malheureux ; ainfi , comme
les privilèges exceffifs rendent les fujets trop orgueilleux
, & par-là trop dangereux , on peut auffi
les rendre- mécontents à force de les abattre & de
reftreindre leur liberté 8c leurs privilèges. Il eft
donc à propos d’accorder aux peuples quelques
exemptions , afin que leur affeâion pour les côn-
ferver raffure contre l’ambition qui pourroit les
porter à afpirer à de plus grandes.
J)e rabondance, de là qualité, de la mefure & du
pris? des vivres,
La populace eft une forte de monftre dont le
ventre commande à la tête ; qui fait confifter fa
Télicité dans le boire $c le manger ; qui n-obéit
qu’avec répugnance lorfqu’il n’eft pas nourri avec
abondance; & q u i, au contraire, fouffre patiemment
le jou g , lorfque fa faim eft raffafie ; qu un
de vos principaux foins fôit donc que les pe.r-
fonnes établies pour, conferver l’abondance dans
une province , s’acquittent de leur devoir.
Dieu avoit fait en faveur de fon peuple des miracles
continuels ; il avoit fait pleuvoir la manne;
il avoit fait fortir l’eau des rochers ; il avoit rendu
douce l’eau falée; il avoit ouvert un chemin entre
les ondes , & avoit opéré une infinité d’autres prodiges.
Cependanrlès ifraélires- ne biffèrent pas de
fe foulever contre lès condu&eurs que Dieu leur
avoit donnés , dès qu’ils vinrent à fouffrir la faim
ou la foif; « & ils auroient mieux aimé être morts
dans l’Egypte en mangeant, que de fouffrir la
faim dans le défért ».
yepipçreur jGlaude voulant que lç peuple Romain
fupportât fans murmure les contributions
qu’il avoir deffein de lui impofer , commença par
procurer à Rome l’abondance du-pain , en offrant
de payer de l'es propres deniers toutes les pertes
que les négoçians en bled pourroient faire dans le
tranfport par terre ou par mer. Par-là les Romains
reçurent fans répugnance les contributions qu’il
tarda peu de leur impofer.
L’abondance des vivres ne fuffit pas pour contenter
le peuple; il faut encore avoir grande attention
qu'il n'y ait pas de la fraude dans la mefure
, le poids & la qualité des vivres , parce que
la cherté, qui vient du malheur d’une mauvaife récolte
, envifagée comme un fléau de la main de |
Dieu , fe fupporre plus patiemment que celle qui
eft caufèe par la fraude 8c 1 avarice de ceux qui I
vendent, ou par la négligence de ceux qui font
prépolés pour y- mettre ordre. Dailleurs, la mau-
i vaife qualité des vivres caufe beaucoup de maladies
dangereufes ; ainfi que les troupes du roi d’Ef-
pjgne, mon maître, l’éprouvèrent à Ceitta, où |
l’on fut obligé de lever le fiège ; fur quoi fa ma*
jefté catholique fit faire de très exaétès recherches,
pour punir, par de juftes châtiments , les per*
fonnes qui avoient eu quelque part à la mauvaife
qualité de vivres qui avoient été fournis.
Selon les livres facrés, « la fauffe balance eft
une abomination devant le feigneur ».
En 1476,16s tumultes dePalerme ne vinrent
que de ce que le préteur avoit fait diminuer la |
mefure du bled qui fe veudoit ; pour s indemniser
de la perte qu’il avoit faite en Tachetant, eu égard
au prix qu’il auroit fallu, le vendre fuivant la
Tacite loue le foin que Néron s’etoit donne a
Rome, pour éviter qu’on n’y vendît du froment
d’une mauvaife qualité.
Souvent le pays eft abondant en grains , & le
: froment ne laiffè pas d’être cher , foit parce que
I ceux qui en recueillent le plus s accordent pour ne
le vendre que lorfqu’rl fera monté à un certain
prix , foit parce que les marchands qui l’ont acheté I
des premiers commettent un ferablable monopole
en faifant un pareil accord, ou parce que le prince
a mis quelque impôt confiderable fur ce grain. Ces
trois abus font très préjudiciables, & irritent extre*
niement le peuple. . . - , .
Pour éviter le premier inconvénient , il faut
mettre un prix raifonnable aux grains , obliger
d’ouvrir les magafins & de vendre fuivant le prix
taxé ; & comme il y auroit de Pinjuftice fi cet
ordre ne regardait pas généralement toutes fortes
de perfonnes , il fâuc ouvrir touts les magafins,
ou tirer de chacun une certaine quantité du gratrt
qui y eft, pour être mis en vente.
Afin d’éviter le fécond inconvénient , j’ai
en Sardaigne faire pratiquer très exaélement la lot
par laquelle il eft défendu à tout marchand de pouvoir
acheter » avant midi, les bleds que les payfans
portent dans les villes , en fuppofan* que dans la w • ' ' r ipappef
R É V
matinée les bourgeois auront eu le temps dé faire
leur provifion. Cette précaution , me direz-vous ,
note pas la liberté aux marchands d’aller acheter
le bled dans les villages ? Je réponds que dans
cette même ifle , pour tâcher de remédier au mal,
on va dans touts les lieux faire la vifire des grains
de chaque année , 8c qu’on ne permet pas de
vendre ce qui eft néceffaire pour l’entretien de
chaque famille 8t pour les femailles de cette année.
Au refte , rien n’eft plus conforme aux règles
de la juftice, que d’empécher que le prix des grains
ne monte auffi haut que l’avarice des vendeurs
voudroitle porter. « Celui, difent les livres faints,
qui refferre le froment, & ceux qui le vendent,
en recevront mille bénèdiâions ».
Une autre louange que Tacite donne à Néron,
eft de n’avoir jamais permis que les grains fe ven-
diftent à un prix exceffif.
En Caftille , le pain , la farine & le bled ne
payent aucune forte d’impôt. Je crois même que
les impofitions fur les autres denrées , quoique
moins néceffaires à la v ie , font préjudiciables aux
fabriques &au commerce. Je le prouverai plus bas.
Le prix qu’il faut mettre aüx grains doit être
proportionné à l’abondance ou à hrftérilité de la
récolte., aux autres vivres, à l’argent 8c aux mar-
chandifes du pays ; autrement , plufieurs ceffe-
roient de travailler a la terre , s’ils ne retiroient pas
leur dépenfe & quelque fruit de leur travail; 8c
comme l’homme ne vit pas de pain feu l, fi le
pauvre laboureur ne vend pas à un prix raifonnable
le bled qui lui refte, outre ce qui lui eft
néceffaire pour nourrir fa famille & reffemer, il ne
pourra pas remplacer les beftiaux qui lui feront
morts , ni acheter les autres vivres 8c Thabille-
tnent dont il ne peut indifpenlablement fe paffer.
Dans un tel défordre, les laboureurs & les propriétaires
des biens élèveroient leurs plaintes contre
le gouvernement.
La révolte de Ferra© en 1648, vint de ce que
ceux qui gouvernoient , avoient voulu obliger
ceux qui avoient du bled à le vendre à un trop
bas prix.
Dans Palerme & dans plufieurs autres villes
bien policées , il y a un fond deftiné à acheter du
bled pour deux ou trois ans ; & foit que la moift'on
ait été ftérile ou abondante, le bled s’y vend toujours
un même prix raifonnable , parce que fi ce
fond deftiné perd une année , il gagne l’autre. Je
trouve dans cetre pratique des avantages considérables:
i°.Te pauvre n’achète jamais le pain plus
cher ; 20. s’il vient une année de difette, on trouve
du fecours dans cette néceffité, 8c par-là on évite
)es maladies épidémiques , que la difette caufe toujours
; 30. s’il furvient une guerre imprévue, ces
amas de grains fervent à remplir les magafins des
places 8c de l’armée. Enfin,lorfque Dieu châtie une
province par une pefte,s’il n’y a pas dans les villes
des provifions de bled, la faim fait mourir autant
de perfonnes que la pefte même ; ainfi qu’A vi-
•drt militaire, Tome US,
R É V 505
gnon 8c Marfeille en ont é té , il y a peu, de triftes
exemples. Tout le monde appréhende de s’approcher
du lieu où eft la contagion 8c d’y porter des
vivres ; au contraire, chaque lieu évite que fes
habitants ne Torrent, de peur qu’en rentrant ils ne
communiquent le mal.
Il eft à croire que les rois d’Efpagne avoient eu
égard à ces confédérations , puifqu’en Sardaigne ,
où on leur payoit fix réaux par muid de tout le
bled qui s’embarqueit , ils avoient cependant
exempté de cette contribution la ville de Cagliari,
pour tout le grain dont elle faifoit provifion chaque
année ; 8c la fiiivante, après avoir remplacé la
première provifion par une nouvelle , il lui étoic
permis de le faire embarquer fans rien payer ,
pourvu néanmoins qu’il n’y eût pas difette de
grain dans le pays.
Avis pour éviter la difette des grains dans un pays,
Il arrive fouvent que les provinces d’un prince
manquent des grains que celles d’un autre fouve-
rain ont en abondance. Si ces provinces font maritimes
, les premières tâchent d’abord de tirer des
autres le grain qui leur eft néceffaire ; 8c ceux qui
ont des grains dans les fécondés , charmés de faire
un prompt trafic , ne fongent qu’à gagner & à
vendre en gros. Souvent même les intendans des
provinces fouffrent que le bled forte , parce qu’ils
fe biffent tromper par les habitants , qui leur font
entendre continuellement qu’il refte dans le pays
plus de grains qu’il ne faut, ou parce qu’ils veulent
paffer à la cour pour des perfonnes zélées pour
l’intérêt du prince , en rentrant des fommes confi-
dérabies des droits mis fur les facs ou fur les embarquements.
De-là vient que par l’avarice des
laboureurs ou par l’imprudence des intendans , la
ftérilité naît au milieu de l’abondance.
Il n’y a encore que peu d’années que la Sicile
l’éprouva fous un certain vice-roi qui fe laiffoit
^gouverner par fon fecrétaire , qui ti-roit de très
gros droits de touts les embarquements qui fe fai-
foient. Il eft donc à propos d’examiner avec foin
quel refte de grains il y a outre la provifion, &
lés femences néceffaires pour une ou deux années,
8c ne laiffer fortir du pays que ce refte ,
parce que cet amas de grains pour quelques an-
nées.eft absolument néceffaire pour les raifons que
j’ai déjà touchées.
Il n’y a prefqüe jamais de difette de grains en
Caftille, parce que dans cette province, qui eft
éloignée de la mer , il ne s’y fait point d’embarquement
de bled qui fe conferve longtemps dans
les greniers ; 8c s’il furvient une mauvaife année ,
les grains de la précédente fuffifent pour y fup-
pléer ; le contraire arrive dans les Afturies, ma
patrie, 8c dans la plus grande partie de la Galice ,
parce que ces provinces fe trouvent voifines de
la mer , d’où Ton tranfporte dans d’autres tout le
grain qqi refte d’une année. Il eft vrai tju’on ifa