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d’une (ecurîtè qui leur font entrevoir. Il eft donc
naturel de mieux réuflir dans une- furprifè contre
des gens fans expérience , qui prévoient moins les
rufes dont on peut ufer.
Le nombre de troupes que les ennemis ont en
campagne , & la néceflïté d’obferver leurs mouvements
, vous obligeront à aiTembler les vôtres plu- i
tôt que vous n’auriez fait, &de ne pas Vous éloi- ;
gner beaucoup de la ville que vous projetiez de
furprendre. Comme les habitants fe tiendront alors
lur leurs gardes , feignez de vouloir entrer en
quelque négociation avec eux , ou de leur demander
quelque chofe ; écrivez-leur à ce fujet, & envoyez
leur la lettre par quelqu’un que vous favez
être affeélionné à leur parti, & qui fortira de votre
camp une ou deux heures avant que vous donniez
les ordres pour la marché.
Il eft à croire que ces habitants, raffurés par les
nouvelles que leur porte cet homme de leur con-
noifïance & de leur parti, fe défieront beaucoup
moins cette nuit, parce qu’ ils fe perfuaderont que
vous ne prendrez aucune réfolution que vous
n’ayez fu leur réponfe. Pour les mieux tromper,
écrivez-leur d’une manière extrêmement polie ,
de peur que des termes menaçants ou trop rudes
ne les rendent dès-lors plus vigilants ; car la précaution
naît aufli fouvent de la crainte que de la
prudence.
Philippe , roi de Macédoine, pour furprendre
un e ville deThrace, lui envoya des ambafTadeurs
pour traiter avec les habitants ; tandis que les
Thracès , raffurés par cette négociation, fe relâchent
fur la vigilance que le voifinage de l’armée
des Lacédémoniens devoit leur infpirer , Philippe
furprend la place fans aucune difficulté.
Marc-Antoine Candin rapporte que Cæfar de
Borgia , duc de Valenùnois , avoit formé des pro-
' jets fecrets fur la Tofcane. Craignant qu’on ne lui
empêchât le paffage des montagnes , il envoya demander
des vivres aux Florentins & le paffage par
leur pays ; mais il continua fa marche fans attendre
la réponfe, & amufa toujours par de belles paroles
les ambafTadeurs que Florence lui avoit député,
jufqa’à ce qu’il eût paffê l’Appennin.
Les habitants feront encore moins fur leurs
gardes , fi vous faites femblant d’éloigner votre
armée de leur place.
Phorimon, capitaine Athénien , répondit avec
beaucoup de politéfTe aux ambafTadeurs que les
Oilcidêehs envoyèrent pour fe plaindre de ce que
l'armée d’Athènes ravageoit le pays de Calcide.
La même nuit Phorimon feignit d’avoir reçu des
ordrès de la république pour fe retirer , & ayant
commencé de fe mettre en marche , il donna congé
aux ambafTadeurs , qui rapportèrent à Calcide ce
qui et oit- arrivé. Les Calcidéens , fur la nouvelle
de la marche de Phorimon , & de la douceur avec
laquelle il avoit traité leurs députés ,-fe relâchèrent
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fur le foin de la garde de la ville. Phorimon vint
inopinément fondre fur elle & la prit d’afTaut.
Il femble qu’il y a de la mauvaife foi à furprendre
une ville avec laquelle vous êtes en une forte
de traité, avant d’avoir reçu la réponfe ou le refus
de la demande; mais on fe trompe, parce que durant
les négociations les plus folennell.es , excepté
qu’il n’y ait une fufpenfion d'armes- établie , la
guerre continue , ainfi qu’on l’a vu pendant les
congrès d'Utrecht ; d’ailleurs , n’ayant pas promis
par votre lettre cette fufpenfion d’armes, ni déterminé
les heures pour la réponfe , il a dépendu des
ennemis de vous accorder votre demande avant
que vous en vinffiez à l’attaque, parce qu’il efl
certain qu’il faut moins de temps à un député pour
venir de cette ville à votre armée , qu’à votre, armée
pour marcher jufqu’à cette ville.
Pour furprendre un endroit qui n’eft défendu
que par des habitants , attendez le matin d’un jour
de fête ; car outre que l’heure la plus propre pour
les furprifes efl un peu avant le jour , comme je l’ai
prouvé, vous trouverez ces habitants endormis ,
s’étant couchés fans avoir -defTein de fe lever dé
grand matin pour aller à leur labourage & aux
autres travaux des jours ouvrables.
Il y a des lieux dont les deux tiers des habitants
qui travaillent à la terre, refient en campagne toute
la femaîne jufqu’à la nuit qui précède le jour de
fête, fur tout dans un temps de femaille & de récolte
; en ce cas, il vaut mieux entreprendre la
furprifè un jour ouvrable , puifque vous trouverez
moins de défenfeurs.
Un temps très favorable pour une Jurprife, efl
la nuit d'un jour où les habitants , à caufe de certaines
réjouiffances publiques, fe feront lafTés en
danfes & autres divertiffements , qui font ordinairement
fuivis d’excès dans le boire & le manger,
ce qui leur caufe un fômmeil plus profond,
leur donne plus de confiance , & les rend moins
propres à prendre tout d’un coup le bon parti dans
lin temps de confufion & d’alarme. Je rapporte
divers exemples à ce fujet en parlant des difpofi-
tions après une bataille.
On peut furprendre une place qui n’efl défer-
due que par des habitants ou des gens fans expérience
, en habillant à la façon des ennemis une
partie des foldats qui fauront parler leur langue,
qui fe difent d’un de leurs régiments, qui, en fup-
pofant qu’ils font chargés par un autre parti qui
paroît un peu plus loin , fe retireront vers le lieu
que vous avez deffein de furprendre. Il efl a pre-
fumer que les habitants ouvriront les portes pour
donner retraite à ce parti, q u i, en ce cas, con-
| fervera l’entrée libre jufqu’à ce que les troupes qui
faifoient femblant de le charger , arrivent.
Ce fut de cette manière que les Flamands , qui
: fuivoient le parti d’Efpagne, furprirent, en. 1 582 »
la forterefTe du Cafteiet contre les provinces unies.
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Si, p'éhdàftl què vous êtes en marche pour tifle
furprifè , vous avez avis par des déferteurs ou par
quelqu’un de vos efpions que les ennemis ont
iconnoiffance de votre deffein & vous attendent
préparés à vous recevoir , j’ai dit qu’en ce cas
vous devez vous retirer. S i , nonobflant cet avis ,
vous perfiflez dans le projet de vouloir furprendre
cette place » donnez à vos régiments de tels ordres
pour faire retraite, qu’il paroiffe que vous feparez
touts ces régiments dans différents endroits, &
que vous abandonnez l’entreprife, tandis que fe-
crètement vous ordonnerez au commandant de ces
corps de faire de petites marches, & de: revenir
une nuit avec toutes les troupes dans un lie* marqué
vbifin de la place, pour fe tenir en embufeade
le lendemain de leur arrivée, & continuer la nuit
fuivante leur marche pour tenter de nouveau la
furprifè.
Le marquis de B a y , capitaine général de l’Eflra-
madure , s’étant mis en marche en 1706 pour aller
furprendre Alcantara, les Portugais qui étoient en
garnifon dans cette place, découvrirent fon deffein
; le marquis le fu t, faifant femblant d’abandonner
l’entreprife , il fit retirer fes troupes par
différents chemins; mais par les ordres fecrets qu’il
donna , elles pouvoient aifément fe joindre ,
comme elles le firent peu de temps après ; & fou-
tenues par la valeur & la fage conduite de Jôfeph
d’Almandapiz, leur commandant, elles furprirent
cette place.
Garfyer , commandant de l’armée d’Achée ,
tyran de l’A fie , voyant que pour aller fecourir
Fénedüffa , il ne pouvoit forcer un défilé que les
Selgiens occupoient, & qu’il lai falloir néceffaire-
ment paffer , fit une contre-marche comme s’il fe
défiftoit de fon entreprife ; les Selgiens , trompés
par la retraite de Garfyer , fe retirèrent auffi.
Garfyer revenant alors fur ce défilé , le furprit
fans aucune oppofition.
Alcibiade, capitaine Athénien , feignit d’abandonner
le blocus de Bifance, que fon armée de
mer & de terre faifoit, & ayant répandu le bruit
qu’il paffoic en Jonie , il contre-marcha la même
nuit vers Bifance, & furprit cette place.
Pour furprendre une tour, ou quelque autre de
Ces petits polies qui font fur les côtes de la mer ou
fur les frontières, & qui, pour l’ordinaire , ne font
gardés que par trois gu quatre hommes , parce
qu’en ôtant l’échelle par laquelle on monte à la
tour , ils font en fureté contre les partis, on peut
fè fervir de foldats déguifés. Ces foldats feignant
d’être des chafleurs , des bergers , des déferteurs
Ou des voyageurs, s’approcheront fous prétexte
de venir fe mettre à l’abri de cette tour, & entameront
une converfation avec ceux qui la gardent
, pour tâcher de les enlever, s’ils font affez
înconfidérés pour defeendre de leur fortereffe ,
ou pour permettre aux foldats déguifés d’y monter;
ces gardes fe défiçront encore jnoins, fi vos
foldats font de jeunes garçons habillés en filles.
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Bracclo : Fo.rtebraceio , capitaine de Jeanne ,
reine de Naples, envoya près de la tour de l’her-
mitage deux foldats qui , feignant d’être des déferteurs,
.demandèrent aux gardes de la tour le
chemin de Matalon. Les gardes , pour dépouiller
ces deux foldats, defeendirent de la tour , & furent
furpris par un autre parti de vingt hommes , qui
étoient en embufeade tout auprès.
Le même Fortebraccio fe rendit maître d’une
autre tour dans te territoire d’Amberfa , par le
moyen d’un .jeune homme vêtu en fille. Cette fille
prétendue , qui cachoit fous fes habits certaines
armes, & qui avoit à la main un panier & une
faucille , fe mit à courir toute effrayée vers la
tour ,. faifant femblant d’avoir pris la fuite à caufe
des partis ennemis qu’elle avoir vu. Le garde de
la tour l ’ayant fait entrer , le foldat travefti lui demanda
la permiflion de monter au haut de la tour,
pour faire voir à la fentinelle où étoient les ennemis
; ce qui lui ayant été accordé , il monta , tua
la fentinelle , & enfuite , à coup de pierre , obligea
le garde à abandonner la tour.
Les Florentins furprirent la fortereffe de Mon-
tanina , par l’adreffe de quelques foldats q u i, ea
habit de chaffeurs , s’en approchèrent, & s’étant
mis à difeourir avec ceux qui étoient dedans , les
engagèrent à defeendre, & les firent prifonniers,
( Santacru£ ).
Des furprifes de Famée entière!
Il eft quelquefois arrivé qu’une armée entière a
été furprifè dans fon camp , principalement lorsqu'elle
l’avoit mal pris, ou en fe foumettant à des
hauteurs qui peuvent être occupées avant qu’elle
s’y foit placée, ou ea fe laiffant ferrer dans les
fourrages gu dans les vivres ; ces inconvénients
font fi dangereux, qu’ils entraînent prefque tou^
jours la perte de l’armée entière*
Cette forte d’aâion, qui devient grande en gé-*
néral, ne s’exécute pas toujours avec brufquerie ,
comme la plupart des autres furprifes ; il y faut
marcher de nuit, avec fecret & diligence , fi c’eft
pour occuper des hauteurs fur le champ ennemi ;
mais lorfqu’on y eft arrivé avec toute l’armée , il
faut bien reconnoîrrele pofte,afin de profiter de
toutes les fautes que l’ennemi aura faites.
S’il avoit derrière lui des défilés , il ne faut pas
lui donner le temps de les ouvrir, d’y placer fon
infanterie , fon canon , d’y retirer fes bagages, &
enfuite d y faire entrer fa cavalerie à la faveur de
la nuit,
S’il avoit derrière lui une rivière ou un ruiffeatz i
il ne faut pas lui donner le temps d’y faire plufieurs
ponts $ç,de fe retrancher à la tête de fon camp, ni
de l’autre côté de la rivière ou du ruHTeau , & de
placer fon infanterie & fon canon dans les retranchements
pour couvrir les flancs de fes ponts.
S’il n’eft pas tant fournis aux hauteurs qui au-
roient été occupées, qu’il ne lui reliât un terr.ein
égal pour pouvoir fe mettre en bataille, il faut,
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