
1 hijloire, enfeîgner aux militaires à connoître les
hommes, & cette connoiffance a été mife, avec
raifon , au premier rang de celles que les guerriers
doivent pofleder. Les ouvrages didactiques font
semblables aux traités de morale, ils ne corrigent
in“ ru‘lent prefque perfonne , parce qu’ils
lai lient le coeur froid & vuide , & parce qu’ils
b.eiient lamour-propre. L'hijloire peut être comparée
à ces chef-d’oeuvres dramatiques où les vertus
& les vices font mis en aâion ; elle nous inflruit
avec facilité & fans dégoûts , parce qu’elle commence
par nous intereffcr , qu’elle nous touche &
nous emeut ; la trace des leçons que Yhijloire nous
donne le grave aif.ment dans la mémoire & s’y con-
ferve pendant longtemps , & celle des ouvrages
didaâiques s y grave avec difficulté, & en eft ce
pendant facilement effacée. Prelque touts les
hommes occupas, lifent Y lu (loire pour fe délaffer,
& toujours la raifon feule nous détermine à lire un
ouvrage didaâiqtie. Appliquons donc aux militaires
une des penfées de l'immortel Boffuet ; difons avec
lu. : « quand Yhijîoïre feroit inutile aux autres
hommes, il faudroit la faire lire aux militaires ; il
n’y a pas de meilleur moyen de leur découvrir ce
que peuvent les paffion ik les intérêts, les temps
& les conjonctures , les bons & les mauvais con-
feils. Les hifloires ne font compofées que des actions
qui les occupent, & tout fembie y ctre fait
pour leur ufage ». O vous ! que le fort a fait naître
pour inftruire dans lart de la guerre les princes &
les grands, prédeftinés par leur naiffanceau fublime
emploi du commandement des armées , croyez
bien^ que la leâure réfléchie de Yhiftoire conduira
vos élèves à leur but avec plus de facil té , de fureté
& de vîtefle que la pratique de la guerre, & même
que l’étude des ouvrages didaâiques. En employant
même avec peu d’art ce moyen puiffant, vous
rendrez votre élève capable de commander les armées
d’auffi bonne heure qu’Alexandre , Scipion ,
Çaefar , Pompée, Condé & touts les héros qui ont
étonné le monde en remportant dé grandes victoires
dans un âge encore affez tendre ; en recourant
à ce moyen , vous pourrez commencer à l'inf
truire dès l’inftantoù il faura lire vos leçons ; vous
ne courrez point le rifque de le dégoûter, de le
rebuter même , & vos inftruâions ne lui paroîrront
qu’un jeu , qu’un délaffement agréable ; il pofle-
dera non feulement ce que vous lui aurez enfei*
gné , mai* il acquerra encore dans trè-. peu de
temps lafac lité de fe paffer de votre fecours, &
vous favez qu’on ne poffède jamais parfaitement
que ce que l’on a appris foi même ; en employant
tout autre moyen , votre difcip’e , quelque genie
qu’il eût r-çu , n’ira jamais guères au delà des
bornes que fes contemporains auront plantées *
avec celui ci il les dépaffera, & vous ferez vous-
même étonné de la rapidité de fes progrès ; vous
n’avieZ pour objet que de lui enfeigner la guerre,
& cependant vous lui aurez appris à la faire en
héros y vous ne vouliez qu éclairer fon efprit, &
vpjàs aurez orné fon coeur des vertus les plus heu-
reufes & les plus brillantes ; vous ne vouliez, en un
mot, former qu’un général habile , & vous aurez
créé un etre digne d’être compté parmi les hommes
es meilleurs & les plus eftimables , les législateurs
les plus fages , les politiques les plus profonds ,
; les princes les plus propres à régir , à conduire,
multrer, rendre heureux un empire compofé de
plufieurs millions d’hommes ; & vous pourrez
vous glorifier , avec juftice, d’avoir contribue , plus
que le refle de fes inftitureurs, à le faire monter au
rang des grands hommes parmi lefquéls la pofté-
rite , toujours équitable, le placera fans doute.
Mais ne nous écartons point plu* longtemps de
notre véritable objet; il » eft point temps de dire aujourd’hui
comment on doit apprendre l’art de la
guerre aux hommes prédeftinés à commander les armées;
un jour viendra , peut-être, où nous aurons
acquis aflez de force pour nous élever jufques-là j
contentons-nous , maintenant, d’examiner fi les hif-
toires que nous poffédons méritent le furnom de
militaires', 1 éloge que nous-venons d’en faire , &
fur tout celui que nous avons tracé dans l’article
G eneral , paragraphe II de la ftâion fécondé.
Non , ces éloges n’appartiennent point à cçs tables
chronologiques où l’on apprend feulement dans
quels temps ont vécu es grands hommes ; à ces ga-
eries hiftoriques où I on ne trouve quedes portraits
nattés ou chargés ; aux htloires générales qui ne
doivent prefque que rappeller à l'homm. déjà très
inflruit, les principaux événements ; à ces tableaux
philofophiq'jes où une guerre entière, quand on a
daigné sen occuper, eft peinte d’un feul trait dans
un coin recule , & avec les couleurs fombres
qu elle a aux yeux du philofophe , mais fous k ( -
quelles elle ne doit pas fe montrer à ceux du guerrier
; à ces romans menfongers où la vérité eft
trop fouvent fàcrifiée à la flatterie, où la nation
pour laquelle J hirtorien écrit eft prefqire toujours
vjâorieufe , ou fes défaites font omifes ou palliées
& les circonftances les plus importantes toujours
tronquées. Les divers ouvrages hiftoriques. que
noirs venons de nommer peuvenr mériter les
éloges des gens de lettres ; ils peuvent fuffire fur-
| tout à 1 homme du monde qui ne cherche qu’à:
bannir^ I ennui; mais a des guerriers qui courent
après rinftruâioir, il faut une hijloire plus détail-
lée, plus vraie ; en un mot, il leur faut une hif-
toire faire pour eux , écrite par un homme de
guerre, & femblable , peut-être, à celle dont nous
efquifferons le plan à la fin de cet article.
Mais en attendant le moment où cet édifice fi
néceffaire fera élevé, comment les guerrie-s. qui
voudront apprendre l’art militaire , doivent ils
étudier 1 hijloire, & quels font les ouvrages hiftoriques
qu ils doivent lire de préférence? Ayant
. répondu avec quelque détail à la fécondé de ces
deux cjueftions dans le paragraphe I & II de bar-
ride Général , nous allons nous occupera répondre
à la première.
H I S
Tout homme qui lit plus pour s’inftruire que
pour charmer l’ennui, doit faire des extraits ; plufieurs
écrivains l’ont prouvé, & l’expérience particulière
de chaque homme de lettre le lui a démontré.
Je fçais bien que lorfqu’on confie au papier
les réflexions que la leâure infpire, ou les
faits dont on ne veut point perdre le fouvenir , la
mémoire n’en garde fouvent qu’une trace légère ;
mais cette trace , toute légère qu’elle eft , n’eft-elle
pas préférable à l’oubli entier, ou au défordre qui
le met fréquemment dans une tête fijrchargée de
trop d’objets ? Des extraits bien faits procurent
d’ailleurs l’avantage de revoir dans un feul jour
ce qui confumeroit plufieurs mois , fi l’on étoit
obligé de relire les ouvrages eiix-mêmes ; ainfi ,
fuivant le précepte de Pline , il eft fage de ne rien
lire fans en faire un extrait ; une fois déterminé à ne
rien lire fans l’extraire, il faut fe décider fur la manière
de faire les extraits. Un militaire qui lit un
ouvrage hiftorique peut fe contenter de faire les
notes laivantes. Dans tel ouvrage, à telle page, on
trouve une furprife bien méditée & bien conduite ,
dans tel autre une marche favante, ici une retraite
glorieufe ; là un aâe d’humanité militaire ; ailleurs
une aâion courageufe, &c. ; mais des extraits auffi
fuccints font-ils fuffifants? Comme on n’a pas toujours
avec foi les ouvrages qu’on a extraits, on
éprouve une douleur réelle toutes les fois que les
notes que l’on a gardées font trop abrégées , & on
regrette amèrement la peine qu’on a prife , parce
que le travail que l’on a fait devient inutile ; il
vaut donc mieux, ce me fembie, tranferire tout
au long le récit de l’événement inftruâif dont on
veut garderfa mémoire. Je crois être certain que
ces événements , dépouillés des acceffoires étrangers
des réflexions des hiftoriens, pourroient être,
aifément renfermés dans cinq à fix volumes. Le
guerrier qui auroit fait lui-même ces extraits au-
reit fait un grand pas ; il feroit très riche en obfervations
particulières. Mais comme on ne poffède
un art ou une fcience que lorfque l’on eft parvenu
à généralifer fes idées ; comme on ne peut fe former
des idées générales très juftes qu’en comparant
les obfervations particulières que l’on a faites , &
comme enfin on ne peut comparer les obfervations
qu’on a-recueillies & en tirer des réfultats généraux
qu’en les rapprochant & en les claffant avec
méthode, ce guerrier devroit encqre mettre en
ordre toutes les obfervations qu’irâuroit faites.
Parmi les différentes manières qu’il pourrpit adopter
, nous donnerons la préférence à celle qui fuit,
l’expérience nous a appris que fi elle n’eft pas la
meilleure , au moins elle eft facile & fure.
Pour mettre de l’ordre dans fes extraits, il pour-
roit donc les copier fur de grandes feuilles volantes
; chacune de ces feuilles feroit timbrée d’une
des lettres de l’alphabet ; au-deffous de cette lettre
feroit écrit en gros caraâères le mot fur lequel rou-
leroientles extraits tranferits fur cette feuille;>& au-
deflbus de ce mot feroit marqué en caraâères auffi
H I S 3*
I un peu gros, le point de vue particulier fous lequel
on l’auroit examiné. Prenons pour exemple
le mo t abattis. Il faut pour ce mot quatre feuilles de
papier. Chacune de ces quatre feuilles feroit d’abord
timbrée d’un grand À , au-deffous de cette
lettre onliroit le mot abattis ; puis, fur la première
de ces feuilles feroit écrit cette phrafe : de la conf-
tru&ion & de Vemplacements des abattis. Sur la fécondé
, ufage des abatis ; fur la trotfieme , attaque
des abattis ; & fur la quatrième , défenfe des abattis.
Le mot bataille auroit dix feuilles ; toutes feroient
timbrées de la lettre B & du mot bataille ; fur chacune
d’elles feroit écrite une des phrafes fuivantes.
Sur la première , raifons pour présenter la bataille ;
fur la deuxième, raifons pour .refufer la bataille ;
fur la troifième , raifons pour accepter la bataille ; fur
la quatrième, d ifp o fid f de la bataille ojfenjive ; fur
la cinquième, d ifpojîtif de la bataille défenjive ; fur
la fixième , conduite que Von doit tenir avant la bataille
; fur la feptième , conduite que. l'on doit tenir
pendant la bataille ; fur la lÿuitième , conduite que
l'on doit tenir après la bataille gagnée : fur la neuvième
, conduite que Von doit tenir après une bataille
perdue ; fur la dixième enfin , conduite que Von doit
tenir après une bataille indecife. Ces deux exemples
fuffiront, je penfe, à faire entendre la manière
dont nous croyons que les extraits militaires ponr-
roient être rédigés. O u i, je ne doute pas qu’up
homme de guerre qui , de bonne heure, auroit
parcouru ainfi l’hiftoire générale, ancienne & moderne,
qui auroit lu avec foin la vie des hommes
illuftres de touts les fiècles , & fur-tout les mémoires
relatifs à l’hiftoire des guerriers de fon pays,
qui auroit configné dans fes Feuilles les exemples
faits pour être imités, & ceux qu’on doit fuir ; car ,
comme le dit Montagne, on s’inftruit plus par la
fuite que par la fuite ; qui auroit pris la peine d’y
faire entrer toutes les réflexions qu’il auroit faites
toutes les bonnes idées qu’il auroit eues , & fur-
tout toutes celles qu’il auroit pu faifir en écoutant
les hommes plus fages & plus inftruits que lui ; je
ne doute pas , dis-je , que cet homme ne fût capable
de donner de bons confeils, de rédiger de
bonne heure des mémoires inftruâifs, & qu’il ne
pofledât, en un mot, le véritable art de la guerre
à l’âge où l’on commence fouvent à l’étudier. Si le
journal militaire , qui a commencé au mois de
juillet 1784 , n’éprouve pas le fort de ceux qui
l’ont précédé, & fi la partie des extraits hiftoriques
relatifs à l’art delà guerre, y eft traitée avec le foin
qu’elle mérite, les jeunes guerriers trouveront ,
dans cet ouvrage , de quoi groffir les extraits qu’ils
auront faits eux-mêmes ; ils y trouveront auffi des
rapprochements qui pourront les guider dans leurs
études , & fi ce double travail ne peut leur tenir
lieu de Yhiftoire militaire dont nous allons offrir le
plan, au moins le remplacera-t-il plus avantageu-
fement que la plupart des ouvrages hiftoriques que
nous poffédons, ( C. )
il