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corps détaché de fon armée, pour obfeft et les
ennemis de plus près ; lorfque j’y arrivai, je trouvai
le pont fait depuis rifle de Santhoven jufqu’à
la terre , au-devant de laquelle les eaux étoient
encore fort hautes dans le vieux lit du Rhin , &
toute l’armée ennemie déjà paflee fur cet efpace de
terre , qui étoit fort confldérable. v
Ainfi n’ofant pas me commettre pour m’oppo-
fer à toute l’armée ennemie, dès que les eaux du
Rhin baifleroient, 6c que le vieux lit feroit à fec ,
( ce qui arrive en fort peu d’heures ) , je fus obligé
de me retirer derrière le ruiffeau de Spireback ,
après en avoir donné avis à notre général.
Cet exemple eft rapporté pour apprendre, que
lorfque l’on veut s’oppofer à la conftruélion d’un
pont fur une rivière de la nature dont je viens de
dire , qu’eft le Rhin, cela ne fe peut faire avec
fuccès qu’avec une armée égale ; un petit corps
n’ofant fe commettre de près à l’inconvénient de
fe trouver de plein pied devant une armée fupé-
rieure , dès que le Rhin en fe retirant a laifle à fec
le terrein de fon vieux li t , que l'on auroit cru être
une rivière , fi on ne connoifloit le pays.
En l’année 1694, M. le prince d'Orange manqua
de diligence dans fa marche de la Méhaigne à
l ’Efcaut, & des attentions néceflaires pour pouvoir
avoir un pont pris dans Oudemarde, pour être
F lacé à Hauterive , fur l’Efcaut, avant l’arrivée de
armée de M. de Luxembourg. Ainfi il ne put exécuter
fon deflein de s’emparer de Courtrai, & de
prendre fes quartiers de fourrages aux dépens des
châtellenies du roi.
Cet exemple juftifie que , dans les furprifes de
rivières & de défilés, dont la réuflire eft capitale
pour l’exécution d’un deflein , il faut que le géné
ral foit vigilant pour prévenir fon ennemi ; a&if
pour avoir exécuté fon deflein avant que l’ennemi
foit en état de s’oppofer à l’exécution ; & précautionné
contre touts les inconvénients qui peuvent
furvenir, & dont fouvenr un feul eft capable de
faire manquer le projet.
L ’année 1708 me fournit un dernier exemple
fur la matière de ce chapitre ; & une réflexion
confldérable à faire, c ’eft fur le paffage de i’Ef-
caut à Berkeim , fait par M. le prince Eugène, qui
a décidé de la perte de la citadelle de Lille.
J’ai dit ailleurs que M. de Vendôme avoit formé
de fa puiflante armée un grand cercle autour de
Lille. Il fuppofoit que l’ennemi dans le centre de
ce cercle immenfe, n’y pourroit pas fubfifter pour
les vivres & les fourrages , pendant Te temps que
le fiège de Lille pourroit durer ; qu’il ne pourroit
tirer des munitions de guerre de dehors de ce
cercle gardé ; & qu’enfin lorfque l’entreprife fur
Lille feroit manquée par les befoins indifpenfables
dont je viens de parler , le prince Eugène ne
pourroit fortir de ce cercle , fans tomber dans
quelque inconvénient capital.
Cette difpofition , fuivant mes principes, étoit
généralement faufle. Je l’ai prouvé lorfque j’ai
PAS
parlé du fyftème de la guerre défenfive de Pié»
mont, qu’il eft aifé d’appliquer à.ce fujet. Lorfque
j’ai parlé des enlèvements de convois, j’ai encore
fait que la fuppofition de ce cercle , par rapport au
fiège de Lille, avoit été faufle pour les munitions
de guerre, que les ennemis avoient tirées d’Ol-
tende , lorfqu’ils n’avoient pu en tirer de Bruxelles.
Je fçai que l’on me dira fur l’application à mon
fujet des poej/àges de rivières , que ma réflexion
n eft pas jufte ; parce que ce n^eft point la faute de
M. de Vendôme files convois d’Oftende ont continuellement
pafle, 6c que c’eft à M. de la Mette
feul qu’il faut s’en prendre'; j’en conviens. Mais
que M. de Vendôme ait cru que , par la difpofition
de fes poftes le long de l’Efcaut depuis Tournai
jufqu’à Gand , il feroit aflez tôt raflemblé
pour s’oppofer efficacement au lieu où l’ennemi feroit
fon principal effort , foit pour pafler fous la
prote&ion d’Oudenarde , foit pour faire ailleurs
fes ponts fur l’Efcaut, c’eft ce que je ne puis jamais
imaginer que M. de Vendôme ait pu croire t
il a trop bon efprit pour cela. - '
Car premièrement , l’avantage des bords de
l’Efcaut dans tout cet efpace , eft pour celui qui fe
trouve entre la Lys ôc l’Efcaut. Ainfi il a toute la
facilité pour établir avanrageufement fes batteries
de canon , pour foutenir la conftruétion de fon
pont, & protéger fon débouché.
Secondement, la rivière eft étroite, & par con-
féquent il faut peu de bateaux pour faire un pont ,
& peu de temps pour le conftruire.
Troifièmement , dans ce temps - là les nuits
étoient fort longues , 6c par conféquent les mouvements
de l’ennemi longtemps inconnus.
Ainfi je fuis perfüadé que quand même M. de
Souternon , vis-à-vis duquel M. le prince Eugène
a fait fon pont & pafle l’Efcaut, auroit fait fon
devoir pour interrompre la conftrudion de ce
pont, M. de Vendôme n’auroit pas encore eu aflez
de temps pour raflembler un corps capable de
s’oppoler au débouché de M. le prince Eugène ,
que j’ai toujours cru maître de pafler l’Efcauc, lorf-
qu’il lui feroit utile de.le faire dans la difpofition
où M. de Vendôme s’étoit mis pour l’empêcher.
Je finirai donc mes réflexions fur cette matière,
en difant que le général qui s’étend le plus pour
empêcher que fon ennemi ne lui furprenne lepaf-
/âge d’une rivière , eft celui qui s’oppofe le moins
efficacement à cette opération de guerre ; 6c que le
feul moyen fûr de s’oppofer à l’exécution d’un pareil
projet de fon ennemi, eft de fe tenir enfemble
à une portée raifonnable des lieux où l’ennemi
peut entreprendre de pafler, & d’avoir des gens f©it
alertes fur les bords de la rivière, pour être continuellement
averti des démonftrations de fon ennemi
j & qui foient capables de difcerner les efforts
apparents d’avec les véritables , afin que l’on ait
le temps de fe porter avec toute l’armée fur l’ennemi
pour le combattre, foit avant qu?il foit en-'
tièrement pafle, foit avant qu’il ait pu fe former,
PAS
6c être en difpofition de combattre après avoir
pafle. ' , r .
Cette maxime eft également bonne a fuivre pour
empêcher un ennemi de pafler une rivière ou un
d -filé confldérable , parce-que dans ces deux occasions
le fuccès eft certain , pourvu qu’on foit en
force devant fon ennemi , & qu’on le combatte
avant qu'il foit entièrement pafle , ou qu’il foit
formé & en état de combattre, comme je viens de
le frire. . ,, ..
M. de Santa-Cruz donne encore plus de details
& de lumières. Lorfque , dit-il, la principale difficulté
pour le p‘‘Jfage d’une rivière vient de la
grande profondeur, ou de fon courant trop ra
pide, fi vous manquez des préparatifs-néceflaires
pour conftruire un pont, ou fi la rapidité exceflive
des eaux ne le permet pas , cherchez quelque endroit
derrière le rivage où la terre foit plus baffe
que la rivière ; coupez là fon bord, & après avoir
ôté touts les obftacles du terrein qui pourroient
s’oppofer à fon nouveau cours , vous détournerez
l’eau pour rendre le lit de la rivière plus bas, afin
de la pouvoir pafler. Si ce n’eft pas aflez de. couper
le bord dans un endroit feu l, vous le ferez dans
plufieürs.
Ge fut ainfi que Cæfar pafla au gué le Sègre ,
quoiqu’il fût en préfence de l’armée commandée (
par Afraniùs. .
Le chevalier de la Vallière dit qu’en comblant :
une rivière à force de pierres, on l’oblige à fe faire
un autre cours. Il fera néanmoins plus facile de
détourner les eaux en faignant la rivière , comme
je viens de le propofer. Suppofé que le terrein ne
fe trouve pas aflez bas pour cela , au lieu des
pierres feules que la Vallière confeille pour combler
la rivière , plantez dans l’endroit où elle eft
la moins profonde , des gros pieux fort hauts; jetiez
devant 6c derrière des fafcines chargées de
pierres & attachées à ces pieux , en faifant pafler
les liens par les bouts fupérieurs des pieux ; en-
tremêlez-y de part & d’autre des facs, des gabions ,
des tonneaux ou des caillons remplis de terre &
de pierres , qui furchargent, ainfi que je le dis plus
au long en traitant dès fièges, & de la même maniéré
que Lupicini le prèfcrit dans fes difcours militaires.
Il n’eft pas aulfi aifé dans la pratique de détourner
les eaux d’une .rivière, que fouvent on fe l'imagine
; ne vous engagez donc pas à une entre-
prife que vos ingénieurs , après une mûre confi-
dératkm , ne prévoyent qu’ils pourront furement
réuffir.
Employez , dans de femblables travaux , un
grand nombre de payfans. J’en donne la raîfon en
traitant des fièges. Il eft vrai que là il s’agit d’ôter
entièrement à une rivière f®n ancien cours, &
qu’il nous fuffit ici de diminuer fes eaux ou fa rapidité.
Si le terrein ne permet pas de détourner aflez
4 eau, afin .que l’infanterie puifle pafler, vos caYa-
Art militaire, Te/ne.Ilh
PAS '301
liers & vôs dragons peuvent pafler cette infanterie
en croupe; mais fi le danger que Te.me.-ni ne
furvienne ne donne pas lieu à la cavalerie de faire
autant de voyages qu'il en faut pour pafler toute
l’infanterie à l’autre bord-, & fi la rivièe conferve
trop de rapidité , vous mettrez au haut des gués
quelques efcadrons de cavalerie, qui fe tiendront
fermes & bien ferrés , afin que la force du courant
fe rompe contre eux , tandis que 1 infanterie paf-
fera plus bas.
Cælar pafla ainfi la Loire , lorfqu il marchoït
contre l’armée de Liravique ; 6c dom Raimond de
Cordona pafla de la même manière la rivière de
Brenta , dans la guerre contre les Vénitiens.
Il eft à propos que l’infanterie interrompe de
temps en temps fon pajfage, & que les efcadrons
fe retirent pour un peu de temps , afin de laifl'er
couler les eaux qu ils ont retenues, avant que
la force de ces mêmes eaux les puifle vaincre.
Quelques auteurs , & en particulier Végèce ,
veulent que l’on mette aulfi un peu au-deflous des
gués des efcadrons qui demeurent fermes , afin que
le fantaflin qui auroit été entraîné par l’eau puifle
s’arrêter à ces efcadrons , 6c fe fauver par leur
moyen- Cet expédient a été mis en pratique par
plufieurs généraux. Il me paroît pourtant que cette
cavalerie au defîous du gué arrêtera 1 eau , 8c par
conféquent cet efpace entre les deux efcadrons
fera plus difficile à pafler. Je crois donc qu’il feroit
feulement à propos de prendre ce parti, lorfque
la difficulté ne viént pas de la hauteur des eaux ,
mais uniquement de la rapidité du courant, ou du
moins , il ne faut pas fi fort doubler les rangs de la
cavalerie poftée au-deflous du gue ou pafle 1 infanterie*
que le cours de l’eau ne foit arrêtée.
Le plus fûr feroit, au lieu de ees rangs de cavalerie
au-deflous du gué , de faire traverfer des
cordes arrêtées fur les bords par de bons pieux ,~
& foutenues au milieu par des tonneaux bien
calfatés', afin que la corde ne s’enfonce pas lorfque
les fantaflin s qui auront été entraînés par l’eau
viendront à la prendre. A cette corde qui traverfe ,
feront attachées plufieurs autres qui pendront dans
la rivière , avec des morceaux de bois ou de liège
au bout , pour que ces mêmes fantafîins puiffent
plus aifément les voir & les faifir.
Quelque forte de troupe que ce foit qui pafle
un gué rapide , doit le pafler avec autant de front
que ce gué le permet, & fe tenir côte à côte les
unes avec les autres , pour mieux réfifter à la force
du courant, pour pafler plus vite, & 'pour fe trouver
déjà rangées à mefure qu’elles fortentà l’autre
bord. . '
En 1672 , les troupes de là maifon du roi de
France paflerent le Rhin plus à la nage qu’au gué ;>
elles étoient rangées avec aflez de front & aflez
ferrées pour pouvoir ; à la faveur les unes des
autres, vaincre la rapidité de l’eau & foutenir en-
fuite le choc, fi elles étoient attaquées par les Hollandais
, que le général "Wurts commandoit fu»-