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non revêtue , juftifie la vérité de mes règles pour
le garantir de pareilles furprifes de vive force ,
dans une placé qui n’eft pas revêtue.
Surprife de G and. en 1678.
En l’année 1678 le roi furprit l’inveftiture de
Gand , fans quoi il ne lui auroit pas été poftible
d’en former le fiège , par la difficulté dé fa circonvallation
, fi l’ennemi avoii eu le temps de s’y
porter pour l’empêcher.
Le deffein de ce fiège fut couvert par des dé-
monftrations & des mouvements de troupes fur
les places ennemies qui étoient le plus éloignées
de celle-ci. Le roi porta même fâ perfonne jufqu’à
Metz, pour faire mieux croire à fes ennemis que
c’ctoit Luxembourg ou Namur qu’il vouloit attaquer.
Cependant toute fon armée de Flandres étoit en
mouvement, & paroiffoit avoir deffein fur Ypres.
Ces trois places en même-temps menacées furent
ainfi les objets d’attention de nos ennemis , qui
n’imaginèrent pas qu’à la fin de l’hiver il fut pof-
fible de faire la circonvallation de Gand, par la
difficulté de la communication des quartiers.
C ’eft ce qui fit réuffir cette entreprife, qui eft
dans l’efpèce des places qu’on peut dire avoir été
furprifes, parcê qu’elles ont été attaquées dans le
temps qu’elles étoient dépourvues ou d’une garni-
fon fuffifante , ou des autres chofes néceffaires à
leur défenfe.
Surprife de Savillan en *691;
Le troifième exemple d’une furprife de place qui
a réuffi par l’enlèvement de fa garnifon , mais qui
fut abandonnée fur-le-champ , parce^ qu’elle étoit
hors de portée de pouvoir être gardée, eft celui
de la furprife de Savillan au mois de janvier 1691.
Je commandois cet hiver à Pignerol ; & M. le
duc de Savoye , dans l’établiffement des quartiers
d’hiver de fes troupes , avoit mis fes quatre compagnies
de gendarmes dans Savillan , ou la garde
fe faifoit par des compagnies de bourgeois & de
milices. Je connoiffois la placé pour l’a g i r plu-
fieurs fois vifitée la campagne précédente ; & je
favois que du côté de la porte de Carmagnole il
y avoit un baftion de terre attaché à la muraille de
la ville , où il y avoit une porte qu’on fe conten-
toit de fermer la nuit, fans y laiffer de gardes.
. Sur ces connoiffances, je réfolus d’enlever cette
gendarmerie fi peu attentive à fe faire garder. Je
pris pour cela le temps d’une forte gelée , parce
qu’il falloit paffer le foffé du baftion qui étoit plein
d’eau. J’introduifis dans Savillan un efpion de
confiance, qui, la nuit marquée pour l’exécution ,
avec de petites tenailles , arracha en-dedans de la
ville les doux qui tenoient la ferrure de la porte
de la muraille à laquelle le ba^ion étoit attaché
êit-dedans de la ville*
SUR
Je fis une fi grande diligence avec huit cents
chevaux & cinq cents hommes de pied en croupe,
que j’arrivai deux heures avant le jour auprès de
ce baftion ; après avoir fait reconnoître le baftion
& la porte qui étoit à la muraille de la ville , pour
favoir fi mon efpion avoit exécuté ce que je lui
avois ordonné , je fis paffer mon infanterie fur la
glace du foffé , la mis en bataille fur la place, me
faifis du corps-de-garde de la porte , la fis ouvrir
à la cavalerie, & raffemblai fans oppofition ces
quatre compagnies de gendarmes , que je ramenai
toutes entières dans Pignerol, quoique M. de Sa*
voye eut pu , s’il avoit foupçonné ou découvert
mon deffein, tomber fur moi avec quatre fois plus
de cavalerie que je n’en avois. Je fis ainfi en trente
heures de temps plus de vingt-huit lieues , & paffai
& repaffai trois rivières, dont le Pô en étoit une.
Je ne rapporte cet exemple d’ une a&ion que j’ai
exécutée , que pour affurer fa règle que j’ai donnée
fur cette nature d’expédition , en difant/que la
réuffite ne dépend pas feulement de la négligence
de l’ennemi pour fe garder , ni même de la juf-
teffe des mefures prifes pour l’exécution de l’en
treprife, mais encore bien plu^du fecretde la marche
pour y porter les troupes , & de la diligence
pour le retour , lorfque la place qu’on a furprife
ne peut être gardée.
Surprife de Crémone en 1703.
Le quatrième exemple que je rapporterai fur
cette matière eft un événement, quoique fans fnc-
cès , dont le récit ne laiffera • pas d’étonner. Ç ’eft
la furprife de Crémone au commencement de Tannée
1703. \ '
Cette ville étoit la place d’armes de notre
guerre de Lombardie , où M. le maréchal de Vil-
leroi avoit établi fon quartier général pendant
l’hiver. Il y tenoit un fort gros corps d’infanterie
& d e cavalerie, qui, outre cela, étoit couvert par
un corps confidérable commandé par M. le marquis
de Créquy, dont les quartiers étoient entre
1 Oglio & le Pô , fur lequel nous ayions un pont
au-deffous de Crémone.
La tête de ce pont du côté du Modénois 8c du
Parmefan , étoit couverte d’un ouvrage qui étoit
gardé par la garnifon de Crémone, pour fa fureté
contre un corps de l’armée de l’empereur qui hi-
vernoit dans le Modénois. M. le prince Eugène,
avec le refte de l’armée de l’empereur, occupoit
des quartiers entre l’Oglio , l’Adda & le Mincio.
Dans cette difpofition générale, ce prince conçut
le deffein d’enlever Crémone/par furprife. Il
avoit des intelligences dans le dedans de la place ,
• par lefquelles il étoit inftruit que la préfence du
général, de plufieurs officiers généraux , & de la
puiffaate garnifon qui y étoit, n’en rendoit pas
le fervice plus régulier ni la garde plus exaéle, &
qu’elle s’y faifoit avec une négligence entière poUi‘
le dedans & pour le dehors.
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C’étoit M* le comte de R é v e l, lieutenant-général
, qui étoit chargé du commandement particulier
de la place en ce qui regardoit les troupes
Françoifes, car il y avoit d’ailleurs un gouverneur
Efpagnol.
On ne faifoit fortir perfonne de la place pendant
la nuit ; on ne faifoit , dans le dedans, ni
ronde fur les remparts , ni patrouille de cavalerie
& d’infanterie dans les rues ; on fe contentoit d’a-
yoir des corps-de-garde aux portes & fur les
places, fans que ces corps-de garde fe communi-
quaffent pendant la nuit par des rondes , ni même
qu’ils euffent des fentînelles fur le rempart au-
deffus des portes *, pour voir fi quelque chofe en
approchoit. Enfin on étoit dans Crémone fans aucune
attention pour le fervice ordonné dans toutes
lés places.
Un prêtre qui deffervoit une petite églife un peu
détournée du grand commerce de la v ille, avoit fa
maifon proche de cetté églife , joignant la cave
de fa maifon paffoit un aqueduc qui portoit les
eaux des rues dans les foffes de la ville. Il y avoit
dans Crémone un nombre confidérable de ces for-
ties, dont aucune n’<êtoit grillée ; ce fut fur l'avis
que ce prêtre en donna, que M. le prince Eugène
difpofa fon entreprife.
Il introduifit dans Crémone , par ces aqueducs ,
jufqu’à fix cents hommes , que le prêtre cachoiç,
■ dans fa cave & dans cette églife, qui n’étoit pas
j journellement fréquentée. Il ne encore entrer pendant
le jour un nombre confidérable de foldats
, déguifés en payfans , qui ne reffortoient pas le
j foir, & étoient recueillis par ce prêtre ou par quelques
autres conjurés.
Cet expédient étoit aifé, parce qu’il n’y avoit
point de configne aux portes , & qu’on ne s’in-
formoit jamais fi ce quijé'toit entré pendant le jour
dans la ville en étoit forti ou refté.
Une partie de ces hommes avoient des inftru-
ments propres à rompre des ferrures , & les autres
des .outils propres à abattre de la maçonnerie.
Deux portes de la ville du côté de l’Oglio furent
I choifies par M. le prince Eugène pour'introduire
le gros de fes troupes. L’une de cès portes, favoir
celle qui étoit la plus proche de la maifon du
prêtre, avoit été condamnée & miirée; au-deffus
de cette porte fur le rempart, il y avoit un petit
corps-de-garde où l’on tenoit feulement un pofte
dé huit ou dix hommes, qui, par la négligence du
fervice pour les rondes , n’avoit point de fenti-
i nelle devant l'a porte du corps-de-garde.
Ainfi les ennemis s’étant faifis fans bruit des
hommes qui dormoient paifiblement dans le corps-
de-garde , firent travailler leurs maçons à abattre
le mauvais mur de la porte, fans être découverts
parles rondes , parce qu’il ne s’en faifoit aucune.
| L autre porte dont on fe fervoit le jour pour le
|. commerce de la ville j avoit un corps-de-garde en
has, & la garde de cette porte étoit plus nom-
breufe4 mais fans aucune attention pour les fen- ,
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tin e l le s , 'parce que l’officier n’avoit point à répondre
à des rondes. Il n’y avoit point de fenti-
nelle en haut à la herfe pour, en cas de befoin , la
faire'tomber ; nul pofte au dehors de la porte , pas
même une fentinelle en haut au deffus de la porte
pour voir fur le grand chemin qui y conduifoit.
M.le maréchal de Villeroi qui étoit allé vifiter
les quartiers du haut de l’Oglio , repaffoit par Milan
, où il eut avis que jM. le prince Eugène faifoit
des mouvements daïis fes quartiers les plus éloignés
de l’Oglfo.
Cela l’engagea à revenir à Crémone le forr qui
précéda l’exécution de la furprife ; non pas qu’il
eût aucune penfée que ces mouvements puffent
regarder Crémone , mais bien les quartiers que le
marquis de Créquy occupoit le long du bas Oglio ,
dans lefquels M.le maréchal de Villeroi lui man-
doit d’être fort alerte , parce que M. le prince
Eugène occupoit le pofte d’Uftiano, fur l ’O g lio
vis-à-vis de Crémone.
Le marquis de Créqui, de fon côté, avoit fait
favoir à M. le maréchal de Villeroi que tours les
quartiers de M. le prince Eugène étoient en mouvement,
& que des efpions l’affuroient que c’é-
tpit pour un deffein fur Crémone.
M. le maréchal de Villeroi avoit auffi appris
d’ailleurs que les quartiers que les ennemis occu-
poient dans le Modénois étoient en mouvement;
mais il crut que ce poevoit être pour exécuter
quelque deffein fur Plaifance , dont il donna avis
à M. le duc de Parme ; ainfi on voit que ce maréchal
penfoit à tout, hors à être furpris dans Crémone.
A la vérité ce général, chargé (Je toutes les
affaires, peut être exeufé d’avoir ignoré la négligence
dans le fervice des troupes qui étoient dans
ion quartier, puifqu’il en avoit chargé M. le mar**
quis de Rével.
Enfin à- l’heure de l’execution de cette entreprife
, M. le prince Eugène paffa l’Oglio à Uftiano
à fix lieues de Crémone , fans que M. le maréchal
de Villeroi, ni aucun de nos généraux en euffent
aucun avis, par toutes les négligences pour le dehors
dont j’ai parlé ci-deffus , qui, dans cette cir-
conftance , ne peuvent être exeufées, parce que,
puifque l’on favoit que touts les quartiers des ennemis
au-delà de FOglio étoient en mouvement,
il falloit au moins avoir des partis de cavalerie fur
Uftiano, qui étoit le feul pont que les ennemis
euffent fur l’Oglio , afin d’être informé fi M. le
prince Eugène pafloit cette rivière.
Mais cette petite & trivialè attention négligée jj
ce prince fe trouva devant les deux portes de Crémone
avec un corps de cavàlerie & d’infanterie
d’environ fept mille hommes , fans qu’on en eût
aucun avis.
Les hommes introduits par l’aqueduc, on qui
étoient entrés déguifés en payfans , & qui étoient
cachés chez le prêtre ou ailleurs , fe faifirent fans
bruit du corps-de-garde qui étoit à la porte dont