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toute fa force qu’il les avoit vus , & qu’il s’étoit
échappé comme par miracle , quoique tout cela fût
faux. La peur avoit fait tant d’impreffion fur cet
homme , que prenant les ombres des oliviers pour
des ennemis , il affuroit que les murailles de la
porte des Capucins éroient couvertes de cavalerie ;
& je penfe que fi nous l ’avions preffé davantage, il
fe fut engagé à nous les faire voir fur la table où
nous foupions.
Ce qui porta les Turcs à donner la bataille de
Lépante , qu’ris perdirent, fut le peu de capacité
de Caracoffe, ou le défir imprudent qu’il avoit d'en
venir à un combat : car ayant été détaché par le
généraliflime Ali-Bacha , pour aller reconnoître le
nombre des vaiffeaux chrétiens , il rapporta qu’il y
en avoit beaucoup moins qu’il n’y en avoit en
effet.
Des marches en pays couvert.
Si vous marchez par des bois ou des montagnes
qui peuvent cacher un corps confidérable d’enne-
mis, vous ferez non-feulement battre le chemin
vers votre avant-garde, mais encore fur les ailes ,
qui font les endroits où fe forment les plus péril-
leufes embufcades , parce qu’alors les ennemis
chargent avec leur front votre flanc.
Lorfque la feule infanterie ennemie fuffit pour
vous battre ,ou pour commencer le combat en attendant
que leur cavalerie, qui eft en embufcade
fur le flanc, dans un pofte éloigné , arrive, &
que vous marchez par des plaines couvertes de
grandes moiffons, de hautes herbes ou de brouf-
failles , je crois qu’il eff alors encore plus nécef-
faire de faire battre fur les ailes , parce que, pour
me fervir des termes de Strada, « il faut jfe défier
davantage de quelque embufcade, plus l’endroit
où l’on a pu la faire eft découvert ».
La raifon e ft, que les ennemis, penferont que
vous marcherez dans cet endroit avec hnôins de
précaution , & qu’ils auront toute la commodité
d ’obferver à loifir la marche dè votre armée, 8c de
fortir de leurs embufcades en ‘ordre dé ’ bataille ;
avantage qui ne fe rencontreront pas dans unterrein
où il y auroit des bois & des ravins. Àufli Polybe
remarque qu’Annibal choifit une plaine, comme le
pofte le plus propre pour dreffer une embufcade
à .. . . Sempronius. Faites attention à ces paroles
, qui font voir que ce fut par les mêmes raisons
que j’ai alléguées : « Les bois, dit-il, étoient
fufpecfs aux Romains, à caufe des embufcades
fréquentes que lès Gaulois y dreffoient.. . . Us
ignoraient, fans doute, que les plaines font fou-
vent plus propres que.les bois, pour cacher &
pour favorifer les embufcadès . parce fyu’on peut y
voir venir de,loin les ennemis , & qne dé rem os
en temps on y trouve des endroits où l’on peut ;
fe cac her ‘ car un ruiflèau qu’on rencontre , pour I
peu que fes bords foicnt élevés , des rofeaux &
autres herbes qui croiffent dans les marais, des
ronces & autres chofes fémblables ^“ peuvent ca-
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cher l infanterie , 8c fouvent même la cavalerie
pourvu quon ait foin de baiffer les armes, qui
pourroient reluire, & d’ôter les cafques , ou du
moins les aigrettes , que leur éclat pourroit faire
découvrir. ».
Comme ceux qui battent fur les ailes , vont hors
du chemin , ils rencoritrent fouvent des foffés, des
murailles de terre ou des haies, dont les prairies 8c
Ies, champs enfemencés font entourés, ou quel-
qu autre femblable obftacle, qui les obligent à faire
un grand circuit, & quelquefois à revenir fur leurs
pas; c’eft pourquoi il feroit à propos qu’ils por-
tauent des lappes & des ferpes pour ouvrir un
paffage^ à leurs chevaux, & qu’il y eût avec eux
de 1 infanterie qui allât reconnoître les endroits où
les chevaux ne peuvent pas paflèr,
Ne vous engagez pas à paffer un défilé ou une
riviere > fans avoir fait avancer les partis nécef-
faires pour bien reconnoître fi à l’autre bord de la
riviere ou du défile, il n’y a pas des troupes ennemies
qui puiffent charger une partie des vôtres
avant que toute votre armée ait paffé. Les exemples
de Mahomet, de Fabrice Colone, de Luce Valère
des Tenturiens , & d’Ifmaël, pourront vous en
convaincre. Je fuppofe encore que vous favez que
dans le cas dont il s’agit, un parti détaché pouvant
être furpris par les ennemis , qui fe feront mis
en embufcade , il faut que le parti ordinaire marche
à la vue de votre avant-garde. Néanmoins , le plus
fur eft, que trois ou quatre partis fe fuivent à telle
diftance l’un de l'autre, que l’arrière-garde du- premier
foit toujours vue par les foldats du fécond qui
battent le pays, & ainfi fucceffivemerit jufqu’à la
tête de votre armée.
A moins d une grande néceffité , vous ne devejs
pas entrer dans un défilé , lorfque vous n’avez pas
affez de jour pour achever de le paffer. Lorfqu’il y a
plnfieurs de ces défilés proches les uns des autres ,
vous devez paffer par touts en même temps, en af-
fignant à toutes les brigades le fien , fuppofez qu’à
la fortie elles puiffent fe joindre en un corps avant
que les ennemis les attaquent divifées.
En rraverfant un défilé , les foldats & les officiers
de différents corps , ne doivent pas fe mêler les uns
avec les autres , a caufe de l’embarras que "cela feroit
lorfque chaque régiment devroit fe former. Il
faut y faire garder le filence , & empêcher que les
équipages ne fe mêlent pas avec les troupes.
Si le défilé que vous voulez paffer , eft un pont
ou un gué , je vous renvoyé à mon traité dupajfage
des rivières.
Lorfqu'on marche par des défilés , on a ordinairement
quelques petits canons à l’avant-garde & à
1 arriere-garde. Les meilleurs,dans ces occurences ,
font ceux de la dernière invention, qui fe chargent
par la. culaffe ; r& quoiqu’ils -ne pèfent guêres
naoins-que les autres , & qti’on ne les porte pas fur
des mulets , ils ont néanmoins les avantagés dont
•jè parlerai dans mes calculs militaires, fans avoir
les1 défauts des canons courts & chambrés A
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qu’on tranfporte fur un mulet ou fur un cheval.
Je parlerai dans la fuite, de la diftribution
ordinaire des brigades d'artillerie ; mais ce ne
fera qu’en paffant, parce que je me réferve de
traiter au long dans mes calculs militaires , de tout
ce qui regarde l’artillerie.
S i, pour faire paffer votre artillerie, ou pour
faire paffer votre armée avec un plus grand front,
Vous trouvez fur votre chemin des ruifleaux ou des
canaux fans ponts qui vous font obftacle , de petits
fentiers à travers les bois , des haies ou autres
empêchements qu’il vous foit aifé de lever , & que
l’éloignement de l’armée ennemie le permette , détachez
des pionniers un jour auparavant de vous
mettre en marche, qui, avec un ingénieur, un officier
d’artillerie & une bonne efeorte, ôteront touts
ces embarras. .
Germanicus voulant paffer par certains chemins
étroits de l’Allemagne , fit avancer Cécinna avec
quelques troupes, pour agrandir les fentiers des
bois, pour jetter des ponts fur les ruiffeaux , &
pour élever un paffage fur les matais.
Si levoifinage des ennemis ne vous permet pas
de détacher bien avant des pionniers , l’infanterie
de votre avant-garde doit porter des outils pour
raccommoder les chemins le mieux qu’elle pourra ,
parce qu’il y a des endroits qui arrêtent infiniment
moins pour les applanir & les rendre prariquables,
que pour les paffer à la file. Une heure de travail
en abrège fouvent quatre de marche , fur-tout lorfqu’il
s’agit d’artillerie ou de quelqu’autre charriage
fort pefant.
Florentin de Perceval , dans fon traité du Parfait
général £ artillerie , dit que les petits ponts fur les
ruiffeaux q.ui n’ont que dix à douze pieds de large ,
fe font avec des troncs d’arbres qui fe trouvent ordinairement
auprès de ces ruiffeaux ; que , faute
de ces troncs d’arbres, ou de grôffes planches que
l’on porte fur des charrettes , on doit fe fervir
de poutres , qu’on prendra des édifices les plus
proches , fur lefquelles on jettera trois rangs de faf-
cines bien liées, & par-deffus, du gazon ou de la
terre bien battue; & alors , quoique les poutres ne
foient pas bien greffes , elles nelaiffentpas de fup-
porter le poids du canon. Perceval veut que chacun
de ces ponts ait quinze pieds de largeur, & que
fi le ruiffeau eft plus large, fans être fort profond ,
on jette le pont fur des» chevalets faits de madriers
de dix à douze pieds de diamètre. On comble les
bourbiers & les ornières des charrettes qui font
fort profondes , avec des fafeines 8c de là terre par-
deffus : le fable feroir meilleur, fi on pouvoit en
avoir commodément.
De la cavalerie dans Us défilés.
Toutes les fois que vous marcherez par des défilés
, poftez votre cavalerie au centre , à l’arrière-
garde , ou dans tel autre endroit auquel, félon la 1
difpofition des ennemis , elle courra moins de j
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danger d’être attaquée; parce que s’ils venoîent à
la charge, elle-même renverferoit votre infanterie ,
qui dans la plaine , comme chacun fçait, marche
à fes ailes.
M. le maréchal de Montluc parle avec éloge de
la retraite que fit en fon temps en Piémont don A lvaro
de Santa , avec un gros de troupes efpagnoles.
pourfuivi de près par l’armée françoife , qui étoit
fous les ordres du maréchal de Briffac , il fit paffer
dans un défilé fa cavalerie la première , & foutint
avec fon infanterie le choc des François , parce que
s’ils avoient battu fa cavalerie, elle auroit elle-
même mis en défordre fon infanterie.
Comme il n’eft pas aifé aux efpions ennemis de
favoir au jufte de quel nombre de troupes votre
armée eft compofée, à moins qu’ils ne la voyent
défiler, toutes les fois que vous marcherez par des
défilés, vous propoferez des officiers pour empêcher
qu’aucun payfan ni aucun homme qui auroit
même l’habit de foldat, excepté qu’il ne foit connu ,
ne s’arrête auprès de ces défilés: car il pourroit,
fous ce déguilement , reconnoître votre armée ; &
vos officiers fe faifiront de ceux qui paroîtront trop
affujettis à obferver dans ces endroits ce qui le
paffe.
S’il y a à craindre que les ennemis , pour vous
empêcher la retraite, ne viennent occuper le chemin
par lequel il faut que vous repaflîez , faites
couper & brûler lés arbres & les brou fiai! J es qui
pourroient favorifer les ennemis pour vous incommoder
à votre retour. Mais s’il le rencontre dans
ce pofte des obftacles plus difficiles à Yùrmonter ,
faites-ie garder par un détachement qui fe retranchera
, afin que les ennemis trouvent la même difficulté
à en faire déloger vos troupes , que vous en
auriez à en chaffer les leurs.
L’événement a fait voir que fi les confuls Titus
Véturius , & Spurius Pofihumius , avoient fait garder
le paffage par lequel ils arrivèrent aux fourches
Caudines , fi fatales aux Romains , ils n’euffent pas
éprouvé le malheur de perdre toute leur armée.
Des marches en pays de plaine , ou coupés de plaines
& de défilés.
Lorfque vous rencontrerez alternativement fur
votre marche, des plaines & des défilés, après avoir
paffé ces deniers , vous rangerez vos troupes pour
marcher en bon ordre dans les plaines où vous entrerez,
parce que les ennemis pourroient s’être mis
en embufcade fur les montagnes ou dans les bois
qui font un peu plus loin , pour vous attaquer
avant que votre armée , qui avoit défilé, ne foit
formée.
Je fuppofe que vous n’entrerez pas avec vos
.troupes dans des vallons, qu’après que les batteurs
d’eftrade auront reconnu les hauteurs du front 8c
des flancs , 8c qu’ils vous auront donné avis que la
campagne eft fûre. Cependant, fi ces bois 8c ce s
montagnes ont fi peu d’étendue qu’il ne s’y puiffe