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cet endroft, où ils fe font arrêtés par un accident
imprévu.
Je fuppofe que pour faire halte vous choifirez
lin terrein où les ennemis ne pourront pas vous
couper l'eau; mais fi fa difette eft commune aux
deux armées à caufe de la féchereffe & de l’aridité
du terrein , cette circonftance peut vous devenir
favorable , fi vous avez la précaution de faire pro-
vifion des outres & des barrils dont j’ai parlé en
traitant des marches , parce que l’armée ennemie ,
qui n’aura pas eu la même prévoyance, fera obligée
de s’éloigner pour chercher de l’eau, avant
que la vôtre foit forcée de décamper par cette
raifon. Je dis la mêmechofe par rapport aux fourrages
, fi votre cavalerie & vos voitures en portent
pour un ou deux jours-; dans ce dernier cas, il
faudra faire halte dans un terrein-d’où les fourrages
fuffent fort éloignés, parce que vous pourriez continuer
votre retraite lorfque là cavalerie ennemie
fe feroit écartée.
Si les ennemis , à caufe de l’éloignement des
montagnes ou de l’obfcurité de la nuit, ne peuvent
pas obferver vers quel lieu vous dirigez v'otre
marche, lai-ffez dans un endroit avancé du côté
des ennemis, un gros corps de cavalerie, & encore
plus loin des partis bien montés , afin que fi
les ennemis viennent toujours à vos trouffes, ces
partis vous avertiffent affez tôt pour que vous puif-
fiez continuer votre marche , ou vous ranger en
bataille dans le terrein avantageux que je fuppofe
que vous avez choifi pour faire halte. Quand les
batteurs d’eftrade des ennemis rencontreront la
nuit votre gros de cavalerie, ils ne pourront pas
favoir fi toute votre armée y eft , & fur cet avis il
eft à préfumer que l’avant-garde ennemie s’arrêtera
ou pour fe former en bataille , ou pour attendre
fon arrière-garde , & tout cela vous donne un certain
temps pour prendre un parti convenable.
Vcfcre gros corps de cavalerie ne s’avancera pas
fi loin que, nonobftant vos partis, il puiffe être
coupé, ou chargé dans le paflage d’un défilé. Il
tiendra pendant la nuit fes chevaux fellés & même
bridés ; on leur donnera l’avoine par moitié ou par
tiers , afin qu’une bonne partie de la cavalerie foit
toujours prête 8c en état d’agir.
Les petits partis s’avanceront le plus qu’il fera
poffible fur toutes les avenues de l’armée ennemie
, parce qu’il faut préférer les avis effentiels
qu’ils peuvent donner au péril qu’ils courent d'être
faits prifonniers.
Les chevaux feront auffi fellés dans le gros de
l’armée; les officiers & les foldats dormiront vêtus ;
les tentes , fi la faifon le permet, feront pliées &
on les chargera liées , afin de pouvoir , fans aucun
retardement, continuer la marche lorfque vous le
jugerez néceflaire fur l’avis de vos partis , ou
lorfque votre armée aura pris la nourriture né-
eeffaire & le repos fuffifant ; la même chofe s’ob-
feryera les jours fuivants, jufqu’à ce qu?on foit
arrivé dans un pays où vos places 8c les rivières
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dont vous commandez les ponts, vous mettent à
couvert de toute inlulte.
Afin de mieux periuader aux ennemis que votre
armée1 fe trouve dans le même endroit où eft votre
cavalerie , détachez des payfans ou de:» loldats ,
qui, fous les ordres de quelques officiers , s étendront
fur les ailes pour y allumer des teux à proportion
du nombre des troupes de toute votre
armée, qui, dans ce cas, n'en allumera aucun ;
mais s’il y en a dans l’endroit où votre gros a fait
halte, il ne doit point y en avoir dans celui où
votre cavalerie avancée eft poftée, foit afin que
les partis ennemis donnent dans l’embufeade de
cetre cavalerie , foit afin que les ennemis ne con-
noiffent pas cetre féparation de vos rtoupes.
En traitant des difpolitions avant la bataille ,
j’ai fait voir de quelle manière les premières troupes
qui ont été mifes en déroute dans un combat ,
doivent fe. retirer & fe rallier On peut inférer de
ce que j’ai dit alors, que fi le détachement quç.
vous avez laifféà votre arrière garde eft chargé par
les ennemis, & que prenant la fuite, ils fe jettent
en confufion fur les autres corps , qui font retraite
en bon ordre , ces corps, fur lefqueis ce détachement
fe renverfe pêle-mêle, doivent le ferrer
& fermer le paflage aux fuyards ; & f i , pour les
arrêter ou pour leur faire prendre leur marche
vers les ailes, les menaces 8t les remontrances ne
fuffifent pas , il faut tirer fur eux. La raifon eft ,
que les fuyards intimidés, mettroient en dçfordre
toutes les troupes qu ils rencontreront jufqu’à
l’avant-garde, principalement fi c’eft une troupe
de cavalerie, qui, épouvantée, fuit à toute bride
par un terrein étroit.
Quelques écrivains prétendent que dans ce cas,
les troupes rangées en bataille doivent s ouvrir
pour laifler un paflage libre aux fuyards ; mais
n’y auroit-il pas à craindre que par le même yuide
& à la queue de ceux qui fuient, lçs ennemis ne
s’introdnifent jufques dans le centre de votre armée
? Ce qui feroit très dangereux, ainfi que je
l’ai fait voir dans un autre endroit de cet ouvrage.
Lorfque la marche eft difpofée par brigades renforcées
ou par colonnes de la manière que je l’ai dit
précédemment, les intervalles fe trouvent fi grands
& chaque brigade ou colonne eft fi forte par elle-
même, qu’il n’ÿ a point d’inconvénients que les
fuyards fe retirent par les mêmes intervalles. Il
fuffit que la cavalerie qui eft entre les brigades ou
les colonnes s’avance pour leur laifler un terrein
pour fuir, jufqu’à ce qu’ils arrivent à un endroit
commode pour fe rallier 8c fe former.
L ’empereur Léon veut que pour pafler un défilé
& pour faire retraite avec, aflùrance , vous
mettiez entre les troupes ennemies & les vôtres
touts les prifonniers que vous avez ; c’eft ce qui
fut pratiqué par le conful Paul Emile , & par Agé-
filas , roi de Lacédémone. Ce confeil me paroit
trop cruel, & les fuites en feroient fuueftes , parce
que-les loix 8c la politique de la guerre exigent
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«u’onufe d’un bon traitement à l’égard du prifon- ,
nier, h moins qu’il ne foit rebelle à fon prince ;
d’ailleurs , comme les ennemis par droit de^ repréfailles
traiteront vos prifonniers avec la même rigueur,
il s’établiroit une guerre indigne & pleine
de barbarie. ..
Celui qui ufe de cruauté envers les vaincus , di-
foient les habitants de Milo aux ambaffadeurs d A -
thènes, donne un exemple contre lui-meme, f i la fortune
lui devient un jour contraire.
Quand il peut être avantageux £ en venir à un combat
dans la retraite.
S i, après avoir paffé un défilé, vous remarquez
que les ennemis vous fuivent, rangez fecrètement
vos troupes en bataille , & lorfquil y aura de
vôtre côté un certain nombre d ennemis que vous
jugerez à propos d’attaquer, venez fur eux , car
quoique les autres troupes foient proche de celles
qui ont débouché par le défilé , il ne leur fera
pas poffible de foutenir celles que vous chargez.
On peut fe rappeller l’exèmple de la bataille de
Sénef, que j’ai rapporté un peu auparavant, puif-
que la même raifon vaut, loit quon attaque 1 a-
vant-garde ou l’arrière-garde , lorfque les autres
troupes font engagées dans le défilé.
Si vous êtes aflùré de pouvoir, par le moyen
d’un fourneau , rendre le chemin impratiquable
aux ennemis qui doivent vous fuivre dans votre
retraite, donnez ordre une ou deux nuits avant de
vous mettre en marche, d’ouvrir ce fourneau avec
beaucoup de fecret, de le charger , & de rétablir
la terre de manière que le travail ne parpiffe pas.
Je dis la même choie d’un pont que les ennemis
auront à pafler pour vous fuivre ; ce qui s’exécute
encore plus aifément lorfque ce font des ponts
couverts de bois , foutenus par des piiliers de
pierres qui vous donnent la commodité d’y enfermer
de la poudre.
Afin de donner feu aux fourneaux après que ce
nombre d’ennemis que vous voulez attaquer aura
paffé le pont ou le défilé , un ingénieur de votre
arrière-garde cachera dans la poudre du fourneau
ou au bout de fon fociflon , ou de ces piftolets à
reffort dont j’ai parlé en traitant des fièges ; cet
infiniment .fe peut régler, de manière à ne donner
feu que dans une heure ou deux , plus ou moins ,
félon le temps que vous jugerez néceflaire pour
que ce nombre d’ennemis que vous avez réfolu
de charger ait paffé.
Quand vous entendrez que le fourneau a joué,
donnez ordre aux troupes que vous avez biffées
pour cette fin en embufeade, ou au détachement
qui cçuvroit votre arrière-garde, ou à toute l'armée
de marcher vers l’ennemi. Selon moi, il vaut
mieux que ce foit avec toute l’armée» en fuppu-
tant le temps qui vous eft néceflaire pour votre
contre-marche, afin de fondre fur les troupes ennemies
lorfqu’il n’en aura encore paffé qu’un R E T 4 9 5
nombre inférieur de la moitié à celui des vôtres,
afin que les autres troupes des ennemis ne foient
plus affez fortes, pour vous incommoder fur ce
chemin ou fur une autre route.
Lorfque l’avant-garde ennemie , pour voua
fuivre trop vivement, s’éloigne beaucoup du corps
de fon armée, faites halte avec vos meilleures
troupes armées à la légère , mettez-les en embufeade
derrière quelque montagne , quelque petit
bois qui les cachent , pendant que vos autres
i troupes continuent leur marche à découvert, afin
; que les ennemis , qui croiront que tout votre gros
fait retraite , s’acharnent toujours à harceler votre
arrière-garde. Il eft naturel de penfer que les ennemis
donneront dans l’embufcade, & que vos
troupes , qui y font en ordre de bataille & difpo-
fées à fondre tout d’un coup fur eux,les déferont,
quand même ils feroient fupérieurs en nombre. Ii
eft néanmoins de la prudence de former l’embuf-
cade de plus de monde que n’eft compofée ,1a
troupe qui s’eft avancée pour vous joindre.
Ce fut.de cette manière que Jean Huniade défit
l ’armée d’Amurat I I , empereur Ottoman , lorfque
fous les ordres de Cafan , elle pourfuivoit Huniade
dans fa retraite.
Horace fut viélorieux , parce que feignant adroitement
de prendre la fuite , il revenoit contre chacun
des trois Curiaces , à mefure que l’un d’eux
s’étoit inconfidérément trop avancé. Par la même
rufe , félon Polybe , Dioétime avec dix galères
feulement, en battit vingt de fes ennemis.
L’embufcade fe dreffera loin du chemin, afin
qu’elle ne foit pas découverte par les batteurs d’eftrade
des ennemis ; les troupes qui. la doivent former
replieront leur marche dans un terrein affez
dur pour que les traces n’y paroiffent pas.
Le chevalier Melzo donne ees deux avis. Il au-
torife le fécond par l’exemple de dom Ferrari
Gonzague , qui, ayant reconnu par les vefti^s la
marche d’une troupe Françoife, la fuivit avjTune
autre de l’empereur Charles V , la défit, ot prit
prifonnier auprès de Marfeille Montignan, qui la
commandoit.
Si le détachement qui a formé votre embufeade
bat les troupes avancées des ennemis, il ne les
fuivrapas longtemps dans leur déroute, parce qu’en
contremarchant vers le gros de l’armée ennemie
qui s’avance, il fe mettroit en danger d’être défait
, s’il étoit rencontré lorfqu’il fe feroit ainfi
éloigné du corps de votre armée. Â
Ce fut-là une des caufes qui contribua le plus à
la défaite de Curion , lorfqu’il pourfuivoit les
troupes battues du roi Juba.
Attilius, confuL Romain, vit du port de Tindare
que la flotte de Carthage , commandée par Amil-
car , nàviguoit en défordre, auffitôt il fortit de ce
port pour lui donner la chaffe avec dix navires
feulement, en attendant que les autres fe miffent
à la voile. Dès que les vaiffeaux d’Attilius furent
|
en, haute mer , les Carthaginois re y itèrent de