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aux militaires pour le fervice journalier ; mais elles
ne fuffifent point à l'homme d’état & à l’hiftorien.
11 y en a plufieurs qui font perdues ; d autres fe
perdent ; un plus grand nombre fe perdra fi 1 on
n’en prévient l’anéantiffement. Parmi celles qui
cxiftenc, plufieurs font très difficiles à retrouver,
lorfque ceux qui écrivent l hiftoire, ou qui font
chargés , foit de modifier les anciennes, foit d’en
rédiger de nouvelles , en ont befoin. Il feroit peut-
être digne de l ’attention du roi & de fes minières
d’en faire faire un recueil auffi complet qu’il feroit
poffible , en commençant par le petit nombre de
loix militaires contenu dans les capitulaires de
Charlemagne, & le continuant jufqu à nous, &
ainfi de fuite, & de le faire imprimer & publier, il
faudroit le rédiger par ordre de matières , & y
joindre une table de dix en dix volumes. Ce feroit
un monument utile & honorable que la pofiérité
recevroit avec reconnoiffance.
II eft dangereux de multiplier les ordonnances
fans néceffité, par le petit intérêt de ne point pa-
roitre oifif, ou de fembler avoir des vues plus fages
que fes prédécefleurs. Mais prétendre avoir un
code de loix immuable ; cette Habilité n’eft pas
d’un être auffi mobile que l’homme, elle n’appartient
qu’à la mature. Nos idées , nos penfées, nos
ïelations, nos ufages, nos arts, nos moeurs , nos
gouvernements éprouvent des changements continuels.
D ’autres temps , d’autres loix. Il y a en tout
un jufte milieu: changeons fuivant le befoin ; ne.
changeons rien fans néceffité.
O r d o n n a n c e . Soldat, cavalier, dragon , huf-
fard envoyé par une troupe chez l’officier qui la
commande, pour lui en rapporter les ordres particuliers
qu’il pourroit avoir à lui envoyer. Il faut
charger de cette commillion les hommes les plus
intelligents , les plus capables de bien rendre les
ordres, & de les rapporter promptement.
ORDRE DE BATAILLE. Difpofition pour le
combat.
L'ordre de bataille doit être réglé d’après des
maximes générales.
La première & la plus importante eft de rejetter
tout efprit de fyftème. Nous ne pouvons en ceci ,
comme en toute autre chofe , nous conduire que
par des vues d’une certaine généralité ; mais elles
ne peuvent pas être abfolument générales , parce
que l’efprit humain eft fort éloigné de cette hauteur
divine qui embraffe touts lespoffibles. Tout
change en nous & autour de nous , & un fyftème
ne convient qu’à un feul ordre de chofes. Changeons
fuivant les circonftances : indépendantes de
nous , ce font elles qui nous tiennent dans leur dépendance.
N’admettons point e*clufivement l’ordre
profond , non plus que l’ordre mince, dont .on a
tant & fi vivement difputé. Difpofons une armée
relativement à l’efpèce de.fes armes & de celles de
l’armée ennemie ; à la qualité des foldats, qui ne
font pas toujours les même dans la même nation ;
à la nature des lipux , qui varie fans celle,
ORD
Obfervons ce que les maîtres de l ’art ont pofé'
en maximes. ( K. ).
i° .Il faut toujours que les ailes de l’armée foyent
à l’abri des entreprifes de l’ennemi. Une aile détruite
expofe le refie à l’être également ; car il eft
très difficile de fe foutenir contre une attaque de
front & de flanc.
Pour éviter cet inconvénient, la méthode ordinaire
eft d’appuyer les ailes à quelque fortification
naturelle qui les garantiffe d'être tournées ou enveloppées
; comme par exemple, à un marais reconnu
pour impraticable , à une rivière qu’on ne
peut pafljer à gué, à un bois bien garni d'infanterie
, à un village bien fortifié , à des hauteurs
dont le fommet eft occupé par'de bonnes troupes,
de l’artillerie, &c.
Il eft évident que les ailes de l’armée dans cette
difpofition ne peuvent guère éprouver de danger
de l’ennemi ; mais comme cette efpèce de fortification
eft permanente , & que l’armée peut être
obligée d’avancer ou de reculer , il arrive que fi
elle change de terrein , elle perd la proteélion de
fes ailes. Pour éviter cet inconvénient, M. le chevalier
de Folard propofe de les couvrir par des colonnes
d infanterie ; ces colonnes pouvant fuivre
touts les mouvements de l’armée, elles forment
une efpècê de fortification ambulante, dont les
ailes font par-tout également protégées. Cette far.
çon de les couvrir elt beaucoup plus avàntageufe
que celle qu’on fuit ordinairement, qui ne devroit
avoir lieu que lorfqu’on eft attaqué par l’ennemi
dans un bon pofte qu’on ne pourroit abandonner
fans s’affoiblir. « La lituation naturelle , dit Monté-
cuculi, peut, à la vérité, affurer les flancs ; mais
cette fituation n’étant pas mobile, & n’étant pas
poffible de la traîner après foi , elle n’eft avanta-
geufe qu’à'celui qui veut attendre le choc de l’ennemi
, & non à celui qui marche à fa rencontre, ow
qui va le chercher dans fon pofte ».
2°. Il faut éviter d’être débordé par l’armée ennemie
, où I ce qui eft la même chofe , lui oppofer
un front égal, en obfervant néanmoins de ne pas
trop dégarnir la fécondé ligne , & de fe conferver
des réferves pour foutenir les parties qui peuvent
en avoir befoin.
Lorfqu’il n’eft pas poffible de former un front
égal à celui de l’ennemi, il faut encore plus d’attention
pour couvrir les ailes ; outre les colonnes
de M le chevalier de Folard , qui font excellentes
dans ce cas, on peut y ajouter des chevaux de
frife, des çharriots, ou quelque autre efpèce de
retranchement que l’ennemi ne puifle ni forcer ni
| tourner.
3°. Chaque troupe doit être placée fur le terrein
?;ui convient à fa manière de combattre. Ainfi l’in-
anterie doit occuper les lieux fourrés ou embar-
rafles, & la cavalerie ceux qui font libres & ouverts.
•
4°. Lorfqu*il y a des villages à portée de la ligne
que l’ennemi ne peut pas éviter, on doit les fortifier
,
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iîer, les bîetl garnir d’infanterie & de dragons pour
rompre les premiers efforts de l’ennemi; mais ces
•Villages doivent être affez près de la ligne pour
en être foutenus , & pour que les troupes puiflent
Ja rejoindre , fi elles font obligées de les aban-
(donner.. f
Si les villages fonttrop éloignes pour ja commu- !
Hication des troupes avec le refte de l’armée , & j
«que l’ennemi, en s’y établiffant, puifle y trouver 1
quelque avantage pour fortifier fon armée , on j
tfoit les rafer de bonne heure ; ne point fe contenter
d’y mettre le feu, qui ne fait que détruire les
portes & les toîts des maifons, mais renverfer les
murailles qui peuvent fervir de couvert & de retranchement
aux troupes ennemies.
' 50. Obferver que toutes les parties de l’armée
ayent des communications sûres & faciles pour
fe foutenir réciproquement, & que les réferves
puiflent fe porter par-tout où leur fecours pourra
être néceffaire ; on doit auffi avoir attention de les
placer de manière que'les troupes ne puiflent point
fe renverfer fur elles, & les mettre en défordre ,
& qu’il n’.y ait point de bagage entre les lignes ni
derrière , qui incommode l’armée, dans fes mouve-
vements.
6°. Profiter de toutes les circonftances particulières
du champ de bataille, pour que l’armée ne
préfente aucune partie foible à l’ennemi ; un général
doit confidérer le terrein qu’occupé fon armée ,
comme une place qu’on veut mettre en état de dé-
fenfe de touts côtés; l’artillerie doit être placée
dans les lieux les plus favorables pour caufer la
plus grande perte qu’il eft poffible à l’ennemi.
7°. Comme, malgré la bonne difpofition des
troupes , il arrive dans les batailles des événements '
imprévus qui décident fouvent du fuccès , on doit
prendre de bonne heure toutes les précautions
convenables pour qu’aucune troupe ne foit abandonnée
à elle-même , & fe ménager des reflburces
pour foutenir le combat ; en forte que s’il faut céder
, on ne le faffe au moins- qu’après avoir fait
ufage de toutes fes forces. C ’eft poiirquoi on ne
fauroit trop infifter fur la néceffité des réferves. Si
le centre, ou l’une des ailes a 'plié , la fécondé
ligne ou les réferves peuvent rétablir l’afFaire ;
mais il faut pour cet effet des troupes fermes , va-
leureufes , bien exercées dans les manoeuvres militaires,
& conduites par des -officiers habiles &
expérimentés. Alors on peut rétablir le premier
défordre , & même faire perdre à l’ennemi l’efpé-
rance de la viétoire qu’un premier fuccès auroit pu
lui donner. ( V6ye\ G u er r e ). Il eft important
cjue le champ de bataille foit bien connu , afin de
juger des lieux propres à chaque efpèce de troupe ,
félon les différents endroits- où l’on peut les employer.
8P. Pour foutenir plus fûrement l’armée & la
rendre encore plqs refpeâable à l’ennemi, les redoutes
en avant, fortifiées d’un foffé & placées ju-
dicieufement , font d’un excellent ufage. Elles
Art Militaire, Tçme IIJ|
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doivent être garnies d’un nombre fuffifant d’artillerie
& dé foldats , pour n’être point emportées par .
une première attaque. Si quelque partie de l’armée
fe trouve enfoncée , les troupes des redoutes
doivent prendre l’ennemi en flanc & de revers ,
& lui caufer une grande perte ; elles ne peuvent
guère manquer de le gêner dans fes mouvements,
de les rendre plus lents, & de donner le temps
aux corps qui ont plié de fe rallier pour le repouffer.
M. le maréchal de Saxe faifoir grand cas des
redoutes dans ces circonftances. M. le marquis de
Santa-Cruz, qui a écrit avant cet illuftre général,
en parle également d’une manière très avanta-,
geufe dans fes réflexions militaires.
Il eft difficile de ne pas penfer fur ce fujet
comme ces célèbres auteurs ; car les redoutes ont
cet avantage d’afîùrer la pofition de l’armée, de
manière qu’elle a différents points d’appui ou de
réunion capables d’arrêter les premiers efforts de
l’ennemi, & de protéger parleur feu l’armée qui
les foutienr.
90. S’il y a quelque partie de l’armée qu’on
veuille éviter de faire combattre, on doit la couvrir
d’une-rivière , d’un marais , ou , au défaut de
cette fortification naturelle , de chevaux de frife,
puits , retranchements , & c . , de manière que l ’ennemi
nepuiffe pas en approcher. Ainfi, fuppofant
qu’on fe propofe. d’attaquer par la droite , & que ,
pour la fortifier, on foit obligé de dégarnir fa
gau’che , on la couvre de manière que l’ennemi ne
puifle point en approcher , & l’on fait alors à la
droite, les plus grands efforts avec l'élite de fes
troupes.
Il eft évident que de cette manière lin général
peut s’arranger pour ne combattre qu’avec telle
partie de-fon armée qu’il juge à propos.
Il y a des fituations où le général peut juger que
toutes les parties de la ligne de l’ennemi ne feront
pas également en état de combattre : dans ce cas ,
fon attention doit être de dégarnir les endroits les
moins expofés pour fortifier ceux qui le font plus ;
mais ce mouvement doit être caché autant qu’il eft
poffible à l’ennemi ; car , s’il s’apperçoit de cette
manoeuvre , il en ufe de même , & tout devient
alors égal de part & d’autre.
On peut voir dans M. de Feuquières ,.qu’un général
Voyant l’ennemi dégarnir fa droite pour fortifier
fa gauche, ne put être engagé à en ufer de
même pour fortifier fa droite, qu’il garda toujours
la même difpofition ; d’où il arriva que les troupes
de cette droite fe trouvant attaquées par la gauche
oppofée , très fupérieure en nombre, ne put ,
malgré l’extrême valeur des corps les plus diftin-
gués qui y étoient placés , fe foutenir contre le
grand nombre qu’ils a voient à combattre.
io°. Une attention encore très importante dans
la difpofition des troupes en bataille , c’eft de conferver
toujours derrière la fécondé ligne & les réferves
, un efpace de terrein affez étendu pour
que les troupes ne foyent point gênées dans leurs
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