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y ramènera toujours & démontrera qu’elles fe*
roient plus cnéreufes au peuple que celles qu’on
voudroit lui éviter ; qu'au Surplus, on f ît agréer au
gouvernement le projet du travail des troupes , &
qu'il pût réufîir, je me réduirois plus promptement-
que tout autre à la feule impofition de l’entretien
fur les. communautés ; mais j’ofe avancer que ce
projet eft infoutenable , & il ne faut pas être doué
de l’efprit de prophétie pour fe rendre garant qu’il
ne paffera jamais; la feule répugnance du miniftre
de la guerre y oppofera toujours une barrière in-
furmontable ; aux moyens de réferve que j’ai déduits
, il ajoiueroit touts ceux qu’une profonde
connoiffance & de l’efprit & du fervice militaire
pourroit lui diéler.
Je crois donc avoir démontré qu’il faut renoncer
pour toujours à cette périlleufe tentation d’employer
les troupes à la réparation des chemins , &
la mettre au rang du beau projet de réduire touts
les impôts àunfeul.
Il s’en faut bien que nous foyons dans la pofi-
tion des Romains. Si vous exceptez l’Italie, qui
étoit unie depuis longtemps au patriotifme de la
république, tout le relie de l’univers étoit pour
eux pays de conquête, 8c à ce titre de conquérants
ils avoient deux intérêts tout oppofés aux
nôtres ; l’un , d’empêcher que l’oifiveté ne corrompît
les troupes , en quoi Augufte , dont la politique
mit le plus en oeuvre ce remède, fembloit
prévoir les excès auxquels le corps militaire fe
porteroit dans la fuite ; l’autre , de contenir les
peuples dans l’obéiffance, en les faifant travailler
avec les foldats. Nous n’avons rien à craindre de
pareil par la nature de notre gouvernement, &
parce que toutes nos troupes, ou peu s’en faut,
font nationales , & parce que jamais fujets ne furent
ni fi dociles, ni plus fournis. La comparaifon de
Rome avec la France eft. donc tout-à-fait dépla-_
cée & ne conclueroit rien pour nous faire adopter
les maximes, des Romains relativement aux
chemins , quand ils n’y auroient employé que
leurs troupes ; mais ils y occupoient touts les
peuples fa-ns que perfonne fût exempt d’y contribuer.
C ’eft qu’indépendamment de la raifon politique
qui les y engageoit , ils fentoient bien qufe
les foldats ne poûvoient être deftiués à toute forte
d’ouvrages , & qu’ils avoient un befoin indifpen-
fable de voitures & de bêtes de fournie pour le
tranfport des matériaux , d’autant plus que nous
ne concevons pas oùils pouvoienfen trouver affez
pour former des chauffées, à la vérité moins larges
de moitié que les nôtres y mais plus épaiftes du
triple & du quadruple. Le fieur Gautier rapporte
qu'ayant-eu la curiofité d’en faire démolir il
avoit inutilement cherché dans le pays des matières
femblables à celles du décombre , & qu’il
n’avoit même trouvé ni carrière , ni rivière, ni
montagne qui en produisît ; ils les tiroient fans
doute du fein de la terre; quelles recherches &
quel travail I
Si , par toutes ces raifons, je fuis 13 contraire à
l’idée d’employer des foldats à la réparation des
chemins, je penfe tout différemment a l’égard des
ponts, des canaux & des ports de mer. Voilà de
vrais objets du travail des troupes, parce quelles
y font lédentaires , qu’on peut leur y procurer
routes les commodités convenables à la conferva-
tion de leur fanté ; qu’elles y font toujours fous
les yeux de leurs commanda ns , & qu’en leur
donnant une légère augmentation de paye , on
feroit une épargne confidérable pour l’état.
Examinons maintenant le fecours qu’on pourroit
tirer du travail des criminels tenus à la chaîne ;
quand il n’iroit pas au quart de celui d’un ouvrier
ordinaire , on en tireroit toujours trois grands fer-
vices : le premier, que ces hommes ne feroient
plus , comme ils le font maintenant, abfolument
perdus pour l’état ; le fécond , qu’ils n’iroient plus
corrompre la fociété, comme ils le font aujourd’hui
, en fe fauvant de la chaîne à laquelle ils font
condamnés ; le troifième enfin , feroit d'infpirer
par cette peine imprefcriptible plus de terreur aux
fcélérats, & de flétrir plus fûrement le germe du
crime ; mais je ferois d’avis qu’on' ne répandît
point ces forçats fur 'les atteliers des chemins; il
leroit mieux, ce me femble , de les attacher à des
ouvrages abfolument féparés ; premièrement, pouç
ne pas donner aux communautés le fpeâacle touchant
de voir des hommes travailler dans les fers ,
ni l’humiliation de travailler avec eux ; en fécond
lieu , pour ne pas augmenter inutilement le nombre
des comités , un feul pouvant commander cent
hommes comme d ix , lorfqu’ils font raffemblés ;
il faudroit les attacher à des montagnes qu’on voudroit
applanir , à dés rochers, à des carrières dont
on pourroit tirer des pierres brutes , & à touts les
autres travaux les plus durs , qui, en leur tenant
lieu de jufle fupplice , procureroient le foulage-
ment des communautés.
Pour dernière reffource , nous^ avons à faire
ufage du travail des. mendians validés , moyen
efficace d’en diminuer d’abord le nombre , & luc-
ceflivement d’anéantir la mendicité. On pourroit
former de ceux-ci des atteliers fur les routes , en
leur diftribuant pareillement tout ce qu’il y auroit
de plus pénible ; mais je croirois également effen-
tiel de les féparer pour les fouflraire à la compaf-
fion des communautés , qui , pour être mal entendue
, pourroit n’en être pas moins dangereufe.
à exciter ; les arrangements ,pour lafubfiflaiice de
ces deux claffes de travailleurs , feroient tout ce
qu’il y a de plus facile pour le détail.
Mon objet, jufqu’à préfent, a été de prouver,
i°. l’indifpenfable nécemté des chemins ; a0, l’im-
puiffance abfolue où eft l’état de faire ou de réparer
, à prix d’argent, les ponts & chauffées de première
néceflité, c’eft-à-dire , les grandes routes , à
plus forte raifon les chemins du fécond & du troifième
ordre , dont neanmoins l’utilité influe fur
j, celle des routes , au point que la vivification du
t
commerce en dépend ; 30. les obftacles infurmon-
tables qui s’oppofent à 1 idee d employer les
troupes à cette réparation , fi l’on excepte les
travaux fédentaires auxquels elles pourvoient fer-
vir utilement. Il me paroît réfulter clairement de
ces preuves , que l’unique moyen d’exécuter ce
grand projet eft d’en charger les communautés,
en les aidant du travail qu’on peut tirer des criminels
& des mendians.
Il ne me refte plus qu’à prouver que cette impofition
qu’on nomme corvée , peut être réduite à des
conditions fi douces, qu’au lieu d’être regardee
comme l’abomination de la défolation fur touresles
campagnes, elle y devienne la fource des confoja-
tions & des richeffes ; c’eft à quoi j’efpère de n’avoir
aucune peine à parvenir.
L’origine de l’ufage habituel des corvees pour
la réparation des chemins , ne remonte pas à cinquante
ans ; il fut d’abord établi fur des principes
fi faux , fi bifarres & fi défeflueux, qu’ils ouvroient
la porte au péculat & à une eipèce de brigandage ;
tout le fond deftiné à cette dépenfe , tant pour les
frais des^outils & autres, que pour les appointements
des conducteurs , étoient cachés fous 1 enveloppe
ou d’adjudications fictives des travaux
dont on chargeoit les peuples, ou de baux d’entretien
de chauffées , auparavant faits a prix d argent
; en rapportant une réception fimulée de ces
ouvrages , la dépenfe étoit paffee fans difficulté
dans les comptes du trèforier général. Ce n’eft pas
que cet arrangement fût criminel par lui-même,
& qu’il ne fût peut-être forcé pour la forme ,
comme je le dirai ailleurs ; mais le poifon qui, dépouillé
de. fa malignité par un habile chimifte ,
devient un remède fouverain , tue, s il eft préparé
par un empirique ignorant ou fripon ; la différence
du fuccès dépend de la capacité, du caraCtsre St
des moeurs-du fujet à'q.ui Ton donne fa confiance.
Le vice confiftoit ici dans la plupart des provinces ,
à ne rendre aucun compte au gouvernement de
l'emploi réel de la dépenfe ; a iaiffer aux confidens -
la liberté d’en abufer en la rendant arbitraire ; à
ignorer que touts les fous-ordres fans exception ,
jpilloient chacun dans fa partie ; que le privilège de
l'exemption étoit publiquement' rnis en vente par
les fu b délégués ; que pour punir certaines communautés
de n’avoir p3S gratifié les largfues , on .es
chargeoit de plus d’ouvrages qu’elles n en pou
voient faire ; à (ouffrir qu on diftiibuâr à toutes
leur travail à la journée à la boule-vue , fans tache
& fans proportion ; qu’on les'einployât a des ouvrages
de faveur, fouvent perfonnels ; qu on les
afiemb'ât dans les faifons où 1 agriculture avoit befoin
du fecours de leurs bra- ; que par caprice ,
cruauté ou ignorance, on'les fît venir de dix
lieues; & qu’enfin-les matériaux des ouvrages de
maçonnerie adjugés à prix d’argent , fnfient gra-
• tintement portés à pied d’oeuvre par L-s communautés.
On a peine à comprendre que refont des
ordonnateurs de bonne fo i , pût eue dupe à ce
degré, de la bonté de leur coeur ; mais quand on a
longtemps vécu , de pareils événements ceffent de
furprendre. Si ce détail ne contient pas touts les
genres d’iniquité dont la corvée eft fufceptible ,
c’eft que je veux ignorer les autres ; mais il renferme
ceux dont on l’accufe communément. Oh I
je reconnois qu’à.ce prix la corvée eft abominable,
qu’on peut la comparer aux dévaftations de la
guerre 6c de la famine , & qu’il n’eft pas étonnant
qu’elle ait foulevé touts les coeurs & touts les
efprits; mais fi au lieu de cette peinture effroyable,
je préfente une direction éclairée , jufte , févère
contre le vice , compatiffante aux peines des malheureux
; fi je montre un gouvernement qui exige
toutes ces parties dans les premiers & les féconds
adminiftrateurs du détail , & dans ceux-ci une exécution
littérale des inftruCtions qu’il leur donne ; fi
les principes de ce gouvernement font de rendre
la contribution aux chemins , générale & fans
exception , pour toutes les claffes fu jet tes à la taille ;
j s’il règle que la plus forte tâche des paroiffes ne
I pourra jamais excéder douze journées de travail
dans le cours d’une année, & qu’on ne les commandera
jamais que dans les faifons mortes pour
le travail des champs ; qu’il leur fa fie difiribuer
l’argent qui proviendra de la corvée de repréfen-
tation, en forte que les courvoyeurs qui auront fait
leur tâche gratuitement, foienr enfuite payés de
celle qu’ils feront pour les contribuables qui n’auront
pu ou voulu travailler de leurs mains, & que
cette répartition équitable empêche déformais les
ouvriers de déferter les bourgs & les villages pour
fe réfugier dans les villes par l’efpérance de fe
fouftraire à la corvée ; fi cette taxe de repréfenta-
tion e ft fi exactement impofée & fi fçrupuleufe-
ment régie, qu'on puiffe arbitrer, fans témérité ,
qu’en la fixant à 2,0 1. par jour , le manouvrier fera
payé fur un pied raifonnabie du travail qu’il avoit
cru donner gratuitement, comme je l’expliquerai
dans la troifième partie ; fi la moindre Omiflion
dans le dénombrement eft punie comme un crime ,
quand elle aura été infpirée par la faveur ou par la
corruption ; fi l’on établit un tel ordre , que les
fonds deftinés aux frais ne fortent jamais que de
la main des tréforiers fur des décharges valables,
certifiées par les principaux prépofés , & vifées par
les intendans ; fi l'on interdit à ces magiftrars la
liberté de jamais faire faire ou permettre qu’aucun
ouvrage foie fait par corvées, fi les plans ne leur
en ont étéadreffés par la direction ; fi l’on donne
aux fubdélégués des furveillans qui répondent de
leur aCtivité, de leur vigilance & de leur définté-
reffement ; toutes les cours fupérieures ne donne-
ront-eile pas leur fuffrage à un établiffement fi
avantageux , qui, pour lors , au lieu de ruiner les
laboureurs & les manouvriers, leur procurera un
falaire qu’ils n'auroient pu gagner dans le repos ?
J’ai une trop haute opinion de la magiftrature ,
J pour croire qu'elle rfapperçoive pas dans ce plan
| le foulagemem du peuple & la profpérité de l’état ;