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Outre ce que de fl us, il eft bon encore de commander
journellement un piquet de cavalerie &
de dragons dans les quartiers plus voifins des attaques
, pour les pouffer de ce côté là , s’il arrivoit
quelque (ortie extraordinaire qui bouleverfât la
tranchée.
Pour conclufion, on doit toujours chercher le
foible des places , & l’attaquer par préférence aux
autres endroits , à moins que quelque confidéra-
tion extraordinaire ne vous oblige d’en ufer autrement.
Quand on a bien reconnu la place, on
doit faire un petit recueil de fes remarques avec
tm plan , & le propofer au général & à celui qui
commande l’artillerie, avec qui on doit agir de
concert, & convenir, après cela, du nombre des
attaques qu’on peut faire ; cela dépend de la force
de l’armée & de l’abondance des munitions.
.Je ne crois pas qu’il Toit avantageux de faire de
fauffes attaques, parce que l’ennemi s’appercevant
de la fauffeté dès le troifième ou quatrième jour
de la tranchée, il n’en fait pas plus de cas , & les
méprile, ainfi c’eft'de la fatigue & de la dépenfe
inutile.
L’on ne doit point faire non plus d’attaque réparée
, moins que la garnifon né foit très foible,
ou l’armée très forte, parce qu’elle vous oblige à
monter auflï fort à une feule qu’à toutes les deux,
& que la féparation les rend plus foibles & plus
difficiles à fervir.
Mais les attaques les meilleures & les plus
faciles font les attaques doubles, qui font liées,
parce qu’elles peuvent s’entrefecourir ; elles font
plus ailées à fervir , fe concertent mieux , & plus
facilement pour tout ce qu’elles entreprennent, &
ne laiffent pas de faire diverfion des forces de la
garnifon.
Il n’y a donc que dans certains cas- extraordinaires
& nèceffités, pour lefquéls je pourrois être
d’avis de n’en faire qu’une, qui font quand les
fronts attaqués font fi étroits qu’il n’y a pas affez
d’efpace pour pouvoir développer deux attaques.
Il faut encore faire entrer dans la reconnoiffance
des places celles des couverts, pour l’établiffement
du petit parc, d’un petit hôpital, & du champ dè
bataille pour l’affemblée des troupes qui doivent
monter à la tranchée , & des endroits les plus
propres à cacher les gardes de cavalerie.
Le petit parc de place en quelque lieu couvert,
à la queue des tranchées de chaque attaque, il doit
être garni d’une certaine quantité de poudre, de
balles, grenades , mèches, pierres à fufil „ ferpes ,
haches , blindes, mantelets, outils & c ., pour les
cas furvenants & préfents, afin qu’on n’ait pas la
peine de les aller chercher au grand parc quand on
en a befoin.
Près de lui fe range-le petit hôpital, c’efl-à-dire,
les chirurgiens & aumôniers, avec des tentes,
paillaffes, matelas, & des remedes pour les premiers
appareils des bleffures; outre cela chaque
jbatajllpn mène avec foi fes aumôniers, chirurgiens
majors & fraters, qui ne doivent point quitter la
queue de leurs troupes.
A l’égard du champ de baraille , pour l’affemblée
des gardes de tranchée qui doivent monter, comme
il leur faut beaucoup de terrein , on les affemble
.pour l’ordinaire hors la portée du canon de la place,
& les gardes de la cavalerie de même ; celles-ci
font placées enfuite fur la droite & la gauche des
attaques, & plus à couvert qu’on peut du canon ,
& quand il ne s’y trouve pas découvert, on leur
fait des épaulements à quatre ou cinq cents toifes
de la place, pour les gardes avancées, pendant
que le plus gros fe tient plus reculé hors de la
portée du canon.
Quand il fe trouve quelque ruiffeau ou fontaines
près de la queue des tranchées ou fur leur
chemin, ils font de grand fecours pour.les foldats
de garde ; c’eft pourquoi il faut les garder pour empêcher
qu’on ne les gâte, & quand il feroit né-
ceffaire d’en afliirer le chemin par un bout de tranchée
fait exprès, on n’y doit pas héfiter.
On doit auffi examiner le chemin des troupes
aux attaques, qu’il faut toujours accommoder &
régler par les endroits les plus fecs & les plus
couverts du canon.
Quand le quartier du roi fe trouve à portée des
attaques , elles en font plus commodes, mais cela
ne doit point faire une fujétion confidérable.
Il eft bien plus important que le parc d’artillerie
en foit le plus près qu’il eft poffible. '
C ’eft encore une efpèce de néceffité de loger les
ingénieurs, mineurs & fàpeurs le plus près des attaques
qu’on peut, afin d’éviter les incommodités
des éloignements..
Les attaques étant donc réfoîues, on règle les
gardes, de la tranchée; favoir : l’infanterie fur le pied
d’être du moins a îffi forte que les trois quarts de la
garnifon, & la cavalerie d’un tiers plus nombreufe
que celle de la place , de forte que fi la garnifon
étoit de quatre mille: hommes d’infanterie , la
garde de la tranchée doit être au moins de trois
mille, & fi la cavalerie de la place étoit de 400
chevaux, il faudroit que celle de la tranchée fût
de 6 0 0 .
Autrefois nos auteurs eftimoient que pour bien
faire le fiège d’une place, il fallait que l’armée af-
fiégante fût de 10 fois plus forte que la garnifon,
c’eft-à-dire, que fi celle-ci étoit compofé de 1000
hommes, l’armée devoit être de loboo; que fi
elle étoit de 2.000 hommes , l’affiégeant devoit être
de 20000, & fi elle étoit de 3000 hommes, il falloit
que l’armée , à peu de chofe près, fut de 30000
félon leur eftimation , en quoi ils n’avoient pas
grand tort ; & fi l’on examine bien toutes les
manoeuvres à quoi les troupes font obligées pendant
un fiège, on n’en fera pas furpris, car il faut tou es
les jours monter & defeendre la tranchée , fournir
aux travailleurs de jour & de nuit, à la garde des
lignes, à celle des camps particuliers & des généraux,
à l’efcorte des convois & fourrages; faire
ries fafeines, aller an commandement, an pairt, à
la guerre, &c. ; de forte qu'elles font toujours en
mouvement, quelque groffe que .puiffe etre une
armée, ce qui étoit bien plus fattguant autrefois
qu à préfent, parce que les ftèges duraient le double
& le triple de ce qu'ils durent aujourd hm, N
nu’on y faifoit de bien plus grandes pertes, (St on
n'y regarde plus de fi près, & on n heftte pas
d’attaquer une place à 6 ou 7 contre un, parce que
les attaques d’aujourd'hui font bien plus favantes
qu'elles n’étoient autrefois.
Il y a cependant une chofe a remarquer fur 1 ancienne
hypothèfede l'attaque des places, qui eft que
ie ne confeillerois pas à une armee de 10000
hommes d’attaquer une place où il n’y en aurait que
mille, qu’on feroit obligé de circonvaller. La ration
eft que toute circonvallation devant fe regler fur la
portée du canon dé la place, & fur les defauts oc
les avantages des environs, on eft obligé de la taire
auffi grande pour les petites armées que pour les
grandes. , ,
O r , il eft bien certain qu une armée de 1000
hommes, circonvalleroit fort mal une place, fi on
la vouloir attaquer dans les formes ordinaires , &
même qu’une de vingt mille ne la circonvalleroit
que foiblement. Car il n’y a point te place, fi petite
qu’elle foit, qui n’ait du moins trois ou quatre
cent toifes de diamètre avec fes fortifications ; delà
aux lignes il doit y avoir encore 14 ou 1500 cents
toifes pour n’avoir pas le canon dans le derrière
des camps, ce qui fait 3000 toifes; joignez les à
490 de diamètre., vous aurez 3400 toifes de diamètre
pour toute la circonvallation, qui vous donnera
pour fa circonférence 10700 toifes, em la
fnppofant parfaitement circulaire , & fi elle ne l’eft
pas, elle fera encore plus grande. Si l’on ajoute
pour les redans & finuofités de la ligne 3 ou.400
toifes, on trouvera qu’il n’y a guère de circonvallation
, fi petite qu’elle foit, qui nait au moins
12*500 toifes de circuit, c’eft-à dire, près de 3 lieues
de 2.300 toifes chacune, qui font à-peu-près les
lieues communes de France.
Il eft aifé de concevoir que des lignes de cette
étendue feroient très foiblement gardées par une
armée de 10 à 12000 hommes , qui feroit chargée
de l’attaque d’une place, & de toutes les autres
corvées indifpenfables des fièges; ce qui prouve
évidemment qu’une armée de cette force ne feroit
pas en état de foutenir l’attaque d’une armée de
fecours qui fe préfenteroit à fes lignes. C ’eft ce
qui fait que cette propofition qui feroit fort bonne
pour les armées de 20000 hommes, ne le feroit
pas pour celles qui font au-deffous, à moins qu’elles
ne fuffent foutenues par une armée d’obfervation
capable de tenir l’ennemi en refpeft, & de l’empêcher
de tenter un grand fecours.
Pour les petits fecours, comme ils fe font à la
dérobée, quand les lignes font faites, il n'en pafîe
que rarement ”, & même l’ennemi ne les tente pas.
Revenons à la difpofition des attaques.
Art militaire. Tome III,
§ § i ici où les ingénieurs doivent faire paraître
toute leur capacité , car la difpofition des attaques
eft principalement de leur refiort.
Il n’y avoit rien autrefois de plus rare que les
gens de cette profeffion , 6c le peu qu’il y e n avoit
fubf.ftoit fi peu de temps, qu’il étoit. encore pins
rare d’en voir qui enflent vu ç ou 6 lieges. y e
petit nombre étoit fi expofé, étant toujours fur
les. travaux:, qu’ils étoient ordinairement hors
d’état de fervir par leurs bleffures, dès le commencement
ou ie milieu d’un fiège, ce qui les
empêchoit d’en voir la fin , & par confèquent
de s’y rendre favant ; cela joint à bien d autres defauts
dans lefquels on romboit, ne contribuoit pas
peu à la longueur des fièges, & aux pertes con-
r fidérables qu’on y faifoit. Mais depyis que le roi
a commencé à faire la guerre en perfonne , fa pre-
fence a infpiré plus d’efprit & de conduite aux. armées,
8c fa majefté ayant reconnu par elle-même
combien il lui étoit néceffaire d’avoir des gens
éclairés, capables de la fervir dans les fièges 8c
dans les places, elle a mis fur pied, 8c entretenu
un bon nombre d’ingénieurs ; quantité de gens,
même de la nobleffe, s’étant jettes dans cette pro-
feffion , attirés par fes bienfaits, 8c par la diftinc-
tion qu’ils y ont trouvée ; de forte que bien qu on
en tue 8c eftropie beaucoup , le roi n’en manque
pas , 8c on ne fait point de fièges depuis longtemps
qu’il ne s’y en trouve 36 8c 40 , qu on
fèpare ordinairement en 6 brigades de 6 ou 7 chacune
, afin qu’à chaque attaque on en puiffe avoir
trois, qui fe relèvent alternativement touts les 24
heures ; ce qui fait que jamais la tranchée n eft
fans ingénieurs , lefquels fe partageant les foins
du travail ï, font qu’il va toujours, 8c qu’il n’y a
pas une heure de perdue.
Comme il faut de la fubordination dans touts
les corps , celui-ci en a plus befoin qu’aucun
autre , parce que tout ce qu’il fait doit être concerté
8c dirigé par un chef intelligent, qui diftribue
à chacun d’eux ce qu’ il a à faire , 8c auquel tours
répondent. Il y a autant de brigadiers que de brigades
, qui ont touts leur fous-brigadier, qui commande
aux autres en fécond , 8c qui, avec le brigadier
, diftribue le travail à routé la brigade. Tours
fe doivent relayer tour à tour, parce qu’il n’y a
guères d’hommes,fi robtifte qu’il foit, qui puiffe
loutenir un auffi grand travail que le leur, trente
heures durant; car pour bien s’acquitter de leurs
fonctions , le jour qu’ils relèvent, ils doivent aller,
dès les 10 à I I heures du matin, avec les principaux
re’connoître ce qu’ils auront à faire , pour,
enfuite , diflribuer les travailleurs .qui leur font
donnés, félon les befoins qu’ils ont reconnu en
avoir ; après, quoi ils vont les recevoir au rendez-
vous , où ils les préparent félon les difpofitions
qu’ils ont faites. Ils peuvent bien fe partager 8c fe
relayer la nuit 8t le jour ; mais ils ne doivent jamais
quitter la tranchée, que ceux qui les relèvent
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