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pendant qu'avec des travailleurs il y feroît des ou*
vertures pour en faciliter l’entrée à fes troupes. Ce
coup eft d’autant plus à craindre, que fi on n’eft pas
bien averti du deffein de l’ennemi, on fe tient à
peu de chofe près, également par tout fur fes gardes
, ce qui eft un très mauvais parti à prendre.
Comme une ligne en cet état ne peut être que
très foible, l’ennemi y a de grands avantages fur
e l le , car. il fe porte, à la faveur de l’obfcurité ,
jufques fort près du foffé , avant que d’être de-
couvert; ne trouvant qu’une foible réfiftance, il
force les lignes avant que le piquet & le fecours
des afliégeans foit arrivé au lieu de l’attaque.
C ’eft ainfi que les lignes de Lérida en Catalogne,
d’Arras & de Valenciennes en Flandres, furent
autrefois forcées, & que toutes celles que l’on at-
taquera de la forte , le feront, ou feront en grand
danger de l’être , fi l’on ne prend pas des mefures
plus fortes que celles qu’on prend ordinairement.
Ce qu’on doit faire en pareil ' cas eft donc de
tacher, en toute manière, de découvrir le deffein
de l’ennemi, fur le lieu & lé temps qu’il doit
attaquer.
Ce deffein, qu’il a intérêt de cacher, ne peut
être découvert que par une exaéle obfervation de
fes mouvements , & ayant plufieurs efpions dans
fon camp, qui doivent fe jetter journellement dans
le vôtre, fur-tout dans le temps qu’ils le verront
partir pour venir aux lignes, & par les prifonniers
qu’on fera.
Si Ton voit l’ennemi s’attacher à reconnoître un
côté de la ligne plus que les autres, & que ce côté
foit a fiez près de lui pour qu’il puiffe en approcher
dans une nuit de marche , pour pouvoir l’attaquer
le lendemain au*point du jour , fi la place ou l’enclos
des lignes eft traverfé par des rivières, dont
l ’un des deux côtés foit feulement occupé par l’ennemi,
& qu’il faffe plufieurs ponts deffus, comme
3 , 4 ou 5 ; c’eft un ligne évident qu’il a deflein
d’y faire paffer plufieurs colonnes à la fois, de
même s’il fe faifit de quelques châteaux ou maifons
fortes au-delà de cette rivière, qu’il ne lui foit né-
ceflaire que pour lui aider.à cacher fon deflein-.
Joignant toutes ces apparences enfemble, on
pourra conjeélurer que l’ennemi a deflein d’attaquer
par le côté le plus à portée de ces ponts, principalement
fi l’inégalité du terrein peut cacher fa
marche, ou qu’il foit compofé de plaines unies, où
il n’y a rien qui puiffe retarder fa marche & compter
qu’il.ne fera que de fauffes attaques vis-à vis de
fon camp, & partout ailleurs, ce qui arrivera infailliblement.
Une autre obfervation importante à faire, eft
que fi après avoir eftimé la diftance qu’il y a des
autres côtés de la ligne au camp de l’ennemi, on
trouve qu’il n’en puiffe faire le chemin , ni arriver
avant le jour, par la marche d’une nuit d’été, qui
ne dure que cinq ou fix heures, il faut voir fi le
temps quil lui faut peut s’accorder avec ce qu’on
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aura appris des efpions, des prifonniers & de!»
rendus.
A propos d’efpions, je crois qu’on n’en fauroit
trop avoir, & qu’il feroit à fouhaiter qu’on en pût
recevoir des nouvelles touts les jours , plutôt deux
fois qu’une, principalement quand l’ennemi fe prépare
à venir attaquer, & enfin, quand i l fe mettra
en marche pour venir aux lignes; c’eft alors qu’ils
peuvent, en obfervant de quel côté l’ennemi tourne
la tête, voir fur quelle partie de la ligne il va
tomber.
Si à tout ce qui vient d’être dit on ajoute encore
la découverte des grands & petits partis qui
doivent battre l’eftrade pendant la nuit, fous la
portée du canon des lignes , il eft prefque impof-
fible que l’ennemi puiffe empêcher qu’il ne foijt
découvert de fort bonne heure ; auquel cas, il
faudra achever de bien garnir les côtés de la ligne
par où il peut y aborder, en y tirant des troupes
de ceux qui ne font pas à portée par leur trop
d’éloignemenr.
Il ne faut pas oublier aufli de garnir la . ligne de
canons de ce côté, quelques jours auparavant, &
le tenir en bon état, défaire garder les bûchers,
s’il y en a , par deux ou trois foldats chacun , .qui
auront ordre d’en allumer le feu, au fignal qui fe
fera par un certain nombre de coups de canon, dont
on fera convenu. Quand on fera affuré du côté par
où l’ennemi s’approche, on donnera le fignal quand
il fera aux deux tiers de la portée du canon ; aufli-
tôt on allumera les bûchers, & l’on fera retirer
les boute-feux dans la ligne , par des endroits qui
leur auront été marqués. Ces feux allumés fup-
pléeront au défaut de lumières qui pourroient encore
manquer, & feront un jour artificiel d’autant
plus dangereux pour l’ennemi ", qu’on tire beaucoup
mieux , & plus droit à la lueur que de jour.'
Si toutes ces obfervations font faites' avec foin ,
je me perfuade qu’on parviendra à corriger le malheur
des lignes attaquées de nuit, par la raifon
que ne provenant que de l’incertitude où l’ennemi
vous trouve , elle fera élevée fitôt qu’on fera
ayerti de fon deffein.
Après tout, il faut convenir de bonne foi que
de touts. les retranchements que la guerre employé
pour attaquer & défendre, aucun n’eft fi
mauvais que les lignes de circonvallation ; la raifon
eft que leur circuit eft toujours de beaucoup
trop grand pour le nombre des troupes qui doivent
le défendre ; car fuppofé le diamètre d’une cir-,
convallation de 3400 toifes, qui eft le moins qu’il
puiffe avoir, comme on l’a déjà dit, la circonfè*.
rence, y compris les redans & les détours , fera
au moins de 120.00 toifes, ou de près de cinq
lieues communes de France.
Que fi pour border une ligne de cette étendue
on donne feulement 3 pieds à chaque foldat, il
faudra 24000 hommes pour tin feul rang , &. pour
3 de hauteur, 72000 hommes de pied , fans rien;
compter pour la fécondé ligne ni pour les trait}
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fchèes & le* autres gardes , qui demanderaient
bien encore autant de monde. Où trouver des armées
de cette force î Et quand on degarntrott la
moitié des lignes les moins expofées pour renforcer
celles qui le feraient le plus, on ne parviendrait
pas à les garnir fuffifamment, à beaucoup
urès, d'autant plus que fi les pièces affiêgees font
in peu confidérables , la circonvallation deviendra
bien plus grande que celle qui eft ici fuppofee,
ce qui éloigne encore plus delà poffibilné de les
pouvoir bien garnir ; c’eft pourquoi l’on peut hardiment
affurer que de touts les retranchements d ar-
atée la circonvallation eft toujours le plus mauvais
; quelque foin que l’on puiffe prendre de la
xeudre bonne , 8c le mieux qu’on puiffe faire dans
un fiège réglé, eft d’avoir recours aux armees dob-
fervation.
Examinons maintenant quel doit être la force
d’une armée d’obfervation , par rapport à celle de
fecours ; cela n’eft pas aifé. Il eft certain neanmoins
quelle doit toujours être proportionnée aux forces
de l’ennemi ; & pour bien éclaircir ceci, ayons recours
à quelques exemples.
Il dit donc qu’il eft abfolument néceffaire d’être
bien informé des forces que l’ennemi peut mettre
en campagne , & c’eft à quoi on ne fauroit trop
donner d’attention ; fuppofons , après cela , qu on
pùiffe y mettre 25000 hommes, & nous 35000;
s’il s’agit d’un fiège, on pourra faire une armee
d’obfervation , & fi on peut fe donner quelques
jours d’avance pour faire les lignes, la chofe en
fera plus aifée. Que cela foit ou non , fi 1 ennemi
fe met en état de les approcher , on pourra lui op-
pofer 18 à 20000 hommes , en obfervant qu ils
prennent un pofte avantageux à portée des lignes,
& où ils s’y doivent bien retrancher ; car fi une armée
bien portée ajoute un bon retranchement aux
avantages de la. fituation qu’elle occupe, elle fera
aifément tête à une qui fera d’ un tiers plus fort
qu’elle, & quand même elle le fera davantage ;
fi l’armée d’obfervation fait bien fe conduire ,
il eft fûr que l’ennemi n’ofera l’attaquer , parce
que, lorfqu elle fe trouvera prête à combattre , elle
pourra encore tirer des fecours de l’affiegeante , de
même que celle-ci pourra lui en donner de fon
côté. Ce qui eft ici propofé par cet exemple , peut
s’appliquer à de plus grandes armées, & fe ref-
treindre à de plus petites , félon la force de 1 ennemi
à qui l’on a à faire.
Que fi l’ennemi fe préfente à quelque côte des
lignes éloignées de l’armée d’obfervation , il fera
choix de celle-ci d’entrer dans la circonvallation ,
& de fe préfentër fur deux lignes du côté qu’il
pourra attaquer , ou de prendre pofte à coté de
lui, pour le charger en flanc pendant qu’il attaquera
de front ; le temps, les circonftances, les
lituations des lieux, les conféquences qui en doivent
réfulter , déterminent au parti qu’on doit
prendre.
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Ve la défenfe des places.*
Quoique plufieurs gouverneurs, fe fiant trop en
leur courage , ayent négligé ta fcience de défendre
les places, cette fcience eft cependant très efli-
■ niable. Ils ont cru qu’il fuffifoir d’avoir expofé leur
vie dans toutes les occafions ou recherchées ou
offertes durant le fiège , pour avoir rempli leur
devoir. L’exemple de plufieurs places qui, bien
que prifes faute de conduite, ont été défendues
avec beaucoup de valeur & d’éclat, les a fait tomber
dans cette erreur, & ils.n’ont point craint le
blâme qu’ils pouvoient mériter , en fe rendant plutôt
qu’ils ne l’auroient fait, s'ils avoiènt daigné
joindre à la valeur la fcience qu’ils ont négligé
d’apprendre,
. Cette fcience , fi néceffaire à un gouverneur , ne
peut s’acquérir que très médiocrement par la léc—
ture des meilleurs livres ; elle veut une application
plus étendue, & l’expérience feule peut la
former. Il eft aifé de ju g e r , par le grand nombre
des fautes qui fe font faites dans la défenfe des
places, & des fauffes maximes qui y ont été reçues
, combien cette heureufe expérience eft rara
(je difficile à acquérir.
Plufieurs gouverneurs ont cru que leurs dehors
étant pris , (je le mineur attaché au corps de la
place , ou tout au plus le baftion étant ouvert, ils
pouvoient capituler avec honneur , après avoir
paru l’épée à la main fur le haut de la brèche , à la
1 tête d’un bataillon qui ne combat point, mais qui
j feulement effuye tout le feu du canon 8e de la
I moufqueterie de l'attaque, 8e fe retire enfuite de
I la brèche derrière quelque foible retranchement ,
qui femble n’avoir été fait que pour la capitulation
des troupes, 8e non pour la défenfe de la place.
La calife d’une fi prompte capitulation eft quel-'
quefois le raifonnement des officiers, qui, ménageant
peu leur honneur 8c leur gloire , 8e voulant
fe conferver quelques petits équipages , perfuadent
au gouverneur, qui fouvent peut bien être per-
fuadé , qu’il peut capituler avec honneur , 8c qu’il
vaut beaucoup mieux, par un traité volontaire ,
affurer la liberté des habitants , 8c fortir tambour
battant, enfeignes déployées , balle en bouche , la
mèche allumée par les deux bouts, 8c traîner avec
foi quelques pièces de canon 8c des équipages ,
que d’attendre à une extrémité prochaine, & courir
le rifque d’être emporté de vive force. Ils lui
repréfentent qu’une partie de fes foldats font blef-
fés , d’autres malades , 8e que ceux qui font en état
dè fervir font rebutés par les longues veilles 8e les
grandes fatigues qu’ils ont eues, 8c qu’ils méritent
bien qu’on fonge à leur confervatton ; ils employait
enfin cent autres raifons pour infinuer au
gouverneur le deffein qu’il avoit peut-être déjà
pris de capituler. Il efi bien aifé qu ils lut en faffent
l’ouverture-, 8caprès quelques formalites, il convient
avec eux qu'il faut fe rendre , comme fi un
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