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Ce que l'on peut dire en général, c’eft que celui y
qui a le plus d’efprit & de vues, eft celui qui em-
braffe mieux tout Ton projet ; qui prévoit mieux .
touts les petits obftacles qui pourroient faire manquer.
ou retarder fon expédition, afin de les fur-
monter ; qui eft le plus vif dans le moment de
l’expédition , parce qu*il avoit toujours prévu ; &
qui eft le plus précâucionné-dans fa retraite , lorfque
fon entreprife eft de nature à ne pouvoir ref-
ter dans le lieu où il a exécuté fon projet.
Surprifes des pojies.
On doit priver l’ennemi autant qu’il eft poftible,
dit M. deFeuquières , des poftes fortifiés a la hâte,
(oit pour couvrir un pays , foit pour la furete de
fe.s convois, parce que leur perte eft toujours de
conféquence.
L’enlèvement de celui qui couvre le pays établit
furement les contributions, & donne aux
partis les moyens de pénétrer & de revenir en
fureté. L'enlèvement de celui qui couvre les convois
entraîne fouvent la perte, &caufe toujours la
difficulté à les faire arriver au camp, & fouvent
auffi la néceflité d’abandonner une entreprife, ou
un pays pour fe rapprocher des lieux d’où l’on doit
-tirer fa fubfiftance. _ ^ ,
Ces fortes de poftes ne doivent jamais être attaqués
impunément ; il faut, fuivant leur force &
leur fituation, être muni de tout ce qui en- peut
rendre l’événement brufque & prompt , parce
qu’il ne faut pas feulement les enlever avec vivacité
, mais il faut encore avoir compaffé le temps
de l’expédition , de manière qu’on ait celui de les
détruire & de fe retirer furement, ou de les mettre
en état d’être confervés.
C ’eft en ces occafions qu’on fe fert de pétard ,
lorfque l’ennemi a négligé de couvrir les barrières
ou portes de quelques ouvrages extérieurs qui
fuient hors d’infulte , ou que le front qu’on attaque
eft petit & peut-être embraffé , & les gens qui font
fur les murailles ou remparts accables par un feu
fupérieur ; la commodité du pétard pour fon tranf-
port eft facile.
On peut auffi-fe fervir de quelques pièces de
canon pour roftipre les portes ou emporter les pal-
liffades & parapets dont on pourrait avoir couvert
les portes , & qui n’auroient pas fuffifamment d’é-
paiffeur pour réfifter au canon.
On fait auffi des enlèvements par efcalades ,
lorfque ces poftes font Amplement fermés de murailles
baffes & fans flancs ; lorfque les troupes
qui font dans ces poftes fe négligent pour la garde
de nuit dans les lieux où elles peuvent être efcala-
dèes, ou qu’elles n’ont pas affez de rondes.
On les enlève auffi en les attaquant;de toutes
parts, quand ces poftes ne font couverts que d un
fimple retranchement de terre, & quand on peut
le faire avec une grande fupériorité deafeu, ou en
furprenant une porte a la pointe du jour, lorfque
SUR
ceux qui font dans ces poftes les ouvrent fans où»
ferver les précautions prefcrites en pareil cas, 8ç
qu’il fe trouve par hafard quelque lieu proche de
la porte où l’on ait pu s’être embufqué.
On les furprend auffi par une intelligence, foit
avec les habitants peu affeéiionnés , & qui ont ob-
fervé que la garnifon fe néglige ou eft-trop foible,
foit par la corruption de quelques gens de la gar-
nifon , qui livrent une porte à l’ennemi. ^
Après avoir dit quelles font les maniérés differentes
de réuffir dans cette efpèce de furprife,
tant par rapport à la différente fituation oc force
; des poftes, ou aux précautions que l’ennemi aura
prifes pour leur confervation, il parait néceflaire
! de rapporter quelques exemples de ces poftes ou
: manqués , ou enlevés par furprife ou de vive force.
Entreprife de Bodegrave en 16/2•
Dans l’année 1672 , M. de Luxembourg qui
commandoit l’armée du roi reftée dans les conquêtes
de Hollande, chercha toujours avec attention
les moyens de pénétrer dans le coeur du pays.1
Il ne le pouvoit faire qu’à la faveur des glaces,
parce que le pays étoit inondé , & les digues coupées
par des poftes bien fortifiés par leur tete.
Ce général prit donc le temps d’une gelée pour |
pouvoir prendre à revers les principaux poftes des
ennemis à Bodegrave & à Swarmmerdam. Spn entreprife
lui réuffit parfaitement ; mais un dégel fu*
bit l’obligea à fe retirer, & même.à abandonner
à fon retour les poftes qu’il avoit enlevés aux ennemis
, parce qu’ils étoient ouverts de leur côte.
De cet exemple , il faut tirer une inftruâion
confidérable pour la manière de fortifier des poftes
fur des digues quand le pays a pu être inondé des
deux côtés des digues. Dans cette occafion , les
Hollandois avoient fait une faute qui aurait caufé
la perte entière de leur république , n’ayant pas
eu autant d’attention pour fortifier ces poftes de
leur côté, comme de celui par lequel M. de Luxembourg
pouvoit les aborder. En voici les raifons.
Ces poftes ainfi fortifiés par leur tête feulement,
étoient expofés à être infultés dès que la gelée
ferait affez forte pour foutenir le poids des troupes
qui marcheraient fur la glace. Ainfi les derniers
poftes de ces digues du côté de la Hollande par-
delà le pays inondé , fe trouvant auffi aifément
infultés que ceux de la tête , il eft certain qu’une
gelée aurait rendu ( fi elle avoit duré) , M. de Luxembourg
maître de toutes les groffes villes du de*
dans de la Hollande. ,
Il ne falloit pas même pour cela que la gelee
: durât plus longtemps qu’il n’en aurait fallu pour
faire arriver les troupes jufqu’à ce pays , qui ne-
toit point inondé, & qui étoit à une fort petite
dïftance du lieu où le dégel les prit.
Ainfi je conclus que dans une conftiturion de
pays pareille à celle dont je viens de parler, les
poftes qu ’OR veut fortifier fur les digues, le doivent
SUR
être également de deux côtés, parce qu’il ne leur
fuffit pas d’être bons tant qu’il ne gèle point , il
faut qu’ils foient en état de réfifter anez longtemps
pendant un temps de gelée , pour en pouvoir raisonnablement
efpérer la fin avant qu’ils foient
forcés.
La feule raifon que l’ on peut avancer contre
«ion féntiment, eft qu’un^ pofte ainfi fortifié ne
peut être gardé par un ennemi, lorfque , par un
dégel imprévu , il eft obligé de fe retirer avant que
d’avoir eu le temps d’accommoder ces poftes du
côté qu’ils font reftés ouverts , comme ce qui eft
arrivé, dans l’occafion dont je parle , 1e prouve ;
mais cette raifon ne peut être bonne que contre
an ennemi qui ne peut avoir pour objet que de
faire une courfe ; mais contre un ennemi qui peut
penfer à envahir un pays & à s’y maintenir , cette
raifon n’eft point recevable.
Car dans cette"ocêafion, fi la gelée avoit duré, il
eft certain qüe M. de Luxembourg fe ferait rendu
maître de la Haye & de Leyde , & des autres
groffes villes de la Hollande, toutes fans défenfe ,
& qu’il s’y faifoit avancer toutes les troupes^qui
étoient dans les provinces d’O veryfel & d’Utrecht.
Surprife de Kreilsheim en 1688.
En l’ année 1688 , après la prife de Philisbourg,
je fus envoyé avec un corps de troupes à Heitbron
pour commander fur la Neckre, & établir des
contributions dans la Franconie & la Suabe , entre
le Mein , le Régnitz & le Danube. -
La plupart des troupes de ces deux cercles étoient
en Hongrie, où elles fervoient l’empereur. Il en
étoit pourtant refté affez dans le pays pour empêcher
les partis de pénétrer bien avant; cependant
je marchai avec huit cents hommes de pied & neuf
cents chevaux jufqu’à une petite ville du p/ys
d’Anfpach, nommée Kreilsheim. J’y trouvardeux
bataillons des troupes du cercle de Franconie, &
je n’aurois pu forcer ce pofte entouré de murs
avec un afi'ez bon château ; mais le colonel qui
commandoit cette infanterie ayant été affez imbécile
pour venir me parler hors de fa place, fans
prendre ma parole de l’y laiffer rentrer, je le retins
, & l’obligeai d’ordonner à fa garnifon de fe
rendre prifonnièrede guerre , ce quelle fit.
Cet exemple de la furprife d’ùri pofte n’eft rapporté
ici que pour faire connoître que quand il eft
nec-effaire de fe rendre maître d’un pofte , toutes
fortes de moyens y doivent être employés, pourvu
qu’ils ne déshonorent pas celui qui. les employé ,
comme l’aurait fait dans cette occafion le manque
de parole à ce colonel, s’il me l’avoit demandée.
Cet enlèvement de Kreilsheim fert auffi à faire
connoître combien aifémenf la terreur fe met dans
un pays qui fe croit couvert par des poftes qui lui
font enlevés par la vigilance ou l’adreffe du général
chargé de pénétrer dans le pays ennemi.
Art militaire. Tome ƒƒ/,
SUR. 6 0 1
Surprife de Neubourg far Lent{ en 1689.
Au mois de janvier 1689 , après que M. de
Montclar eut levé avec trop de précipitation les
quartiers qu’il avoit pris dans le duché de Wirtem-
berg , je reftai pour commander dans Phorzheinr
fur Lentz. Je me trouvai fort refferré par les quartiers
que les ennemis prirent dans le Wirtemberg,
& principalement par les poftes qu’ils établirent
dans les villes de Neubourg & d’Entzwah ingéra,
fur Lentz , au-deffus & au-deffous de Phortzheim ;
je furpris 8c enlevai ces deux poftes , & je les dé-
truifis de manière que les ennemis n’ofèrent plus
fe rapprocher de moi.
Ainfi mon quartier de Phortzheim devint fi
libre , que je contraignis le duché de Wirtemberg
à continuer le payement de la contribution dont
il vouloit fe difpenfer par la proteéîion des troupes
impériales , la difpofition de leur pofte, & la roi-
bleffe de la garnifon qui étoit dans Phortzheim.
Comme l’enlèvement de ces deux poftes a été exécuté
d’une manière particulière & même inftruc-,
tiv e , je le rapporterai ici.
Neubourg eft à trois lieues de Phortzheim , dans
le fond de la vallée de Lentz, fur le bord de cette
rivière ; la ville eft entourée d’une bonne muraille
hors de l’efcalade , avec un château en-dedans de
l ’enceinte de la ville ; il y a deux portes à cette
v ille , l’une du côté de Phortzheim , l’autre au
côté oppofé à celui ci, fur lè bord de la rivière,
fur laquelle il y a un pont couvert.
Les ennemis y avoient mis cinq cents hommes
de pied ¢ cinquante dragons. Cette garnifon
étoit fort précautionnée pour l’a garde du côté de
Phortzheim , mais affez peu du côté de l’autre
porte par où elle ne croyoit pas avoir à craindre ,
à caufe delà difficulté des chemins pour y aborder
; & pendant le jour elle tenoit fur une hauteur
à vue de la porte de Phortzheim, un parti de vingt
dragons qui fe retiroit dès qu’on le faifoit pouffer,
& fe replaçoit dès que l’on fe retiroit ; de forte
qu’il ne pouvoit fortir, pendant le jour, un homme
de Phortzheim qu’il ne fût vu de ce parti.
La porte de Neubourg du côté de Lentz qui te«
noit au pont couvert, n’étoit point à pont-levis ,
& n’avoit aucun ouvrage qui la couvrît ; il y avoit
feulement une fentinelle au-deffus delà porte, &
un corps-de-garde de quinze ©u vingt hommes en
bas ; il fe faifoit pourtant fur la muraille de fort
fréquentes rondes.
Sur toutes ces connoiffances de la manière dont
fe conduifoient ces incommodes & fâcheux voi-
fins pour leur garde, je fis ma difpofition pour enlever
ce pofte par la porte de Lentz, parce que
c’étoit le côté où la garnifon étoit le moins attentive.
J’attendis la fin du jour, afin que le parti de
dragons ne me vît point fortir ; après quoi je marchai
avec fix cents hommes par des chemins dé-
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