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§• i l .
Des harangues militaires avant le commencement d’un
combat.
Dans une harangue militaire prononcée avant un
combat, le général peut parler à fes foldats de la
fupériorité de leur armement, de leur inftruciion ,
de leur difcipline, de leur compofirion , de leur
valeur & de leur nombre ; il doit leur faire remarquer
les avantages du porte qu’ils occupent & ceux
de l’ordre dans lequel ils font rangés; il ne peut
trop , dans ce moment décifif., vanter les talents St
la bravoure des principaux officiers-qu’il a fous fes
©rdres. Qui oferoh le blâmer de parler de lui-même
avec un noble orgueil, de dire ce qu'il a fait, & ce
qu il fe propofe de faire encore pour fa gloire &.
pour celle de fes fubordonnés ? Qui l’accufera de
trop cle vanité , s’il cite à fon armée les vi&oires
qu’il a déjà remportées, & les aélions giorieufes
auxquelles il a eu part ? Il pou- ra parler de l’ennemi
avec mépris, ravaler le mérite des officiers
qui le commandent, ridiculifer leurs vices ck leurs
défauts ; il le gardera pourtant bien de promettre ,
de Ififfer même entrevoir un fuccès aifé ; fon armée,
bientôt défabufée, perdroit en même temps
fon erreur & fon courage.
Inférieur en nombre , il reprefentera les inconvénients
des grandes armées ; il dira combien il eft
difficile de les faire-aiouvoir, combien pe^ de foldats
donnent à-la-fois, & combien il ert aifé , en
les attaquant avec vigueur, de jetrer le défordre
dans ces martes énormes. Il feindra que ce défordre
y eft déjà ; il annoncera myftérieufement quelque
diverfion heureufe , ou quelque intelligence fe-
crette. M.ais bientôt négligeant ces moyens que
leur fa u rte té pourroit rendre funeftes , il préfentera
un tableau' rapide & vrai des fuites née affaires de
la défaite & de la viéloire. Ici il fera voir l’honneur
& la g loire, des diftinélions & des récompenfes ,
la fin des fatigues & des travaux , & enfin l’ai fan ce
& les commodités de la vie produites par un butin
confidérable ; là-il montrera les difficultés, de la
retraite , la perte du bagnge , la faim , la mifère ,
des fers , une trifte & longue prifon, & pour
comble de maux , la honte & le déshonneur. Pour
donner plus de force à ees derniers traits, que le
général rappelle auffirôt à fes foldats le fouvenir
de leurs fuccès, de leurs viéloires, 8c principalement
de celles qu’ils ont remportées fur la nation
qu’il veut combattre ; qù’il leur nomme ces journées
giorieufes , fur-tout fi leur époque eft peu
éloignée , ou fi elle a quelque chofe cle commun
avec la bataille qu’on va livrer , comme le champ ,
ou le leur ; qu’il leur cite quelque avantage remporté
fur leur ennemi par un peuple qu’ils ont
vaincu eux - mêmes dans d’autres circonftanees ;
qti’il leur parle du befoin de venger la honte de
quelque journée malheureufe j qu’il leur peigne les
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ravages qu,e l’ennemi a faits , les incendies qu’il a
allumées <& la dévaluation qu’il a caufée ; la honte
irrite enfin le plus foible courage.
Dans une armée combinée, excitez une vive
émulation entre les différentes nations qui la com-
pofent ; faites naît!e entre les divers peuples une
rivalité heureufe ; employez les mêmes moyens
entre les diffétentes armes, les divers corps, les
differents chefs , les divers officiers. Rappeliez aux
foldats leurs cris, leurs promeffes, le defir qu’ils
avoient de joindre ferme ni i ; recommandez leur
1 obeiffance , l’ordre St le filence. Pourquoi ne leur
parleriez - vous pas de leurs pères , de leurs
femmes , de leurs enfants & de leurs-biens ? Pourquoi
ne nom auriez vous pas la patrie & l’honneur
de la nation ? Le foldat eft plus fenfible qu on ne
le croit communémenraux fentimentsde la nature,
& la voix de fa patrie ne lui fut jamais inconnue.
Montrez donc à vos foldats les yeux de leurs concitoyens
fixés fur eux, & n’héfitez pas à leur faire
voit que la nation entière attend Ion falutc& fa
gloire dés généreux effets de leur courage.
Votre fouverain a-t-il d’autres armées en cam-
pagne , parlez des viâoires qu’elles ont remportées
, parlez même des défaites qu’elles ont ef- .
iuyées ; ces deux circonftanees peuvent vous fournir
des moyens également heurenx. La religion
ne peut-elle pas vous en prêter encore de plus
grandes? Un Dieu des armées doit tenir compte
des facrifices qu’on fait à fa patrie : il doit.récom-
penfer les braves, punir les lâches , fe déclarer
pour la caufe la plus jufte, & pour ceux qui lui
rendent le culte qu’il approuve. Ne prononcez jamais
le mot bleffure, ni mort ; tout ce qui entoure
le foldat n’en parle que trop éloquemment ; ne
parlez pas non plus de la punition que vous réfer-
vez à ceux qui manqueront de courage ; fi vos foldats
foupçonnoient des lâches parmi eux, ils fe-
roient touts moins braves ; ne leur montrez donc
que les récompenfes que vous deflinez aux plus
intrépides ; enfin ,foit que vous préfentiez ou receviez
la bataille , foit que vous attaquiez ou défendiez
des villes ou des lignes, fi vous donnez à votre
harangue une tournure vivef & touchante , fi le
ftyle en eft firnple , clair , concis & énergique, fi
votre difeours tire toute fa force du moment, s’il
contient plus de penfées que de mots , fi vous en
banniffez tout ce qui peut fentir l’art & l’étude, ne
confiftât-il qu’en une raillerie piquante , 'en un
bon mot bien militaire , bien foldatefque même ,
car il faut parler à chacun fon langage ; fi vous le
prononcez d’un ton'ferme, fi vós manières, votre
air , annoncent l’affurance & la gaîté, vous verrez
l’audace fe peindre fur le front de vos foldats , &
l ’impatient defir du carnage briller dans leurs regards.
Marchez alors , la viâoire eft affurée. Vous
avez préfenté à l’imagination aélive de vos guerriers
le tableau le plus propre à allumer dans leurs
âmes l’heureux enthoufiafme de la gloire, une haine
'Yurieufe contre l’ennemi, & un amour ardent poür
la patrie. MBS
Rendons plus aiféc, par des exemples , 1 application
de ces différents prétextes.
Quand Léonidas , rei deSparte, alla défendre
le pas des Thermopiles, quelqu’un lui crin: voilà
les Per fes qui s'approchent de nous. — *Et nous d'eux,
répondit-il. Ün autre Spartiate ayant dit que le fo-
leil feroit obfciirci par les flèches des perfes : tant
mieux , répartit le héros , nous combattrons à l'ombre.
Auconabat du Tégire, oùPelopidas commandoit
les Thébains,ces derniers appei cevant les ennemis,
qu’ils ne fçavoient pas fi près, s’écrièrent avec une
vive frayeur : nous Jomrnei tombes entre les mains des
ennemis ! •— Èh ! pourquoi , reprit Pelopidas , ne
dirons-nous pas plutôt qu ils font tombés entre, les
nôtres ? Ce mot releva le courage abattu de fes
troupes,, & il fut vainqueur. Lorique le même gér
néral alloit à la rencontre du tiran de Pherés , quelqu’un
1 avertit que fon antagonifte s approchoit à
la tête d’une greffe armée : tant mieux , dit Pélopi-
das , nous en battrons un plus grand nombre. En effet,
il remporta la viâoire.
Les Antiates ont joint les latins & lesHerniques
près de Satrique , & leurs forces fur^affent de beaucoup
celles des romains. Camille remarque que la
vue de troupes fi nombreufes effraye fes foldats ,
il monte à cheval, parcourt les rangs , & dit : compagnons
, où font cette joie & cette envie de combattre
que j ’ai toujours vues dans vos regards ? Ave^-vous
oublié qui je fuis , qui vous êtes , & que font nos ennemis
? Ne deve^- vous pas aux volfques & aux Latins
la gloire que vous ave{ acquife ? N ’averpvous pas
conquis Vêles ^ défait les Gaulois , & délivré Rome
fous mes'ordres ? JNe fuis-je plus Camille , parce que
je ri ai pas le titre de dïêlateuri Attaque^ feulement,
& à leur ordinaire , nos ennemis fuiront devant Vous.
Avant la bataille de Cannes, Gifcon s’approche
d’Anmbal, & lui dit que le nombre des, ennemis
eft étonnant. Annibal fronce l<?fourcil & répond :
maïs il y a une chofe plus étonnante encore , Gifcon ,
& à laquelle tu ne prends pas garde : c’efl que de tout
ce prodigieux nombre dhommes , il ri y en a pas un
feul qui s’appelle Gifcon comme toi ; ce qui fit rire
tout le monde , dit le bon Plutarque , & toute l’armée
fut perfuadée que Ion général n’auroitpas plai-
fantéà la vue d’un péril qu’il auroit cru réel. Anni-
bai difoit aufiâ à fes foldats avant la même bataille •
ce feul jour,va mettre fin à toutes vo* fatigues ', 6* en
vous donnant l’empire & les biens des romains , il va
vous rendre les maîtres de l'univers ; il leur difoit encore
: a rès trois viêloireS confècutives , quels difeours
ou qu lies paroles peuvent mieux vous animer que vos
propres a étions^}
Avant la bataille dePharfale, Cæfar ordonne
d’applanir les remparts & c®mbler les fortes de fon
camp ; car aufji-bien, dit-il , nous paierons la nuit
dans le camp de Pompée.
Arminius , prêt à combattre les troupes r maires
qu’a avoit peu auparavant défaites, prefque dans
le même lieu , lorfqu’elles étoient fous les ordres
de Q . Varrus , crioit à fes foldats : voilà Varrus <5*
fes légions qui vont être battus une fécondé fois.
Abu Sohan , capitaine Sarrazin , difoit à fes foldats
avant la bataille d’Yarmone : fidèles difciples
du grand prophète , fongeç que le paradis efi devant, le
diable & le feu de l'enfer derrière.
Le Calife Omar , avant une bataille , difoit à fes
troupes : combatte^ pour Dieu , il vous donnera la
terre.
Lorfqu’en 1066 Guillaume le Conquérant eut
aborde en Angleterre, il crut devoir, pour augmenter
le courage de fes foldats , leur fermer l’ef-
poir de la retraite : amis, leur dit-il, en lançant lui-
même le premier flambeau fur fa flotte, cette ref-
fource vous efi inutile , vous n’ave^ pas defféin de
fu ir & de retourner en France ; nous ri avons vlus d’a-
fy le que dans Londres , il fa u t nous y frayer un chemin
ou mourir fous nos drapeaux.
Jamais perfonne n’eut mieux que Gonfalve, le
talem.de parler aux troupes, & de les ranimer en
paroiffant toujours compter & fur leur courage, &
fur la fortuné. Au commencement d’une aélion il
voit fauter fon magafln a poudre ; il s’apperçoit
que cet événement a confterné fes foldats : mes
amis, s’écrie-t-il aufîitôt, la viêloire eft à nous ; le
ciel nous annonce par ce figne éclatant que nous pouvons
même nous paffer d'artillerie.
Avant d’engager la bataille d’Ivri , Henri le
Grand parcourt tonte la ligne, & montrant à fes
foldats fon cafque furmonté d’un panache blanc,
il leur dit : Enfants y f i les cornettes vous manquent
par quelque accident ? voici le fignal du ralliement ,
vous le trouverez toujours fur la route de £ honneur b
de la viêloire.
Dans une autre bataille , Henri IV dit à fes
troupes- : je fuis votre roi , vous êtes françois , voilà
l ennemi, donnons.
Nous ne rapporterons pas d’autres exemple* ,
on ne peut mienx faire qu’èn citant Henri IV. On
trouvera un grand nombre d’autres modèles de
harangues militaires dans la partie hiftorique. du
nouveau journal militaire.
§• I I I .
De la manière de prononcer les harangues militaires.
I.es généraux de l’antîquité qui vouloient haranguer
leurs armées , adembloient d'ordinaire leurs
troupes à ia tète du camp ; là . montés fur la tribune
ou placés eh un lieu éminent, ils ponvoienr parler
à touts leurs foldats & en être entendus. Cette
manière de prononcer'les harangues ne peut guère
être employée par un général moderne: c’dft en
parcourant les rangs de ton aim. e qu’il doit parler
à fes foldats II s'arrête devant les divers corps,
dit à chacun quelques mot analogues à fa manière
d'être , il aflefle de lui parLr fa langue naturelle,
de s adreftèr aux. officiers qu’il eonnoit partiçuliè