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à toutes les jurifdiâions du voifinagc d'arrêter &
de fairé' conduire à votre armée ou aux places yoi-
fines, touts les foldats & tambours qui feroient
trouvés fans un congé par écrit, en bonne & due
forme , parce qu’il y en a plufieurs cjui profitent de
la confufion d’une déroute pour déferter.
L’ordre portera que pour cette fois, les foldats
déferteurs ne feront pas punis, afin que par un
excès de compaffion, on ne leur laiffe pas le paffage
libre. On promettra aux payfans une récom-
penfe raifonnable pour chaque foldat qu ils arrêteront
hors du chemin qui va à votre armée, & l’on
menacera j e punir d’une griève peine les juges
qui n'auront pas exécuté ponctuellement vos
ordres.
En traitant des marches, j’ai dit par quel moyen
on peut ramaffer les traîneurs , memè quand on
marche par un pays ennemi ; comment on peut
les empêcher de s’égarer ou de s’écarter volontairement.
Ces mêmes moyens fervirent auffi dans le
cas dont nous parlons , fuppôfé qu’il n’y ait pas
trop de danger pour les mettre en ufage, à caufe
de la grande proximité de l’armée ennemie.
J’ai examiné dans un autre endroit, fi le prince
doit ou non fe trouver à la bataille ; & en parlant
des fièges, j’ai prouvé par divers exemples, que
le prince ne doit pas , dans fa retraite , s arrêter
dans un lieu ou dans une place dont les ennemis
vainqueurs peuvent occuper les avenues.
J’ai confeillé au général de l’armée, pour la furete
de fa perfonne , de changer de cheval & d’habit
dans un jour de bataille ; cette précaution doit
être encore moins négligée par rapport au fouve-
rain, lorfque fon armée a été entièrement défaite ,
& que fon efcorte a été mife en déroute ; car
comme il feroit plus avantageux pour les ennemis
de le prendre , il y a auffi plus a craindre
qu’ils ne redoublent leurs efforts pour y réuffir. Un
officier qui a un excellent cheval ne fe détachera
pas de fa troupe pour pourfuivre celui qui lui pa-
roîtra être un fimple officier ennemi ; mais il fe
déterminera à le faire , s’il efpère de pouvoir
prendre prifonnier celui qu’il reconnoît pour le
fouverain ennemi.
D ’ailleurs , un prince peut rencontrer quelqu'un j
de fes propres guerriers affez infâme pour commettre
le plus grand des forfaits ; & fous lé détectable
efpoir d’une abondante récompenfe, le livre
à fes ennemis s’il le trouve abandonné de fa garde.
Un fouverain qui aura eu la précaution de fe
munir d’une petite fomme en o r , pourra peut-
être , s’il n’eft pas reconnu à la faveur de ce pré-
fen t, s’échapper des mains de quelques foldats qui
l’auroient fait prifonnier.
Moyens d'empêcher les ennemis de fuivre votre armée
dans fa reirai te.
En traitant des retraites des troupes, je dirai ce
qpe doivent faire les partis & les détachements que
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vous mettez à votre arrière-gârde pour retarder les
ennemis qui vous fuivent , & pour donner le
temps à voire gros de fe mettre en fureté, fur-
tout lorfque le pays eft propre pour y former des
embufcades ; comment on peut obliger les enne-
..mis à faire halte , tandis que votre infanterie continue
fa marche ; en quelle forte vous pourrez profiter
des bois que vous trouvez fur votre retraite
pour éviter que les troupes ennemies ne chargent
votre arrière-garde ; enfin l’on verra ce qui doit
fe pratiquer quand on fait retraite par des fentiers
ou des défilés aifés à rompre & à ruiner ; ce qui eft
encore plus facile, lorfqu’on rencontre des ponts
de bois ou de pierres qu’on laiffe derrière , St que
l’on peut couper ou faire fauter en peu d’heures.
Publius Cornélius Scipion , père de Scipion l’A*
fricain, ayant été défait par Annibal à la bataille
du Teffin , évita d’être pourfuivi dans fa retraite,
en coupant un pont fur le P ô , après l’avoir paffé,
Marvau I I , Calife des Mahométans, fe délivra de
la même forte d’être atteint par l’armée viétorieufe
d’Abu Muffin.
Les Theffaliens vainqueurs ne purent point
fuivre l’armée de Thèbes qui avoit été battue ,
parce que Pélopidas , général des Thébains, donna
ordre à fon arrière-garde de brûler un pont auffitôt
qu’elle l’auroit paffé.
L’armée chrétienne fut exterminée, par les Sarra-
fins, pour n’avoir pas rompu un pont fur le Tafne
qu’elle avoit paffé. Si Mélec Sala , général des
Sarrafins, n’avoit pas trouvé ce paffage pour pourfuivre
les fuyards , faint-Louis n’auroit pas été
fait prifonnier, parce qu’il auroit eu le temps de
fe retirer avec fes troupes à Damiéte , où il avoit
laiffé la reine Marguerite, fon époufe , avec une
forte garnifon.
Chacun fait qu’inonder un pays, c’eft le ruiner
pour quelques années; on eft pourtant quelquefois
obligé d’avoir recours à cë moyen , pour arrêter
les progrès d’une armée viâorieufe, & de
fubmerger toute une contrée en détournant le
cours des rivières, ou en rompant les digues. Il
eft affez difficile qu’une armée mife en déroute
& pourfuivie par fes ennemis , puiffe réuffir dans
la première de ces opérations, dont le projet fou-
vent , indépendamment de ces circonftances , ne
fauroit avoir lieu dans l’exécution. La fécondé opération
eft courte & facile, lorfqu’on eft maître du
terrein où font les digues.
C ’eft de cette dernière manière qu’en 16 7 1 , la
république de Hollande fe mit en fureté contre la
puiffante armée de la France , lorfqu’aucun autre
moyen n’étoit capable d’arrêter le rapide cours des
conquêtes de Louis XIV,
S i, à la faveur d’un paffage étroit, vous pouvez
retarder l’ennemi pendant quelques jours , ou l’obliger
de perdre ces mêmes jours à faire un grand
détour pour pénétrer dans votre pays , ou pour
agir contre votre armée, employez ce temps à
ruiner les vivres & les fourrages que vous ne pou-
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yez faire tranfporter dans des places fortes, afin
qu’ils ne fervent pas pour la fubfiftance des
troupes ennemies.
Viriato général des Portugais , faifant retraite ,
brûla toutes les denrées des lieux qu’il laiffa derrière
, pour éviter que l’armée viélorieufe de
Quintus Servilius Cépion 11e le fuivît.
J’ai déjà dit dans quelques endroits de cet ouvrage,
quelles font les chofes qu’il faut détruire ,
& comment cela s’exécute. J’ajoute feulement i c i ,
par rapport au cas dont nous parlons , qu’on ne
doit pas détromper les peuples fur le bruit qui fe
répand que les ennemis exercent les plus grandes
cruautés ; que dans les lieux que vous avez laiffé
derrière, ils ont maffacré plufieurs perfonnes,&
violé les femmes & les filles, & qu’ils y commettent
toute forte de crimes & d’abominations ,
parce que cette prévention portera les peuples à
exécuter plus promptement l’ordre que vous leur
envoyez de fe retirer avec leurs beftiaux & leurs
effets, dans les places ou fur les montagnes de l’intérieur
du pays, & de brûler touts les grains &
les fourrages qu’ils n’auront pu enlever pendant
un certain temps prefcrit. Au refte , évitez de
prendre une fi extrême réfolution , à moins que
vous ne la croyez abfolument néceffaire pour empêcher
les ennemis, faute de v ivres, de fourrages
ou de charrois , de continuer à vous fuivre, de
vous prendre des places importantes, ou de réuffir
dans quelque autre opération confidérable ; car
il y auroit de l’impiété à facrifier , fans une urgente
néceflitc, les biens des fujets de votre prince.
Les Impériaux ayant été défaits en 1707 à la bataille
d’Almanza, firent courir dans leur retraite
touts. ces bruits dont je viens de parler ; outre cela,
ils répandirent que les Efpagnols marquoient d’un
fer chaud au front touts les prifonniers qu’ils fai-
foient, afin qu’on pût toujours les reconnoître pour
efclaves. Quoique cette invention n’eût rien de
vraifemblable, elle fît tant d’impreffion fur les
peuples, que l’armée du roi d’Efpagne eut beaucoup
à fouffrir dans les marches qu’elle fut obligée
de continuer, parce qu’elle trouva touts les lieux
du royaume de Valence abandonnés de fes habitants,
qui, mal intentionnés pour Philippe V , s’é-
toient retirés avec touts leurs effets , que la brièveté
du temps leur avoit permis de tranfporter.
Manière de vérifier le nombre des hommes qiion a
perdu dans le combat, 6* de les remplacer promptement,
! Après avoir mis en fureté le refte de l’armée
défaite, & après avoir rama fie les foldats difper-
fés, il eft néceffaire de vérifier combien il vous
feue de combattants effeélifs, afin de régler vos
operations fur leur nombre , & de prendre de
juftes mefures par rapport aux recrues.
11 y auroit un grand inconvénient, ainfi que je
lai dit ailleurs , à faire cette vérification fur les
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extraits des revues des commiffaires , en comparant
la revue qui a précédé la bataille avec celle
que l’on peut ordonner après le combat perdu ;
d’ailleurs, je penfe qu’on ne doit pas- pafler fuôt
les troupes en revue , lorfque la défaite a été confidérable,
parce qu’en rendant ainfi toute votre
perte authentique , c’eft abattre le courage de vos
foldats, & relever celui des ennemis. Il me paroît
qu’il feroit bien plus à propos de demander fecrè-
tement à chaque colonel une lifte des hommes
qu’il a encore dans fon régiment en état de corn-,
battre , en avertiffant ces colonels que ce dénombrement
qu'on leur demande, n’eft point par rapport
à la paye , comme je l’ai confeillé dans un
autre endroit de cet ouvrage ; le prêt du premier
mois fe doit payer conformément à la précédente
revue, afin d’éviter l’inconvénient dont je viens
de parler, & afin que ce furplus du prêt ferve d’un
petit fecours aux officiers pour faire leurs recrues ;
la paye du mois fuivant fe réglera félon la moitié
de la différence dunombre des hommes qu’il y
avoit avant la bataille , & de ceux qui fe trouvent
deux mois après«
Il y a néanmoins à craindre que les liftes des colonels
ne contiennent moins de monde qu’ils n’ont
effeélivement, afin de perfuader que leurs régiments
ont agi avec beaucoup de valeur, & afin d’obtenir
un plus grand nombré d’hommes de recrue, fup-
pofé que les officiers ne foient pas obligés de les
faire; cet inconvénient feroit pourtant moindre
que celui de rifquer une nouvelle opération , fans
avoir un nombre fuffifant de combattants , ou de
ne pas prendre des mefures convenables pour les
recrues. Je pourrois citer fur ce dernier point un
exemple bien convaincant ; mais il eft fi récent-,,
que je me tais , pour ne pas nommer des perfonnes
que je veux ménager.
Engagez les colonels, les infpe&eurs , les officiers
généraux , l’intendant & les commiffaires , &
touts leurs fubalternes , de donner à entendre dans
leur converfation & dans leurs lettres , qu’on n’a
pas perdu autant de monde que réellement on en
a perdu ; faites attention aux exemples fuivans.
Après un combat douteux entre l’armée de
Thèbes & de Lacédémone , Epaminondas , capitaine
des TUébains, pour éviter qu’on ne reconnût
le nombre des fiens qui avoient péri dans la
bataille, donna ordre que fans fe réunir, chacun
foupât & dormît cette nuit dans l’endroit où il fe
trouvoit ; le lendemain matin il attaqua de nouveau
les Lacédémoniens, & il les défit, parce que
leurs efcadrons s’étant réunis cette même nuit, ils
s’étoient intimidés par le compte qu’ils avoient
faits de ceux qu’ils avoient perdus dans le combat.
Solis rapporte que les peuples de Tabafco , nation
guerrière entre les Indiens , avoient un foin
extrême de retirer les.bleffés & les morts , afin
que leurs ennemis ne s’amufaffent pas à la vue du
fang qu’ils avoient répandu. Il ajoute que dans un
combat contre Cortès , ils jettoient des poignées