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pourroient s’aller réfugier, en attendant que les ;
troupes du côté qui n’a pas été lurpris accourent |
à leurs fecours.
Une armée ne dort jamais avec fi peu de défiance
, qu’après lui avoir donné l’alarme ; il fe ■
rencontre bientôt des milliers d’hommes difpofés a
combattre ; ceux de la partie de la ligne ou du
flanc que vous ne chargez pas , prendront d’abord
les armes & marcheront au fecours des autres
corps ; peut-être thème arrivera-t-ii que le
général ennemi aura eu connoiffance de votre
marche fans que vous en foyez informé, parce que
les partis qu’il aura détachés auront arrêté les ef-
pions qui vous en portoient l’avis. Ainfi , prenez
toujours les mefures convenables, comme fi vous
aviez à combattre de force ouverte ; que le gros de
votre armée fe tienne donc en ordre de bataille
dans un terrein favorable , tant pour foutenir les
détachements qui attaquent les ennemis , que pour
affurer leur retraite.
A mefure que vos détachements qui mettent en
déroute les ennemis avanceront, faites auffi avancer
le gros de votre armée ; mais fi le terrein fur
lequel il vous faudroit avancer eft moins avantageux
& peut être de quelque obftacle, donnez
ordre à vos détachements de ne pas s’étendre trop
loin.
Si vous attaquez par le flanc , & fi quelques ravins
ou quelques ruiffeaux larges & profonds coupent
les lignes des ennemis du front à l’arrière-
garde , il fera plus fur pour vous de vous avancer
jufqu’à ce pofte, que de vous tenir plus éloigné ,
quand même vous feriez un peu inférieurs en
nombre aux ennemis. La raifon eft que cette partie
des ennemis qui ,fe trouve de l’autre coté &
qui n’eft pas battue, ne fauroit paffer pour vous
venir charger, fi vous vous etes portés fur le bord
de ce ravin ou de ce ruiffeau , & fi vous avez
rompu le pont de communication que lès ennemis
avoient.
Quand même le terrein ne vous donneroit pas
cet avantage , & que vous auriez un quart de
troupe moins que les ennemis, vous ne devez pas
laifler de continuer à les pourfuivre , fi vous remarquez
un grand défordre parmi eux ; car il vous
fiera plus aifé de les battre que de faire retraite ,
fiuppofez que vous leur donniez le temps de fe rallier
& de prendre courage. Mais fi vous voyez que
les ennemis vous oppofent beaucoup de troupes ,
& que vous leur êtes inférieurs en nombre , détenez
le gros de votre armée dans un terrein avantageux
, & faites retirer les détachements avant
qu’ils foient battus.
Chaque troupe doit marcher a l’avant-garde ,
au centre ou à l’arrière-garde , fuivant 'qu elle^ eft
deftinée à être des premières ou. des dernieres
pour attaquer ou pour faire diverfion , fans fe
mêler dans la marche avec les autres partis. Je
l'ai dit en parlant du détachement qui va furpren-
<Jre une place ou des troupes eu quartier, ce qui
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fe d o it e n c o re m ie u x o b f e rv e r d an s u n e m a rc h e de
to u te l’a rm é e .
Comme pour furprendre des troupes qui font en
campagne, ©u un quartier dans des lieux ouverts,
il n’eft pas néceffaire de porter les échelles, des
pétards & autres préparatifs qui peuvent donner à
connoître votre deffein ; il eft plus aifé d’ufer de
ftratagême , pour faire croire que vous marchez
pour quelque autre entreprife , en prenant d’abord
un chemin tout oppofé, afin de' tromper les ef-
pions que les ennemis ont dans votre armée.
Le chevalier Melzo qui rapporte comment en
1581, M. de Montigny furprit quelques troupes
des Provinces - unies , parle ainfi : « Montigny
fortant de fon quartier , fit femblaitt de fe mettre
en marche pour une autre entreprife ; & pour
tromper les efpions, prit le chemin directement
oppofé à celui qu’il avoit deffein de tenir ; & con-
tremarchant enfiJite en toute diligence vers les ennemis
, il les furprit & les défit ».
J’ai déjà dit ce que vos batteurs d’eftrade & vos
partis avancés doivent faire lorfque vous êtes en
marche pour une furp rifc , j’ajoute qu’il vous importe
de favoir où font les poftes des grandes
gardes des ennemis, & quels font les chemins ordinaires
& que leurs patrouilles ou leurs partis
battent, afin , s’il eft poflible, d’éviter les uns &
les autres ; fi cela ne fe peut pas , tâchez de favoir
par quelque perfonne affidée que vous avez parmi
les ennemis, le mot du guet qu’on a donné ce
jour-là à ces gardes avancées & à ces partis.
Celui par qui cet avis vous fera donné, ira à
la rencontre fur le chemin que vous devez tenir
dans votre marche, dont vous aurez eu la précaution
de faire inftruire cette perfonne affidée ; de
cette manière, quand même les batteurs d’eftrade
des ennemis trouveroient vos partis avancés, fi
l’officier qui eft à la tête de ces batteurs d’eftrade
n’eft pas extrêmement rufé, il fe laiffera approcher
par vos partis, q u i, alors, l’envelopperont facilement.
Il feroit bon aufli de favoir de quel régiment &
de quêlle nation ce jour-là la grande garde, dont
vous ne pouvez éviter la rencontre, eft compofée,
afin que les troupes de cette garde ne foient pas
furprifes de ne pas connoître les vôtres , qui, en ce
cas , fe diront d’un autre corps & d’une nation
différente de celle qui compofe la grande garde des
ennemis, pourvu que l’uniforme ne les démente
pas , ou que cette garde n’ait pas été formée par
détachement.
Pammenée fit déférter un foldat qui paffa aux
ennemis, afin de favoir le mot du guet; il le rapporta
à Pammenée , qui, par ce moyen , pénétra
dans l’armée ennemie , & la furprit.
Lorfqu’en 1522M.de Lautrech faifoit le fiège
de Pavie, Profper Colone y envoya un fecours
d’Italiens & d’Efpagnols , commandé par Cullio
& Corbera, qui , en paffant devant les troupes
Françoifes, parloient Italien, & les François les
cro y o ien t
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croyoient Vénitiens, leurs alliés ; & lorfqu’ils paf-
foient devant les Italiens qui fervoient en France ,
ce détachement parloit françpis, & les Italiens les
croyoient Gafcons. De cette manière, le détachement
arriva jufqu’aux dernières gardes fans être
obligé de combattre, &. entra librement.dans la
place.
Je n’ignore pas qu’il n’eft pas aifé aujourd’hui
de favoir le mot du guet des gardes avancées , à
moins que vous ne foyez en intelligence avec
quelque aide du maréchal-des-logis de la cavalerie
ou de dragons , ou avec un officier de cette garde ,
qui , en vous donnant avis du pofte où il la
monte,vous envoie en même-temps le mot du
guet.
jQes moyens de furprendre Tarmée ennemie lorfquelle
attend un renfort de troupes,'
Si vous favez quel jour & par quel chemin un
corps de troupes doit arrivera l’armée ennemie,
& fi, par une marche d’un détachement de vos
troupes , vous pouvez prévenir l’arrivée de ce
corps , & mettre à une diftance convenable le gros
de votre armée en embufeade, faites marcher ce
détachement Vers les ennemis , comme fi c’étoit la
troupe qu’ils attendent ; qu’un officier qui fait fem-
blant d’être de cette troupe attendue, aille donner
avis au général ennemi qu’elle eft proche , afin qu’il
ne foit pas furpris de voir arriver ce détachement.
Cet officier fe retirera enfuite , fous prétexte d’aller
porter aux nouvelles troupes la permiffion
d’entrer dans le camp fous quelque autre motif apparent;
je fiippofe que cet officier faura parler la
langue des ennemis , qu’il fera vêtu à leur manière
, & qù’il fera bien inftruit des régiments
qu’ils attendent & du général qui les commandent.
Le chef de l’armée'ennemie , ion major général
ou fon maréchal général-des-logis ne manqueront
pas d’envoyer un autre officier avec le vôtre, pour
conduire la troupe à l’endroit du camp qui lui eft
deftiné. Il eft aifé de comprendre qu’en ce cas vous
devez tâcher de le furprendre , & empêcher qu’aucun
de fes domeftiques & des foldats d’ordonnance
n’échappe pour aller donner avis de votre ftratagême.
Je dis la même chofe de toute perfonne que
votre armée & votre détachement pourroit rencontrer
dans leur marche.
Votre détachement fe préfentera à l’armée ennemi^
en marchant d’un pas lent & tranquille,
jtifqu a ce que fe trouvant fort proche , il attaquera
vigoureufement les ennemis , afin qu’ils ne puif-
fent pas fe mettre en ordre de bataille, en attendant
que le gros de votre armée arrive au fecours
du détachement.
Amilcar affiégeant Himmera Gelon , tyran de
Syracufe, fon ennemi , prit un courier qui portoit
oes lettres par lefquelles on informoit Amilcar du
jour où la cavalerie Sélinnutine arriveroit au eamp
des Carthaginois ; Gelon fit marcher la fieime fur
Art militaire» Tome l l f
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le même chemin. Les Carthaginois crurent que
c’étoit celle de Sélinunte, & l’ayant laifté entrer
fur le point du jour dans leur camp, elle attaqua
l’armée Carthaginoife ; le gros des troupes de
Gelon qui étoit auprès en ordre de bataille approcha
les Carthaginois furent défaits.
J’ai dit plus haut qu’il n’eft pas poflible de furprendre
les ennemis , principalement de jour, lorfque
vous marchez par un pays qui n’eft pas porté
pour votre fouverain. Quand même le pays lui fe-
roit affeftionné , fi vous marchez au tour de l’armée
ennemie pour la venir attaquer dans un terrein
que vous croyez vous être avantageux, ayez foin
de faire votre marche par des chemins plus éloignés
que jufqu’où ordinairement les partis des ailes
de l’armée ennemie ont coutume de s’avancer.
C ’eft Favertiffemént, qu’entre plufieurs autres écrivains
, le chevalier Melzo nous donne.
Je traite ailleurs des marches fecrettes & qui fe
font de nuit. J’ajoute ici que les matinées où il y a
un brouillard épais , font pour cette fin prefquo*
aufli favorables que la nuit, puifqu’elles ne permettront
pas aux partis 8c aux autres gardes avancées
des ennemis d’obferver vos mouvements.
Annibal fut parfaitement profiter d’un brouillard
pour furprendre l’armée Romaine fur fa marché
, Iorfqu’auprès du lac de Trafimène il défit le
conful Flaminius, qui la commandoit.
Ce fut auffi à la faveur d’un brouillard que Cæfar
fe rendit maître d’un paffage que les Barbares lui
difputoient fur les Alpes.
Il y a beaucoup d’avantage d’attaquer l’armée
ennemie qui, après avoir marché par un temps de
pluie, arrive près de votre camp , où vos foldats
ont leur poudre & leurs fufils bien fe es , principalement
fi vous ne leur êtes pas inférieur en cavalerie,
en piquiers & en nombre d'infanterie qui
fâchent fe fervir de la baïonnette.
Il y a auffi beaucoup d’avantage de charger les
ennemis immédiatement après une longue marche
qu’ils ont faite par un pays & dans une faifon où
la chaleur eft grande & où il y a rareté d’eau ,. fur-
tout fi votre armée n’eft pas fortie de fon camp ,
ou f i, ayant été obligée d’en fiortir , elle n’a été
que peu fatiguée, & enfuite repris des forces en
mangeant & en buvant, tandis que les ennemis
n’ont pas eu le temps de fe rafraîchir de la même
manière.
En furprenant les ennemis fur leur marche, on
a toujours l’avantage de trouver hors de leur armée
les fourriers , l’efeorte de l’officier général,
qui s’eft mis devant pour aller marquer le camp ;
& ce grand nombre de foldats qui s’écartent de
leurs drapeaux foit parce qu’ils font infirmes,
foit pour accompagner leurs familles & les équipages
de leurs officiers , foit pour aller en maraude
, fur-tout lorfqu’aux environs de la route
que tiennent les ennemis , il y a plufieurs villages
& maifons de campagne qui font fous l'obéiffance
de votre prince ; ou lorfque pour faire débander
N i in n