
qui veut férieufement en être informé ; mais leur
ufage le plus commun eft de prendre ce qui fe
préfente, ou de conferver ce qu’ils trouvent en
place, fans y regarder de trop près. Bientôt ils fe
laiffent prévenir par les flatteurs, qui favent s’emparer
de leur confiance, 8c alors l’évidence même ne
pourroitles frapper. Ils traitent de calomnie tout ce
qu’on oie leur découvrir contre ces protégés. Ils
vont jufqu’à craindre de fe livrer au doute & aux
éelairciflements , tandis 'cjue la; hauteur & l’avarice
des indignes dépofitaires de leur pouvoir , font des
ravages effroyables à la faveur de l’impunité;qu’ils
le comportent en petits tirans, vendent au plus
offrant la juftice & les exemptions, font tourner à
leur profit les foulagements accordés au peuple , &
menacent d’écrafer tout ce qui oferoit s’oppofer à
leurs violences. Ce feu , qui dévore tout, ne s’arrêtera
point , fi quelque vexation énorme , ou
quelque crime atroce nefoulèvent ce peuple foulé,
Ôc -ne forcent le magiftrat à connoître enfin , pour
la première fois , l’infâme inftrument de les injustices.
Ce tableau, mis dans un autre jour, peut également
repréfenter les bureaux d’un intendant,
qui n'auroient pas été compotes avec ia plus grande
circonfpeélion. J'en ai vu dont le fouvenir fait horreur
, qui facrifioient publiquement la matière lur
laquelle j’écris ; qui percevoient, à titre de droit
fur les adjudications , des rétributions indues ; fai-
foient donner pour de l’argent, la préférence des
entreprifes à des ouvriers également infidelles 8c
ignorans, & corrompoient, par leur exemple, les
coopérateurs du fervice, quand-iis pouvoient les
attirer. S’il y en avoit dont la probité leur réliftât, ,
ils ne tardoient pas à leur faire éprouver ce que
peut le reffentiment d’une ame baffe* car celles qui
font bien placées n’en ont point. Ces hommes intègres
encouroient la difgrace de l’intendant fauf-
fement prévenu. On leur fufcitoit des délateurs ,
on foutenoit contre eux la défobéiffance 8c la révolte
des entrepreneurs furpris en flagrant délit.
Tout manquoit pour l’exécution des ordres fupé-
rieurs ; les obftaçles naiffoient des caufes mêmes
qui auroient dû les détourner, 8c la déprédation
dés deniers étoit telle , qu’ils fembloient fondre
dans les mains des ordonnateurs , fans qu’il en ref-
tât ni veftige ni trace fur les chemins.
Il eft très aifé à un intendant de fe mettre à cou- i
vert de touts ces dangers : i°. en donnant à l’ingénieur
qui fert près de lu i, une confiance mefii-
rée jufqu’à ce qu’il le connoiffe parfaitement; mais
entière , quand les épreuves & la réputation cautionnent
également fa probité ; 20. en fe tenant fi
févérernenr à la règle fur tout ce qu’il ordonne ,
qu’il trouve fa décharge dans les rapports de cet
ingénieur, toujours garant 'âes faits qu’il atrefte ,
& fur lefquels la décifion fe préfente d’elle-même
y un juge éclairé ; 30. en chargeant l’ingénieur
éprouvé de lui rendre un compte fidelle de la conduite
desfubdélégués; 40. en apprenant, par le -
tiide des plans, des devis 8c des détails, les premiers
principes de i’architeélure publique , 8c en les
pouffant aufli loin que fan talent le comportera. 11
ne doit pas toutefois porter l’ambition de s’y
rendre habile, jufqu’à vouloir differter avec les
maîtres. Un muficien répondit en pareil cas au
père d’Alexandre : « à Dieu ne plaife , feigneur ,
que vous fafliez ces choies mieux que nous ». Mais
il lui fera glorieux de bien concevoir les effets du
plan dont il s’agira , Sc fur lequel le gouvernement
ne manquera pas de lui demander fon avis ; on y
prendra d’autant plus de confiance , qu’on le faura
plus intelligent. S i, par un défir de briller , commun
à touts les artiftes , l’ingénieur propofoit une
confti uélion périlleufe, ou des ornements déplacés
, l’intendant devroit fans doute le faire remarquer
au commiflaire général, 8c lui faire part non-
feulemqpt de fes propres réflexions 8c de celles
des connoiffeurs , mais encore des obfervations du
public , qui ne font jamais à méprifer fur les affaires
locales.
La manutention de l’ordre dans la recette & la
dépenfe des fonds deftinés aux travaux publics ,
eft encore un objet bien^effentiel de l'attention
d’un intendant. Il doit avoir en petit l’arrangement
qui règne dans l’infpcdion de la caifle générale ;
tenir lui-mème un regiftre,où il portera régulièrement
en recette les remifes faites au tréforier particulier
, & en dépenfe toutes les fomffles qu’il tire
fur lui. Il doit fe faire repréfenter touts les mois le
journal de caiffe , le vifiter & le collationner au
fien ; n’admettre aucun payement qui ne foit juf-
tiné par des qu ttances comptables , 8c n’en jamais
ordonner que fur les certificats de l’ingénieur qui
conduit l'ouvrage , & qui déclare ce qu’il y en a de
fair. Il eft des cas où le prix des matériaux , rendus
à pied d’oeuvre, peuvent mériter des à-compte,
quoique les atteliers ne Soient, pas encore établis,
lien eft où Papprovifionnement ne doit être confia
éré que comme un devoir 8c une avance né-
eeffaire de l’entrepreneur.
Enfin l’exaélitude à faire exécuter les ordonnances
& les réglements , doit être regardée , par
ce magiftrat, comme une obligation étroite dont
il ne peut jamais fe difpenfer. Les peines encourues
par les contrevenants peuvent fans doute , &
doivent même quelquefois être modérées, parce
qu’il ne feroit pas jufte de traiter l’ignorance
comme la méchanceté, ni la pauvreté comme la
richeffe ; mais il n’eft permis qu’au légiflareur de
déroger à la lo i , ou d’en changer les difpofuions;
Les formes doivent aufli être inviolables , leur
établiffement ayant eu pour objet de maintenir
l’ordre , de prévenir la fraude , 8c de conferver à
chacun fes fondions 8c fes prérogatives. Il n’efl:
permis ni de les abolir, ni de les traiter arbitrairement
comme en ufage de mode, dont le caprice
difpofe à fon gré. Les rompre , déplacer ou
anéantir les fonctions , eft exercer un delpotifme
d’autant plus dangereux, que la perte delà fubordination
en eft fouvent la conféquence , & qu’elle
tourne toujours au détriment du fervice.
Si à touts ces principes fondamentaux , 1 intendant
veut joindre une extrême application à reconnaître
par fes yeux la topographie de fa gêné-
ralité, la nature du terrein 6c le plan de chaque
chemin, le cours de chaque rivière, les caufes de
leurs débordements, la fituation des lieux qui contiennent
des carrières célèbres , le local des palmes
où il feroit néceffaire de conftruire des ponts ;
s’il veut s’informer des quotités des péages quon
y perçoit, par la ledlure des pancartes qui doivent
y être attachées,; examiner à quelles charges ils
$ont exadlement acquittés ; s’en faire rapporter les
titres, en fufpendre prôvifionnellement l’effet s’il
les juge illégitimes , & dans ce cas , en faire prononcer
la iuppreffion par le conf’eil. S’il cherche
à découvrir dans chaque ville 8c dans chaque village
les hommes les plus dignes de là confiance ,
pour les charger de lui donner des avis relatifs à
fexécution des travaux , ou d’y exercer quelque :
emploi, il fe rendra aufli célèbre qu’utile dans cette
partie intéreffante ,8c l’honneur qu'il y acquerra , .
le dédommagera de fes peines. Le bien qu on fait
au public ne meurt jamais , 8c porte toujours avec
lui fa récompenfe , quand elle ne confifteroit que
dans la fatisfa&ion intérieure de l'avoir procurée ;
avantage d’autant plus précieux à lhomine de
bien, qu’il eft à couvert des traits de 1 envie.
Des tréforiers de France.
Ces officiers fortent d’une illuftre tige ; mais on
peut les mettre à la tête des plantes qui ont le plus
dégénéré.
Il n’y e.ut d’abord qu’un feul tréforier général
de France , chef ordonnateur des finances du
royaume , qui s’appelioit le grand. tréforier de
France ; c’étoit l’un des quatre officiers de la couronne
, formé du débris de la charge de maire du
palais ; fa voir , le connétable , le chancelier , lé
grand-tréforier & le grand-maître. Cet ordre (uh-
fifla jufqu’à Phil ppe-de- Valois , qui érigea un fécond
tréforier général de France ; Charles V , un
troifième ; Charles VI . un quatrième ; & ce
nombre de quatre ne fut point augmenté jufqu’au
règne de Henri II , qui en cr a feize tout d’un
coup , en leur réunifiant les offices des feize généraux
des finances qui avoient été formés auparavant.
Ce nombre de feize- répondoit â celui des
receveurs généraux des finances, que François I-r
avoit établis pour les feize provinces dont lé
royaume étoit alors compofé; en forte que chacun
d’eux eut pour ordonnateur un tréforier de France
général des' finances , titre qui leur eft toujours
demeuré. De-là les provinces ayant pris le nom
de généralités , on créa par la fuite, dans chacune ,
un bureau , c’eft-à-dire , une compagnie complene
de dix ou douze tréforiers de France généraux des
finances ; & ce nombre s’eft fucceflivement accru
dans chaque bureau , à mefure que les befoins de
l’état ont forcé le gouvernement de recourir à
cette voie d’emprunt, également onéreufe à l’état
6c aux titulaires.
Il n’eft pas, de mon fujet de pouffer plus loin
l’hiftoire de la décadence de ces officiers, il me
Suffira de dire que par l ’inftitution d’un Surintendant
& de plufieurs intendans des finances , faite
par François Ier , enfin par celle d’intendant de
juftice , police 8c finances dans toutes les généralités
, d’ordonnateurs de fonds qu’étoient les tréforiers
de France , ils font devenus fimples ordonnateurs
de forme, très fubordonnés dans toutes
les parties dont la jurifdiâion leur eft reftée. Dès
l’an 1508, ils connoiffoient de la voirie, par un édit
du mois d’oéfobre qui la leur attribua. François Icc
la leur ôta par l’édit de Cremieu du mois de juin
1536. Il eft certain qu’ils l’a voient en 1609 ;
Louis XIII la leur confirma par édit du mois d’avril
1627, après avoir réuni à leurs offices, au
mois de février en 1626 , celui de grand-voyer
de France , qui avoit été créé au mois de mai
: 1599; 8c depuis elle leur a été conftamment ré-
fervée, mais en première inftance , reffortiffanre,
aux parlements ; en forte que jouiffant , principalement
à Paris, de touts les privilèges des cours
Supérieures , non-feulement il n’eft pas reconnu
qu’ils en ayent le tribunal, mais ils font toujours
traités, dans les édits burfaux , comme ne l’ayant
pas. Je traiterai ailleurs cette queftion. D’un autre
côté , par la réunion de la charge de grand-voyér,
& par leur inflitution primitive en corps d’officier,
ils-avoient le droit d’ordonner les ouvrages neufs
8c d’entretien , tant du pavé de Paris , que des
ponts & chauffées , 8c d’en faire payer les adjudications
fur les mandements. Ce pouvoir a été ref-
treint, ajnû que les autres , à la feule formalité ,
avec cette différence , que fur les -conteftations
qui s’élèvent entre particuliers , à l’occafion des
ouvrages ordonnés par le roi , leurs ordonnances
reffortiflent nuement aii confeil. Sa majèfté a bien
voulu encore , pour les confoler en quelque façon
d’avoir été dépouillés de leurs plus grandes prérogatives
, commettre des députés de leur corps |
qui peuvent être regardés comme des fimulacres
PP leur ancienne autorité , tant pour l’impofition
des taules 8c pour l’infpe&ion du domaine royal,
que pour la direction des chèminç.^Leur compagnie
jôiiit aufli, mais à Paris uniquement, de l’attribution
d'adjuger les ouvrages , à.moins qu’il ne
plaife au gouvernement de les adjuger au confeil.
Ainfi, dans la généralité de Paris, il y a lin tréforier
de France , commiflaire du confeil pour la
direélion du pavé de Paris, 8c quatre pour l’inS-
] pe&iôn des ponts & chauffées ; l’établifiement de ces
[ derniers ne tire fa date-que du temps de la ré-
f gence. Le roi s’en rapportoit auparavant à la com^
[ pap.nie j, qui dépuroit elle-même quatre officiers du
j fêmedre pour aller vifiter les travaux. C ’étoit alors
1 une véritable corvée pouf eux , parce que les atte