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lur le motif le plus léger, en revenir de nouveau
aux mains avec elle.
Il eft à propos auffi de changer le commandant,
fi les peuples fe plaignent de la conduite , de peur
que .“a répugnance d’obéir à une perfonne que l’on
hait, ne les porte à commencer de former quelque
réfolution contre le chef, qui pourroit enluite fe
terminer contre le prince , ou pour éviter même
qu’ils ne s’en prennent en droiture au fouverain ,
dans le dépit où ils font de voir que leurs plaintes
contre le commandant n’ont pas été écoutées. J'ai
déjà cité ailleurs fur un femblable fujet les paroles
de Strada.
Le grand foulèvement qui arriva dans la Dalé-
carlie contre Eric I I I , roi de Suède , vint de ce
que ce prince n’avoit pas voulu changer un certain
Jofon, qui en étoit gouverneur, dont les Dalé-
carliens avoient jufte lieu de fe plaindre, & dont
ils demandoient avec inftance le changement.
Les Syracufains fe plaignoient de la manière
dont Marcus Marcellus, leur conquérant, les avoit
traités. Comme c’étoit à lui , nouvellement élu
cônful, d’aller commander en Sicile, le fénat Romain
lui fit preffentir qu’il fouhaiteroit qu’il chan-
gcâtde province avec l ’autre conful Marcus'Vaié-
rîus Lé/inus, qui devoit aller en Italie pour la
guerre contre Annibal ; ce qui fut ainfi exécuté ,
pour ne pas donner occafion aux peuples de Syra-
cufe de fe révolter en leur donnant un commandant
qu’ils avoient en horreur.
Les Sardes , mécontents de leur vice - roi ,
eurent, en 1710 , recours aux armes d’un autre
fouverain ; mais la cour de Vienne ne leur eut
pas plutôt changé ce commandant, qu’ils changèrent
auffi de réfolution, & au lieu de foutenir
les troupes qu’ils avoient demandées , ils s’oppo-
fèrertt en grand nombre au débarquemept que
quatre cents hommes vouloient faire à Terra Nova,
pôur fonder quels étoient les fentiments de ces
peuples.
Avant de changer un commandant dont les
peuples fe plaignent, il faut examiner fila plainte
eft jufte , parce qu’elle pourroit être un effet de
leur malice pour fe débar rafler d’un chef qui, quelquefois
a commencé de pénétrer leurs mauvais
deffeins , qu’ils croyent pouvoir mettre plus facilement
à exécution , auparavant qu’un nouveau
commandant ait eu le temps de connoître le génie
& les intrigues de chacun , ou parce qu’ijs fe
flattent de trouver moins de conduite, de vigilance
& de valeur dans celui qu’ils attendent, que dans ;
celui qu’ils onr. Les“ exemples de Birgëre II , roi
de Suède , & de Cha/les Ier, roi d’Angleterre, en
font une preuve.
Les habitants d’une certaine place d’Efpagnp
réitérèrent fi fouvent leurs plaintes contre dcm
Charles de Saint-Gil , leur gouverneur , qu’ils
réuffirent à le faire rappejler ; mais ces habitants
n’avoient pas dans leurs plaintes d’aurre motif ni j
d’autre fin, que de fe débarraffer de ce général, |
qui, fe défiant d’eux , obiervoit avec foin leurs
pernicieux deffeins, que plufieurs d’entre eux ne
tardèrent pas de faire éclater peu après.
Quand même la plainte portée contre un commandant
ne partireit pas d’un efprit de malice, il
ne faut pas le changer fi elle eft injufte , parce que
la complaifançe ne doit pas être portée jufqu’au
point de pouvoir faire croire que c’eft par crainte
.qu’on agit. Si une fois les peuples fe fimaginoient,
abufant de votre bonté , ils perdroient bientôt le
refpeéi dû à votre juftice , & le réfoudroient à en-
treprebdre ce que, fans cet excès de douceur , ils
n’auroient pas même ofé penfer.
Cela eft encore plus vrai à l’égard de la populace
, qui fe moque de la bride fi on lui fait fentir
le fouet, 8c qui ne connoît point de milieu entre
fe foumettre avec baffeffe ou défobéir avec orgueil,
Piufieurs, ditBonini, adorent Jupiter, parce qu’ils
lui voient la foudre à la main ; ce qu’ils ne feroient
' pas , s’il ne portoit qu’un rameau d olivier. Le
trône de Salomon n’étoit p'as environné de pigeons
ni d’agneaux , mais de lions. Strada nous apprend
a que dans un homme v i l, fon audace augmente à
mefure qu’il connoît qu’on le craint ». Selon Tite-
L iv e , « la populace eft naturellement portée à fer*
vir avec baifeife , ou à dominer avec arrogance ».
« La populace, dit Tacite , fe fait craindre, fi elle
ne craint pas ». Le même auteur rapporte que dans
le difeours que Drufus fit aux légions révoltées, il
leur reprélenta entre autres chofes, qu’il n’étoit pas
homme à recevoir aucune impreifion de crainte,
ni capable par conféquent de céder aux menaces
! des rebelles.
Néhemias , gouverneur de Jérufalem , dit « que
la terreur que les ennemis voulpient luiinfpirer,
polir l’obliger à difeontinuer d’en faire bâtir les
murailles, l’avoit porté à fuivre ce travail avec
plus de zèle ».
Les calviniftes d’Ecoffe ne parurent jamais fi
1 infolents contre leur roi Charles Ier. , que-lorfque
ce prince eut confenti de fupprimer le tribunal .
appellé de la commijjion , ce qui avoit été le motif
des premiers troubles qu’ils avoient excités dans
le royaume. Ce ménagement de Charles 1er. avec
fes ftijets , ne proriuifit pas feulement un mauvais
effet en Ecoffe. Sur eet exemple, les calviniftes
d’Angleterre s’animèrent les uns les autres à la rè-
vo'te en s’entredifant : « puifque les Eçoffoisont
réufii en défobéiffant au roi , les Anglois, qui les
valent bien, peuvent efpérer la même chofe». Le
continuateur de Forefti ajoute que l’audace des révoltés
augmentoit à proportion 'de la condefcen-
dance du roi, qu’ils.regardaient eux-mêmes comme
une. lâcheté.
La, conduite que tint Charles I I , toute oppofée
à celle de fon père , fit un effet bien.différent ; car
les Anglois commençant déjà dans le parlement
d’Oxford à vouloir ufurper quelque jurifdiâion fur
le prince , il leur fit entendre avec des paroles
très vives , qu’à lui feul appartenoit le droit de leur
faire des loix ; ce langage fit tant d’impreffion , que
les parlementaires efirayés , abandonnèrent te def-
fein où ils étoient d’impofer à Charles II le même
joug que Charles I " avoit fubi.
Inconvénient de permettre aux fujets déacheter des
terres conjidcrakles dans les états d'un.autre fouverain.
On n’a pas beaucoup de liberté d’aller vers
quelque endroit, lorfque par une force contraire
on eft attiré vers le côté oppofé; 8c fi cette fécondé
force contraire eft confidérable, qui peut douter
qu’elle ne retienne & ne contraigne d’aller vers
elle ? Il n’eft donc pas à propos de permettre à un
fujet d’acheter, dans les états d’un autre prince ,
des terres qui puiffent occuper fon attention , ou
fuborner fon affeâion, lorfque dans une guerre
entre ces deux fouverains , il croira faire une
moindre perte en prenant le parti de celui dans les
états duquel il a des plus grands biens à conferver.
Céfar Albrige défapprouve fort la coutume où
eft la république de Gènes , de permettre à fes
fujets d’acheter des terres da,ns les états d’un autre
prince. La raifon qu’il en donne eft , que fi cette
république vient à être en guerre avec ce fouverain
, ceux qui auront moins à perdre à Gênes que
dans les états de ce prince , pourront machiner en
fa faveur.
Commines fait la même remarque au fujet d’Im-
bercourt & du chancelier de Bourgogne , envoyés
par leur duchèffe auprès de Louis XI , roi de
France, dont ils favorifèrent les intérêts , parce
q.u’ils avoient des biens confidérahles dans les
états du roi de France.
Le chriftianifme & la politique obligent également
à ne pas permettre que les riches maltraitent
les pauvres , parce que ces derniers pourroient
peut être recourir aux armes pour fe délivrer de
la vexation des premiers , ou pour fe venger de ce
que vous le fouffrez; a-u lieu que vous vous affu-
rez davantage de leur obéiffance , en empêchant
qu’on ne leur faffe in juftice. On lit dans les livres
faer s: « toutes les nations lui obéiront, parce
qu’il délivrera le pauvre du puiffant » ; & dans un
autre endroit : « feigneur, qui eft femblable à vous?
Vous arrachez le foible de la main des plus puif-
fajus, & le malheureux & le pauvre des mains de
ceux qui les; oppriment ».
Les hiftoriens rapportent à la louange de Philippe
II., roi d’Efpagne, que c’eft principalement
fous fon règne que les pauvres furent à couvert
des infultes des riches. A Turin , où je me trouve
aâuellement, j’obferve que par un effet de la fa-
geffe & de l’équité de Vifror Amédée , on y rend
auffi bonne 8c auffi prompte juftice at]i plus
miférable des fujets, comme au premier des fei-
gneurs.
En faifant paroître que vous protégez le peuple,
v°us vous attachez le parti le plus nombreux ,
parce que la nobleile eft toujours en plus petit
nombre que le peuple.
Commazzi nous apprend que l’empereur Domi-*
tien avoit agi dans cette vue. Dans la pénultième
guerre , nous avons vu le peuple de Catalogne,
de Valence & d’Arragon , fe choifir un prince ,
qu’ils affeâionnoient malgré la nobleffe de ce
pays , dont la plus grande partie demeura fidelle
au roi mon maître.
Frenez garde pourtant, que pour vous faire aimer
du peuple 8c pour lui plaire , vous ne vous
attiriez la haine des perfonnes de condition , en
leur donnant mal-à-propos quelque fujet de mécontentement
, ou en leur taifant connoître que
vous leur préférez le peuple.
Suivant Sture , gouverneur 8c proteôeur de la
Suède, où le parti des eccléfiaftiques eft le plus
puiffant,il tâcha toujours de fe les conferver favorables
, en affrétant d’être porté pour eux, fans
méprifer néanmoins les autres états ou ordres du
royaume , ni leur faire d’injuftice qui pût lui attirer
leur inimitié.
Libufa , ducheffe de Bohème , pour avoir trop
favorifé le peuple, mécontenta la nobleffe de fes
états.
De l'extinttion des partis,
S’il y a dans un pays de cruelles divifions, il
faut fe hâter de les appaifer, afin que les fujets de
votre prince ne coniumenr pas contre eux-mêmes
des forces dont vous pouvez avoir befoin contre
les ennemis de la couronne. « L’union , difoit
Micipfa, roi de Numidie, fait croître les plus petites
chofes, 8c la défunion détruit les plus grandes ».
Nous lifons dans S. Mathieu : « tout royaume di-
vifé en lui*même fera défolé , 8c toute ville ou
maifon divifée contre elfe-même ne fubfiftera pas »*
Le parti qui fe trouve le plus foible a coutume
de recourir aux étrangers, qui, fous prétexte de
donner du fecours à un parti, fe rendent maîtres
du pays de touts les deux. S. Thomas a obfervé
que « quand les citoyens combattent les uns
contre les autres, ils ne peuvent pas fe joindre
pour réfifter aux ennemis, 8c qu’il arrive mêmè
quelquefois qu’un parti les appelle à fon fecours ».
Nous penfons, dit Ariftore, « que l’amitié eft le
plus grand bien des villes, parce qu’ainfi elles ne
feront pas agitées par des; fédirions ».
Cette maxime d’éteindre les fadions fe trouve
confirmée par Coinmines , qui dir qu’ordinairement
une guerre civile ou étrangère en eft la fuite. Elle
fut mife en pratique par- Valérien de Luxembourg ,
par le comte deSaint-Pol & par Pierre Trefnel,
évêque de Meaux , gouverneur de Gênes au nom
de Charles-VI, roi de. France. Leur, premier foin
fut d’appaifer les. divifions des familles de Gênes,
où ils confervèrent la tranquillité jnfqu’à ce qu’on
vit renaître dans cette ville les faâions des Gibelins
8c des Guelplies, qui firent perdre Gênes à la
France,