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des loix. Le général eft au légiflateur militaire , ce
que l’ouvrier qui perpétue le mouvement d’une machine
en la remontant, eft au mécanicien qui l’a
inventée.
19, Le génie 6* la puiffance des nations- voifines ,
doivent influer fur les loix militaires. Des voifins
riches , uniquement occupés du commerce ou de
l’agriculture , n’exigent point que le légiflateur
prenne contre eux les mêmes précautions que contre
des voifins militaires par effence , ambitieux ou inquiets
ou remuants par caraâère. Si la France
n’étoit entourée que des Suiffes pauvres, des: Hol-
landois commerçants, ou des petites républiques
d Italie , elle ne devroit point avoir une conftitu-
ti'on militaire femblable à celle qu’elle a donnée à
Ton armée.
2.0. Le climat doit influer fur les loix militaires.
La plupart des loix bonnes, pour I’Iïabitant des pays,
brûlés par un foleil ardent, ne pourroient convenir
à des militaires qui feroient deftinés à vivre au
milieu des glaces du nord. Mais pour les pays tempérés
8c les peuples qui ne font diftants que de
quelques degrés, l’influence du climat furies loix
eft peu confidérable.
a i . Le légiflateur militaire doit avoir égard au
genre de gouvernement de, la nation à laquelle il va
donner des loix. Une république, une monarchie &
un gouvernement delpotique doivent prendre chacun
des moyens différents pour lever & entretenir
une armée ; maïs dès que les armées font fur pied,
elles doivent être régies par les mêmes loix.
a 2. Rien dans l état militaire ne doit être régi par :
la coutume ou par Tuf âge. Il eft bien difficile que les !
légiflateurs militaires prévoient , dès le premier
abord, touts les cas poflïbles ; mais ils peuvent
peu à peu y parvenir. Dès qu’il s’eff établi dans un
corps une coutume ou un ufage analogue à l’efprit
qui dirige l’armée, c’eft à la loi à s’en emparer,
c ’eft à elle à le rendre général. L’uniformité eft en
effet plus effentielle encore parmi les militaires que
flans toutes les autres clafles des citoyens ; elle
réuffir non-feulement à mafquer les irrégularités 8c
à les rendre moins fenfibles , mais elle parvient à
les dénaturer au point qu’elles paroiffent avanta-
geufes. Si les coutumes ou les ufages font vicieux,
il faut les abolir ; une loi expreffe peut feule y
réuffir.
23. Toutes les loix militaires doivent être rajfem-
blées dans un feul code, fans cependant être confondues.
Lorfque les loix ne font pas raffemblées en un
feul corps, il y en a néceffairementqui fe çontre-
difent éntre elles, 8c elles manquent de cette,unité
f effentielle 8c à toutes les chofes importantes.
Dans nos recueils de loix m ilita ir e svous trouverez
fouvent un article relatif aux récompenfes ,
à côté du n article quia l’habillement pour objet ;
une difpofition qui fe rapporte aux marches , à côté
d une autre qui regarde la fubordination ; les devoirs
du capitaine confondus avec ceux du caporal.
Comment la confufion la plus grande ne ngîtroit-
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elle point de ce mélange ? Suppofons au contraire
que chaque partie du code contient tout ce qui eft
relatif à-une clafle des loix , 8c qu’il ne contient que
cela ; luppofons encore que chaque individu puiffe
trouver de fuite ce qu’il doit faire dans touts les
cas poflïbles , alors les obfçurités feront rares 8c
les contradictions-prefque impoflibjes.
24. Les loix militaires doivent être examinées de
temps en temps , afin d'y faire les changements que les
çïreonflanc es rendent nêcejf aires. Un peuple voifin ,
ennemi naturel d’une nation , a-t-il fait dans fon
militaire quelque changement confidérable ? une
puiffance nouvelle s’eft-elleélevée ? une puiffance
foible a-t-elle pris un grand accroiffement ? en un
mot,les rapports de la; nation ne font-ils plus les
memes, il faut qu’une grande partie de fes loix
militaires éprouve des variations'; il faut donc revoir
le code de temps en temps, pour lui faire fu-
bir les changements diétés par les cirçomftamees. Il
faut le revoir encore pour profiter des idées, heu-
reufes que les écrivains ont données, Sc pour faire
difparoître peu à peu les traces d.e l'ancienne barbarie
; on. ne peut nier que la plupart de nos loix
martiales ne portent encore l’empreinte des fiècles
d’ignorance qui les ont vu naître. Les légiflateurs
modernes font fi perfuadés de la néceffiré de faire
de temps en temps, des changements aux lo ix ,
qu’ils ont fait une loi de leur.réyifion.
• 25. Les loix militaires ne doivent point être les
mimes che£ la nation dont tout citoyen efl foldat, <S»
che£ celle dont les défenfettrs s'enrôlent volontairement.
Ce principe eft applicable non aux loix de
police, mais aux loix canftitutives.
26. Les loix militaires ne doivent non-feulement
être bonnes, mais propofêes 4 propos. Les loix tirent*.,
en effet, comme touts les autres objets , une partie
de leur force de la circonftance dans laquelle elles
paroiffent.
Quoique nous ne prétendions pas avoir raffem-
blé ici touts les earadères que les loix militaires
doivent réunir, nous nous croyons cependant fondés
à dire qu’un code diété d’après les principes que
nous avons pofés, rendroit les:gens de guerre heureux
8c utiles, 8c donneroit à notre nation tout le
poids que, pour le bonheur 8c la tranquillité de
l’Europe , elle doit avoir dans la balance politique
de cette partie du monde.
§. I I I .
A qui appartient le pouvoir de domner des loix aux
militaires.
Le droit facré de donner des loix aux guerriers.,,
ce droit, le plus beau fans doute que rhomrae.
puiffe exercer, appartient exclufive.ment à l’autorité
fuprême, au peuple dans la démocratie , au fé-
nat dans l’ariftocratie, 8c au monarque dans touts
les gouvernements où l’autorité abfolup eft confiée
à un feul. Mais Je monarque, le fénat -ou le peuple
doivent
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Iloivent-ïls rédiger eux-mêmes les loix nottVelles
qu’ils veulent lubftituer aux anciennes ? Quelque
éclairé que foit un prince , quelque fagequefoir un
fénat ou un peuple affemblés ,.ii leur eft impoffible
de connoître affez bien touts les petits détails de
l’art militaire , pour preferire avec jufteffe la manière
dont ils doivent être exécutés. Les guerriers
•peuvent feuls préparer dignement les loix que les
guerriers doivent fuivrç. Ce fer oit donc à des guerriers
que devroit être confié le foin de préparer le
<çode des guerriers ? Mais dans quelle claffe de
militaires doit-on choifir les hommes deftinés à
remplir cette tâche importante 8c difficile ? Toutes,
jiifqu’à celle du Ample capitaine , doivent, ce me
femble , être fucceftivement appellées , par députés
, à cette efpèce de congrès. Ces officiersfubal-
ïernes peuvent feuls , en effet, connoître à fonds
8c avoir préfents/les menus détails fur lefquels la
loi doit prononcer. Le code ainfi préparé ne de-
iVroit-il point, avant de.recevoir la fanétion de
l ’autorité fuprême, être mis fous les yeux de l’armée
entière? Ce ne feroit.point pour demander le
confentement des troupes qu’on expoferoit le code
à leurs regards , mais pour connoître leurs opinions.
Les loix militaires , femblables aux loix que les
conquérants diélent, n’ont pas befoin de la participation
de ceux qui doivent leur obéir ; mais comme
elles ne peuvent fe pafl'er d’être bonnes 8c fages ,
car il n’y a que celles-là qui durent 8c qui l'oient
■ obfervées , ne leur procureroit-on pas le moyen
d’arriver à ce haut degré de perfection , en permettant
à l’armée de les méditer avant de leur jurer
une obéiffance abfolne ? O u i, fans doute , le prince
qui dïroit à fes guerriers, comme les décemvirs le
dirent aux Romains : « jettezfies yeux fur les loix
que’ nous avons dreffées, nous n’y avons épargné ni
foin ni attention ; mais un peuple entier êft plus
éclairé qu’un petit nombre d’hommes , ainfi nous
prions chacun de vous en particulier d’examiner
ces loix. Faites-en le fujer de vos converfations ;
voy e z ce qu’il faudroit y ajouter ou en fupprimer ;
foyez vous-mêmes les ceiifeurs des loix qui doivent
fervir de fondement à votre bonheur ». Le prince
qui. tiendroit à fes guerriers ce langage noble, an-
roit bientôt un code militaire aufli parfait que l’é-
toient les loix des .douze tables pour le fiècle où
elles furent-rédigées , 8c fa condefcendance , loin
d ’aviÜr l’autorité fuprême, la rendroit'plus refpec-'
table 8c plus facrée.Un fouverain qui délibère avec
fes fiijets , qui veut entendre de leur bouche ce
qui peut le mieux convenir à leurs befoin s 8c. à
l’honneur de l’état , montre qu’il aime 8c qu’il
cherche la- vérité, £c il la trouve ; il prouve qit’il
fouhaite & qu’ il mérite l’amour de fes peuples , 8c
il l’obtient.
Après que des militaires nommés par l’autorité
Yuprême auroient donc préparé le code des guerriers
, on pourroit le faire imprimer fous le titre d’«V
preuve de là légiflatio/imilitaire , 8i ce feroit là les
tables de chêne.; on pourroit enfuite adreffer un
Art inilitaire, Tojne 111.
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exemplaire de cette épreuve à chaque officier général
, à chaque officier fupérieur, 8c à chaque compagnie
d’infanterie, de cavalerie , 8cc. ; joindre a
cet envoi une lettre par laquelle le fouverain per-
mettroir, ordonneroit même à touts les officiers de
fon armée d’adreffer à un conieil nommé pour cet
objet, les obfervations 8c les réflexions qu ils croi-
roient pouvoir être utiles à la perfection du code 8c
au bien de fon fervice. On pourroit enfin fixer a
trois mois le temps pendant lequel chaque fujet
pourroit jouir de la noble 8c heureufe liberté de
porter aux pieds du trône 8c de préfenter à fou
maître fes Idées fur la perfection des loix militaires.
Ce terme de rigueur arrivé , le confeil
nommé par le fouverain , après avoir raffembie
fous chaque article les diverfes obfervations qu on
lui auroit:adre.ffées , après avoir détruit les objections
8c fait, difparoître les contradictions , redige-
roit de nouveau le code militaire , 8c ce feroit-là les
colonnes d’airain. Oui, touts les gens de guerre
obéiroient avec un zèle extrême.à des loix necei-
fairement excellentes, 8c à la perfeélion defquelles
ils auroient contribué. Touts feroient pénétrés des
fentiments de la reconnoiffance la plus vive 8c de
l’amour le plus tendre pour un maître qui, pouvant
impofer des loix difiées par fa volonté feule >
daigneroit, à l’exemple de plusieurs empereurs Romains,
à celui de Charle-le-Sage 8c de HenrLle-
Grand, écouter, confulter meme ceux pour qui
elles feroient deftinées. Touts les militaires , enflammés
du plus noble enthoufiafme , ne croiroienc
jamais, avoir porté pendant la- guerre la valeur affez
loin , 8c ils craindraient toujours, pendant la paix ,
de ne pas répondreN^i^nement par leur conduite ,
à des preuves fi peu équivoques de la bonté de leur
monarque. Quant .au miniftre de la guerre qui
auroit confeille a fon maître de faire fubir cette.
épreuve aux loix militaires, j’ofe affurer qu’il fe
concilieroit par cela feul, l ’amour de touts les
guerriers , l’eftime durable de la nation , 8c les
louanges de la jufte poftérité.
§. I V .
De la fanÜion des loix militaires.
Me fuis-je fait illufion , en penfant qu’unearméd
pénétrée des fentiments nobles 8c purs qui doivent
régner dans Taine des -gensde. guerre, fuivroit avec
confiance desdeix dépourvues de fanflion? Non, je
n’ai point été égaré parri’îdée que je me fuis faite du
pouvoir de l’amour de-la patrie , de la force du fen-
timent, de- l'honneur 8c de la puiffance que la religion
ont fur les hommes. S’il étoit poflïble à un
légiflateur militaire de placer dans lame des guerriers
ces trois reffo.rts puiffants , 8c de leur donner
toute l’éneraie dont ils font fufceptibl.es, il pourroit
fe di-fpenfer de-recourir auxipeines 8c de faire briller
des lécompepfes ; l’amour de la patrie donne
en effet le courage le pl-us noble 8c le plus conf