
ligences dans votre pays, fans favoîr prêcifément
fi c’eft avec quelques officiers des garnifons , cherchez
quelque prétexte pour changer ces garnifons;
gardez-vous néanmoins de faire paroître aucune défiance
à l’égard dés troupes. Je dis la même chofe
des gouverneurs & de leurs fubalternes ; fuppofé
qu’ils ne foienr pas reconnus pour être d’une fidélité
à toute épreuve ; car les ennemis ou les peuples
qui méditent un foulèvement, pourroient peut-être
fonder toute la réuffite de leur projet fur quelqu’un
de ces officiers : ainfi, en envoyant cet officier
dans un autre endroit, toute la machine eft ren-
verfée , comme je l’ai fait voir en diffêrens endroits
de mon traité des furprifes;
Le roi d’Efpagne, mon maître, ayant appris que
les ennemis, dans la dernière guerre, avoient des
intelligences dans une certaine place d’Efpagne ,
changea touts les régimens & les officiers fans faire
paroître aucun foupçon, ce qui fit échouer le projet
des ennemis , qui immédiatement apres retirèrent
un gros corps de troupes , o ù , félon toutes le apparences
, ils ne l’avoient pofté que pour être plus
à portée de faire le coup qu’ils méditoient.
Sigifmond, roi de Suède, foupçonnant que
Charles, fon oncle, duc de Sudermanie, mèna-
geoit une négociation dans les places de Finlande,
en changea touts les gouverneurs ; & dès, lors le
duc ne put plus rien entreprendre dans cette province.
S’il y a dans les prifons d’un pays fufpect un
nombre confidérable de prifonniers, quand même
ils ne feroient pas arrêtés pour crimes d’état, vous
les ferez traduire dans les places les mieux garnies ,
ou dans une autre province , pour y être gardés en
fureté , de peur qu’ils ne fe joignent aux rebelles ,
dont le premier foin eft ordinairement de mettre en
liberté les criminels qui, pour éviter la corde, les
galères & le châtiment qu’ils méritent, ou une
plus longue prifon , fuivent volontiers le parti des
révoltés. §
En 1647 , les rebelles de Naples commencèrent
par ouvrir les prifons, & armèrent les prifonniers
qui ne leur furent pas d’un petit fecours pour achever
de faire foulever le peuple, fur-tout un bandit,
nommé Perrona, fameux par fes crimes.
La première chofe que Pélopidas & fes camarades
firent, après avoir tué fecrètemenr Arehias
& les autres tyrans de Thèbes, fut d’aller aux prifons
avec un homme qu’ils menoient garroté ; ils
dirent au concierge de conftituer prifonnier celui
qu’ils lui remetteient comme criminel. Le concierge
ouvrit la porte , & ils le maffacrèrent. Ayant mis
e&fuite en liberté touts les prifonniers , ils les armèrent
, & s’en fervirent pour leur aider à achever
de fe-rendre maîtres delà place & de la fortereffe
de Cadmée.
On trouvera dans les efclaves plus d amour pour
Ja liberté que dans les prifonniers ; on y en trouvera
même prefqu’autant que dans les criminels.
' y a peu de temps que les efclaves de Maltbe
voulurent exciter un foulèvement dans la place;
ainfi quand ils font en grand nombre, comme il
arrive dans les provinces, voifines des infidelles, il
faut les éloigner quand on peut appréhender qu’ils
ne s’unifient aux autres de leur nation , pour tenter
quelque furprife. Je dis~la même choie , lorfqu’on
a quelque foupçon fur la fidélité de cette province,
dont les citoyens mécontents pourroient aifément
mettre les efclaves dans leur parti, toutes 1er, fois
qu’ils leur offriroient la liberté. Si vous m’objeflez
qu’il y aura de l’injnftice à priver les particuliers
de leurs efclaves : je réponds qu’on peut les obliger
de: les vendre dans une autre province moins
proche de la frontière. Mais , c’eft afiVz m’arrêter
fur cette matière ; voyons ce qu’il eft à propos de
faire depuis qu’une révolte déclarée a commencé,
jufqu’à ce qu’il faille pardonner aux rebelles pour
rendre la tranquillité aux peuples.
Des mefures à prendre aujjîtôt que quelque partie d'une
province fe révolte.
Lorfque vous voyez que les citoyens d’un lieu fe
révoltent, défiez-vous des habitants des lieux voi-
fins , ou de la même province ; fur - tout de ceux
qu une même raifon peut faire agir , parce que les
premiers ne fe feroient pas expofés au châtiment
d’un pareil crime, s’ils nes'étoient flattés de l’efpé-
rance d’être appuyés & foutenus.
Diodore Athénien , parlant des Mytileniens,
difoit qu’aucune ville ne fe révoltait fans être af-
furée de l’afliftance des autres , lorfque par elle-
même elle n’avoit pas feule allez de force pour fe
défendre.
Cela fuppofé, pour éviter que les féditieux ne fe
publient joindre facilement, & fe fecourir les uns
les autres, à la première nouvelle certaine que
vous aurez de la révolte, faites marcher un corps
confidérable de troupes , pour venir en diligence
s’emparer des villes & des poftes les plus importants
de la province. Ne faites néanmoins paroître
de la défiance que contre les peuples déjà foulevés,
fur lefquels il faut tomber & les attaquer avant que
leur nombre augmente davantage , parce qu’il en
eft fouvent des féditions comme- de certaines rivières
qu’à . leur fource on peut franchir & traverser
en fautant , & que peu après on ne fauroit
même pafler à gué fans un grand rifque. « On arrête
aifément, dit Cicéron , un mal naifiant, mais
il prend de nouvelle force à mefure qu’on le lai(Te
invétérer ».
Les habitants de Vannes fe révoltèrent contre
Céfar qui, ne doutant point que cette révolte ne
fut fuivie de celle du refte du pays , ÿ répandit fes
troupes, pour empêcher que quelques autres re^
belles ne s’unifient à ceux - là. Par - là il évita que
le mal ne fe communiquât aux provinces plus
éloignées , ayant que fes troupes eufifent le temps
d’y arriver, pour les contenir dans l’obéifiance.
Dès que Spitagniç I I , duc X X I I , & dernier de
Bohème, fut que les Moraves éroient méconténts
de fon gouvernement, fans leur donner le temps
de prendre des mefures pour une révolte , il fondit
fur eux tout d'un coup avec un corps de troupes.
Ayant exécuté ce que je viens de dire , châtiez
promptement les féditieux qui feront tombés entre
vos mains ,. & faites publier un pardon pour les
autres, qui , dans un certain nombre de jours, retourneront
en leurs maifons : je traiterai plus bas
ces deux points fort amplement.
Faites démolir les poftes dont j’ai parlé précédemment
, fuppofé que vous ayez différé de le
faire, parce que vous n’avez pas cru avoir un prétexte
fuffifant pour pouvoir perfuader qu’on ,nii-
noit ces poftes , par la crainte que les ennemis ne
s’en emparraffent un jour. S’il n’eft plus temps de
diffimuler, faififfez- vous en un même jour, & à
la même heure , de ceux des habitants , qui dans le
pays peuvent être plus dangereux par leur efprit
turbulent, &. par le crédit qu’ils ont fur l’efprit des
autres. Envoyez - les dans une place où ils vous
fervent comme d’otages, Sc où , fans les traiter
avec rigueur, ils foient bien gardés. Faites leur
dire que leur vie dépenjj de la tranquillité de leur
pays, parce que vous favez qq’ils ont été les auteurs
de la révolte ; mais que fi pour réparer leur
faute, par leurs lettres à leurs parents & à leurs
amis, ilsappaifent le trouble & ramènent la tranquillité
, vous changerez en récompenfe le châtiment
qui leurétoit deftiné.
On voit dans les commentaires de Cæfar que ce
prince faifoit démolir touts les poftes qu’il ne pouvoir
bien garnir, lorfqu’il n’étoit pas afîùré de la
fidélité du pays.
Le même Cæfar, qui ne fe fia jamais aux Anglois,
prit d’eux des otages,&Spitiginie II, roi de Bohême,
ne s’aflùra des Moraves qu’en retenant auprès de
lui trois cents des principaux d’entre eux pour lui
répondre de la tranquillité de la Moravie.
Des combats contre les rebelles.
Comme je dirai dans peu de quelle importance
il eft de faire prifonnier le chef des rebelles, & de
quelle autre manière on peut réuftir à leur ôter
celui qui s’eft mis à leur tête ; pour ne pas tomber
dans une ennuyeufe répétition je me contenterai de
rapporter ici l’exemple fuivant.
Vincellin, général des troupes de S. Etienne,
roi de Hongrie, contre l’armée des rebelles, commandée
par Gupa , connoifîant parfaitement qu’un
corps de révoltés de fauroit fubfifter dès qu’il n’a
plus de chefs, marcha droit dans une bataille
contre la perfonne de Cupa ; il le tua, & par cette
m0rt il aflùrala vi&oireaux royaliftes , & mit fin à
touts les troubles.
Dans un combat contre des rebelles il faut avoir
en vue de les-défaire pour les réduire fans vouloir
les vaincre pour les exterminer ; car , s’ils font aujourd’hui
des ennemis dangereux, ils feront peutêtre
demain des fujets fidelles. Cette feule confi-
dération devroit faire pleurer leur perte fi on avoir
pouffé le carnage au - delà de ce qui eft néceffaire
pourVaffurer la viéloire ; c’eft la penfée de Strada.
Joab, avec les troupes de David , fon ro i, ayant
défait les-rebelles qui fuivoienr le parti d’Abfalon,
ne voulut pas poufter plus loin fa viûoire ; & pour
éviter un plus grand maffacre , i l empêcha le peuple
de pourfuivre Ifraël mis en fuite.
Les Tlafcaltèques refusèrent opiniâtrement le
pafiage aux troupes de Cortez qui, par leux pays-,
vouloir s’approcher du Mexique. Cortez, qui avoir
en vue de fe fervir un jour des armes des TlafcaU
tèques contre l’empereur Motézuma, leur capital
ennemi, & qui, par conféquent, les regardoït déjà
comme des peuples qu’il foumettoit à l’EJpagne,
n’ufa que modérément de fa vfdoire, après les
avoir défaits dans une bataille,, parce,,que , dit So,*;
lis , fon deffein étoit de les réduire,, & non pas de
les exterminer.
Vous m’oppoferez peut-être que quand touts les
moyens, dont on a parlé jufqu’ic i, on été employés
inutilement, c’éft un excès, de patience de île pas
profiter entièrement de la viélofré , & une èfpérance
mal fondée de s’attendre à un amendement.
Je réponds ,que fouvent Sexemplç. peut beaucoup
plus que la raifon., fur-tout à l ’égard de cés hommes
groffiers & ruftiques qui fe montfe;nt înfenfibfes
aux dangers jufqu’à ce qu’ils.éprouvent la peine ;
du moins , rièn^ne fervira mieux à juftifier la rigueur
, dont on fera obligé de fe fervir dans la
fuite , que touts ces moyens de douceur qu’on aura
mis vainement en ufage. L’écriture fainte , parlant
de la coaduite'de Dieu à l’égard de fon peuple,
qui avoit méprifé fes divins commandements,nous
fournit divers exemples de cette.bonté? pour faire
rentrer ce peuple en lui- même, &Iui donner lieu
de faire pénitence.
Si les rebelles, en abufant de votre clémence,
vous obligent d’en venir à un combat ; ou fi dans
le premier vous jugez par leur grand nombre &
leur obftination qu’on ne fauroit les faire craindre
fans les affaiblir, il eft néceffaire alors d’ufer de
plus de rigueur dans la viéloire, afin d’éviter un
plus grand malheur dans un péril plus prochain.
Céfar n’oublia rien en Catalogne pour obliger
l’armée d’Afranius & de Pétreius à fe rendre fans
en venir à un combat fanglant, où le vainqueur &
le vaincu auroient eu à pleurer la perte des Romains;
mais lorfqu’en Thefîalie Cæfar s’y vit forcé,
il ne balança point de combattre contre Pompée ,
& de pourfuivre fa viâoire avec beaucoup d’aâi-
vité. .
Lorfque chaque troupe de rebelles veut demeurer
auprès du lieu qu’ils habitent, parce qu’ils n’ont
ni argent ni magafins pour vivre plufieurs jours fans
le fecours de leurs terres , rarement alors ils s’af-
femblent pour former un gros corps ; au contraire,
ils fe divifent en diverfes bandes , parce qu’ils
«mbraffent plus de pays, ils fubfiftent avec plus