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équipages les charrettes du train de l'artillerie, ni
celles fur lefquelles font les canons & les autres
bagages du roi ; en quoi il ne fera pas aifé de
réurtîr.
On fait toujours marcher avec les troupes quelques
légers canons montés fur les affûts ; & s’il y a
quelque apparence d’en venir à un combat fur la
m a r c h e , on fait conduire toute l’artillerie. Vous
verrez dans mes calculs militaires, que je porte une
brigade d’artillerie entre deux corps de troupes de
la première ligne. Par-là ft l’armée a l’avantage de
rencontrer plufietirs chemins à une dirtance convenable
les uns des autres, au lieu de marcher par le
flanc en trois colonnes , ou de front fur trois
lignes , elle marche en autant de divilions qu’elle a
de brigades, afin d’arriver plutôt pour paffer une
rivière , fecourir un porte , ou pour occuper un
camp avantageux.
A la tête de chaque brigade des troupes les plus-
prôches des ennemis , on fait marcher la brigade
d’artillerie qui lui correfpond ; & fi le chemin que
quelqu’une des troupes tient ne le permet pas , la
brigade d’artillerie s’incorporera avec l’autre, qui
eft plus proche , afin de pouvoir prendre fon premier
porte, lorfqu’un meilleur chemin le lui permettra.
Si l’armée m a rche de front en bataille'lorfque les
ennemis font vers l’avant-garde & proche , les
brigades d’artillerie iront dans les intervalles de
celles des troupes.de la première ligne; & quand
l ’armée marche en bataille , les ennemis à l’arrière-
garde , ces brigades d’artillerie fe placeront dans
les intervalles de celles des troupes de la ligne 1 a
plus proche des ennemis, foit que la fécondé air
confervé fon rang , ou que la première ait occupé
ce porte d’honneur.
Si les lignes entières m a rchent par le flanc , afin
par-là de faire face aux ennemis qui font à leurs
ailes , les brigades d’artillerie vont dans les intervalles
des brigades de troupes de la ligne la plus
yoifine des ennemis , fans obferver fi cette ligne
eft la première ou la feConde.
Je dis enfin que la réglé propofée pour les
troupes doit fer vif pour -l’artillerie , c’eft-à-dire^
quelle doit marcher dans le porte ou vous croiriez :
pouvoir vous en fervir pour le combat ; car autre* i
ment il fe perd du temps , & l’on fe jette dans
l’embarras & la confufion , parce qu’en faifant paffer
l’artillerie d’un endroit à l’autre , on coupe le
chemin à quelque corps de troupes, ou l’on rencontre
des difficultés qui ne fe feroient peut-être
pas trouvées dans le droit chemin.
Si vous vous mettez en marche dans le deffein où
dans la crainte d’en venir à un combat, vous devez
vous munir pour deux jours de pain & d’avoine
, que vous ferez porter fur des mulets qui
fuivront par-tout votre armée vaincue o» viéto-
rieufe, fans être obligé de vous écarter du chemin
par lequel vous pourfuiyez les ennemis, ou par
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lequel vous faites retraite pour y trouver l'un 8 2
l’autre. -
Des marches de nuit,
' Comme il n’eft pas poffible que vos partis avances
puiffent la nuit reconnoître s’il n’y a point
d embufeades fur les ailes quand on eft dans lin
pays de montagnes , vous ne devez marcher que
de jour, à moins d’une preffante néceffité. A c,ette
première raifon on peut ajouter que celui qui eft
attaqué par des ennemis qu’il ne voit pas, s’imagine
toujours qu’ils font iupérieurs en nombre ,
comme je le prouve dans mon tr a ité d e s J u r p r ife s ,
par l’exemple de Fernand Cortès.
Tite-Live rapporte queleconful Lucius-Corne-
lius Merula , évita de tomber dans une dangereufe
embufeade qui lui avoit été dreffée par les Gaulois
, par là coutume où il étoit de ne pas s’expofer
a être attaqué de nuit pendant fa m a r c h e , qu’il ne-
commençoit jamais qu’avec le jour. La clarté lui
fit découvrir l’embufeade des Gaulois , qui furent
battus, s’étant perfuadés que l’armée Romaine
donneroitinconfidérément de nuit dans leur em-
bufeade.
Ce péril augmente , quand même les ennemis
feroient beaucoup inférieurs , lorfque vous marchez
par un pays que vous ne connoiffez pas auffi
bien qu’eux. Il ne fuffir pas dans une aéïion que
les guides connoiftent le terrein , parce qu’ils ne
peuvent pas fe trouver par-tout, ni difeerner quels
font les portes qu’il conviendroit à vos troupes
d’occuper ; d’ailleurs fi vous êtes battu , les guides
s’échapperont, quelque foin qu’on prenne pour les
garder , ou ils s’étourdiront de telle forte, qu’ils
ne vous rendront plus raifon de la moindre chofe
que vous leur demanderez ; 8c dans cet embarras
vous ne faurez par où faire yotre retraite. Si au
contraire vous battez les ennemis, vous ne pourrez
pas, fur le feul avis des guides, pourfuivre les
vaincus avec la même fureté que s’il étoit jour, &
que fi le terrein vous étoit connu.
Salufte donnant la raifon pour laquelle Jugurtha
& Bocchus avoient attaqué Marius de nuit , dit
« qu’ils avoient compris que s’ils étoient vaincus ,
la nuit leur ferviroit à s’échapper, 8c qu’elle ne
leur feroit aucun obftacle s’ils étoient victorieux ,
parce qu’ils connoiffoient le pays »;
Une des raifons qui porta Cæfar à refufer d’en
venir à un combat ayec les. Egyptiens, fut,. ainfi
qu’il le dit lui-même, « parce que la nuit appro-
choit , & que les Egyptiens connoiffoient trop
bien, un terrein qui lui étoit inconnu ».
Si vous marchez de nuit dans un pays où vous
avez à craindre de la part des ennemis , recommandez
à vos guides qu'avant d’arriver à un défilé, à
un bois ou à un ravin, ils vous en avertiffent, pour
ne pas vous y. engager fans l’avoir fait reconnoître
autant que l’obfcurité de la nuit le peut per*
mettre, & fans avoir bien réuni vos troupes.
Dans ces ijiar çhe s vous avertirez lés comman*
dants
MAR
8atlts deiî brïgadei, qui avertiront aufli lelirs corps
que les ennemis peuvent les attaquer cette nuit ;
qu’ils doivent par conféquent tenir leurs armes
chargées & amorcées , 8c d’être fur leurs gardes ,
pour ne pas fe laiffer furprendre , « parce qu’on
peut éviter une partie des traits que l’on prévoit ».
Mais comme je ne faureis donner les raifons de ce
fentiment d’une manière aufli élégante que Solis le
fait en parlant d’une retraite de Cortès , je rapporterai
des termes qui fervent extrêmement à mon
fujet : u il exagéra à fes foldats , dit-il, dans cette
occafion, la difficulté 8c les périls de l’entréprife ,
parce que le bruit qui s’étoit répandu que les Mexicains
ne combattoient pas de nuit, avoit fait trop'
d’impreflion , & il étoit néceffaire d’infpirer la
défiance pour éloigner la fécurité, cette ennemie
fîatteufe dans les adions militaires , qui portent les
efprits à la nonchalance pour lès jettér dans le
trouble ; au lieu qu’une crainte accompagnée de
prudence fait qu’on fe précautionne ordinairement
contre une honteufe frayeur ».
En marchant de nuit par un pays où il y a des
bois, il ne feroit pas quelquefois inutile que vos
partis avancés menaffent avec eux quelques chiens ,
qui s’écartent ordinairement de côté & d’autre du
chemin , & qui aboyent dès qu’ils fentent de loin
la moindre.perfonne ; alors ces partis s’approche-
roient pour reconnoître s’il n’y a- point quelque
embufeade dans cet endroit;.
Le roi d’Efpagne , Philippe IV , dans la place de
Porto-Héricole, dans fon château de Mont-Philippe
& dans le fort de l’Etoile, faifoit donner du pain
de munition à quelques chiens qui, toute la nuit,
rodoient autour de ces portés, 8c fervoient autant
que les fentinelles & les meilleures patrouilles ;
parce qu’au plus petit bruit des partis ennemis qui
fprtoient d’Orfei telle & du fort Saint-Etienne , ces
chiens aboyoient avec tant de force , qu’ils te-
noient la garnifon alerte ; 8c fi les détachements cfe
cette garnifon alloient en partis /les chiens alloient
devant, & découvroient toutes les embufeades des
ennemis ou indiquoient le chemin que les mêmes
ennemis prenoient lorfqu’ils fe retiroient après
avoir été battus.
. On mit dans Acrocorinthe quatre cents foldats
& cinquante chiens de garnifon. Il paroîtque dom
François Pinel 8c dom Etienne Pellet, ces généraux
fi habiles , avoient eu connoiffance de ce trait
d’antiquité , puifqu’ils fe fer virent de ce même
ffioyen lorfqu’ils étoient commandans dans les
places de Tofcane, pour fuppléer par-là aux patrouilles
dans les petites garnifons des places.
Toutes les fois que dans les marches de nuit vous
trouverez deux chemins , laiffez à cet endroit u.n
officier jufqu’à ce que toutes les troupes ayent
parte , afin qu’elles ne prennent pas l’un pour
l’autre, parce qu’il eft difficile que chaque régiment
ait fon guide, & quand même ils l’auroient, ne
peut-il pas arriver aifément qu’une partie de l’ar-
fîère-garde d’un corps»fe divife , & qu’elle fe perde
/ é r i m ilita ir e , T om e I J l ,
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où les deux chemins fe féparent, fur-tout s’il y a
! entre les deux des arbres qui privent de cette petite
lueur dont la nuit favorife ; car le bruit des
i foldats qui vont par un chemin peut quelquefois
; faire prendre l’autre aux troupes qui fuivent &
qui ne s’appercevront de leur erreur quelorfqu’in-
fenfiblement elles fe feront éloignées davantage
de la pointe ou de l’angle qui a fait la réparation.
I des deux chemins ; aufli nous voyons chaque jour
! que non-feulement des régiments & des brigades
-perdent le chemin , mais encore des colonnes en-
I rières.
j I I faut donc dans ces fortes de marche , fur-tout
s’il y a des défilés, que l’avant-garde aille fort reniement
, ou que, en entrant dans la plaine-, elle attende
que l’arrière-garde joigne. Dans ce dernier
cas, l’avant-garde doit laiffer à l’arrière-garde le
terrein qui lui eft néceffaire pour fortir du défilé,
& delà jufqu’au porte où l’avant-garde fait halte ;
on laiffera de dirtance en diftance des foldats avec
des mèches allumées ou des tambours qui , de
temps en temps , donneront deux ou trois coups
de baguette far la caiffe , afin que les troupes q_uf
font reftées derrière en défilant, fâchent par où
elles doivent joindre.
Lorfque les Grecs marchoient de nuit, connoif-
fant le danger qu’il y avoit que quelques troupes
de l’arrière-garde ne s'égaraient, ils mettoient à
l’avant-garde celles qui avoient une armure pe-
fante, afin que ce poids les obligeât à marcher lentement.
' t *
Quoique les ma rch es accélérées fe faffent de
jour, s’il y a des défilés & qu’il foit important que
votre avant-garde ne s’arrête pas , il faut prévenir
chaque colonel qu’il ait foin de laiffer un officier
dans l’endroit où l’on commence à perdre de vue
le régiment qui doit fuivrele fien. Outre cela , il y
aura un guide à chaque brigade , & le commandant
de cette brigade faura l’endroit où il doit fe
rendre; parce que ces officiers dont on vient de
parler peuvent être faits prifonniers , ou être mis
en fuite par quelque parti ennemi.
Le capitaine des grenadiers ou le commandant
qui marche à la tête de chaque corps , le lieutenant
colonel qui eft a l’arrière-garde , les capitaines
les enfeignes qui font à la tête de leurs compagnies
, & les lieutenants à la queue, les fergenrs
& caporaux qui m a r c h e n t côté, ne doivent pas permettre
qu’aucun foldat fe détache de la marche ou
forte de fon rang, excepté pour certaine néceffité
naturelle, 8c alors le fergent l’attend pour lui faire
joindre la compagnie.
' Si ce foldat s’arrête , parce qu’il ne peut plus
marcher de laffitude, on lui laiffe un caporal de
confiance, qui attend que l’officier commandant
d’un parti d’infanterie & de cavalerie qu’il y aura
à l’arrière-garde de toute l’armée, arrive avec un
guide pour le conduire au camp deftiné, Ce parti
aura ordre de fuivre au pas lés eftropiés & de re-
[ connoître les côtés du chemin pour ramaffer touts