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M . de Puyfegur ( Art de la guerre , t . l , ch. S ) »
commence par blâmer, & avec grande raifon , la
manière dont on dii'pofoit les piquiers dans les
guerres de Louis XfV. 11 obferve que fi, au lieu
de les placer comme on faifoit alors, au centre du
front des bataillons , on eut voulu en faire un ufage
plus utile contre la cavalerie, il auroit fallu les placer
au centre de la hauteur qu’ il fuppofe à cinq.
« De cette manière, continue le maréchal, quand
la cavalerie ennemie approche, les rangs & les files
fe (errent bien & préfentent les armes. L* pique qui
a quatorze pieds de long, paffe de plus de fept
pieds le premier rang des moufquetaires ; les deux
premiers rangs mêlés d’officiers fe tiennent de bout,
ou mettent genou à terre pour faire feu , fi on leur
ordonne ; & comme ils font couverts par les
piques, ils tirent avec plus d’affurance ; 8c les piquiers
, couverts par les deux premiers rangs , préfentent
leurs piques avec bien plus de fermeté >r.
Cet auteur ajoute, en rappellant le temps où les
bataillons fe mettoient en’ bataille à dix ou douze
de hauteur, que fi alors les premiers rangs avoient
été mêlés de piques & de moufquets, il eut ete dif
ficile à la cavalerie de les forcer. On ne voit rien
jufqu’ici dans ce que dit M. de Puyfegur, qui ne
prouve l’utilité des piques contre la cavalerie ; car
qu’elles euffent été mal difpofées pendant longtemps
, ce n’étoit aflùrément pas une raifon de les
fupprimer ; d’autant que nous devions favoir ,
puifque nous avions de l’infanterie a la bataille de
Saint-Gothard en 1664 .comment on pouvoir s’en
fervir utilement. ( Voyez fes Mémoires, liv. III ,
chap. 4 . Réglement pour la bataille de Saint-Gothard
« Les piquiers à quatre de hauteur avec deux rangs
de moufquetaires devant eux , dit Montecuculli,
formeront ce bataillon à fix de hauteur , & tout le
refte de front. Le fuccès de la bataille, dit plus loin
le même auteur, fit toucher au doigt combien on
avoit eu de raifon de couvrir les piquiers de moufquetaires
, & les moufquetaires de piquiers ».
» Quoique cette manière de placer les piques au
centre de la hauteur , reprend le maréchal de Puyfé-
cu r , & non pas au centre du front, eût été plus
utile contre la cavalerie , néanmoins les occafions
d e s’en fervir font fi rares , en comparaifon de
'celles où elles font non-feulement inutiles , mais
embarraffantes, comme dans tout ce qui eft pays
coupé de haies , de foffés, & c ., pays de montagnes
où touts les piquiers font inutiles & difficiles à
mettre en ordre, que ce n’eft pas fans raifon que
î’ufage en a été profcrit ». Nous fommes convenus
ci-devant, en parlant des defauts de la pique , de
ceux que le maréchal lui reproche ; mais^ ils nous
ont toujours paru infuffifants pour devoir exiger
la fuppreffion de cette arme; puifqu’i ly avoit plu-
fieurs moyens , finon de la rendre utile ^par-tout,
au moins de la conferver fans qu’il en put rêfulter
rien de nuifible, comme on le verra dans cet ar-
tiçle, & peut-être même de la fuppléer par quelque
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nouvelle invention , telle que celle du Fusiw
PIQUE. Voye£ cet article dans ce fupplément.
M. de Puyfegur prétend que dans la guerre de
170 1 , où il n’y avoit plus de piques , du moins depuis
1704, cela n’avoit rien ôté de la force des bai
taillons , & que s’il y en a eu qui ayent été renver-
fés par de la cavalerie, ils l’auroient été de même
du temps des piques. Il eft aifé de s’appercevoir
que le maréchal fe trouve ici évidemment en cou«
tradition avec lui-même fur l’utilité des piques
contre la cavalerie. Il ne faut , pour s’en convaincre
, que fe rappeller ce que nous avons rapporté
de lui ci-devant à ce fujet ; à moins cependant,
qu’en difant que les bataillons qui ont été
renverfés par de la cavalerie , ne l’euffent pas
moins été du temps des piques, il n’ait entendu du
temps des piques mal placées. La guerre de 1701 ,
dans laquelle cet auteur avoit été employé, &
qu’il cite pour appuyer fon fentiment, n’eft point
une autorité qui lui l’oit favorable ; du moins Fo-
lard & Bottée, qui touts deux avoient auffi fervi
dans cette guerre , penfent bien différemment.
a Les .experts dans l’infanterie , dit le premier ;
( Traité de la colon. chap.-12 ) , s’étonnent, avec
raifon, qu’on ait détruit l’ufage de la pique. Il eft
bien plus furprenant , ajoute-t-il, qu’on n’y fait
pas revenu , par l’expérience de notre dernière
guerre de 170 1 , & par ce qu’on auroit dû recon-
noître de foible dans la manière de combattre de
nos voifins , & de ce qu’il y a de fort & de redoutable
dans la nation Françoife. A la bataille de
Rocroi, dit le fécond ( Etudes militaires , tome I I ,
page 50 6), le bataillon oétogone du régiment de
Picardie n'auroit pu fe maintenir fans les piques , &
fans les piques , il n’auroit pas fallu du canon pour
achever la défaite de l’infanterie Efpagnole ; mais
peut-être ne s’eft-il pas donné une feule bataille de
la dernière guerre ( 1701 ) où l’on n’ait eu lieu de
regretter les piques, fur-tout du côte des vaincus »y
Quiconque lira avec attention ce qui s eft paffé a
la fécondé bataille d’Hocftet, à Ramillies , à T u rin,
& c . , ne pourra douter de l’impartialité du
rapport de ces deux auteurs.
« Ce n’eft pas la pique feule , dit M. de Puyfé-
gur ( Art de la guerre, ibid. ) , qui empêche la cava*
lerie d’enfoncer de l’infantetie , mais bien 1 ordre
de bataille qu’elle tient ». Pourquoi donc, répondrons
nous à cela, a-t-on fi fouvent vu des corps
d’infanterie renverfés par de la cavalerie ? S il y a
quelques exemples du contraire, ils font en très
petit nombre. Nous en avons nous-memes rapporté
plufieurs à l’article Mousqueterie ; mais
encore, peut-être que bien examinés, ils ne prou-
veroient pas grand chofe fur la refiftance que peut
faire l’infanterie fans piques contre la cavalerie; car
il eft aftez vraifemblable que les corps qui firent la
retraite à Hochftet & à Villaviciofa, euffent ère
totalement détruits fans la nuit qui les fauva. La
colonne des Anglois à Fontenoy finit par être taillée
en pièces par la cavalerie 9 à la véÿté à 1 aide
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a , l’ infanterie & du canon. Et à Sanderhaufen le
régimemBoyal-Bavière .quelque brave & ferme
m,'il foit. eût été infailliblement enfoncé, fl la cavalerie
l ’i vin. deflus eût en pins de nerf ,& qu'elle
eûtétéfoutenue, d'autant que ce régiment n auroit
pas eu le temps de recharger fes armes. Au
forplus, nous avons un fi grand nombre d exemples à oppofer à ceux-ci, qu’il eft affez fuperflu d entrer
dans un plus long détail a cer egard. Nous ferons
toutefois de l’avis du maréchal ; mais non
pas quand il fuppofera, comme il le fait, fon infanterie
1 cinq de hauteur & hm piques.
« Si l'infanterie, continue cet auteur , eft ini-
ttuite , fi elle fait ménager fon feu & tirer a propos,
en un moment elle fe fera/tut un rempart
d’hommes & de chevaux qui empêcheront ceux de
derrière d’approcher ; car il faut encore que le cheval
le veuille auffi-bien que l’homme , St l un St
l'autre de rué ou de bien bleffé, ne fait qu embar-
raffer les autres». . H f l
Nous avons fait voir que rien n eft fi incertain
que le feu de notre infanterie en plaine, St que le
plus fouvent il peut lui être auffi dangereux que
nuifible. Àinfi cette reffource n eft pas affez fore
contre la cavalerie ; mais elle le ferott certainement
avec les piques qui font un rempart, a l abri
duquel le foldat fait fon feu avec bien plus de fermeté.
Du refte, on fait ( nous avons eu plus d une
occafion de le remarquer nous-meme ) , qu un
cheval qui reçoit un coup de feu n en elt que plus
animé, & fe jette prefque toujours en ayant ; mais
que fi au contraire il eft bleffé de la pointe dune
arme blanche , quelque preffé qu’il foit de 1 éperon
, il avancera bien difficilement, & la raifon de
cette différence eft affez fenfible. C ’eft , comme
l’ont obfervé plufieurs auteurs , par les yeux que
la peur entre dans l’ame de la brute, atnfi que
dans celle de l’homme. Le cheval ne faurott etre
effrayé d’une balle qu’il ne voit point ; a peine ap-
percoit-il d’oit elle part. La douleur d un coup de
fufiî s’éteint en même temps quil le reçoit; au
lieu qu’ il reffent d’autant plus vivement un coup
dé piqué, qu’il voit diftinélement dou il lui vient,
& qu’il conçoit que .plus il y rçftera -, plus fa
bleffure augmentera.
« Cette cavalerie , ajoute le maréchal, ne peut
fe fervir d’aucune arme pour attaquer cette intan-
terie ; il faut auparavant que par le choc & la force
, des chevaux, elle foit entrée dans le bataillon ; vx
c’eft à quoi elle n’ eft pas fure de reuffir contre une
troupe ferme. Le fécond rang des chevaux , ni les
autres de derrière, ne pouffent pas facilement le
premier ; mais en le ferrant de près , ils lem-
pêchent feulement de reculer & de tourner la tête ;
l’infanterie, au contraire , qui pour lors ferre bien
fes rangs & fes files , fe pouffe, & les rangs fe
foutiennent l’un l’autre ; ainfi pour la renverfer , il
faut des hommes bien fermes & des chevaux qui
veuillent avancer , ayant dans le nez un fi grand
feu. Voilà la raifon, pourfuit M. de Puyfegur, qui
Art Militaire. Tome IIR
P I Q 3 19 a toujours fait dire que fi l’infantene connoiffoit fa
force, la cavalerie ne la romproit point, & non
pas que fa force ait confifté autrefois en ce qu’elle
étoit armée de piques, qui eft une arme qui n’a
d’autre mérite que fa longueur ».
Il eft prouvé, par une expérience confiante
que la cavalerie a toujours renverfé l’infanterie ,
excepté en quelques occafions où celle-ci a fu faire
un bon ufage de fon feu , & parce que celle-là pou-
voit n’avoir pas affez de nerf ou être mal difpofée
& mal dirigée. O r , cela eft arrivé parce que le plus
grand nombre des foldats regardant le feu comme
leur principale force, ne fongent plus à leur baïonnette
, parce que quand le cheval reçoit le coup de
baïonnette, le cavalier eft déjà fur le fantaffin ;
attendu que, comme i’obferve Bottée, ce dernier
tient fon arme de façon que pour être en érar de l’allonger
il faut qu’au premier temps il en dérobe la
moitié en arrière, & qu’il peut être pris fur ce temps*
là : que le cavalier, continue cet auteur, fe trouve
très près quand fon cheval eft bleffé ; & qu’il y a
tel cavalier qui, alongé fur le col de fon cheval,
porte fort bien un coup de fabre à fon ennemi dans
ce même inftant. La cavalerie, difons-nous, a toujours
enfoncé l’infanterie, parce que le même coup
dont le cheval eft bleffé, peur renverfer le foldat
qui porte ce coup ; parce que fi la baïonnette ne
; fait qu’effieurer le cheval , le cavalier fabre ïè-
foldat, & perce fon rang; parce qvie fi le cheval
eft tué, il tombe dans le rang de l’infanterie, & y
caufe du défordre ; & que fi c’eft le cavalier qui
foit tué, le cheval n’en va pas moins fon train, &
contribue également au choc de la cavalerie ; enfin,
parce que l’infanterie, quelque ferme qu’on la
veuille fuppofer j peut être attaquée par Hne bonne
cavalerie, bien menée & bien foutenue. De plus,
I le preffement des rangs fi néceffaire dans l ’infante-
1 rie en pareil cas, empêche le foldat de manier aifé-
ment fon fufil; d’ailleurs, il ne lui donne pas plus
que le feu la confiance & la fermeté, qui feront
toujours l’effet de la pique, ou de quelqu’autrearme
de longueur, plutôt que de toute .autre chofe.
M. de Puyfegur finit par dire que fi les foldats
qui marchent en campagne étoienreomme ceux qui
font employés à la défenfe des places, à même
d’avoir des armes de rechange de toute efpèce, ils
s’en ferviroient pour les differentes attaques qu’on
pourroit leur faire ; mais que ne pouvant porter
chacun qu’un certain poids, ïl faut leur donner
une arme telle que le fufil avec fa baïonnette, qui
leur foit utile pour toutes fortes d’occafions, &
qui, dans un befoin preffant, puiffe fuppléer à
toutes les autres ; qu’il feroit inutile de leur en
donner d’autres dont ils ne pourroient fe fervir
que dans un feul cas, & qui Les rendroient eux-
mêmes inutiles pour toutes les autres a&ions, fur-
tout encore étanr facile de s’en paffer; & il conclut
qu’on a eu grande raifon de fupprimer les piques.
La dernière obfervation du maréchal ne nous
paroît pas mieux fondée que les précédentes. La