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rement, & de leur témoigner la confiance la plus
entière. Comme le gefte , le ton, l’air de l’orateur
ajoutent à l’éloquence & en conftituent le fuccès ,
le difcours du général prononcé d’un ton ferme
fera accompagné, comme nous l’avons déjà dit,
d'un gefte , animé d’une contenance allurée & d’un
air de gaieté & de fatisfaâion. Voyez GÉNÉRAL ,
feftion I I I , paragraphe III. Voyez auffi dans le
même article, feêlion 1 1 , paragraphe XII.
Nous croyons devoir obferver qu’il feroit infiniment
aifé à un général moderne de fe'faire entendre
par une très grande partie de fon armée , fi
elle étoit formée en colonrtes ferrées , très rapprochées
les unes des autres. Cette facilité eft un des
avantages que l’ordre profond a fur l’ordre mince.
§. I V .
Des harangues militaires que les officiers particuliers
peuvent faire.
Jufqu’ici nous ne nous fommes adreftes qu’au
commandant en c h e f, parlons à préfent aux officiers
généraux, aux officiers fupérieurs , & aux
chefs particuliers de chaque troupe ; touts ces offi-
.ciers peuvent & doivent , comme le général ,
adrefter quelques mots d’encouragement à leurs
divifions , à leurs régiments, à leurs compagnies ,
-à leurs feâions, & l i les difcours des uns & des
autres font coupés fur le même modèle que ceux
de leur général , ils feront autant & plus d’ effet
que le fïen , parce qu’ils feront plus généralement
entendus. Parmi les difcours adreftes aux loldats
par leurs officiers généraux & particuliers , je me
contenterai de rapporter les deux fuivants.
A la bataille de Malplaquet, le commandant
d’un bataillon du régiment de Navarre dit à fcs
foldats : allons , mes amis , marchons à ces Mefîeurs,
b ' recommandons-nous de bon coeur à notre-dame de
frappe fo r t ; c e f i la patrone du régiment ; elle fa it les
plus grands miracles , ayons-y confiance, elle ne fa u -
roit nous manquer , combien de fo is l'avez - vous
éprouvé ?
Un lieutenant-colonel fe trouvant à Fleurus,
tout prêt à charger , & ne fachant comment animer
fes foldats, très mécontents d’être entrés en campagne
fans être habillés , leur dit : mes amis, voici
de quoi vous confoler, vous avez le bonheur d’être
en prèfence £ un régiment vêtu de neuf. Chargeons vi-
goureufement b habillons-nous. ‘
§• v.
Des harangues militaires pendant un combat.
S’il eft utile de haranguer les foldats avant de les
mener au combat, il eft fouvent néceffaire de leur
adrefter la parole pendant le cours de la bataille.
S’agit-il de faire une percée décifive , de repouffer
une attaque prochaine, de ramener à la charge une
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troupe qui a déjà été repouflee ? dans toutes ces
occafions parlez avec force , & vos paroles ne feront
jamais vaines. Dans les deux premières cir-
conftances employez quelques-uns des moyens
déjà dpnnés pour l’inftant qui précède une bataille ;
maïs reridez-les particuliers à la circ-onftance dans
laquelle vous vous trouvez. Dans le dernier cas
parlez comme M. Zamet devant Montpellier ,
comme Condé à Lens , comme le duc de Lorraine
en Hongrie , & fans doute comme ces .généraux
vous remporterez la viéloire.
Devant Montpellier en 1522 5l M. de Zamet,
maréchal de camp, apperçoit une troupe de foldats
qui prennent la fuite, il court à eux & leur dit :
vous fuyez foldats ? — Lh 1 Monfieur, répondirent-
ils , nous n avons ni poudre ni plomb. — Quoi ! réplique
Zamet , rCave^ - vous pas des épées b des
ongles ? Ces mots leur donnent une nouvelle ardeur
; ils retournent à la charge, & repouffent l’en*
nemi. Pendant la bataille de Lens ;.le grand Condé
parcouroit les rangs de fon armée en difant : amis,
ayez bon courage , & fouveneç-vous de Rocroi , de
Fribourg b de Nordlingue.
Le duc de Lorraine eft en Hongrie commande
un corps d’armée qui a en tête des turcs &
des tartares. Dans une attaque très vive , quelques
efcadrons allemands qui ont beaucoup fouffert,
commencent à fe retirer ; le duc de Lorraine court
à eux : Quoi I Mcffieurs, leur dit-il, vous abandonnez
l'honneur des armes de l’empereur ? Vous avez peur de
ces canailles ? Retournez : je veux les battre avec vous
b les chaffer. Ils font auffitôt volte-face , marchent
aux infidèles & les battent.
§< V I .
Des harangues militaires après une bataille.
Souvent après une bataille , il ne faudra qu’une
harangue adroite pour rendre le courage à une armée
abattue. Les moyens que le général doit employer
ic i, font, à certains égards , différents de
ceux dont il peut fe fervir avant un premier
combat.
Repréfenter aux foldats que les armes font journalières
, ieroit propager une erreur d’autant plus
dangereufe, qu’elle accorderoità un hafard aveugle,
ce qui n’en fut prefque jamais l’effet. Elle feroit
d’autant plus funefte cette erreur , qu’elle pourroit
une fécondé fois fervir d’excufe à une fécondé défaite
, & d’excufe en excufe entraîner des défaftres
fans nombre.
Si l’armée s’efl conduite avec valeur dans le dernier
combat , fi elle n’a fuccombé que fous le
nombre , fi fa défaite n’a eu pour caufe que le défa-
vantage du terrein , le général pourra prendre fur
lui toute la honte de la journée. Ainfi en agit Gy-
lippe. Ce général, envoyé par les fpartiates au fe-
cours de Syracufe, après avoir pénétré dans la
place, veut détruire les ouvrages desaffiégearirs.
Pou*
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Pour cela , il fe met a la tête des troupes combinées
, fait une fortie, & attaque les athéniens avec
vigueur ; mais il eft repouffé avec perte. Pour ranimer
fes troupes, que cet échec avoit découragées ,
Gylippe s’excufe du mauvais fuccès qu’elles ont
eu , & eu fait retomber toute la honte fur lui-même.
Cependant, il demande à fes foldats s’ils veulent
faifir l’occafion qu’il leur donnera bientôt de rétablir
fon honneur : ils acceptent fa propofition. Dès
le lendemain il fait une nouvelle attaque , & remporte
une viéloire complette..
Si l’armée n’a pas fait tout ce que vous pouviez
attendre d’elle, pourvu que vous commandiez à
des foldats‘fenfibles à l’honneur, imitez la conduite
de Marcellus auprès de Tarente. Ce général
affemble fes troupes dès la nuit qui fuit fa défaite ;
il leur déclare dans un difcours rempli de reproches
amers, qu'il n’attribue qu’à leur lâcheté le'revers
qu’elles viennent d’effuyer. Les foldats recon-
noiffent leurs torts , demandent pardon de leur
honteufe fuite , proteftent qu’ils font prêts à braver
touts les dangers , & qu’ils ne défirent que de
vaincre ou de mourir : Préparez-vous donc , reprit le
proconful, à dégager votre parole demain , & à mériter
le pardon que vous demander. Dès le point du
jour , Marcellus fe met à leur tête ; ils attaquent
les carthaginois : la .viâoire refte en fufpens pendant
quelques heures ; mais les romains forcent
enfin 1’ ’ennemi à fe retirer dans fon camp.
Quoique Gylippe & Marcellus ayent ramené la
viéloire fous leurs drapeaux, le premier , en fe
nommant l’auteur de la défaite, le fécond en l’im-
p.utant à la lâcheté die fes foldats, ces deux moyens
nous paroiffent également dangereux : l’un , parce
qu’il peut faire perdre au général la confiance de
fon armée ; l’autre , parce qu’il peut jetter le foldat
dans le découragement. Entre ces deux extrêmes ,
il exifte un milieu , & c’eft le point qu'il faut faifir.
Il cônfifte à donner au dernier revers .quelqu’excufe
légitime , mais qui n’exifte plus , & à fonder l’efpé-
rance pour l’aveniry fur des motifs vrais, ou du
moins vraifemblables.. On attribuera donc fa défaite
à quelqu’événement imprévu , à un ordre mal
interprète ou mal rendu , ou bien à quelque perfidie
qu’on aura découverte, &.à laquelle on aura pourvu
pour l’avenir. Appuyez votre efpoir fur la perte que
1 ennemi aura faite de quelque chef important, félon
vous, lame , le moteur de fon armée ; fur la
retraite de quelque corps confidorable qui en faifoit
la force ; fur un fecours, quelq te petit qu’il fo it ,
que vous aurez reçu ; fur l’arrivée de quelque guerrier
illuftre dont votre armée à conçu une idée
avantageufe. Parlez beaucoup de la fermeté , cette
vertu qui fait fupporter les revers &furvivre le courage
aux défaites : prouvez à vos foldats, par des
exemples , que des armées , pour avoir été battues
wne & même plufieurs fois , n’en ont pas moins repris
à la fin l’afcendant qu’une valeur fupérieure
doit neceffairement obtenir.
Envoyé pour remplacer un général malheureux
-Art militaire. Tome 111.
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ou difgraclê , gardez-vous de cenfurer, de blâmer
hautement fa conduite ; mais vous pouvez , vous
devez même rejetter indirectement fur fes erreurs
& fes fautes, les malheurs des journées ou des campagnes
précédentes. De ces différentes idées, com-
pofez un difcours dont le ftyle foit tel que les cir-
conftances 1’exigent : prononcez votre harangue du
ton , de l’air le plus convenable à votre pofition ;
que les officiers généraux, fupérieurs & particuliers
vous imitent, & vous verrez naître parmi vos
foldats un courage plus mâle , plus affuré, plus
inébranlable que celui qu’ils auroient montré après
une vi&oire , parce qu’aux motifs de l’amour de la
patrie & de la haine contre l’ennemi, fe joindra
dans leurs coeurs le d'efir non moins puiflant de
venger la honte que la défaite a imprimée fur leur
front.
§. V I I.
Des harangues que doit faire celui qui défend ou qui
attaque une place.
Le général qui fe propofe d’attaquer ou de défendre
une place , doit haranguer fa garnifon ou
fon armée de même que celui qui reçoit ou livre
une bataille. Les motifs que le premier doit employer
, font la gloire , l’honneur, le butin & les
récompenfès ; le fécond doit faire valoir la gloire ,
les récompeijfes , la confervation des biens & de
la liberté.
Le chevalier Baïard, chargé de défendre Mé-
zières, fit d’abord conftruire d<$ nouvelles fortifications
& réparer les anciennes. Pour encourager les
travailleurs, il leur diftribuoit des récompenies pécuniaires,
partageoit leurs fatigues, 8c leur difoit :
Camarades , nousfera-t-il reproché que cette ville foit
perdue par notre faute, vu que nous fommes f i belle
compagnie enfemble, b de f i gens de bien ? I l me
femble que f i nous étions. dans un pré , n'ayant devant
nous quun fojfé de quatre pieds, encore combattrions-
nous un jour entier avant que d’être défaits. Dieu
merci , nous avons une mhraille b rempart où je crois ,
avant que les ennemis mettent le pied, beaucoup des
leurs dormiront au fojfé.
Avant le fiège de Turin , le duc de Savoie affem-
bla la plus grande partie de fa garnifon & des habi-
tans. Après leur avoir expofé la néceflité d’une dé-
fenfe vigoureufe, leur avoir fait part de ce qu’il
avoit fait & de ce qu’il devoit faire pour la défenfe
de la place , 8c les avoir affurés d’un fecours confi-
dérable & prochain, il ajouta: non-feulement, je
promets de rêcompenfer chacun fuivantles divers degrés
de mérite , de valeur b de fidélité , mais auffi de dédommager
amplement tous ceux qui foujfriront quelque
perte pendant le fiège.
Dans une pareille circoriftance , on peut avoir
recours à l’éloquence ; on peut avoir étudié fon
difcours. Il en eft de même de ceux qu’on doit tenir
avant une fortie ou une attaque par furprife. Dans
ces trois derniers ças , on peut détailler avec pompe
touts les avantages de l’affaiirant.