
noiffance de la fociété , & que les deux autres font
infâmes.
Qu’eft-ce que le militaire en France? Un corps
qui fe dévoue à la défonfe de la patrie, & qu’on
ne peut maintenir que par le principe de l’honneur.
Cette définition répond à la doctrine de touts
les bons politiques, doârine judicieufe 8c frappante
, qui n'a pas befoin , pour être adoptée par
la nation , de l'apophtegme fi connu dit payfan
Suédois. « Eh ! que deviendra l’honneur du nom
foldcit » ? Mais-en quoi ce. foldat fait il eonfifter ordinairement
l’honneur ? Eft-ce dans l’édification
d’une conduite & d’un langage mode fie , ou à pratiquer
les bonnes moeurs , la chafieté , la tempérance
? Non , c’efi à battre les ennemis’, à ne redouter
ni péril ni fatigue pour remporter la victoire,
à ne faire aucune oeuvre vile qui puifle ,
en le dégradant, lui faire perdre la fupériorité
dont il jouit & qu’iL exerce impérieufement fur le
bas peuple. Quel efl le fentiment de l’officier qui
conduit le foldat ? C ’efi de l’entretenir dans ce
glorieux préjugé de l’efiime de foi-même , & de
ne connoître d'autre fubordination que celle qui
l’affujettit à fon commandement Partons de ces
principes pour envoyer nos foldats fur les chemins
former des atteliers de caillouteurs & de ter-
raffiers, piocher du tuf 8c des roches , pouffer la
brouette, traîner le camion , arranger des pierres
dans une foffe profonde ; fi le plus fournis des
peuples trouvoit fi dur qu’on l’employât à vaincre
la nature au lieu de lui donner des ennemis à
dompter ,.fi ces foldats fie plaignoient hautement
qu’on les traitât comme des criminels dont on au-
roit commué la peine de mort en celle de travailler
toute leur vie aux chemins, ou comme des bêtes
de fomme , en leur faifant porter & traîner d’énormes
fardeaux , & s’ils alloientjùfqu’à fe foule-
ver contre leurs commandants , penfera-t-on que
la vanité & la vivacité françoife fupporteroient
patiemment les mêmes fatigues fur les infini crions
d’un payfan, piqueur d’ouvriers , ou fi l’on veut,
fous les ordres d’un; fous-infpe<5leur ? Ce foldat
mépriferoir l ’un , le battroit peut-être, & fe,mo-
queroit de l’autre; il crierait qu’il ne s’eff point
engagé pour être efclave, 8c qu’ il n’a pas quitté la
charrue pour être attelé au tombereau. Je veux
pourtant , car j’ai # allez d’avantages pour, ne pas j
craindre d’en céder, je vçux , dis-je , que fur les
plaintes du fous-infpeâeur , le foldat fût puni ;
outre le danger qu’il y aurait qu’à la première occasion
il s’en vengeât, la peine tomberait fur le
chemin , par la privation du travail de ce foldat dê-
fobéiffant ; & quelle ferait fa peine? D’être mis au
piquet , ou conduit par quatre fufiliers aux prifons
les plus prochaines, autre privation de travail ;
mais j’avertis que- le cas le plus ordinaire ferait celui
ou le foldat n’auroit point tort, & où l’officier
traiterai? mal le plaignant ; il s’en prendrait à lui
du dégoût qu’il aurait pour ce bas fervice-, de
l ’ennui où le jetterait cette vie oifive 8c groffière.
P O N
/ ‘ Si dans le camp, à la vue de cet appareil ter-*
rible de la juftice militaire, qui doit faire trembler
les plus réfoius , un foldat ne laiffe pas de s’expo-
fer touts les jours à la mort fur l’appât d’un choux,
ou dune poignée de fèves , le croirait-on plus
craintif quand - le péril ferait moindre , 8c qu’il n’y
aurait point de fauve-garde à refpeâer ? Car enfin
la peine capitale ferait-elle impofée au maraudage
voyer , elle paroîtroit fi rigoureufe en comparant
la différence des cas, que le législateur frémir oit
à la prononcer, même celle de la flétriffure, à
caufe qu’elle rendrait le foldat inhabile à porteries
armes-, & priverait la république du.fecours.de
fon bras. La peine des baguettes ferait donc le
dernier terme de la rigueur ; 8c quelle impreffion
ferait-elle fur ie coupable , lorfqu’il brave celle du
trépas dans une' pareille circonfiance ? Il n’y a
point d’homme raifonnable qui,.fur la foi d’un
frein fi léger, ofât garantir au fermier la moitié de
fès légumes, ni le quart de fes poules 8c de fes
dindons ; 8c d’où , pour lors , ce miférable tireroit-
il de quoi payer les impofitions ?
L’incontinence n’eft pas la plus lente paffion des
hommes en général, n i , je penfe , la moins, vive
dans les gens de guerre. Il me femble voir un
foible troupeau de brebis devenir la proie de
loups affamés. Tel ferait le fort des- femmes 8c des
filles villageoifes ; point de rufe qui ne fût mife en
pratique pour les furprendre ; 8c bientôt le fuccès
enhardi fiant la faim , la violence achèverait ce
que la féduéfion auroit commencé ; je ne réponds
pas même, 8c je parlé très férieufemenr, que la
femme du feigneur châtelain 8c les bourgeoifes
d’alentour n’eüffent appris comme ôn fou pire &
comme on parle à la garnifon. Quel défordre dans
les familles r je vois des pères défolés , des mères
échevelées , des maris en fureur , des filles en
larmes ; le curé, dont les anathèmes ont été inutiles
porte fes plaintes à l’évêque, 8c lui peint des
couleurs les plus noires , te comble de l’abomination
; le prélit écrit à la cour , tout le clergé fe joint
à lu i, le confeil s’affemble, 8c l’on y conclut que
l’idée d’employer les troupes à la réparation des
chemins ne pouvant être que l’effet d’un zèle précipité,
ori ne fauroit trop tôt en arrêter le fléau
par la révocation d’une nouveauté fi dangereufe.
O vous ! mon illufire confrère , s’il eft permis
à un écrivain obfcur de prendre un titre fi brillant,
vous , à qui l’importance des moeurs eft fi particulièrement
connue-, qui avez démontré avec tant
d’énergie qu’elles font la principale force d’un
état, 8c qu’elles feules font dignes de la fuperin-
tendance du fouverain; vous , dont la charité s’eft
confacrée à fecotlrir le pauvre 8c l’innocent ,'pourriez
vous perfifter dans une opinion dont la fuite
la moins funefte ferait l’outrage de la virginité, 8c
qui égaleroit bientôt la corruption des campagnes
à celle des villes ? ’Non, je jure que vous -en reviendrez.
S i, après avoir mûrement confidérê les inconvéments
dont je viens de donner une légère efquiffe,
on daigne porter un oeil attentif fur touts ceux que
j’ai encore à découvrir , on fera étonné de ne les
avoir pas appérçus. •
Certainement le rot ne ferait pas travailler le
foldat fur l’unique fond de fa folde , puifqu’elle ne
pourrait fuffire à fa lùbfiftance ; il le traiteroit vrat-
lemblablement comme en campagne ; quand cet
excédent ne reviendrait qu’à îo f. par jour, 8c
qu’on ne fuppoferoit pour tout le royaume que
cinquante mille hommes travaillants , pour ne pas
dégarnir nos places frontières , ce ferait 750,000 1.
par mois,- & quand nous ne compoferions cette
cahioagne, que de quatre mois , elle ne bifferait
pas de revenir à une dépenfe annuelle de trois
millions , à la charge des peuples , lorfque 1 effet ;
de la paix doit être de les foulager. Il eft vrai que
dans la fpéculation , l’ouvrage qui fortiroit du travail
de cent mille bras , paroîtroit fixer à un^temps
très court la réparation totale; mais nous lavons
déjà obfervé , la France eft bien étendue 8c pro-
digieufement percée de chemins ; les details pour-
. roienr prouver l’erreur d’une eftimation idéale , 8c
faire voir que quatre années ne fuffiroient peut-
être pas pour une feule province. O r , les pays
d’état diftraits, nous aurions vingt-trois généralités
à parcourir ; le joug des troupes fer011 donc
indéfini, de même que celui de limpofition , qui
deviendrait encore plus lourd par les objets fui-
vants.
On ferait certainement camper oubarraquer les
troupes, puifqu’il n'y aurait aucun moyen de les
logera portée des atteliers, 8c qu’il ne convien-
droit pas de leJfaire quand on le pourrait ; ce ferait
encore une nouvelle dépenfe pour l’état. J a-
voue que des vivandiers attirés a ce camp venant
à faire renchérir les vivres , feroient du bien aux
cultivateurs ; mais ils rendraient en même temps la
journée du manouvrier trop chère pour les villes ,
bourgs & villages du pays, ce qui les tirerait de
la proportion où il faut les tenir , pour mettre la
claffe moyenne des fujets, peut-être la plus pauvre,
en état de faire, fe.s ouvrages de pure néccffité. Les
manufactures fe reffentiroiènt de la cherté, 8c la
confommation des marchandifes diminuerait ; on
pourrait pefer dans la balance d’un bon calcul les
avantages 8c les défavantages de cet article. J'ignore
de quel côté la balance tomberait ; mais je
craindrais qu’il ne rêfultât de la comparai fon un
procès à faire aux chemins dont j’ai à coeur de fau-
Vér l'innocence.
Une autre dépenfe eonfidérable naîtrait de l’obligation
où l’on ferait de fournir un nombre de
voitures proportionné à la quantité de .terres que
tant de bras remueraient, 8c à celle des matériaux
qu’ils émployeroient. D ’où les tireroit-on ces voitures
? Je fuppofe que touts les boeufs, les chevaux
8c les bêtes afines des cantons où les atteliers.
feroient établis y puffent fuffire, ce ne ferait qu’aux
dépens de l'agriculture' 8c du commerce qui ian- '
gÜiroient ; obfervons, en effet, qu’on ne pourrait
employer le.s troupes que dans le temps le plus
propre aux travaux de la campagne 8c au trànfi-.
port des marchandifes ; mais ce n’eft pas tout, ou
l’on payerait ces voitures, ou on les ferait travailler
gratuitement. Au premier cas , la dép-rafe
en ferait très férieufe ; au fécond , ce ferait impo-
fer le travail à une partie du peuple, 8c en exempter
l’antre, ce qui ajouterait une injuftice criante
à touts les fujets de reproche qu’on fait à la corvée
générale.
Quand il’ ferait vrai que l ’efpriï militaire ne dût
pas s’affoiblir dans une pareille occupation , du
moins .faudrait-il compter pour quelque chofe
dans l’ordre de la politique, la crainte bien fondée
de la défertion des foldats. Il faudrait les envoyer
fur les carrières , dans les vignes 8c autres
terroirs , pour y tirer 8c amaffer des pierres , du
fable & des .cailloux, fouvent à_ une 8c deux lieues
de l’attelier. Y auroit-il de l’indifcrétion à préfumer
qu’ils ne bifferaient pas échapper une occafion fi
favorable de s’évader, 8c que toutes les maréchauf-
fées ne fuffiroient pas à les pourfuivre fru&ueufe-
ment ?
Je fuis bien trompé , fi toute la fagacité de l’ef-
prit le plus fubiil .découvrirait des remèdes à tant_y
de maux , 8c fi elle ne ferait pas également en défaut
fur d’autres objeélions qu’on pourrait lui faire.
Suppofons , par exemple,que contre mon opinion
, l’autorité vînt à bout, fans s’énerver „ de
fonder cette inftitution , qu’en réfulreroir il ? C ’eft
qu’au terme où il y auroit cent lieues de chemin
faites aux trois-quarts , il faudrait les abandonner
s’il furvenoit une guerre , 8c tout ce qu’on y aurait
fait demeurerait perdu , tandis que ces nouvelles
routes feroient imparfaites , 8c les anciennes
qu’on auroit négligées feroient également imprati-
quables. Nous ne favons touts que trop à quels
courts intervalles fe réduifent les temps de paix
dans ce royaume ; nous n’aurions donc jamais de
chemins ? Mais je veux que par une efpéce de
miracle nous puifîïons en venir à bout, à la faveur
d’une tranquillité que nous bifferaient les intérêts
des antres puiffances ; par qui feroït-on entretenir
cette inexprimable étendue de chemins ? Je ne
penfe pas que perfonne ait jamais pouffé b liberté
des idées jufqu’à imaginer que cet entretien pût
être impofé aux troupes.; il faudrait donc le faire
à prix d’argent, alors.quelle augmentation de tribut
8c quelle charge infupportable pour le peuple
ou plutôt, quel danger qu’il n’y eût plus d’entretien
pour les chemins ; car les ponts n’entrent pour
rien dans mes obje&ions , & il n’en eft pas moins
indifpenfable de les rétablir ; favons-nous s’il n’y
en a pas a&uellement à faire de très preffantspour
plus de vingt millions ? La conclufion du raifon-
nement fur cette Kypothèfe , fera qu’il faudrait air
moins diftribuer l’entretien aux communautés ,
tant il eft vrai que b ftérilité des reffources quelconques
qu’on voudrait fubfiituer à cet expédient»