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de pouffière en l’air, pour empêcher les Espagnols
de voir le ravage que le canon caufoit parmi ces
barbares.
Didius , général des troupes de Rome , après une
bataille contre les Efpagnols , fit {écrêtement enterrer
de nuit ceux des liens qui avoient péri dans
le combat ; mais il laiffa fur le champ de bataille
les cadavres des Efpagnols fes ennemis , qui, le
lendemain , eurent le même foin de faire enterrer
leurs morts. Comme ils ne trouvèrent que peu de
cadavres des Romains , ils fe perfuadèrent que la
perte de l’armée de Rome n’avoit pas étè:confidé-
aable, & ils acceptèrent les conditions de paix que
Didius voulut leur impofer.
L’artifice perd de fa force quand il s’éloigne trop
du vraisemblable ; il ne faut donc pas fi fort cacher
fa perte, qu’ôn puifle reconnoître la rufe ; cela ar-
riveroit, fi , par exemple, au lieu de vingt: mille
hommes morts, bleffés ou prifonniers qu’il y a
dans un combat, on publioit qu’il n’y en a eu que
deux mille., f , .
« Après que Pompée eût été défait a la bataille
de Pharfale , Labienus, un de fes généraux , fe
retira avec les troupes battues vers Duravzo, où il
fit courir des bruits mêlés de fanffeté. Il ne difli-
mula point, dit Frontin , quel avoit été le fuccès
du combat; il publia que le fort en devoit paroître
égal par la bleffure confidérabie que Caefar avoit
reçue, & par cette feinte il releva le courage du
refte de l’armée de Pommée ».
Si auprès de l’endroit ou votre ai-mée eft venue
camper après fa déroute, il y a des bourgs & des
villages dont les habitants foient affeâés à votre
prince, prenez dans ces lieux autant de payfans
que vous avez perdu de foldats, diftribuez-les dans
les compagnies félon que chacun en a befoin pour
être complette ; car fi vous formiez dans votre armée
un corps entier de payfans, ils embarraffe-
roient plus qu’ils ne feroient utiles , fur tout fi
votre camp n’eft pas retranché ; mais dix ou douze
payfans par compagnie , quand ils font bien choi-
fis , valent autant que les meilleures recrues.
Cafar manquant d’hommes , incorpora dans fon
infanterie une partie des matelots de fon armee
navale ; par ce moyen il put fe fortifier & fe défendre
contre l’armée de Scipîon & de Labienus.
Afin de diminuer la répugnance que ces payfans
auront de venir fervir de recrues dans votre armée
, promettez-lcur une entière liberté de pouvoir
fe retirer auffitôt la campagne finie ; ayez attention
de leur tenir exaâement parole , fans quoi
ils ne fe fieroient pas une autre fois à vos pro-
meffes. Suppofez que vous n’ayez pas de fiifils
tout prêts pour armer ces payfans , donnez ordre
aux juges des lieux de leur en fournir de ceux des
habitants. Après la campagne, ces fufils feront rendus
à leur maître, & cèux qui feront gâtés leur
feront payés aux frais du roi, félon le prix évalué
par un armurier & un commiffaire ; la première
fois que ces payfans feront paffés en revue, pont
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éviter tout fujet de conteftation , on écrira le nom
du maître à qui chaque fufil appartient ; je dis la
même chofe des baïonnettes, des fourniments 8c
des cartouches que ces mêmes lieux fourniront.
Afin que ces payfans viennent avec moins de
peine remplacer dans les compagnies les foldats
qui manquent, il faut envoyer en même temps
l’ordre de lever la milice, & exempter de tirer au
fort ceux qui fe feront volontairement offerts de
fervir le refte de la campagne. Ce fsroit-là un
double moyen de ne pas manquer de monde ; car
outre les milices qu’on leveroit, plufieurs de ceux
qui ne feroient venus que pour fervir une campagne
ayant pris goût pour la profeflion , & ayant
lié amitié avec les'vieux foldats, continueront à
demeurer dans les troupes ; c’eft ce que nous
voyons chaque jour par rapport aux foldats qui,
ayant fini le temps de leur engagement, s’enrôlent
de nouveau prefque touts , parce qu’accoutumés à
un noble métier & à la liberté d’une vie oifeufe ,
il leur paroît dur de retourner à la baffe condition
depayfan, & à la fatigue continuelle delà charrue.
En traitant des difpofitions avant la guerre , j’ai
donné divers avis touchant les recrues. J’ajoute
feulement ici qu’il eft important qu’elles arrivent
avant que l’armée fe mette en campagne, afin
qu’on ait le temps de les inftruire^ dans les exercices
de la guerre. Le chevalier Melzo dans fes
règles militaires donne ce même confeil , par rapport
aux chevaux de remonte, parce que s’ils ne
•.font pas dreffés, ils s’épouvantent au feu , ils n’o-
béiffent point, & ne fervent pas pour les évolutions.
Les recrues & les remontes qui font pour le
compte des capitaines fe feroient fort lentement,
fi chaque régiment n’avoit pas fa maffe ; fuppofez
qu’un régiment ait fait une perte extraordinaire
pour avoir combattu avec beaucoup de valeur , le
roi doit lui donner quelques fecours extraordinaires
pour l’aider à remettre fa compagnie en
hommes ÔC en chevaux , car il eft confiant que
dans ce cas les gratifications ordinaires ne fuffi-
roient pas ; mais ce n’eft pas ici le lieu d’examiner
cette matière , ni de propofer les réglements qu’il
conviendroit de faire par rapport aux mafles des
régiments.*
Les corps entiers des milices levées dans un pays
affeâionné à votre prince , & les compagnies détachées
de payfans pourront fervir dans les places,
lorfque vous n’avez pas de vieux corps pour y
mettre en garnifon ; je voudrois que les officiers de
ces régiments de milice fuffeut tirés des vieux
corps , & qu’on leur donnât pour fergents -des caporaux
d’infanterie ; pour lieutenants., des fous-
lieutenants ; pour aide - major , des fous - lieutenants
; pour major, des aides-majors , & pour colonel
, un gentilhomme du pays où les milices ont
été levées , qui ait fait la guerre , & qui foi*
homme de diftinélion & de mérite, afin qu’il foit
plus aimé & mieux obéi des foldats & des officiers ;
r comme
fcomme fort doit Conferver en pied ces vieux officiers
des régiments qui ont paffé dans ceux de mi-
liee , il faut choifir ceux qui, par leur fervice , mé-
ritoient cet avancement.
En 1706, le roi d’Efpagne forma fes régiments
de milice de la manière que je viens de le propofer;
il les mit dans les places de Caftille , & ils y
fervirent très bien. Je puis même affurer d’avoir
vu dans la défenfe de Cindad-Rodrigo , les habitants
de cette ville faire paroître autant de valeur
qu’on auroit pu en efpérer des meilleures troupes.
Il feroit peut-être à propos de mettre les bataillons
de milice en garnifon dans les places les plus
voifines de leur pays, foit pour leur épargner la
fatigue d’une trop longue marche , foit afin queleur
nouvel état leur paroiffe moins dur , en les éloignant
moins de leurs maifons & de leurs proches.
Lorfque Néhémias diftribua les habitants de Jé-
riifalem pour garder la vafte enceinte de cette
place, il obferva de placer chacun auprès de fa
maifon. *
J’ai remarqué que très peu de foldats défertent
des régiments provinciaux de l’Eftramadure, pendant
que ces régiments font dans cette province,
à caufe de la commodité qu’ils ont de voir de temps
en temps leurs familles & leurs parents ; mais lorf-
qu’en les éloignant ils ne peuvent plus jouir de
cet avantage , il n’eft prefque plus poffible d’arrêter
la défertion.
Il eft toujours à propos d’avoir quelque bataillon
de troupes qui , par fon exemple, inftruife
ceux de milice , en mêlant dans les gardes & dans
les autres fondrions quelques foldats des anciens
régiments avec ceux de milice ; c’eft ce qui fe pratiqua
à la défenfe de Gindad Rodrigo, dont j’ai
parlé un peu plus haut, où l’on fe fervit du régiment
d’infanterie des Afturies pour inftruire , par
fon exemple , ceux de milice.
Les milices & les compagnies détachées de volontaires
mêlées avec des partis de troupes, &
commandées par un officier fage & courageux ,
fervent pour incommoder les fourrages & les convois
des ennemis 5 pour enlever des troupeaux &
prendre langue dans le pays ennemi, pour difpu-
ter dans le vôtre le paffage des défilés à l’armée ennemie
, & à l’arrêter ou à l’incommoder dans fa
retraite lorfqu’elle a été battue.
On doit toujours avoir attention de mettre à la
tête des troupes de payfans & de volontaires, un
officier qui ait de la conduite & de la confcience ,
afin qu’ils ne les engagent pas dans des opérations
qui foient au-delà de leur force & de leur courage ,
& qu’ils les empêchent de voler les peuples; car
un payfan qui fait le métier de foldat croit ou fait
femblant de croire que tout eft de bonne prife.
C ’eft ce qu’on éprouva , il n’y a encore que peu
d’années , dans la Sardaigne , à l’égard de ces
payfans qui vinrent fe préfenter pour fervir fous
les ordres du marquis de Leyde , capitaine général
de l’armée d’Efpagne.
■ drt militaire. Tome 111.
Combien ÿ dans la dernière guerire des alliés
contre les deux couronnes, ne nous incommodèrent
point les payfans en Catalogne ; & du temps
du roi Charles I I , que ne fit pas Dom Michel
Trincheria avec fes Miquelets , foutenus feulement
par quelques détachements de troupes ? Il eft
vrai que les Catalans , qui font naturellement valeureux
& accoutumés à faire la guerre , donneront
toujours de l’inquiétude aux détachements d’une
armée , pourvu qu’on n’en vienne pas à la-baïonnette
, ou qu’il ne faille pas combattre en ligne ,
parce qu’un payfan ne vaut rien pour ces fortes
de combats, ainfi que je l’ai fait obferver dans un
autre endroit.
L’infant Pelayo ayant reconnu que fes payfans
n’étoient pas affez aguerris pour pouvoir les expo-
fer aux Maures en rafe campagne , les logea fur
les rudes montagnes des Aftruriês , afin que l’avantage
du terrein fuppléât à leur manque de difci-
pline ; & lorfque l’armée Maure d’Aleaman eût
été défaite , les chrétiens , poftés fur la hauteur des
montagnes , lui difputèrent la retraite , & firent
main-baffe fur les fuyards.
Je vois en Piémont, où je me trouve aujourd’hui
, des régiments de milice fi bien difcipîinés ,
qu’à peine on peut les diftinguer des vieux corps.
Ces régiments font capables non-feulement d’agir
dans les fondions dont je viens de parler, mais
encore de fervir en campagne avec l’armée.
-✓ Un. autre fecours que l’on peut tirer du pays
après une défaite , eft de convoquer toute la nobleffe
, & de lui ordonner de joindre l’armée avec
armes & chevaux ; c’eft ce que fit en 1706 le maréchal
de Berwick à l’égard de la nobleffe de Caftille.
Il y a enfuite trois partis à prendre par rapport à
la nobleffe. Le premier eft de conferver dans le
camp les gentilshommes les plus propres pour fervir
, qui feront payés par ceux q u i, à cette.condi-
tion, demanderont permiffion de fe retirer chez
eux.
Le fécond parti à prèndre, eft d'obliger ceux
qui fe retirent, ou qui ne viennent pas, d’entretenir
un fubftitut vêtu , armé & monté.
Enfin le troifième expédient, lorfque les gentilshommes
pauvres ne peuvent pas foutenir cette
dépenfe , eft de leur donner une folde, & les rations
de pain & d’avoine , s’ils veulent demeurer
dans l’armée pendant la campagne , ou, s’ils veulent
fe retirer, de les obliger à laiffer leurs armes &
leurs chevaux pour les foldats qui n’en ont pas.
Le général Montécuculi prit en 1663 le premier
de ces trois partis, par rapport aux milices de Hongrie.
Le roi d’Efpagne en 1706 , prit celui des fubi>
tituts à l’égard des chevaliers de Saint-Jacques de
toute l’Efpagne , & celui de laiffer leurs armes &
leurs chevaux, à l’égard des gentilshommes de Caftille
la vielle , de cette partie de gentilshommes &
de fubfthuts qui refte à l’armée. Sa majeftè catholique
forma le régiment de chevaliers des ordres ,
pour lequel on prit lès armes & les chevaux de
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