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diftinguer par les vertus & les talents militaires , .
qu’à s’élever par l’intrigue fur les racines de leurs
rivaux , renverfèrent la difcipline. Les Camille ,
les Fabius , les Fabricius , les Scipions »vertueux
dans leur conduite & modeftes dans leurs dè-
penfes , regardoient comme plus honteux de flatter
les légions que de craindre 1 ennemi ; les Ma-
rius & les Sylla , achetant à pjix d’argent les-ter-
vices des citoyens, firent de Rome une ville ve-
nale & Ce rendirent efclaves des plus pervers, afin
• d’ufurper l'autorité fur ceux qui en etotent le plus
dignes. ( Plutdrch. Sylla. p- 4 5 9 - •*' )/. . .
Quelques généraux tentèrent enltnte le rétab
l i t ment de la difciphne. Metellus, general de
l'armée d'Afrique , défendit que qui que ce fut
vendît dans le camp du pain ou d autres aliments
cuits ; que les vivandiers fuiviffenr l armee , que
les foldats euffent des bêtes de fomme dans le camp
& dans les marches. ( Sallujl. Ju^rtha. c. 45 , de
^'Corbulon rappella^'ancienne difcipline dansl’ar-
mèe de Germanie, accoutumée a 1 oifivete & au
brigandage. Il eut, en Arménie , p.us de peine a
vaincre la molieffe des légions que la refifiance des
troupes ennemies' ; celles qu’on avoit t.rees de
Syrie, énervées par une longue pa>x , fuppor-
toient avec peine les travaux du camp. I y av0'
dans cette armée des vétérans qui n avoient (ait m
faffion ni garde, fans calques , fans cuiraffes , ri-
chements vêtus, avides de pillage , n ayant fervi
que dans les villes. Corbulon retint fon armée fous
les tentes pendant tout l’hiver, quoique le froid
fût fi v i f , que la terre étoit gelée, & qu il falloit la
creufer pour y établir des tentes. Plufieurs foldats
eurent des membres'gélés ; quelques-uns moururent
en faffion. Le général, vêiu legerement & la
.ê*e nue, marchoit à la tète des troupes, etott pre-
fent à leurs travaux, louoit les plus courageux ,
animoit les plus faibles & donner 1 exemple a
tours. Mais voyant que la durete du fervice & de
la (aifon en rebutoit plufieurs & es falloir defer-
te r , il chercha un remède à ce mal dans la fevertté.
La première ou la fécondé faute n etott point par-
donnée dans fon camp comme elle l etoit dans les
autres. Celui qui avoit abandonne fes enfeignes
étoitauffitôt puni de mort. Cette rigueur fut trouvée
utile & meilleure que lmdulgence; la defer-
tion fut moins fréquente dans If, camp de Corbulon
que dans ceux où l’on fatfoit grâce. ( TaCn.
y^nnal. X I ,p .^ l -X I l I , 169). 9 ,
La difcipline & l’efprit mfiitaire continuèrent
de s’affoiblir fous les empereurs futvants. Lorl-
qu’Othon forma le deffein de marcher contre le
parti de Vitellius , Rome entière fut alarmée ; aucun
ordre exempt de crainte. Les principaux du
fénat étoient affoiblis par 1 âge ; la nobleffe aflot-
blie par un long repos, avoir oublie la guerre ; les
chevaliers étoient nouveaux dans le fervice des
camps, & d’autant plus timides , qu ils s eftor-
çoiem de le cacher. Plufieurs achetoient comme
TAC
de^chofes utiles à la guerre , des armes ornées fie
des chevaux de grand prix ; quelques-uns tout ce
qui peut contribuer au luxe des tables & irriter les
pallions. En vain le prince donna l’exemple &
marcha devant les enfeignes» couvert dunecui-
raffe de fer , à pied, fans nul ornement, très différent
de fa renommée ; il n’avoit ni généraux ni
foldats. (Emilius Pacenfis étoit fubjugué par la licence
des légions ; Antonius Novellus n avoit
nulle autorité ; celle de Svidius Clémertt n etoit
qu’ambitieufe, aufli contraire à la retenue de la
difcipline que difpofé à combattre avec témérité.
Cette armée dévafta & incendia les campagnes oc
les villes d’Italie, comme celle d’un pays ennemi.
Trois cohortes commandées par Spurina , troupes
fans frein 8c fans expérience, laifirent les enfeignes,
Sc les vexilles menacèrent leur chef, qui s eflor*
çoit de les retenir, méprifèrent leurs tribuns &
leurs centurions, qui louoient la prudence du générai
, & marchèrent vers l’ennemi. ( Tacit. Hifior.
I , p. 260 , ad fin. de J . C. 69* lb. ^ 9 P• P'
268 || . .
Arrivés aux bords du Pô à l’approche de la nuit,
elles voulurent affeoir leur camp ; mais ce travail
leur étoit pour ainfi dire inconnu ; effrayes de le
trouver fans défenfe au milieu de ces plaines, elles
permirent à leur chef de les ramener dans Plai-
fance. | , ,.r
Le parti de Vitellius n’obfervoit pas plus oe «u*
cipline; l’armée de.Coecina , pleine d’aliments &
de vin , approcha de Plaifance fans précaution ; oc
dans cette attaque tumultueufe, le fuperbe am-
phitéâtre fitué hors des murs fut la proie des flammes
; 8c quand l’armée de ce prince, compofee de
foixante mille foldats » marcha vers Rome , les
campagnes qu’elle traverfa furent dévaftées par ces
infolents vainqueurs, 8c par un plus grand nombre
de valets 8c de vivandiers qu’ils traînoient a leur
fuite. Le peuple venu de Rome à leur renS°,ntfe *
fut expofé aux fureurs de ces troupes effrenees.
( ]b. 289,290 ).’
L’indifcipline & la licence augmentèrent encore,
' les foldats répandus dans Rome , oublièrent totalement
l’obéiffance , les travaux du camp , le fer-
vice militaire, 8c fe livrèrent à touts les genres de
défordre 8c de corruption. Coecina envoyé contre
Vefpaflen, n’eut qu’une armée fans ardeur, lans
force, languiffante fous le poids des armes , lup-
portant impatiemment la pouffière , le foleil, les
intempéries de l’air, aufli incapable des travaux de
la guerre que difpofée à fe révolter; & le meme
efprit régnoit dans les armées de Vefpafien. Antoine
, après fa viâoire, parcourut l’Italie comme
un pays conquis , flatta les légions par la licence,
leur abandonna la nomination des emplois , oc
foldat féditieux fe donna pour chef les ejpnts le
plus turbulents ; ce n’étoient plus les generaux qui
commandoient les armées , ils étoient contraints
d’obéir à la violence des troupes. ( Ib. p. 291. m P '
^ , 1 . 1 1 1 , ^ 7 Quelsuef
T A G
Quelques empereurs tentèrent en vain de remédier
à ces défordres. Marc-Aurèle défendit les
bains de Daphné, fauxbourg d’Antioche, célèbre
par les délices de fes bains chauds, de fes bois , de
fes fleurs 8c des plaifirs qu’on s’y permettoit.
Avidus Cafîius exécutant les ordres de l’empereur,
interdit aux foldats l’entrée des bains , fous peine
d’être caffés. Alexandre Sévère fit mettre aux fers
ceux qui les fréquentoient ; fes troupes en murmurèrent.
Il les affembla, 8c faifant amener les coupables
devant le tribunal, « camarades, dit il aux
loldats , ( & je n’appelle ainfi que ceux qui blâment
avec moi les difTolutions de ces prifonniers ) ,
la difcipline de nos ancêtres eft le foutien de l’état ;
l’empire 8c le nom difparoîtront avec elle. Loin de
nous les horreurs du monftre de débauche qui nous
précéda, Hélagabale. Quoi ! des foldats Romains,
vos camarades & les mierô, confumdront le temps
de leur fervice dans les plaifirs des bains , du vin ,
de l’amour, dans toute la moleffe 8c les voluptés
des Grecs, 8c je le fouffrirois, je ne punirois pas
ces défordres du dernier fupplice ! » La légion ofa
l’interrompre par des cris 8c des menaces ; il la
cafTa 8c lui ordonna de mettre bas les armes. Elle
obéit, dépofa fes armes , fes vêtements militaires ,
8c fe difperfa dans Antioche. Un mois après, elle
demanda infïamment de rentrer au fervice , 8c
l’empereur ne lui accorda cette grâce qu’après avoir
fait trancher la tête aux tribuns qui avoient fouf-
fert que les foldats fréquentaffent les bains de
Daphné. ( Lamprid.c. 536* 54).
Çes tentatives 8c d’autres femblables pour le ré-
tabliffement de l’ancienne difcipline , furent toujours
inutiles. Nul médecin , nul remède , nul art
ne peut rétablir un corps épuifé par la débauche.
La corruption étoit générale , l’obéiffance détruite,
le prince 8c le peuple ennemis, les chefs 8c les
foldats, deux puiffances qui fe combattoient ; les
peines étoient arbitraires 8c tyranniques ; 8c la cupidité,
la faveur, l’intrigue enlevoient les récom-
penfes que dans les premiers temps la vertu publique
donnoit aux vertus privées.
Service de campagne , de l*ordre 6* du met.
Les tribuns fervoient tour à tour pendant deux
mois. Ils tiroient au fort leur bimeilre, 8c ceux
auxquels i-l étoit échu étoient chargés de tours les
détails du camp. Dans les troupes alliées , les préfets
avoient le même ordre de fervice. ( Polyb. I.
F I , c. 32 , de R. 599, av. J. C. 154 ).
Au point du jour , les cavaliers 8c les centurions
alloient touts aux tentes des tribuns , 8c fe ren-
doient avec eux à celle du conful. Celui-ci donnoit
l’ ordre aux tribuns , qui le rendoient aux cavaliers
8c aux centurions ; ceux-ci le communiquoient au
refte de l’armée lorfque le moment en étoit venu.
Jofeph dit que les foldats alloient au point du jour
faluer les centurions, ceux ci les tribuns, 8c ceux-
ci , avec touts les chefs de troupes , le général de
An militaire. Tome 111.
l ’armée , qui , fuivant l’ ufage , leur donnoit alors le
mot 8c l’ordre pour le fairepafferà leurs inférieurs.
Il ajoute que les ordres fe donnoient de la même
manière , lorfque l’armée étoit en bataille, 8c que
les chefs revenoient promptement à leurs troupes,
afin qu’elles fe miflent en mouvement enfemble 8c
en ordre, foit pour les attaques , foit pour les retraites.
C ’eft à peu près ce que Paul Emile établit
dans fon armée pendant la guerre contre Perfée.
Avant lui les ordres fe donnoient à touts les chefs
à la fois , fans qu’ ils quittaient leurs troupes. Il ar-
rivoit que touts ne les entenrloient pas ; ainfi les
lins ajoutant à cet ordre équivoque , faifoient plus
qu’il n’avoit été commande; les autres n’en exécu-
toient qu’une partie ;- différentes clameurs s'éle-
voient de toutes parts, 8c l’ennemi favoit plutôt
que l'armée Romaine ce qu’elle alloit faire. Le conful
ordonna que le tribun donneroit les ordres au
primipile à voix baffe, celui-ci de même au centurion
le plus voifin , celui ci au fuivant, 8c ainfi des
autres , foit que les ordres vinffcnt par les premières
ou par les dernières troupes. ( De. J. C. 79.
Liv. L X L IV ,c . 33 , de.R. 595, av. J. C. 158 ).
Les tribuns en prenant du général le mot 8c
l’ordre, lui remettoient des tablettes contenant le
nombre des foldats préfents. Lorfque Lucius Antoniusafiiégé
par Cæfar dans Péroufe, envoya
des tribuns lui demander l’ordre, ils lui remirent
en même-temps les tablettes , ( de R. 712 ) , 8c cet
ufage fubfiftoit encore au temps d’Appien , qui
rapporte ce fait, ( de J. C. 138 ). ( A p pian. Bell.
civ. I. V , p. 697. E. Senec. de tranquill. vit. c. 8 ).
Quant au mot, on le faifoit paffer à toutes les
troupes , 8c on s’en affuroit de cette manière. Les
dixièmes turmes 8c manipules occupoient dans le
camp l’extrémité oppofée à la ligne que formoient
les tentes des tribuns. Dans chacune de ces troupes
on choififfoit un homme qui étoit particulièrement
employé à ce fervice, 8c exempt de garde; il fe
rendoir touts les jours à la tente du tribun 8c en
recevoit le teffere ; c’étoir une petite tablette de
bois ( iuM'Çtov ) , où étaient écrits les ordres abi-
gnum, ou le mot donné par le général. Cæfar donna
quelquefois pour mot la félicité, la viRoire ; à Cor-
done , Vénus à Pharfale , Vénus triomphante ;
Pompée , Hercule invincible ; Pompée le jeune , la
piété ; Antoine, le Dieu lare ; Sylla , Apollon ;
Brutus à Philippe , la liberté. ( P lin. I. X V I , c. 18,
Liv. I. V U , c. 35. I X , 32. X X V I I I , 14, 24 ,2 7 .
Dionyfi. I. X , p. 669. Appîan. Bell. civ. p. 697. E-,
Id. p. 475. D. 4 9 3 . A. Dio. p. 402. B. Alex. ab.
Alex. I. IV , c. 2 ).
Celui qui avoit reçu la teffère revenoit à fa
turme ou à fon manipule , 8c la remettoir, en pré-
fence de témoins, au chef de fa troupe; celui-ci
la remettoit de même au chef de la troupe fui-
vante, 8c ainfi des autres jufqu’aux chefs des premières
turmes 8c des premiers manipules qui cam-
poient auprès des tribuns. Il falloit que dans chaque
efpèce d’armes, triaires , princes , haftats, cava-
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