
des ennemis, ou pour avoir en ce cas txnë retraite
pour y capituler.
Fernand Cortez , fe difant de la ville de Tépea-
ca , y fitconftruire une citadelle au contentement
des habitants, parce que Cortez leur donnoit à entendre
que ce n’étoit que pour les mieux défendre
contre les Mexicains. Si ce prétexte ne vous pa-
Toît bon que pour des Indiens, voyons par quel
autre moyen on pourroit réuffir avec des Italiens.
Faites enforte que votre prince faffe courir le
bruit de vouloir bâtir une églife, un hôpital, un
palais , des cafernes , ou quelqu’autre ouvrage
dans un lieu élevé de la ville , ou il eft néceffaire
d ’avoir une citadelle ; mettez la mainàToeuvre, &
difpofez toute chefe avec tant d'art, que la figure
même ne puiffe donner aucun foupçon aux habitants;
comme vous l’allez voir par l’exemple fuivant :
s’il fe trouvoit dans cet endroit un feigneur qui
vous fût affez fidelle pour vouloir l’entreprendre,
comme fi c’étoit fon propre ouvrage, on donne-
roit encore moins à foupçonner, parce qu’on
trouve toujours du myftère dans tout ce que le
prince fait; d’où naît, dans le fujet, une certaine
curiofité qui, fi elle paffe jufqu’à la défiance, fe
termine à une révolte, ainfi que je l’ai déjà
prouvé.
En i f 74, le pape Paul I I I , voulant s’aflùrer
de la ville de Pérufe, dont les habitants étoiènt
portés à la révolte, fit courir le bruit de vouloir,
du palais des Balifgnis , faire conftruire un hôpital
pour les malades de cette ville, & pour les Pèlerins.
On commença à travailler comme fi c’étoit-
là le vrai deflein, faifant entrer touts les jours
dans Pérufe des lits, & les autres chofes nécef-
faires pour un hôpital. Quand l’ouvrage fut en
bon état, fuivant le deflein du pape , on vit un
matin que le prétendu hôpital étoit devenu citadelle
avec quantité de murailles de terre, qui
n’empêchoient pas de voir des battions allez bien
formés, d’où on tira, contre les maifons de ceux qui
n’étoient pas attachés au pontife , l’artillerie qu’on
y avoit tranfportée fecrètement. Par - là , Paul III
acheva de fouraettre entièrement Pérufe. J’ai ouï
dire à quelques Pérufiens , qu’au milieu des mate-
lats mis fur des charettes pour le prétendu hôpital
, le pape avoit fait entrer des munitions , des
armes , & jufqu’à de la petite artillerie.
Afin que vos foldats puiflent fe rendre maîtres
des places où ils font en garnifon lorfque les habitants
font fupérieurs en force , & ne veulent pas ,
à ce que je fuppofe , permettre qu’il entre une
plus forte garnifon , ou lorfque vous manquez de
troupes pour la renforcer, feignez d’avoir reçu
une favorable nouvelle. Sous ce prétexte ordonnez
à touts les gouverneurs de ces places qu’un
tel j-our & en une même heure,ils donnent hors
des portes des fêtes & des divertiflements , afin
que les habitants venant à fortir pour les voir , la
garnifon puiffe , fans obftacle , lever tout d’un
çoup les ponts, fermer les portes, s’aflùrer des
R É V
principaux pottes, & fe faifif de toutes les arme»,
qu’elle trouvera dans les maifons des citoyens,
ians les laifler entrer qu’après que la garnifon aura
fortifié certains endroits qui dominent , & pris
quelques autres fures précautions. Je vous avertis
qu’ii ne faut pas laifler paffer tant de temps entre
la nouvelle & les réjouiffances , que les habitants
puiflent découvrir que cette nouvelle eft incertaine
; ce qui les jetteroit dans quelque foup-
çon. Pour mieux les tromper , envoyez le même
ordre de faire des fêtes à toutes les autres villes
dont la fidélité n’ett point fufpeéle ; faute d’autre
prétexte, on peut prendre celui de célébrer le
jour de la naiffance , ou le nom de quelque prince
de la famille royale.
Démofthène , capitaine Athénien , ne fachant
comment fouraettre à fa feule obéiflance Epidaure,
dont les troupes d’Athènes faifoient la moindre
partie de la garnifon, ordonna hors de la place
un tournoi général ; &. lorfque, fous ce prétexte,
les troupes des autres puiflances furent forties de
la ville , le petit nombre des foldats Athéniens
ferma les portes & fe rendit maître de la place.
Publius Valérius fe fervit du même ftratagême
dans la même ville d’Epidauré , dont les habitants
étoient fupérieurs à la garnifon. Et Phalatÿs ufa de
la même rufe à l’égard des Agrigentins , ayant
témoigné un jour qu’il auroit le plaifir de les voir
lutter hors la ville.
Michel Zilage , arrêté prifonnier dans le château
de Villagofvar, par Mathias Corvin , roi de
Hongrie, fon coufin, fe rendit maître de ce château
par le moyen de fon cuifinier, qui, un matin
étant monté fur la muraille, fe mit à crier qu’il
voyoit des troupes des Turcs dans la campagne.
A ces cris la plus grande partie de la garnifon fer-
tit pour aller rèconnoître , & Zilage avec quelques
autres de fon parti ayant ferme les portes , fe ren*
dit maître du château. ,
Pour foumettre une ville dont vous foupçonner
la fidélité , & qu’il vous feroit difficile de réduire
par un fiège, à caufe du grand nombre de fes habitants
& de la force de fes murailles, envoyez
des perfonnes de votre confiance, qui , après y
avoir acheté tout le grain qu’ils auront trouvé à y
acheter, le feront sranfporter ou le feront fecrètement
gâter & corrompre, afin que vos troupes
venant enfuite à en former le blocus ,les habitants,
faute de vivres, foient obligés de fe rendre & de
recevoir la loi que vous voudrez leur donner. Je
ne m’étends point ici fur les çirconftances de ce;
expédient, & je n’en rapporte aucun exemple,
n’aimant pas à répéter ce que je dois dite en par*
lant des fièges des places.
Manière de faire entrer des troupes dq.ns un lieu fuy.
pek qui refufe de recevoir garnijon.
Vous réuffirez peut-être à mettre garnifon dans
un lieu fufpeft, fl , ayant de découvrir votre deffeifl,
feln , VOUS faites marcher des troupes q u i, fous
prétexte d’aller dans un autre endroit dont ce
lieu eft le droit chemin , y feront reçues comme
en paffant, & s’y arrêteront enfuite , pour y demeurer
en garnifon. Les habitants auront moins de
répugnance à ouvrir leurs portes à vos régiments,
lorfqu il y aura dans ce lien des ponts fur une rivière
que vos troupes doivent néceffairement paf-
fer pour arriver à l’endroit pour lequel on fait courir
le bruit qu’elles font en marche , & où , fuivant
les occurrences, il ne doit pas pàroître étrange
qffon faffe avancer des troupes , parce que la vraisemblance
fert beaucoup à diminuer le foupçon.
La place de Bois-ie-Duc, qui étoit alors à l’archiduc
Albert , fe trouvoit en un grand péril, à
caufe de l’armée du comte Maurice qui l’attaquoit^
&.qüe les habitants ne 'votiloient pas recevoir de
garnifon , pour ne donner aucune atteinte à leurs
privilèges qui les en exemptoit : le marquis Am-
broife Spinola qui, avec les troupes de l’archiduc
& de Philippe I I I , roi d’Efpagne , avoit un camp
qui communiqnoit avec cette place , demanda aux
habitants paflage pour un gros corps de valions,
leur faifant entendre qu’il voulait les faire fortir«
par une autre porte, pour s’aller emparer dans la
campagne d’un pofte avantageux. Les habitants
l’ayant permis, & les vallons étant entrés , Spinola
pria les magiftrats de cette ville de fouffrir qu’ils
y reftaffent en garnifon ; & contraints ’alors de
faire de néceflité vertu , ils ne purent le refufer.
Vous pourrez aufli faire entrer des troupes dans
un lieu dont la fidélité eft fufpeéle , en y envoyant
un détachement fous prétexte d’efeorter un convoi '
ou un commandant, en faifent courir le bruit que
ce détachement fe retirera dès que l’un ou l’autre
aura été mis en fureté. Si les habitants penfent
réellement à une révolte, ils feront charmés 'qu’on
entrepofe ce convoi dans leur Heu, dans l’efpé-
rance de pouvoir s’en fervir contre le prince , ou
de fe faittr de la perfonne du commandant qui
vient fe mettre entre leurs mains, afin de l’échanger
enfuite avec quelqu’un des conjurés qui pourroit
être fait prifonnier par vos troupes , & cette
manière d’agir artificieuse ne fervira qu’à mieux
tromper par les fauffes précautions qu’elle fera
prendre.
En 1551 ou iç ç z , la place d’Albe-Julie avoit
pour garnifon les troupes du cardinal George
Martinufius , évêque de Varadin , foupçonné par
les Autrichiens d’être en intelligence avec les
Turcs. Jean-Baptifte Caftaldo , général de l’armée
d’Autriche, dit au cardinal qu’il vouloit rendre à
Albe-Julie l’artillerie qu’il en avoit tiré, & qu’afin
qu’elle fût conduite en fureté dans le chemin , il
fallait faire efeorter de quelques Allemands , qui
fe retireroient dès que l’artillerie feroit arrivée dans
la place. Le cardinal fut d’accord de la propofition.
Caftaldo donna fecrètement ordre aux officiers
Allemands de l’efcorte de fe fervir de cette occasion
pour fe rendre maîtres d’Albe-Julie. Ils y
*drt militaire. Tome 111.
réiiffirent, & le cardinal fe trouva fournis à une
garnifon , lorfqu’il efpéruit d’être fortifié par un
train avantageux d’artillerie.
Il feroit bon d’avoir faiteinrer auparavant dans
la place , peu à peu , par intervalle 6c l’un après
l’autre , quelques officiers & quelques foldats dé-
guifés en payfans , avec des armes courtes qu’ils
peuvent cacher , afin que fi les habitants arrêtent
lefcorte à la porte de la place fans vouloir la laifler
entrer , ces officiers 6c ces foldats foient touts
prêts à faire main-batte fur la garde de cette même
porte’ , dès que l’efeorte & le^convoi en approchent,
comme je l’ai dit en traitant des furprifes.
On peut demander aux échevins d’une ville
fufpeéle la permilfion d’y établir les hôpitaux de
l ’armée , en leur repréientant qu’on y trouve
quelque commodité qui ne fe rencontre pas dans
une autre ville. Cetre penniflïon obtenue, vos
meilleurs foldats feront femblant d’être malades,
en s’enveloppant bien la tête, 6c en rendant, par
quelque artifice , leurs vifages pâles. Quand il y
aura dans ce prétendu hôpital un nombre fuffifant
de foldats , ils s’empareront une-nuit de la place
ou de quelque porte par- où pourra entrer un détachement,
qu’à cette fin vous aurez fait approcher
, en ufant des différentes précautions que j’ai
détaillées en traitant des furprifes.
C ’eft par ce moyen que Pompée" s’empara de
la ville de Catane , lorfque les Catartiens. refu-
foient de recevoir des troupes de Pompée en gar-,
nifon.
Si les citoyens ne veulent pas permettre que
ces faux malades-entrent dans leur ville avec des
armes 6c dés munitions , on peut leur en fournir
par le moyen de quelques habitants des lieux voi-
fins, ou les faire entrer dans des tonneaux, & fur
des charrettes qu’on fait conftruire avec l'artifice
dont j’ai parlé dans mon traité des furprifes.
L’empereur Frédéric II ne fe fiant pas aux habitants
de San Miniato , leur écrivit qu’il avoit ré-
folu d’envoyer dans leur ville Ips prifonniers &
les caiffes du rréfor , pour y être gardés les uns 6c
les autres pendant qu’il alloit paffer de la Tofcane
dans la Pouille. Les citoyens charmés d’avoir le
tréfor , ou endormis par cette confiance , acceptèrent
l’offre ; mais ils reconnurent dans peu la
tromperie , cs,r Frédéric fit entrer fes meilleurs
foldats en forme de prifonniers ; 6c les caiffes, qui
paroiffoiént pleines d’argent , étoient remplies
d’armes, dont ces foldats fe férvirenr dès qu’ils
furent entrés dans San Miniato , qui fut ainfi fub-
juguée.
Henri, duc de Mecklembourg, & général de
l’armée d’Eric VIII, roi de Dannemarck, ne fachant
comment mettre garnifon dans Roftoc , fit marcher
pendant la nuit vers cette place deux charrettes qui
paroiffoiént chargées de vivres; mais qui, dans le
vuide , contenoient des foldats armés , qui fautèrent
à terre dés qu’ils furent dans la place , & en
conferyèrent la porte ouverte, par où entrèrent