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pas lu encore quel remède y apporter, parce que
l ’humidité dans ces provinces empêche que le
bled puifle le conferverplus que dune annee à
l’autre. ' ;
Après la permillîon accordée a un pays den
pouvoir faire fortir du bled , il faudroic de temps
en temps ordonner des vilites , pour lavoir quelle
quantité de grain il relie, parce que , foüs prétexte
d’une permifiion , par exemple , pour mille
muids, on en fait embarquer quinze cents. D’ailleurs
, on en tranfporte fur les côtes par des routes
écartées , afin d’éviter de payer les droits ; il n ell
pas , par conféquent, poiuble de favoir la quantité
du bled qui relie, par les regiflres qu’on peut
tenir de celui qui fort. Il eft donc à propos de
faire ceffer le tranfport des grains, avant qu’on
commence à faire des embarquements de la ré-
ferve qu’on juge convenable pour le pays.
J’ai déjà fait voir clairement qu’il ne faut pas
empêcher l’embarquement du bled qui relie au-
delà de la réferve néceffaire, parce que ce feroit
porter un préjudice confidérable aux laboureurs &
à ceux qui perçoivent leurs rentes en grains, &
éviter que l’argent des étrangers n’entre dans les
provinces de votre fouverain.
Lorfqu’un prince tire d’une province étrangère
des grains pour remédier a la difette de fes états ,
il s’attire l’affeflion de fes fujets , qui fe voyent
délivrés par ce fecours du mal qui les menaçoit ,
fit fe croient obligés à la reconnoiflance.
Hérode voulant fe faire aimer des peuples de
■ Judée, mécontents de fon gouvernement, fit venir
■ d’Egypte une quantité confidérable de grains, pour
les foulager dans la mifère de la flérilité de la récolte
, jufqu'à ce que fes cruautés le rendirent dé-
,e C ’eft patjun pareil fecours qu’Uneffas , VIIIe duc
de Bohème, 8t Henri , pendant l’interrègne de cef
état, appaifèrent les troubles qui s’y étoient élevés.
Le commandant peut même, fans que le prince
s’en mêle , s’adreffer à des négociants du pays^,
q u i, à un certain prix raifonnable , s’obligent d’y
faire venir la quantité de grain néceffaire. En
j 7 a o , le marquis de Cafafuerte , gouverneur de
Majorque , en ufa ainfi, & délivra, par ce moyen,
cette ifle de la mifère dont elle était menacée par’
la mauvaife récolte.
S’il arrive qu’une année quelque province de
votre prince ait en abondance des grains dont une
autre manque, & que ces provinces foient maritimes
ou peu éloignées l’une de l’autre , vous tirerez
de la première le grain qui eft néceffaire pour
la faconde , afin de ne pas faire paffer l’argent hors
du royaume ; & comme les négocians pourroieut
porter le grain dans quelque autre royaume où il
feroit plus cher, il faut leur faire donner caution
de rapporter les certificats néceffaires pour prouver
qu’ils ont débarqué ce grain dans le port pour
lequel il étoit deftinê. ’ -.
Ê’eft ainfi que le roi d*Efpagne, mon maître,
l’ordonna une de ces années dernières; où taré»
coite fut abondante en Andaloufie, & flérile en
Catalogne. , , . ,
L’expédient de faire venir des grains -d un pays
étranger eft bon pour une ânnee , lorfque malgré
la quantité des terres cultivées , la récolte a manqué
; mats il ne faut pas compter toujours fur les
provinces étrangères, parce que dans uii temps de
guerre vous ne fauriez en tirer ce fecours. Souvent
même les provinces les plus voifines n ont quune
mauvaife récolte ; les tranfports par terre coûtent
beaucoup , & ceux par mer font rifqueux ; & ft
un vent contraire retient un peu trop longtemps
les bâtiments chargés , le bled s échauffe , fe gâte
& devient pernicieux à la fanté.
Tacite fe récrie extrêmement contre le gonver-
nemenrde Rome à l’occafion de la famine que cette
ville commença de fouffrir du temps de 1 empereur
Claude : Une comprend pas comment les Italiens,
qui pouvoient recueillir en Italie la quantité de
grain qui leur étoit néceffaire, aimoient mieux,
plutôt que de femer , le tirer d Afrique & d E-.
gypte, & expofer le peuple Romain à la difcré-,
tion des yents & de la fortune.
Une autre raifon qui doit porter à ne pas tirer
d’un pays étranger ce que vous pouvez avoir dans
le vôtre, èft afin de ne pas épuifer l’un, d’argent
par vos achats, tandis que par votre négligence
vous enrichiffez l’autre , qui peut-être un jour vous
fera ennemi. ,
Licurgue, légiüateur de Sparte , pour donnera
fon pays & à l’armée l’abondance qui manquoit
faute d’hommes qui cultivaflent les terres , accor-
doit de grandes exemptions aux étrangers qui ve-
noient habirer ce pays, & des privilèges à ceux
qui avoient des enfants. Par ce^ moyen , plufieurs
perfonnes vinrent s’y établir, s’y marièrent * peuplèrent
Sparte , cultivèrent les champs, & fournirent
cette province de grains.
Lorfqde des étrangers vont s établir dans certains
lieux d’Efpagne qui ne font pas beaucoup
peuplés, le ro i, mon maître , leur accorde divers
•privilèges , & leur donne des terres franches pendant
quelques années , fùr-tout lorfque ce font
dts perfonnes pour la fabrique des draps, du papier
& antres ouvrages Hollandois, Génois , &c.;
par ce moyen on augmerïte les fabriques & le
commerce ; par-là on peuple infenfiblement les
autres pays , parce que les hommes courent au
gain , & ils gagnent par le travail & le trafic.
Si la même impofition eft mife dans, une ville
qui a cent mille habitants , & dans une autre qui
n’en a feulement que vingt mille, 1 impofition fe
trouvera néceffairement ou moins ooéreufe pour
chaque particulier , ou plus confidérable poiu e
prince ainfi. nous voyons qu’un real de capitation
en France monte plus haut au profit du prince,
qu’en Efpagne deux réaux delà même impofition.
De quelque côté qu’on veuille envifager la
chqfe, le grand nombre des fujets eft le plus gran
frïfoî des fouverains. L’Italie & l’Efpagne , fflâl-
„ré leurs richeffes, fe défendirent mal contre les
Sanvres armées des Lombards & des Gotbs .dont
la mifère fut le motif qui leur ht entreprendre ces
vaftes conquêtes , & leur grand nombre fut le
moyen qu’lis employèrent pour reuflir
Ce n’eft pas feulement par rapport a 1 abondance
des vivres , à l’avantage des contributions & a la
force des armées , qu’il faut qu’un état foit bien
peuplé ; c’eft encore pour la gloire du prince ,
paiîce qu’il eft à préfumer que les naturels du pays
demeureront , & que les étrangers viendront se-
tablir dans les états d’un prince qui les traite avec
douceur & les gouverne avec juftice. Au contraire,
©n attribuera à la dureté ou à l’avarice du fouye-
rajn , fi fes fujets fortent de fes états , & li les
étrangers refufent de s’y établir. Je ne fai fi ce n eft
point dans cette vue que Salomon a dit : « que
dans la multitude du peuple confiftoit la dignité
de roi, & fou ignominie dans le petit nombre ».
Lorfque ce ne font pas les hommes qui manquent,
mais feulement des travailleurs, à caufe
de l’oifiveté & de la trop grande fainéantife, il
faut les mettre dans la néceflité de travailler, en
châtiant rigoureufement les fainéans & les vagabonds
comme des gens qui manquent à ce qu ils
doivent à la république, & dont la mifère les portera
peut-être un jour à la révolte , en embraffant
la première nouveauté qui fe préfentera.
Solon mit ce confeil en pratique a Athènes.
Céfar Albrige veut qu’on envoyé les vagabonds
aux galères , afin que le châtiment des uns oblige
les autres à travailler. .
A Gênes & à Turin on enferme touts ceux qui
demandent l’aumône, & on ne leur donne à manger
qu’à proportion du travail que chacun peut
taifonnablement faire ; ce qui oblige touts ceux
qui ne veulent pas finir leurs jours dans Cfÿte forte
de prifon , à s’occuper à différents ouvrages.
Si la cherté vient du trop grand nombre de gens
qu’il y a dans un pays , on peut en tirer des
hommes pour la guerre. On peut' auffi tirer plufieurs
familles pour en former des colonies dans
quelque pays conquis. Les Romains fe font fervis
diverfes fois de ces moyens, & Périclès les mit en
ufage à Athènes pour remédier à une famine.
Quelquefois il feroit à propos de tirer les familles
pauvres qu’ il y a de trop dans une province
, pour peupler une autre province du meme
royaume qui manque de monde ; & alors on don-
neroit à ces familles de ces terres franches a cultiver
qu’on nomme royales , & qui font ordinairement
incultes, par-là, en diminuant la mifère d’un
pays , ©n augmenteroit la richeffe de l’autre ,
puifque ces nouveaux habitants pourroient , au
bout de quelques années , contribuer aux charges.
C’eft fur ces mêmes raifons que Céfar Albrige
voudroit qu’on tirât les familles qu’il y a de trop
dans Gènes, pour les envoyer en Corfe , où il y a
faute d’hommes, pour travailler les champs.
Paï~ cettè voie on augmentera le nombre des
fujets, parce qu’il eft rare que le pauvre qui mendie
fon pain fe marie ; au lieu qu’il ne tardera guères
à le faire , lorfque les terres qu’il cultive lui four-,
niront de quoi entretenir fa famille.
Par-là encore on éteindra une race de mauvais:
garnements j portés à entrer dans la première révolte
qui fe formera, parce que n’ayant ni biens
ni métiers, ils croyenr ne rien rifquer en fomentanfi
la fédition ; & , fuppofé que les rebelles viennent
' à manquer leur .coup , ils fe perfuadent que pau-,
: Vres & inconnus, ils pourront âifément Ce -cachet:,
parmi le grand nombre des révoltés. « Lorfqu’on
v o it , dit Platon, des mendiants dans une v ille ,1
on peut être affuré qu’il y a des auteurs de toutes
fortes de crimes. La misère eft la caufe de plufieurs
défordres. Tacite rapporte que Tacfarinas commença
fa révolte en affemblant d’abord les ^vagabonds
& les voleurs du pays , fous l’efpérance qu’il
leur donna du pillage. C ’eft de l a ‘même manière
q.ue Jephté & Abimeleck formèrent d’abord leur
. parti. S. Thomas nous apprend que la misère rend
les citoyens mauvais & féditieux , parce que ceux^
qui n’ont pas les chofes néceffaires à la vie , tâchent
de fe les procurer par la fraude & la rapine.:
Selon Ariftote, la pauvreté enfante les. fédit’ions
& les crimes ». Le même S. Thomas ne trouve
d’antre remède à ce mal, que celui que j ’ai pro-
pofé ; favoir : « de donner aux pauvres quelques
terres à cultiver-, afin que leur travail leur four-’
niffe de quoi vivre ».
Ce feroit une aâion digne d’un prince , d’entretenir
à fes dépens les pauvres enfants , fur-tout
les orphelins & les enfants trouvés, qui, peu
d’années après ,fe trouveroient capables de travail--
1er dans les arfenaux & les fabriques royales y
eu de fervir dans les armées. Les Turcs éprouvent
chaque jour combien cette pratique eft utile, par
rapport à leurs janiffaires , qui, ne reconnoiffant
d’autre père que le prince , ni d’autre patrie que
leur corps , ne défertent jamais.
Quand même ces pauvres enfants n’auroientpas
dans la fuite l’inclination de fervir dans les armées
de terre ou de mer , & qu'on ne voudroit pas les
y forcer , vous y trouveriez toujours l’avantage .
de diminuer le nombre des fainéans ; car, ces
jeunes gens , ayant appris quelque métier, & accoutumés
dès leur bas âge au travail, ne troubleront
pas la tranquillité du pays , parce qu’ils comprendront
fans peine que ce n’eft pas pendant les
troubles que les artifans peuvent gagner pour
s’enrichir. Enfin , ce que cette oeuvre a de pieux
& de grand, vaut bien la dépenfe qu’on peut faire,
quand elle ne feroit pas même un devoir preferit
par nos livres facrés. ■
L’empereur Trajan fit nourrir & enfeigner à fes
frais , les enfants des pauvres , non-feulement dans
Rome, mais encore dans toute l’Iralie.
A l’égard des pauvres filles orphelines, que le
prince fera élever jufqu’à l’âge de choifir un état,
S s s i j