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armes à ceux qui ne les avoient pas prîfes. «Un
péril qui devient commun , dit Strada , oblige aifément
les hommes à fe joindre » ; ce mouvement
perpétuel troubleroit continuellement le pays qui
i'eroit fous vos ordres. Tacite vous avertit « de
ne pas rechercher ceux qui ont foute nu la révolte
par leur argent , ou qui l’ont favorifee par leur
confeil ».
L’empereur Sigifmond ayant été mis en prifon
par les Hongrois qui s’étoient révoltés contre lu i,
s'en échappa heureufement, 8c avec les forces que
VincefLas fon frère, roi de Bohême, lui prêta , il
recouvra la couronne de Hongrie. Comme Sigifmond
avoit éprouvé , dans une autre occafion,
qu’après avoir fournis les rebelles, on ne pouvoit
rechercher enfuiteceux qui avoient favorifé leur
parti fans fe faire de nouveaux ennemis déclarés ,
bien loin de fuivre fa première conduite , il fit -au
contraire publier un pardon général & un oubli
entier du paffé. Cette conduite lui réuffit beaucoup
mieux que la. précédente.
Quelques années après la perte de Naples & de
Milan , un certain miniftre d’Eipagne qui avoit
confervé en faveur du roi mon maître, des intelligences
dans ce pays , pafla au fervice de 1 Empire
, & remit tours les papiers par lefquels il pré:
tendoit faire connoître évidemment ceux qui favo-
rïfoient le parti du roi ; mais l’empereur , fans les
lire , les fit déchirer, pour rie pas^ avoir lieu .d’en
venir peut-être à de rigoureux châtiments’, 8c pour
ne pas troubler la tranquillité du pays en réveillant
la crainte ; conduite digne certainement d’un
auffi grand prince, & foit politique ou clémence,
elle n’a rien d’inférieur à celle que les écrivains
louent tant dans Alexandre , qui ne voulut pas
ouvrir la caffette où étoient enfermés les papiers
qui prouvoient les intelligences de Darius.
Par ce que je viens de dire , je ne prétends pas
.-que cette affeâation de confiance vous empêche
d’être attentif & vigilant, parce qu’on peut diflî-
muler & prendre fes précautions ; je fais qii on ne
doit pas s’endormir fur les cendres d’un feu qui
ne fait qu’achever de s’éteindre. « Les flambeaux ,
dit Strada , qui ne font que d’être éteints, fe rallument
aifément ». Je n’ignore pas que de cent
traîtres à qui l’on pardonne, il y en a quatre-vingt-
dix qui ne font pas repentants. L’axiome des ju-
rifconfultes ne m’eft pas inconnu. Strada m’apprend
« qu’un crime en fait plus aifément commettre
un autre ». Les livres facrés nous avertirent « de
jie jamais nous fier à notre ennemi ; que fa malice
eft une rouille qui s'attache perpétuellement ; qu’il
faut s’en défier, lors même qu’il paroît humilié ;
que tel ennemi à qui l’on voit verfer des larmes
de fes yeux, fe raffafieroit de notre fang, s’il en
trouvoit l’occafion ».
Hédric qui, du fervice d’Edmond fon ro i, pafla
à celui de Canut , fe réconcilia enfuite avec
Edmond, & lui fit plus dé mal .alors que quand
il étok fon ennemi ; car Edmond ayant défait
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Canut dans une bataille , & pouvant exterminer
fon armée , ne le fit pas par le confeil d’Hédric,
qui, conl'ervant encore le caractère & le génie de
traître , perfuada à Edmond , au milieu de fa victoire
, de retenir les troupes ; ce qui donna le
temps à Canut de rallier fi bien fes foldats, qu’après
la mort d’Edmond il fe fit couronner roi d’Angleterre.
Canut» ce fage Danois,- ne tomba pas
dans la même faute ; car non-feulement il priva
de toutes fortes d’emplois Hédric , q u i, une fécondé
fpis, avoit paflé à fon fervice , mais peu de
jours après il le fit mourir.
Moyens d'empêcher que les troupes ne penfent à fe
révolter.
Tout ce que. j’ai propofé jufqu’ici contre les ré•
voltes des peuples, peut fervir contre les foulève*
ments des foldats. J’ai prouvé qu’il faut bannir
parmi les troupes l’oifiveté, qui leur donne lieu
de fonger à la révolte. J’ai, dit a quoi on doit les
occuper en temps de paix. En parlant des défer-
teurs , je rappelle divers moyens qui m’ont paru
propres pour éviter de donner aux troupes certains
dégoûts qui les portent à déferter, & même
à fe foulever.
J’ajoute ici qu’il faut chaffer de l’armée touts
ceux qui paroiflent avoir de la répugnance à
obéir & qui font d’un génie turbulent, afin que
leur pernicieux exemple n’en augmente pas le
nombre , 8c ne forme pas quelque foulèvement.
Fernand Cortez voulant fe défaire de#quelques
foldats de fon armée qui lui parurent difpofés à fe
révolter contre le deffein qu’il avoit de conquérir
le Mexique, les mit fur le vaiffeau de François
Montejo , fous prétexte d’aller reconnoître les
côtes que Jean de Grijalba venoit de découvrir.
Si vous voiliez éviter les foulevem.en.rs des
troupes , ne privez pas le foldat de l’argent & des
autres chofes qui lui reviennent, ni l’officier de
l’avancement qu’il mérite , parce que l’un fert par
intérêt, 8c l’autre par honneur. Ariftote nous apprend
« que les fédirions ne naiffent pas feulement
de l’inégalité des biens , mais encore de celle
'des honneurs , avec cette différence que le peuple
fouffreavec peine l’inégalité des biens, mais encore
celle des honneurs, & que les hommes dif-
tingués. s’offenfear de l’inégalité des honneurs ».
S. Thomas commentant ce'paffage , dit « que les
perfonnes d’un mérite rare qui excellent dans leurs
a étions, ont lieu de fe plaindre , lorfque, fans dif-
tinélion , on ne leur rend pas des honneurs plus
grands qu’aux autres ». Ce péril efl à craindre ,
lorfque lé prince ne difpenfe pas les emplois 8c les
honneurs à proportion de la naiffance & deS fer-
vie es. H
Dom Scipion de Caflro dans fon rnftruclion des
princes , s’exprime en ces termes : le peu d utilité
& de profit offenfe ordinairement le bas peuple ;
mais une inconfidérée diftribution des honneurs
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MefTe dan.ereufement les efprits des grands ; &
l'on a vu , par une infinité d’exemples , que l’honneur
d’un emploi accordé à la faveur plutôt qu au
mérité , a fi fort aliéné l’aftéflion de ceux qui
croyoient l’avoir mérité, que dans leur reffentt-
rnent ils ont machiné contre le prince.
Si les troupes commencent à murmurer, parce
que la paye ou les vivres manquent, tâchez d en
attribuer la caufe à quelque accident imprévu,
afin que la haine 8c les murmures auxquels ce retardement
donne lieu , ne retombent pas fur vous
ni fur votre prince ; tâchez d’y fuppléer en partie
de votre propre argent 6c de celui de vos amis ,
parce qu’il eft naturel de penfer que vous retiendrez
dans l’obéiflance des troupes qui fe croiront
obligées à la reconpoiffance pour ce que vous faites
pour elles. Pour arrêter leurs plaintes fur tout le
relie & remédier à la préfente néceffité des vivres ,
donnez-leur à comprendre que v®us attendez dans
peu d’abondants fecours, parce qu’on fupporte patiemment
les maux, quand on efl perfuade qu on
y apportera bientôt un remède. .
Le marquis de Pefcara, avant la bataille de Pa-
vie,appaifa le murmure des Allemands qui étoient
prêts à fe foulever faute de paye , en mettant en
vente fa vaiffelle d’argent 8c celle de quelques
officiers Efpagnols. f
Germanicus remit la tranquillité parmi les légions
d’Allemagne , en leur donnant, de fon propre
argent 6c de celui de fes amis, la paye qu ils
demandoient les armes à la main. / ■
Iphicrate manquant d’argent pour contenter fes
troupes qui s’étoient mutinees faute de paye , fe
fervit de deux hommes qui, pendant qu il donnoit
fon audience , vinrent lui dire publiquement qu ils
avoient pris les devants pour lui donner avis que
les fonds pour payer les troupes alloient bientôt
arriver ; fur cette efpérance les troupes s appai-
fèrent.
A la fin de 1709 & au commencement de 1710 ,
la garnifon de la place de Porto-Hercolé fut réduite
à une fi grande mifère , qu’elle n avoit plus
que pour cinq jours de pain. On n’y vendoit point
d’autres vivres , 6c quand même quelque batiment
feroit venu en vendre, perfonne n’avoit de quoi
en acheter. Depuis trois mois toute la nourriture
des officiers 6c des foldats ne confifloit que dans
quelques herbes qu’on alloit chercher dans les
champs. On ne donnoit aux malades pour aliment
exquis dans cette néceffité, qu’un peu de bacail-
liau 8c quelques légumes à demi pourris , ce qui
avoit caufé une maladie épidémique. D un coté la
place étoit fermée par la mer, 6c de l’autre par les
Allemands qui étoient à Orbitelle , beaucoup fupéri
eurs en nombre. L e s ennemis .avoient trois vaiffeau
x de guerre dans le port voifin de Saint-
Etienne. Nous n’avions fur ces côtes que quelques
felouques armées 6c autres petits bâtiments appelles
ganguils, Le fort de la guerre étoit pour lors
éu Efpagne, 8c on appréhendoit par confequent
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qu’on ne donnât toute fon attention & qu’on ne
deflinât touts les fonds à défendre le coeur dut
royaume , fans penfer à une place fi éloignée ; cependant
la garnifon fut toujours confiante , non-,
feulement par fon affeélion pour le roi, mais encore
parce que fon gouverneur, le général dom
Etienne Bellet, engagea fa vaiffelle d’argent, fe*
pierreries 6c fes habits , pour remédier aux nécefi-
fités les plus prenantes ; il fit voir que ce retardement
venoit d’un certain miniftre mal intentionné
qui pouvoit n’être plus en place , comme cela étoit
vrai ; 6c il animoit continuellement fes troupes par
l’efpérance qu’il leur donnoit de recevoir un.
prompt fecours ou par nos galères , ou par quelque
prife de vivres de la part de nos corfaires, ou par
la première tempête, qui obligeroit les bâtiments
qui auroient chargé des grains dans le port voifin
de Montalte , ôy étoient les magafins du pape ,
d’entrer dans Porto-Hercolé, comme en effet cela
arriva.
Piufieurs fois le dégoût des troupes vient ou de
vce qu’elles craignent les ennemis , ou de ce qu’elles
ne fe forment pas une bonne idée de l’habileté du
général ; alors elles fe foulèvent P 6c fous prétexte
de plainte contre le chef, elles refufent de
combattre. On trouvera quels expédients il faut
mettre en ufage dans ces rencontres 6c autres fem-
blables , en traitant des premières démarches d’un
général 6c. des occafions où il efl effentiel d’éviter
le combat.
Si le foulèvement des troupes vient d’une haine
bien fondée qu’elles ont contre quelqu’un de leurs
chefs, fon châtiment pourra appaifer les révoltés^
fuivant ce principe : en ôtant la caufe , on faiteefter
les effets. '
Le peuple Romain s’étant foulevé à caufe qu’il
avoit en horreur Cléandre, ce mauvais 8c cruel
miniftre de l’empereur Commode^ le tumulte ceffa
par la permiffion que l’empereur donna de le faire
mourir.
Louis X I I I , roi de France, ayant abandonné
fon favori Contint, maréchal d’Ancre , à la vengeance
des François, qui s’étoient foulevés par la
haine qu’ils portoient à ce miniftre, calma fur-le-
champ ces troubles élevés par les principaux fei-;
gneurs de France.
Si les troupes fe révoltent par rapport à la haine
qu’elles ont contre un officier qui ne mérite pas
d’être puni comme elle? le demandent, il fuffira ,
fous prétexte d’envoyer cet officier en prifon ou
en exil, de le faire pafferdans une autre armée
ou dans quelque autre place. Je dirai un peu plus
bas quand eft-ce qu’il fera temps de punir enfuite
ceux qui, les armes à la main , ont demandé même
ce qui étoit jufle.
Nicolas , roi de Dannemarçk, voyant fes fujets
révoltés cofttre lui par la mort que Magne, fon
fils , avoit donné au prince Canut, envoya Magne
en e x il, ce qui appaifa les foulevés. Peu après ,
par un amour paternel hors de faifoy , Nicolas