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Des difpofitions que doit faire un gouverneur menace
d’un fiège.
Dans une longue paix, les gouverneurs & les
principaux officiers des places fortes oublient que
leur ville peut être affiégée , & ils en négligent les
^environs. Ils permettent aux bourgeois de faire des
jardins entourés de haies & de. foffés, de planter
des arbres, quelquefois même de bâtir des maifons
fous la portée du canon de la place, ce qui ne de-
vroit jamais fe permettre. Mais lorfqu’une place
peut craindre d’être affiégée, il faut abfolument réparer
cette faute & tout rafer.
Le gouverneur ne doit jamais rien fouffrir fous
la portée de fon canon qui puiffe lui dérober la vue
de l’ennemi. Il ne doit y laiffer aucun foffé fec à
remplir, aucun buiffon à couper , aucune éminence
, s’il èft poffible, fans la faire rafer & ap-
plahir.
Le gouverneur ne doit jamais s’abfenter quand
il y aura guerre déclarée, ni découcher de fa place,
s’il eft poffible, notamment fi elle eft frontière de
la première ligne; mais il doit y réfider affidue-
ment, lui & tout fon état-major. Pour lors fon application
& la leur doit redoubler pour la fureté de
la place ; il doit faire agir les compagnies franches
dans ce remps-là , pour établir la contribution , la
pouffer le plus loin qu’il pourra , & apprendre
des nouvelles des ennemis ; car H faut toujours fa-
voir ce qu’ils font, & même à quoi ils penfent,
s’il eft poffible ; cette connoiffance dépend affez
des manoeuvres qu’on leur voit faire. C*eft auffi le
temps de faire agir les amis qu’il pratique pendant
la paix, afin qu’il foit mieux informé des deffeins
que l’ennémi pourroit avoir contre lui ; c'eft encore
celui'de répéter, le dénombrement des familles de
fon gouvernement, de la quantité d’hommes & de
charrions quon,en pourroit tirer au befoin pour le
1er vice de. la place, & du détail de tout ce dont
nous avons.fait .mention çi-deflus.
S’il fe voit dans le.’cas d’être affiégé , il doit continuer
d’envoyer des partis roder à l’entour des ar-
•jmées, & des places ennemies, pour en apprendre des
nouvelles plus certaines ; faire cependant amas de
toutes chofes néceffaires à une bonne défenfe ,
faire convertir les bleds en farine , commander aux
bourgeois de s’en approvifionner pour trois mois ,
& obliger ceux qui font inutiles dans un liè g e ,
comme les femmes , les vieillards., les enfants, les
moines & les religieufes, de fortir de la place.
S’il apprend que les ennemis, font quelques démarches
de fon côté , il faut qu’il faffe rentrer fes
partis, de peur qu’ils ne foyent coupés, & n’en *
laiffer dehors.que quelques-uns pour faire des pri-
fonniers, afin d’apprendre par eux des nouvelles
plus certaines.
Il fera bon qu’il faffe dès-lors tours les préparatifs
à une prompte défenfe , & qu’il fe tienne fur
fes gardes, comme s’il devoit être inyefti de af-
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ftégé atout moment. Pour cet effet* il doit touts
les jours s’attaquer lui-même en fecret, & chercher
autant de différentes .défenfes qu’il peut inventer
de nouvelles attaques.
Devoirs des gouverneurs après l’invefliture de la
place.
La plupart des gouverneurs n’ont pas plutôt ap.
pris qu’ils font inveffis , qu’ils contribuent eux-
mêmes à faciliter aux ennemis l’attaque de leur
place , en leur marquant, par des canonades réitérées
, le terrein qu’ils doivent occuper pour leur
campement. S i, au contraire , ils demeuroient dans
le filence , il pourroit arriver de deux chofes l’une :
ou que leur camp auroit trop d’étendue , ou qu’il
n en auroit pas affez. Dans le premier cas, la cirs
convallation en feroit d’une garde plus- difficile
contre les fecours qui peuvent venir à h place ; s’il
fe trouvoit trop proche, quelques jours après ,
lorfque le canon des remparts comroenceroit à tirer
, l’affiégeant feroit obligé de s’éloigner & de
recommencer fes travaux.
On doit donc laiffer l’ ennemi affeoir foa camp à
fon aife, fans lui tirer d'autre canon que celui des
barbettes, auquel on donnera feulement demi-
charge , pour ne pas lui montrer où il doit placer
fes camps ; s’il les établit trop près delà place, ce
fera tant mieux, il faudra l’y laiffer bien établir ,
& après qu’il y fera campé , changer le canon des
barbettes, & y en mettre de plus forts, puis tirer
lur fes camps, s’ils font à portée; ce qui l’obligera
à décamper & à changer de place, 8c lui caufera du
retardement.
Lorfque la ville fera invefiie , il ne faut pas fe
commettre avec l’ennemi les premiers jours ; mais
s’atacher à de petites efcarmouçhes de cavalerie 8c
d’infanterie, avec leurs coureurs 8c leurs petites
gardes, foutenus. par de l’infanterie, toujours en
cédant terrein , pour les attirer le plus prés de la
place qu’il fera poffible. Cependant on ne doit pas
tirer un feul coup de canon que l’ennemi ne foit
fort près , on ne doit pas même laiffer paroître trop
de gens fur le rempart ; mais quand il fera bien à
portée, pour lors on doit le faluer de toute l’artillerie
qui pourra le voir;on doit enfuite faire pouffer
les plus avancés jufqu’à ce que l’ennemi tourne
tête & pouffe les nôtres à fon tour , lefquels étant
foutenus par le canon rechargé de nouveau, & par
quelques grenadiers détachés avec la cavalerie ,
'remettront encore l’ennemi fur le retour avec
perte , fans dou.te, de quelques-uns des liens ; ceci
peut fe faire en plufieurs endroits des environs de
la place , & fe répéter à plufieurs reprifes.
Q.n; continuera cependant, à faire garde de cavalerie
hors de la place à deux cents 8t deux cents cinquante
toifes du chemin couvert, dont il faudra,
tenir les barrières ouvertes , afin que fi les gardes
font repouffées , elles puiffent s’y retirer. On commencera
à mettre en ufage fes difpofitions pour
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faire la garde dans le chemin couvert, & p o u r , delà
, pouvoir foutenir nos gardes avancées de cavalerie
, à laquelle on fera bien de joindre quelques
compagnies de grenadiers pour la fortifier. S’il y
a quelques couverts aux environs où elles puilfent
fe mettre , il faudra les y pofter, ce qui fera très à
propos pour réprimer les infolences des affiégeants,
s’ils s’avifent de les venir chercher.
C ’eft dans ce temps-là que la garnifon pourra
fortir avantageufement la baïonnette au bout du
fnfil, ce qui fera raffembler beaucoup d’ennemis
fous le feu du canon de la place , où ils-ne trouveront
pas-leur compte.
Quelques jours avant l’arrivée des troupes en-
«ternies, il faudra mettre le feu à toutes les maifons
& bâtiments des dehors qui pourroient favorifer
les gardes & les approches , ainfi qu’à touts les
fourrages des environs, afin que l’ennemi n’en
profite point.
Lorfque l’ennemi s’avancera, pour reconnoître
les lieux les plus commodes pour l’attaque , ce qui
fe fait ordinairement un jour ou deux avant 1 ouverture
de la tranchée , 8c quelquefois le même
jour , ( car quoique les environs de la place ayent
été déjà reconnus par différentes perfonnes , le gé- :
néral y va cette dernière fois pour fe 'réfoudre ) ,
le gouverneur doit bien prendre garde qu’aucun ■
des liens ne foit pas fait prifonnier ; car le foldat i
le plus mal habile peut quelquefois donner des avis
importants. ..
Si les ennemis qui fe font approchés de la place
font foibles , il faut faire- fortir un plus grand
nombre de foldats , pour les tenir éloignés par le
feu de leur moufqueterie ; fi l’ennemi eft fort, on
ne doit laiffer au dehors que quelque peu de cava^
lerie ou d’infanterie , qui puiffe, par une prompte
retraite , lui faire effuyer tout le feu de la place.
Dans ces occafions , les gens fortis de la place
doivent s’attacher à tirer fur les particuliers , parce
qu’un général qui va reconnoître, fe détache ordinairement
du gros qui l’accompagne , 8c ne fe
laiffe fuivre que de quelques ingénieurs ou officiers
intelligents, 8c capables de remarquer avec lui les
défauts de la place, 8c de lui aider à choifir l’endroit
le plus commode pour fes attaques. C ’eft fur
ces gens-là que ceux qui font commandés au dehors
doivent faire feu ; car ce font des têtes qu’il
vaut beaucoup mieux abattre qu’un plus grand
nombre de moindre importance , puifqu’il n’y a
guères que ceux qui doivent être chargés de la
principale conduite des attaques,auxquels le général
aura permis de le fuivre.
Au commencement du fiège , quoique l’ennemi
lerre la place de près par fes gardes avancées, il
faudra toujours envoyer des partis hors du chemin
couvert pendant la nuit , qui ne s’éloigneront
guères plus de cent à deux cents toifes de la place.
Ils s y tiendront ventre à terre , cachés dans des
fonds , ou dans des lieux couverts , s’il y en a ; les
partis demeurant en filence tâcheront de découvrir
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ceux qifi s’avanceront, de les couper, & de prendre
quelques ingénieurs ou de lés tuer.
Pendant que l’ennemi travaillera à faire fes lignes
& fes préparatifs pour l’ouverture delà tranchée,
les gardes avancées de la place auront de continuelles
efcarmouches avec les Tiennes , en obfer-
vant de ne pas trop s’avancer, pour qu’elles né
foîent pas coupées.
Comme il eft important de favoir de quel côté
l’ennemi attaquera , on pourra le démêler, en cb-
fervant la partie où nos troupes auront plus de dé-
favantage, où le refferrement des gardes fera plus-
fréquenr; on en jugera auffi par l’amas des matériaux
plus abondant , & par l’étabhffement du
parc, qu’on tâche toujours de faire à portée de
l’ouverture dé la tranchée. Tout cela pourra fe découvrir
des lieux élevés de la place avec de bonnes
lunettes ; mais il fera encore plus fûr de l’apprendre
par des efpions.
Pour cet effet * il fera bon d’avoir une certaine
quantité de foldats affidés dans la compagnie
franche , à la haute paye, qui, faifant femblanc de
déferter, prendront parti chez les ennemis ; 8c
quand il y aura quelques mouvements importants ,
ils fe jetteront dans la place , non touts à-la-fois ,
mais en différents temps, félon la leçon qu’on leur {
aura faite, il ne faudra pas qu’ils défertent touts
à-la-fois , ni qu’ils fâchent les deffeins les uns des
autres , de peur qu’ils ne fe trahiffent.
C eft dans ce temps-là què le gouverneur doit
régler les gardes de la place, 8c celles des dehors 8c
des chemins couverts ; premièrement, fur le pied
d’attendre l’ennemi de touts côtés , parce qu’on ne
fauroit être bien informé du parti qu’il prendra.
Il fera bon , dans ces premiers temps , d’avoir
un piquet de cavalerie & d’infanterie prêt à marcher
, 8t en état de renforcer les endroits attaqués ,
mais pour n’agir que pendant la nuit & dans les
chemins couverts.
Il eft à préfumer que le gouverneur aura eu foin
de fe munir d’un chiffre pour donner de fes nouvelles
au général 8c aux villes prochaines , & qu’il
fera convenu des fignaux pour établir une efpèce
de correfpondance du plus haut clocher de la
ville , avec un ou deux de la campagne , à une ou
deux lieues aux environs. Le générai aura foin d’y
faire mettre une garde, avec un homme intelligent
, qui aura une copie des fignaux réciproques,
au moyen de quoi il pourra être averti de ce qui
fe paffera dans la place, fuivant les principaux évé-
nements dont ils feront convenus avant le fiège.
Manoeuvres de la garnifon pendant les premiers jours;
dun fiège.
Le gouverneur ayant reconnu le deffein de l’ennemi
par le lieu de l’ouverture de la tranchée, il
doit faire travailler diligemment à des fourneaux
fous le glacis de la contrefcarpe , 8c avancer aux
pointes des angles Taillants de la même contref-
C c c ij