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liers , quelque peu qu’il y en eût , étant épars St
fort éloignés de la réfidence , il leur en auroittrop
coûté fi leur vifite eût été régulière. Il falloir donc ,
ou que cette infpeâion fût très négligée , ou qu’elle
fie fît aux dépens de ceux qui en étoient chargés ,
à quoi le gouvernement trouva jufte de pourvoir.
Aujourd’hui les nouveaux commiffaires font régulièrement
leur tournée touts les ans, fuivie de
l’ingénieur de leur département , pour projetter
les ouvrages à faire, 8c pour recevoir ceux qui'
font faits. Ils exercent la police fur les chemins ;
ils écoutent les plaintes que les particuliers veulent
leur porter , foit contre d’autres particuliers, foit
contre les officiers & les ouvriers des ponts & chauffées
; ils reçoivent les repréfientations qu’on veut
leur faire , 8c rendent compte du tout au commif-
fiaire général.
A l’égard des autres généralités , il n’y a , dans
chacune, comme je l’ai déjà dit, qu’un tréforier de
France commifîaire du roi , qui doit procéder ,
conjointement avec l ’intendant, à l’impofition de
la taille, & à l’adjudication des ouvrages ordonnés
, tant pour le domaine, que pour la réparation
des chemins ; mais ils affiftent fi rarement à celles-
ci , qu’à peine en pourroit-on citer des exemples.
C ’eft grand dommage qu’une fi bonne inftitution
demeure fans fruit, 8c que des officiers dont on
pourroit tirer de grands fiervices , s’aviliflent dans
l ’oifiveté , jouiffànt de leur état comme d’une cure,
à portion congrue , fans charge d’ames. L’ami des
hommes regarde bien fenfément ceux qui ne font
rien , comme des chenilles qui rongent l’état. Il
efl vrai que l’herbe eft très courte pour celles-ci.
Il feroit honteux à un tréforier de France d’ignorer
les réglements qui conftituent fa jurifdiéfion ,
& fur lefquels il a touts les jours à délibérer. Auffi
ne doit-on préfumer cette ignorance dans aucun ;
majs il efl à. fouhaiter qu’ils apprennent touts la
valeur des termes de l’art, pour en faire de juftes
applications ; qu’ils entendent clairement les conditions
d’un devis , pour juger fi elles font exactement
remplies; car enfin fi le rapport de l’expert
met abfolument les commiffaires à couvert du reproche
d’un fupérieur, il ne peut les tranquillifer
fur celui que leur honneur 8c leur confcience de-
vroient leur faire , fi par ignorance ils avoient lâchement
déféré à un avis injufte.
JDu premier ingénieur, des infpeSleuxs généraux ,
ingénieurs en chef, fous-infpeâteurs & fous-ingénieurs
des ponts St chauffées.
Avant le miniftère de M. Defmaretz, le public
ignoroit, je crois, que les ponts & chauffées for-
maffent le département d’une matière d’état. On
entretenoit , à la vérité, une efpèce d’ingénieur
dans la généralité de Paris, 8c cette place étoit
confiée à un religieux , frère lai, qui, de fa cé-
lule, donnoit les réceptions d’oeuvre fur les péril-
igux certificats des curés de campagne de fa CQnp
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noiffance. M. Defmaretz fit commettre, en 1710 J
onze architectes, fous le titre d’infpeéteurs despowi
& chauffées du royaume, qui avoient effi&ivement
le droit d inftrumenter dans toute fon étendue, 8c
vingt-deux ingénieurs , conformément au nombre
des généralités. Par-là l’infpeéteur devoit, touts tes
î ans, vifiter deux provinces ; mais cet arrangement
péchoit effentiellement en deux points : l’un , par
l’infulfifance commune des appointements 8c frais
de voyage qu’il fixoit, tant aux infpeéteurs qu’aux
ingénieurs ; l’autre , par l’égalité du falaire des premiers.
Etoit-H jufte , en effet, que l’infpedteur , à
qui le fort ou le choix avoit départi les provinces
méridionales, ne fût pas payé fur un pied plus
haut que celui à qui la Picardie 8c le Soiffonnois
étoient échus ? Auffi leurs courfes ne furent-elles
jamais longues. Cet établiffement, fupprimé en
1716 , fut réduit en 1721, à celui d’un infpedeur
général, un premieringénieur, 8c trois infpeâeurs
des ponts 6* chauffées de France, avec un ingénieur
en chef dans chaque généralité. Ces deux premiers
officiers étoient comme le confeil de la di-
reéfion. La généralité de Paris fut départie aux
trois autres , 8c on leur en adjoignit un quatrième
en 1722 , par la fuppreffion qui fut ordonnée de
l’ingénieur particulier de cette généralité.
L’adminiflration aâuelle à refondu 8c infiniment
étendu ces établiffements, en réunifiant la place
d’infpeéieur général à celle de premier ingénieur ,
8c en donnant le titre de généraux à cinq infpec-
teurs , dont j’ai eu occafion de parler dans les articles
précédents, 8c auxquels elle a réparti l’inf-
pe&ion de touts les chemins du royaume. Chacun
d’eux parcourt tous les ans, le nombre des provinces
qui lui font échues par partage. Je ferai
obligé de répéter ici plufieurs circonftances que j’ai
déjà touchées ; mais il en réfultera plus de clarté.
Les projets des ponts du premier ordre font dévolus
au premier ingénieur ; ceux de la fécondé
claffe, aux infpeâeurs généraux ; 8c ceux de la
troifième, aux ingénieurs des provinces ; ce qui
eft réglé par le prix des ouvrages.
Il y a un ingénieur en chef dans chaque généralité
, quelquefois deux 8c plus, quand elles font
trop vaftes , comme Paris 8c Grenoble.
Chaque ingénieur eft aidé par plufieurs fous-
infpe&eurs deftinés à remplir les places de chef
qui viennent à vaquer. On leur donne même quelquefois
le titre d’ingénieur , quoiqu’ils n’ayent
pas encore de département ; mais ces cas font
rares , 8c n’arrivent qu’en faveur de quelques fu-
jets diftingués par leur mérite 8c par l’ancienneté
de leurs fervices.
Outre les fous-infpeâeurs , on emploie dans
chaque département autant de fous - ingénieurs
que le nombre 8c l’étendue des atteliers en demande;
8c enfin des élèves qui, après avoir fait
preuve de capacité fur la théorie , font envoyés fur
les travaux pour s’inftruire dans la pratique.
Chacune de ces dafles , en commençant par la
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dernière, eft immédiatement fubordonnée à celle
«ui la précède. L’ingénieur en chef tes commande
fuîvant leur rang, en l’ablènce de l’infpeaeur général
; dès que celui-ci paroît, il donne les ordres ,
ce qui eft conforme à la difcipline militaire, avec
cette différence, que 1e commandement dans celle
des ponts & chauffées , n’inftue abfolument que fur
le fervice, 8c ne peut nuire ni à l’honneur , ni à
l’avancement des füjets. Le tribunal où on tes juge
eft ouvert à touts, 8c fi un ingénieur en chef , ayant
pris en haine un fous-ingénieur, voulait l’opprimer,
il hâter©ic peut-être là fortune '; tout au moins
on entendroit 1e lùbalterne , 8c fi fon ennemi avoit
tort, on fen feroit raifon à l’offenfe , tant on eft
imbu, dans ce département, de la maxime équitable
, qui veut que la répartition de l’autorité ne
multiplie pas 1e trifte pouvoir d’humilier les hommes
, ou de leur faire d’autres maux.
Je fuis réellement fâché que l’arai des hommes
ait donné lieu de penfer qu’il en établiroit de toutes
oppofées, s’il en étoit 1e maître. «^Un gouvernement
, dit-il, auffi augufte que le nôtre , n’a befoin
de tenir notes que des chefs ». Mais je lui de>-
mande d’abord ce que fait, ail choix des chefs , la
majefté du gouvernement, par lequel on ne peut
entendre , à l’égard de la monarchie , que le roi ?
C ’eft fa fagefte, 8c non fa dignité , qui lui répond
de la bonté de aoûts les autres. Ce chef eft à fon
égard , le premier fous-ordre de fon gouvernement
, 8c l’ordonnateur de touts tes fous-ordres ;
& cette dégradation continue jufqu’à la dernière
claffe des fujets , dont l’unique partage eft 1-obéif-
fance , mais dont la confervation eft d autant plus
chère au fouverain, que c’eft véritablement elle
feule qui agit dans touts les ordres de la monarchie.
Suppofons donc que ce premier chef ne tienne
note que des féconds , tes féconds des troifiemes ,
8c ainfi de fuite ; certainement l’arrangement fera
le meilleur que l’efprit humain puifie concevoir,
pourvu qu'il fe foutienne jufqu’au dernier grade ;
mais s’il s’arrête à l’un des points intermédiaires ,
8c « qu’il s’en rapporte à lui des détails , du foin de
choifirles fujets , 8c de celui de tes employer» , je
dis que tout eft perdu , parce que tes fous-ordres
inférieurs n’ayant plus d’autorité fur leurs fubal-
ternes , feront hors d’état de les contenir, 8c qu’ils
deviendront eux-mêmes tes viûimes de toutes les
pallions du chef qui difpofera des détails. Non ,
répondra l’ami des hommes , puifque ce chef doit
rendre compte à celui auquel il eft fubordonné ;
mais je répliquerai que dans la plupart des états,
cette fubordination eft fixée au grade, 8c ne s’étend
point aux détails , outre qu’il réfulte de
l’hypothèfe, que le fupérieur du chef chargé de
ces détails ne doit point s’en faire rendre compte ,
ni écouter les plaintes des inférieurs, ce qui me
paroît une maxime de la plus haute injuftice 8c de
la plus grande cruauté. Je ne conclus pas pour
cela du principe contraire, qu’il faille autorifer les
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fubalterftes à correfpondre habituellement avec la
cour ; « mais je dis qu’ils doivent avoir un accès
libre 8c fur au tribunal du fupérieur immédiat de
celui qui a fait injure, 8c que s’ils n’y font pas
écoutés , ils ont droit de remonter de degre en
degré jufqu’au premier chef, dépofitaire de l’autorité
royale. J’ajoute que ce premier chef ne peut
tenir notes de ces fous-ordres , qu’autanç qu il entrera
dans quelques détails relatifs à fon rang 8c à
leurs fondions. Par o ù , fans cette précaution ,
le cardinal de Richelieu auroit-il découvert 8c
rompu tant de trames, M. de Louvois formé de
fi grands généraux , 8c M. Colbert tant de favans
dans touts tes genres ? Sans cette fage correfpon-
dance , bien differente de l’efpionnage , fans ce
regiftre fybillin, q u i, félon moi, ne doit contenir
que des vertus 8c de belles a&ions , 8c qui ne
doit être tenu que par des hommes du premier
ordre dans leur genre , tout le génie des miniftres
que je viens de citer , n’auroit fait que blanchir
contre l’hypocrifis , l’ambition 8c l’avarice de tant
de chefs 8c de fous-chefs , qui ne cherchent qu’à
s’avancer 8c à s’enrichir aux dépens du commun.
Les fuites du mitte fapientem font deftruélives de*
toute hiérarchie, quand ce confeil, mille fois plus
facile à donner qu’à fuivre, laiffe la porte ouverte
à l’injuftice , 8c autorife l’impunité de celui qui
la commet. Il me rappelle le- bon mot d’un mi-
niftre de nos jours, qui, très verfédans la dialectique
, difoir qu’en matière de gouvernement ,
prefque tout le' monde favoit faire des majeures ;
pour des mineures, ajoutoit-t-il, rien n’eft fi rare.
Je ne doute pas que fi l’ami des hommes avoit été
informé de cette remarque , il n’en eût profité ,
en faifant à fon précepte un léger changement. Il
auroit écrit < pone fapientetn qui parem mittat. Alors
la conféquence du bon choix auroit découlé de
fon principe , 8c auroit conduit tout naturellement
l’auteur à fa conclufion , qui eft que , par parem.
quant. Ceci , au furplus , eft une diflertation que
je foutnets à fon jugement, 8c non une Vaine di-
greffion, un écart de mon fujet, puifque la foli-
dité des maximes que j’ai préconisées, fe juftifie
par la reéfitude du choix que le gouvernement a
fait du fage qui la démontre , en ne remettant à
fes fous-ordres que la portion d’autorité dont ils
ont befoin pour faire remplir tes devoirs , 8c non
celle qui pourroit nuire aux perfonnes.
Le premier ingénieur & les infpeéteurs généraux
réfutent à Paris, pour être toujours à portée
de recevoir tes ordres de ce magiftrat, à moins
qu’ils ne (oient en tournée. Ils s’affemblent, comme
je l’ai déjà dit, une fois la femaine , chez lu i , aved
les commiffaires du bureau des finances , tes tré-
foriers généraux , 8c autres officiers du département.
Là , chacun rend compte des ordres qu’il
a reçus la femaine précédente , 8c en reçoit de
nouveaux. S’il y a des repréfentarions à faire , des
doutes à lever , des difficultés à expliquer, on tes
expédie.